(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 juillet 1790.] 197 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du lundi 19 juillet 1790, au soir. La séance est ouverte à six heures du soir. M. le Président. Cette séance entière est consacrée à terminer la discussion sur les retours du commerce de l'Inde; aucun autre objet ne doit y être traité. L’article en discussion est l’article 4 au projet du comité d’agriculture et de commerce qui porte que les retours de l’Inde ne pourront avoir lieu que par le seul port de Lorient. La parole appartient à M. Prugnon, dont le discours a été interrompu par la levée de la séance de jeudi dernier. M. Prugnon. 11 me reste à examiner la question sous le rapport de l’intérêt des finances de l’Etat et de celui des manufactures. Depuis le 13 août 1769, jusqu’à l’établissement du privilège de Lorient, le commerce de l’Inde a été entièrement libie et les marchandises blanches venant de l’Asie sont entrées librement par toutes les frontières... (M. Rœderer et plusieurs membres contestent ce fait.) L’expérience de ce temps a prouvé que chez une nation active et industrieuse l'esprit de rivalité opère des prodiges. Les importations de l’Inde ont été, pour quelques-unes de nos manufactures, des moyens efficaces d’émulation. Depuis 1777, les manufactures du Beaujolais et de Valenciennes ont presque doublé leurs opérations et leurs produits. Les fabriques d’indiennes ne se servent-elles pas de toiles blanches des Indes? N’ont-elles pas dès lors intérêt à les faire baisser de prix? Nos manufactures de coton méritent-elles un privilège, quand on voit avec surprise que nous n’avons aucune fabrique de mousselines digne de considération? Le luxe est indestructible en France, et les marchandises de l’Inde en sont le premier aliment. Si nous n’allions les acheter nous-mêmes dans l’Inde, il faudrait ies recevoir de l’étranger; nous les achèterions avec l’or, tandis que dans l’Inde notre commerce se fait par échange. Pourquoi perdre le bénéfice qui en résulte? Mais quand même il serait de l’intérêt des manufactures que l’on mît des entraves aux spéculations de cette nature, pourrions-nous oublier que nous tirons de l’Asie du thé, des épiceries et des teintures dont nous ne pouvons nous passer? On répond à ceux qui citent avec succès l’Augleterre, que la compagnie anglaise des Indes favorise l’esprit public; mais notre régénération ne doit-elle pas nous préparer de grandes ressources? Une bonne administration ne fait-elle pas la valeur réelle d’un Empire? Nous aurons une bonne administration, et l’esprit public s’étendra dans toutes les parties de la France. Il est donc certain que ce n’est pas l’intérêt des manufactures qui doit nous engager à maintenir le privilège du port de Lorient. Examinons maintenant la question sous le rapport de l’intérêt du Trésor public. Un seul port est, dit-on, plus avantageux à la perception; il faudra, si les retours sont libres dans tous les ports, une plus grande surveillance : cette surveillance sera plus difficile, j'en conviens; mais il y a loin de la difficulté à l’impossibilité; mais il ne faut pas tuer les grandes choses par la multiplicité des petits moyens. Je fais une réponse péremptoire. Ce ne sont pas des barrières qu’il faut pour arrêter la contrebande, mais de la modération dans les impôts, mais une égalité toujours proportionnelle, mais une répartition faite, non pas sur la valeur qui est le plus souvent incertaine, mais par quintal. Si le droit est trop fort, la tentation de la fraude est nécessairement très forte. Quand il se trouverait quelque inconvénient dans ce procédé, pourrait-il être mis en balance avec les avantages de la liberté? Ce n’est pas seulement par les ports du royaume, mais par Cadix, mais par Livourne, mais par nos frontières que peut se faire la contrebande. La communication est nécessaire par sa nature; elle se fera toujours si