326 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qui intéresse la gloire de la nation ne vous est étranger. Si la Convention nationale accueille les vues que je lui soumets au nom du comité d’instruction publique, encouragés par son suffrage, nous ferons une invitation aux citoyens qui ont approfondi la théorie des langues, pour concourir à perfectionner la nôtre, une invitation à tous les citoyens pour universaliser son usage. La nation, entièrement rajeunie par vos soins, triomphera de tous les obstacles et rien ne ralentira le cours d’une révolution qui doit améliorer le sort de l’espèce humaine. Le rapport de Grégoire a été couvert d’applaudissements (1). Sur son rapport la Convention nationale décrète : « Le comité d’instruction publique présentera un rapport sur les moyens d’exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau de la langue française; il présentera des vues sur les changemens qui en faciliteront l’étude et lui donneront le caractère qui convient à la langue de la liberté » (2). Le rapporteur donne ensuite lecture d’une adresse aux Français pour les inviter à ne parler que la langue française (3) : La convention nationale aux Français Citoyens, vous avez le bonheur d’être Français et cependant une faculté essentielle manque au grand nombre d’entre vous pour mériter ce titre dans toute son étendue. Les uns ignorent complètement la langue nationale; d’autres ne la connaissent qu’imparfaitement. Il est des départements entiers ou presque jamais elle n’est admise dans le commerce de la vie civile. Néanmoins la connaissance et l’usage exclusif de la langue française sont intimement liés au maintien de la liberté, à la gloire de la République, c’est-à-dire à votre bonheur, puisque ses intérêts sont les vôtres. Cette race de brigands, qu’on nomme rois et princes rend hommage à votre langue; ils l’ont introduite dans leurs cours; les cours passeront, les peuples resteront. Ils honoreront votre langue en adoptant vos principes; déjà chez plusieurs elle est usitée, tandis que les enfants de la même famille sont à cet égard étrangers les uns des autres; des amis et des frères ne peuvent se parler sans interprète. Autrefois la France était divisée en provinces qui, pour la plupart, avaient des coutumes et des dialectes différents. Cette disparité était, entre les mains des despotes, un moyen de plus pour les tenir asservies. La Révolution vous a tous réunis autour de la patrie; il n’y a plus de provinces; pourquoi donc 30 dialectes qui en rappellent le nom, établissent-ils encore entre vous une démarcation funeste ? (1) Mon., XX, 647; Audit, nat., n° 620; J. Univ., n° 1654; C. Eg., n° 656. (2) P.V., XXXIX, 29. Minute de la main de Grégoire. Décret n° 9392. (3) P.V., XXXIX, 29; Audit. nat.„ n° 620; C. Eg., n° 657, 17 Pr. (« Grégoire a lu [le 17 Pr.l la rédaction du décret... adopté [e] la veille»); J. Univ., n° 1660; J. S. Culottes, n° 475. Citoyens, vous détestez le fédéralisme politique, abjurez celui du langage. La langue doit être une comme la République; du Nord au Midi, sur toute l’étendue du territoire français, il faut que les discours, comme les cœurs, soient à l’unisson. Ces dialectes divers sont sortis de la source impure de la féodalité. Cette considération seule doit vous les rendre odieux; ils sont le dernier anneau de la chaîne que la tyrannie vous avait imposée; hâtez-vous de le briser. Hommes libres, quittez le langage des esclaves, pour adopter celui de la liberté. Comment pourrez-vous statuer sur l’acceptation des lois, les aimer, leur obéir, si la langue dans laquelle elles sont écrites vous est inconnue ? Proposer de les traduire, ce serait pour vous un surcroît de dépenses, ce serait ralentir la marche du gouvernement; d’ailleurs, la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne comporte que des traductions infidèles. Tous les citoyens sont admissibles à toutes les places; il est même à désirer qu’ils soient propres à les remplir tour à tour. Vos enfants sont moins à vous qu’à la patrie, et vous lui devez un compte rigoureux de vos soins pour former une génération