l’on ferme les ports; elle ne se fera pas davantage s’ils sont tous ouverts... Mais, dit-on, laissez, pour les retours de l’Inde, deux ports, l’un dans l’Océan, l’autre dans la Méditerranée, et vous aurez suffisamment pourvu à celte communication. C’est seulement proposer des droits relatifs, lorsqu’il s’agit de statuer sur le droit général. J’avoue que Marseille me semblerait appelée à obtenir cette faveur. Le commerce des caravanes ne pourrait alors soutenir la concurrence avec elle, et sans doute cet avantage aurait été à considérer dans l’ancien ordre de choses; nous pouvons, sans attaquer la liberté, nous assurer cette superbe conquête; et vouloir l’obtenir d’une distinction accordée à Marseille, c’est, selon moi, vouloir deux privilèges au lieu d’un, c’est dire la Méditerranée aura aussi son port de Lorient. Il est impossible d’obtenir la suppression des privilèges si l’on conserve un port exclusif. Les gros vendeurs de Lorient forment, par le fait, une compagnie. Et de quoi n’est pas capable l’intérêt sordide d’une compagnie! Voyez celle des Indes hollandaises. Combien son insatiable avarice lui a commandé decriraesl Ne l’a-t-on lias vue dépeupler les Moluques, arracher les girofliers, brûler les canneiliers, insulter à la nation, et dire à la terre : Je veux que tu ne produises pas, si tu ne produis pour moi? Voulez-vous voir renouveler ces horreurs, accordez un droit exclusif de retour à un ou deux ports. Je conclus, qu’attendu le décret par lequel vous avez rendu le commerce de l’Inde libre à tous les Français, il n’y a pas lieu à délibérer sur le décret proposé par le comité. M. JBIeyfrund. Je n’ai que quelques observations à vous soumettre. Le plus fort des motifs présentés, pour faire adopter le ptaa du comité, c’est l’intérêt des manufactures; elles ne peuvent craindre que la fraude: c’est donc la fraude qu’il faut chercher à réprimer. Le moyeu que l’on a trouvé pour y parvenir, consiste à forcer les retours dans un ou deux ports. Uu honorable membre, dont j’ai souvent admiré les talents, vous a dit des choses fort extraordinaires sur la Méditerranée; il vous a parlé comme un de ces marins qui n’ont jamais vu la mer; il a fait valoir la situation de Marseille, en disant que la nature a tout fait pour elle; mais ce port, très beau dans son intérieur, est entoûréde dangers et d’écueils, son entrée est resserrée, et malheur à celui qui ne connaît pas parfaitement ces parages! il peut être, malgré tous les efforts d’une manœuvre intelligente, porté sur le môle. D’ailleurs, ce beau port manque de profondeur, et les vaisseaux revenant de l’Inde seraient obligés de se défaire, avant d’entrer, d’une partie de leur chargement. Le port de Cette, qu’on vous a dit être très spacieux, et pouvoir contenir un grand nombre de bâtiments, a encore moins d’eau que celui de 198 [Assemblée nationale.] ARClïrVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.] Marseille : sa situation est mauvaise; il est situé dans le golfe de Lyon, fréquent en naufrages. Ceux qui ont proposé de le choisir pour recevoir les retours d’Asie, ont oublié de vous prévenir qu’il faudrait faire le voyage de l’Inde avec des tartanes. Le port de Toulon semble réunir tous les avantages : sa rade est belle, l’eau est profonde et le fond excellent. On a opposé que c'était un port royal : c’est une raison de plus pour lui donner la préférence. Je propose de poser ainsi la question : « Les retours de l’Inde seront-ils libres dans tous les ports, ou seulement dans les ports de Lorient et de Toulon? » M. Millet de Mureau. Les amis de la liberté s’effraient au seul mot de privilège exclusif ; il ne s’agit pas ici, à l’égard de Lorient, d’un privilège, d’une préférence, mais d’une précaution nécessaire. Laissez faire , laissez passer est un principe vrai; s’il était adopté par toutes les nations qui font le commerce de l’Inde, la France y gagnerait beaucoup : mais les nations voisines ne laissent entrer chez elles de marchandises manufacturées qu’en les soumettant à des droits très forts. Tout citoyen doit, sans doute, spéculer comme illui plaît : il faut laisser passer , c’est-à-dire laisser sortir toutes les exportations. Les exportations son t utiles à nos manufactures, les importations seules pourraient leur nuire. Votre comité a pensé qu’il était indispensable d’assujettir les marchandises de l’Inde à un droit de 5 0/0. Ce droit est modéré ; il devait l’être pour que les Anglais et les Hollandais n’eussent pas la préférence. Le comité propose un second droit sur les marchandises consommées en France ; elles ne se soustrairont pas •à ce droit, s’il est levé sur la valeur des ventes publiques, et non sur le prix de l’estimation. Cette manière de l’imposer est le seul moyen de proportionner les droits au prix de nos marchandises nationales. Ainsi les ventes publiques de Lorient sont la sauvegarde des manufactures françaises. JDaus les quinze années où le commerce deYlnde a été libre, Marseille n’a pas réclamé l’avantage des retours. Les désarmements se sont toujours faits à Lorient, à Ostende, à Livourne et même à Gênes. Une considération qui vous prouvera qu’on peut, sans effrayer beaucoup le commerce, déroger au principe d’une liberté générale, c’est que, par le fait, les retours du Levant sont exclusifs à Mar seille, puisqu’il y a, en faveur de ce port, une différence de 27 *0/0 sur les marchandises importées dans les autres ports de France. Ce qui peut faire regarder le port de Marseille comme le moins propre pour les retours de l’Inde dans la Méditerranée, c’est que les marchandises du Levant ont une grande similitude avec celles de l’Inde, et qu’on pourrait aisément en profiter pour frauder les droits de celles-ci. Les autres ports indiqués ont aussi des inconvénients; celui de Lorient réunit à tous les avantages de la nature, pour empêcher ies versements frauduleux, ceux que présentent les établissements qui y ont été formés pour cette espèce de service public. J’adopte donc le décret proposé par votre comité. M. Ricard de Séalt. Vous avez détruit la compagnie des Indes; vous avez examiné celte importante question sous tous les points de vue, sous tous ies rapports politiques et commerciaux. Lorsque vous avez rendu ce décret qui vous a valu les bénédictions de tous les négociants français, ont-ils dû s’attendre que vous réserviez un perfide ultimatum à leur indus; rie? Quoi ! des hommes libres par la Constitution auront exporté leur valeur ou leur échange de toutes les parties de l’Empire, et vous les contraindrez à leur retour au choix forcé d’un nouveau domicile, d’un nouvel entrepôt; vous dénaturerez ainsi votre premier bienfait!., . Lorsqu’on a agité dans cette Assemblée l'importante question de l’abolition du privilège exclusif, toutes les ressources on t été employées ; nous a vous entendu les raisons que les divers orateurs appuyèrent de tout le poids de leur éloquence ..... Rien n’a pu détourner nos vœux et notre volonté ..... Nous avons voulu que le commerce de l’Inde fût libre, et il l'est ..... Cette compagnie qui, par sa suppression, devait entraîner la ruine dé notre commerce dans cette partie du monde, non seulement n’a pas arrêté une seule spéculation, mais onaarnqé presque dans tous les ports; notre commerce a pris une marche plus imposante. Et ces grandes spéculations dont on le menaçait, au nom du peuple de l’Angleterre, n’ont servi qu’à augmenter les entreprises au heu de les diminuer. Votre décret, portant l’abolition de la compagnie, a été approuvé, applaudi dans tous les ports et rades, par tous ies commerçants et tous les citoyens; et vous perdez six séances pour savoir s’il obtiendra toute la latitude d’exécution dont il peut être susceptible ! ..... Et pour qui perdez-vous un temps si précieux, Messieurs? pour trois ou quatre négociants fameux de la