nouvelle d’hommes également capables de devenir bons artisans et bons juges, de manier le rabot et le sabre, et de passer de la charrue au siège législatif. Mais si la langue française ne vous est pas familière, qu’arrivera-t-il ? Ou vous remplirez mal les fonctions auxquelles vous appelleront vos concitoyens; votre incapacité trompera leur confiance, et compromettra la chose publique en vous déshonorant; ou votre ignorance connue éloignera de vous les suffrages; alors les places seront constamment réparties entre un petit nombre de personnes; l’autorité se concentrera dans leurs mains; et si malheureusement l’habitude de commander leur en inspirait le goût, l’habitude des affaires favoriserait leurs trames; bientôt ils vous considéreraient comme une classe subordonnée et l’aristocratie ressuscitée anéantirait l’égalité. La connaissance de la langue nationale est donc un moyen indispensable pour conserver la liberté des suffrages, déjouer les intrigants, et repousser l’ambition qui tenterait de vous opprimer. La France, à qui le ciel a donné un beau climat et un sol fertile, une position heureuse sur les deux mers, doit par ses productions, son industrie et son commerce, se passer des autres peuples. Vos représentants saisissent tous les moyens de faire fleurir l’agriculture et les arts; les arts ne peuvent fleurir que par les lumières; les lumières se communiquent par de bonnes institutions, par des ouvrages utiles, dont vous ne pourrez tirer aucun fruit si vous ignorez la langue dans laquelle ils sont écrits. Parmi ceux qui ont été les complices du fanatisme et de l’aristocratie, il en est une foule qu’on n’a précipités dans cet abîme que parce que leur ignorance de la langue française donnait accès à la séduction. Quand un peuple s’éclaire, il s’aperçoit bientôt qu’un homme vaut un homme et qu’un roi n’est pas homme. La Déclaration des Droits, ce tison salutaire que vous avez jeté sur les trônes, est aussi redoutable que nos boulets; et comme ils sont persuadés que leur puissance doit disparaître au flambeau 326 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qui intéresse la gloire de la nation ne vous est étranger. Si la Convention nationale accueille les vues que je lui soumets au nom du comité d’instruction publique, encouragés par son suffrage, nous ferons une invitation aux citoyens qui ont approfondi la théorie des langues, pour concourir à perfectionner la nôtre, une invitation à tous les citoyens pour universaliser son usage. La nation, entièrement rajeunie par vos soins, triomphera de tous les obstacles et rien ne ralentira le cours d’une révolution qui doit améliorer le sort de l’espèce humaine. Le rapport de Grégoire a été couvert d’applaudissements (1). Sur son rapport la Convention nationale décrète : « Le comité d’instruction publique présentera un rapport sur les moyens d’exécution pour une nouvelle grammaire et un vocabulaire nouveau de la langue française; il présentera des vues sur les changemens qui en faciliteront l’étude et lui donneront le caractère qui convient à la langue de la liberté » (2). Le rapporteur donne ensuite lecture d’une adresse aux Français pour les inviter à ne parler que la langue française (3) : La convention nationale aux Français Citoyens, vous avez le bonheur d’être Français et cependant une faculté essentielle manque au grand nombre d’entre vous pour mériter ce titre dans toute son étendue. Les uns ignorent complètement la langue nationale; d’autres ne la connaissent qu’imparfaitement. Il est des départements entiers ou presque jamais elle n’est admise dans le commerce de la vie civile. Néanmoins la connaissance et l’usage exclusif de la langue française sont intimement liés au maintien de la liberté, à la gloire de la République, c’est-à-dire à votre bonheur, puisque ses intérêts sont les vôtres. Cette race de brigands, qu’on nomme rois et princes rend hommage à votre langue; ils l’ont introduite dans leurs cours; les cours passeront, les peuples resteront. Ils honoreront votre langue en adoptant vos principes; déjà chez plusieurs elle est usitée, tandis que les