ville de Lorient qui voudraient accaparer, par ies conséquences, ce que vous leur avez refusé par le principe... Vous entendez plaider pour quelques entreposeurs, quelques détailleurs de cette ville, qui vendront quelques pièces de mouchoirs des Indes de moins, et dont l’intérêt, quel qu’il soit, ne pourra jamais être comparé au grand intérêt, à l’intérêt toujours prédominant de la patrie et de la liberté publique. On a voulu vous persuader que plus vous aurez de ports ouverts pour ce commerce, plus Iq contrebande serait active, et moins les droits sur tes marchandises rapporteraient au Trésor public. Je crois pouvoir vous dire qu’une fois parvenu à ce bienfait que nous devons encore au peuple, de transporter les douanes sur les frontières de notre territoire, vous monterez une marine garde-côtes assez active pour s’opposer invinciblement à toute importation prohibée ..... Et si le devoir n’était pour les marins et les commis un véhicule assez puissant pour s’opposer aux entreprises de la contrebande, vous n’auriez qu’à prononcer la loi de la confiscation des marchandises frauduleusement introduites : cette manière n’admet ni prévarication de la part des gardiens, ni moyen d'oppression contre les citoyens; tous connaîtront la loi, ils seront coupables" s’ils l’enfreignent, et la peine sera toujours à côté du délit. Que cette dépensé de la marine ne vous épouvante pas, je tâcherai de vous prouver, lorsqu'il s’agira de cet article important, qu’une marine payée doit être constamment en activité, que toutse dissout dans l’inaction ; vos officiers et vos soldats perdent leur caractère et tous les moyens d’instruction, vos vaisseaux de tous rangs pourrissent dans les ports ; mais en donnant les moyens d’agir, vous conserverez vos bâtiments, vous formerez des soldats, et vous serez toujours prêts à attaquer vos voisins lorsqu’ils cesseront d’étre vos frères.. Cette marine dont on fait monter la dépense à des sommes si exorbitantes, n’est arrivée à cet excès de dilapidation que parce qu’on a eu l’art d’imaginer des places pour des fonctions inutiles, ou pour donner des suppléments d'appointements scandaleux ; et ce qui vous étonnera, et .ce qui étonnera toute l'Europe, c’est que les appointe- J19 juillet 1790.] 199 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ments ou suppléments d’appointements de l’intendant et commandant d’un port français, coûtent plus que toute l’administration civile et militaire réunie du premier port de l’Angleterre. La marine, réduite au nombre de sujets nécessaires pour le service, vous étonnera par la diminution de la dépense et la presque impossibilité des prévarications : vous devez avoir en vue de protéger le commerce, d’être en état de vous préserver en tout temps des incursions ennemies, et d’assurer infailliblement les droits que vous aurez ordonné de percevoir au profit du Trésor public. Ainsi, que les octrois dont vous ordonnerez la levée sur les marchandises de l’Inde n’excitent point votre sollicitude; ils seront perçus comme les autres avec scrupule, parce que tous les intérêts se réuniront pour vous obliger à avoir une marine garde-côtes, sans cesse agissante, parce que vous ordonnerez à vos marins de faire respecter les lois, parce qu’au lieu d’avilir ces fonctions, vous les rendrez honorables, puisqu’elles assureront le service public, et que ce sera pour les militaires un attachement aux grades et aux récompenses. On paraît craindre que le goût de la nation pour les étoffes étrangères n’anéantisse les manufactures nationales ; mais la nation française n’existe comme patrie, aux yeux de ses habitants, que depuis 1789. Voyez ce qu’a produit sur les âmes le nom seul de la liberté, de la patrie ; déjà vous êtes honteux de vous couvrir des étoffes d’Angleterre.... ; et ceux qui cesseront d’avoir ce goût bien pardonnable pour les fabrications d’une nation si industrieuse, ne le changeront pas subitement pour les fabrications ridicules de l’Inde. Jamais vous ne verrez qu’un Français qui va cesser de paraître Anglais, parce qu’il est honoré de sa qualité de citoyen, aime à s’affubler d’étoffes de l’Inde, pour le seul plaisir de singer les Indiens et de contrarier les manufactures nationales... Je pourrais vous citer à cet égard l’Angleterre: son commerce si entendu dans l’Inde n’a pas affaibli, diminué ou dénaturé ses manufactures. Le citoyen rentré dans ses droits se livrera à de vastes conceptions. Les efforts de son industrie ne connaîtront pas de bornes. Rejetons loin de nous ces prohibitions qui affligent toujours un homme libre, qui dénaturent tous les sentiments, et peuvent arrêter, dans l’état de renaissance où la France se trouve, les spéculations les plus favorables au commerce national, üe quelque manière qne l’on considère celte question, qui a cessé d’être importante, ou plutôt qui est décidée depuis votre décret sur la suppression de la compagnie, on pourra toujours vous dire : Si vous craignez la contrebande sur les marchandises de l’Inde, vos alarmes doivent subsister pour toutes vos relations commerciales avec les autres nations; Si vous redoutez la concurrence des marchandises étrangères, détruisez ces rapports; si vous voulez défendre l’entrée du royaume aux marchandises de l’Inde, remarquez au moins que tous les peuples qui vous entourent vous inonderont en fraude de ces mêmes marchandises, que vous ne voudrez pas importer, et que vous resterez sans marine, sans considération et sans argent... Si, au contraire, et c’est certainement votre vœu, vous voulez rendre votre commerce florissant, n’apportez aucune entrave à l’industrie, ni aux spéculations. Ne souillons pas notre Constitution, n’écoutons l’intérêt d’aucune partie de l’Empire; considérons l’ensemble; voyons s’il serait utile à tous qu’une seule ville fut libre, et que toutes les autres devinssent ses tributaires; voyons si l’intérêt de quelques entreposeurs, de quelques privilégiés de Lorient doit être comparé avec l’intérêt général, l’intérêt politique est vraiment imposant de tous les habitants de cet immense royaume. Cependant si l’Assemblée voulait prononcer ce privilège exclusif pour un seul port, ce que je ne puis pas croire, je demande que les chambres du commerce soient entendues. Voici quel serait mon avis sur la lumière de poser les questions. — Doit-on entendre les chambres du commerce, pour savoir s’il doit y avoir dès ports exclusifs pour les retours et désarmements des vaisseaux du commerce de l’Inde? Si cette question était décidée à l’affirmative, la décision serait ajournée; dans le cas contraire, je demande que ces questions soient posées ainsi : 1° Les retours et désarmements des vaisseaux du commerce de l’Inde se feront-ils indistinctement dans tous les ports de France, oui ou non? 2° Ces retours et désarmements se feront-ils dans un port unique, oui ou non ? 3° Ces retours et désarmements se feront-ils dans deux seuls ports désignés, un dans l’Océan, un dans la Méditerranée ? — Si ce dernier avis prévaut, comme tout paraît l’indiquer, qu’il me soit permis de dire un mot sur Toulon, sur la position d’une ville qui est si importante, et qui m’est à tant de titres si chère... Cette ville est au centre du commerce de l’Italie et du Levant. Les plus grands vaisseaux abordent dans son port, et y sont toujours en sûreté ; l’arsenal de nos forces navales donne une quantité de constructeurs et d’ouvriers fameux en tout genre. Ces hommes utiles, manquant souvent de travail, sont contraints de quitter leur patrie. Cet accroissement de commerce, en favorisant ce genre d’industrie, nous mettrait à même d’accélérer nos armements, et dans un temps de guerre inopiné, nous n’aurions pas besoin de faire une espèce de presse pour amener à grands frais des ouvriers dans nos arsenaux; à ce titre, il résulterait de cet établissement une