enfants de la même famille sont à cet égard étrangers les uns des autres; des amis et des frères ne peuvent se parler sans interprète. Autrefois la France était divisée en provinces qui, pour la plupart, avaient des coutumes et des dialectes différents. Cette disparité était, entre les mains des despotes, un moyen de plus pour les tenir asservies. La Révolution vous a tous réunis autour de la patrie; il n’y a plus de provinces; pourquoi donc 30 dialectes qui en rappellent le nom, établissent-ils encore entre vous une démarcation funeste ? (1) Mon., XX, 647; Audit, nat., n° 620; J. Univ., n° 1654; C. Eg., n° 656. (2) P.V., XXXIX, 29. Minute de la main de Grégoire. Décret n° 9392. (3) P.V., XXXIX, 29; Audit. nat.„ n° 620; C. Eg., n° 657, 17 Pr. (« Grégoire a lu [le 17 Pr.l la rédaction du décret... adopté [e] la veille»); J. Univ., n° 1660; J. S. Culottes, n° 475. Citoyens, vous détestez le fédéralisme politique, abjurez celui du langage. La langue doit être une comme la République; du Nord au Midi, sur toute l’étendue du territoire français, il faut que les discours, comme les cœurs, soient à l’unisson. Ces dialectes divers sont sortis de la source impure de la féodalité. Cette considération seule doit vous les rendre odieux; ils sont le dernier anneau de la chaîne que la tyrannie vous avait imposée; hâtez-vous de le briser. Hommes libres, quittez le langage des esclaves, pour adopter celui de la liberté. Comment pourrez-vous statuer sur l’acceptation des lois, les aimer, leur obéir, si la langue dans laquelle elles sont écrites vous est inconnue ? Proposer de les traduire, ce serait pour vous un surcroît de dépenses, ce serait ralentir la marche du gouvernement; d’ailleurs, la plupart des patois ont une indigence de mots qui ne comporte que des traductions infidèles. Tous les citoyens sont admissibles à toutes les places; il est même à désirer qu’ils soient propres à les remplir tour à tour. Vos enfants sont moins à vous qu’à la patrie, et vous lui devez un compte rigoureux de vos soins pour former une génération nouvelle d’hommes également capables de devenir bons artisans et bons juges, de manier le rabot et le sabre, et de passer de la charrue au siège législatif. Mais si la langue française ne vous est pas familière, qu’arrivera-t-il ? Ou vous remplirez mal les fonctions auxquelles vous appelleront vos concitoyens; votre incapacité trompera leur confiance, et compromettra la chose publique en vous déshonorant; ou votre ignorance connue éloignera de vous les suffrages; alors les places seront constamment réparties entre un petit nombre de personnes; l’autorité se concentrera dans leurs mains; et si malheureusement l’habitude de commander leur en inspirait le goût, l’habitude des affaires favoriserait leurs trames; bientôt ils vous considéreraient comme une classe subordonnée et l’aristocratie ressuscitée anéantirait l’égalité. La connaissance de la langue nationale est donc un moyen indispensable pour conserver la liberté des suffrages, déjouer les intrigants, et repousser l’ambition qui tenterait de vous opprimer. La France, à qui le ciel a donné un beau climat et un sol fertile, une position heureuse sur les deux mers, doit par ses productions, son industrie et son commerce, se passer des autres peuples. Vos représentants saisissent tous les moyens de faire fleurir l’agriculture et les arts; les arts ne peuvent fleurir que par les lumières; les lumières se communiquent par de bonnes institutions, par des ouvrages utiles, dont vous ne pourrez tirer aucun fruit si vous ignorez la langue dans laquelle ils sont écrits. Parmi ceux qui ont été les complices du fanatisme et de l’aristocratie, il en est une foule qu’on n’a précipités dans cet abîme que parce que leur ignorance de la langue française donnait accès à la séduction. Quand un peuple s’éclaire, il s’aperçoit bientôt qu’un homme vaut un homme et qu’un roi n’est pas homme. La Déclaration des Droits, ce tison salutaire que vous avez jeté sur les trônes, est aussi redoutable que nos boulets; et comme ils sont persuadés que leur puissance doit disparaître au flambeau