grande économiepour le Trésor public, et une grande consolation pour les familles qui s’adonnent aux travaux des ports. La nouvelle constitution de la marine, au lieu d’affaiblir, d’éloigner même notre inclination pour le commerce, y invitera tous les citoyens : or, ce second motif est vraiment déterminant pour une nation encore à l’aurore de sa liberté, qui doit mettre ses soins à rompre des esprits de corps, toujours dangereux pour la cause publique, et nous imposerait seul l'obligation de nous déterminer pour ce port. M. Stanislas de Clermont-Tonnerre. C’est pour la seconde fois que la question du commerce de l’Inde vous place entre un principe inattaquable et des intérêts impérieux. A peine avez-vous détruit la compagnie des Indes, que votre comité chargé de vous présenter le complément de votre décret, vous conduit, par une suite de considérations sages et de précautions nécessaires, à revenir au privilège exclusif. C’est l’état du commerce des puissances voisines et rivales qui nous entraîne dans des mesures de cette nature. Toutes les objections présentées de part et d’autre, tendent à attaquer ou à maintenir le principe... Les intérêts des vendeurs, des acheteurs et des manufactures, ceux de l’agriculture et du commerce ont été successivement présentés, et ne peuvent se concilier, soit entre eux, soit avec le principe. De tous les côtés, ily a de l’incertitude. Un parti mitoyen vousa étépro-posé. Il a l’avantage de ne rien laisser qui tende à l’établissement d’une compagnie et à la renais- 200 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.) sauce 'du monopole; il évile surtout, en assurant les droits nécessaires à la conservation des manufactures, en offrant des facilités aux négociants, en favorisant Je commerce du Levant, le danger de nlacer les armateurs entre l’appât du gain et le désir de se montrer dignes du nom respectable de citoyens français. Je me détermine donc pour que les retours de l’Inde soient faits dans deux ports, Lorient dans l’Océan, et Toulon dans la Méditerranée. (On demande que la discussion soit fermée.) (L’Assemblée est consultée, et l’épreuve paraît douteuse à une partie des membres.) M. le Président. Le vœu de la majorité me semble être que la discussion soit fermée; mais cette majorité n’est peut-être pas assez déterminée pour ne pas laisser discuter encore. M. de Cazalès. J’ai l’honneur d’observer que cette question étant la seule à l’ordre du jour, la discussion peut être prolongée sans inconvénient. M. Rœderer, rapporteur du comité d’impositions. Je nepuis medissimulerquelepremier aspect de la question qui vous occupe, paraît être défavorable à votre comité ; on invoque la liberté, ce nom seul devrait vous décider. Les défenseurs de Lorient vous ont dit avec Montesquieu qu’il fallait distinguer la liberté des négociants de celle du négoce : j’apporte une opinion contraire; l’occasion se présentera sûrement de prouver à cette Assemblée mes sentiments pour la liberté. Je ne présente contre le principe qu’une seule exception, nécessitée par des circonstances où l’industrie n’est pas encore échappée des liens de la servitude. C’est un malheur attaché à l’esclavage d’influer sur les premiers moments de la liberté. On ne peut rendre subitement la liberté indéfinie sans nuire à des intérêts particuliers, et la liberté consiste nécessairement à ne nuire à personne. Pour être rigoureusement conséquent à vos principes et à vos décrets, il faudrait également supprimer les droits de traite qui assujettissent les marchandises à prendre certains passages. Ces passages peuvent être nombreux, mais il n’en est pas moins défendu de prendre des détours, quels que soient les frais des routes indiquées. La question se réduit donc à savoir s’il est de l’intérêt actuel, c’est-à-dire d’un intérêt passager, que le commerce de l’Inde se fasse en un seul port; et s’il n’importe pas que ce soit à Lorient ou ailleurs. Si les marchandises de l’Inde doivent payer des droits, n’est-il pas plus naturel d’établir la perception de ces drods nécessaires dans le Heu le plus sûr et le plus commode? Qucdques négociants s’intéresseront au commerce interlope, mais leurs spéculations seront-elles avantageuses? Arrivées dans tous les ports en quantité, les marchandises seront stagnantes, et l’intérêt du retard sera supporté par l’acheteur, car il le paye toujours en définitive. Lorient offre l’avantage de ne faire payer l’impôt que dans le moment même de la vente : c’est donc un bénéfice pour le consommateur. Il est eu effet bien clairement démontré que si l’on n’attend pas le moment de la vente pour la perception des droits, il faut s’en rapporter à l’estimation qui est toujours fausse ou incertaiue, et c’est dix-huit mois d’intérêt qu’il en coûte au marchand et au consommateur. Si nos manufactures n’ont pas le moyen de lutter avec les fabriques étrangères au dedans, elles ne nous offriront aucun avantage au dehors. Si le système de liberté qui parait dominer dans cette Assemblée, et qui doit flatter dans un Empire qui sort de toutes les espèces de servitude, venait à prévaloir, que l’on observe, et le fait est certain, que les négociants de l’Inde n’ont jamais fait de retours que dans le port de Lorient... M. de Mirabeau l’aîné. L’opi niant est absolument étranger aux faits commerciaux ; ce qu’il dit est absolument faux. M. Rœderer. Cette interruption mérite peut-être la même qualification. Soit pendant l’existence de la compagnie, soit pendant l’intervalle du commerce libre, les retours de l’Inde se sont faits constamment à Lorient exclusivement : le commerce ne perd donc absolument rien à cette restriction, puisqu’il s’y soumettait librement. Au contraire, on conviendra qu’il est au moins très douteux que les manufactures ne souffrent pas beaucoup d’un nouvel ordre de choses. Je dis donc que, dans ce doute, l’Assemblée ne peut balancer entre quelques négociants riches et un peuple nombreux qui sollicite la conservation de ses moyens de subsistance. (On demande à aller aux voix. — Cette demande est plusieurs fois répétée par une grande partie de l’Assemblée.) M. de Cazalès monte à la tribune. — Le désir d’aller aux voix se manifeste avec plus d’instance. — M. de Cazalès insiste pour obtenir la parole. — Après quelques débats, l’Assemblée est consultée. La discussion est fermée. M. de Cazalès. La motion faite par M. Nairac dans une des précédentes séances doit obtenir la priorité. Elle est conséquente à vos principes et au décret que vous avez déjà rendu. En effet, si le commerce est libre à tous les Français... (On observe que la discussion est fermée.) M. de Cazalès continue. — Il est interrompu par la même observation. Il demande à M. le Président de lui obtenir du silence. M. le Président. Je pense que quand la discussion est fermée, on ne peut accorder la pa-parole. M. de Cazalès ne doit donc pas persister à vouloir être entendu. M. de Cazalès continue à parler. — Les réclamations sont presque générales. — M. de Ga-zalès parle encore.— Il est continuellement interrompu par des applaudissements qui l’empêchent d’être entendu. — M. de Cazalès s’arrête. — Le silence commence aussitôt. — M. de Cazalès se plaint des mouvements de l’Assemblée. M. le Président. Monsieur, vous parlez contre l’ordre, contre le vœu que l’Assemblée a exprimé et malgré le Président; l’Assemblée, en vous interrompant, n’est que le vengeur de l’ordre et de l’autorité qu’elle a confié à son Président. (Il s’élève quelque discussion sur la manière de poser la question.) M. Blin. L’objet de la sollicitude de l’Assemblée n’est pas, sans doute, un intérêt particulier, mais l’intérêt général. C’est la majorité du commerce qui peut faire apprécier cet intérêt. Je demande donc que l’on consulte les députés des chambres de commerce. M. le Président. Cette proposition est une