(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 janvier 1790.] 287v l’Assemblée, et à écrire ensuite à Péroune pour qu’il soit nommé un autre député. M. le . comte de Mirabeau, qui est toujours demeuré à la tribune, et que l’on a interrompu * plusieurs fois, reprend la parole : Si l’un des préopinants n’avait pas cru deviner mon intention, il se serait épargné la peine de m’interrompre ; il est chanceux de vouloir être prophète. Dans la chaleur des expressions, le mot d’exclusion a frappé mon oreille ; mais je pense que l’on ne peut pas exclure un membre de cette Assemblée, et qu’il ne faut pas juger dans camoment cette question de droit public ; mais on peut écrire aux commettants de retirer leur confiance de celui à qui l’Àssembléea retiré son estime. La., sagesse de M. Guillaume m’a prévenu sur ce point... Le tort du préopinant est grave* sans doute. Si cette injure avait été attachée à quelque nom particulier, elle eût été une démence si lamentable qu’il aurait fallu en envoyer l’auteur aux Petites-Maisons; mais c’est parce que. l’injure a le caractère de l’emportement que je me borne à demander que M. l’abbé Maury soit censuré, et. que la censure soit portée sur le procès-verbal. Mi l’abbé Maury. Jamais, une maxime générale de morale n’a été une injure ; je n’ai accusé nidésigné personne, et personne dans l’Assemblée ne.se croit offensé par moi. M. l’abbé Maury répète ensuite Je 'raisonnement qu’il avait fait et la phrase qui étaitleeorps du délit ; mais, quelques membres observent qu’il supprimait ces mots, ceux de l’Assemblée , etc. M. l’abbé Maury nie les avoir proférés. Il ne faut point, dit-il, de commentaire à ma phrase ; on ajoute un mot qui la rend une impudence absurde, et qui me ferait mériter le supplice des fous, comme on l'a dit. Je suis sûr dema mémoire ; je n'ai pas oublié les paroles que j’ai dites, par-ceque j’avais prévu qu’on me mettrait dans la nécessité de les répéter. J’ajoute qu’il est difficile à un homme qui improvise de mesurer ses paroles ; il est impossible surtout d’y parvenir lorsqu’à chaque parole il est interrompu par les hurlements de la rage. . Ce moyen de défense paraissant à l’Assemblée une nouvelle injure, elle en témoigne son indignation. Enfin M. l’abbé Manry termine sa défense en disant : Je n'ai insulté aucun individu, puisque je n’en ai nommé aucun ; je n’ai pas manqué à l’Assemblée , puisque ma maxime est générale, et ces . mots, ceux de V Assemblée, ne s’y trouvent pas. Ma phrase est une forme oratoire, et une de ces tournures par lesquelles l’orateur s’adresse aux choses animées et inanimées. Quelques voix réclament l’ordre du jour; la plus grande partie réclame justice, lorsque M. d’Eprémesnil croit trouver un moyen justificatif, en disant qu’il y avait des faits convenus et des faits contestés ; que les premiers n'étaient point injurieux ; qu’à l’égard des autres> il fallait dans ce. doute, juger en faveur de l’accusé ; que d’ailleurs les juges ne pouvaient pas être accusateurs et témoins, suivant la maxime des tribunaux. M1. Rœderer. Dans tous les tribunaux, il ne faut que deux témoins pour prouver un délit : ici les versions sont différentes; mais j’ai recueilli la phrase : qu’il se lève un autre témoin et la preuve est faite. Quant à< l’impossibilité prétendue d’être juge et témoin, je demande comment, dans les parlements, les fautes de discipline peuvent être jugées et prouvées ? Autrement, il faudrait poser en principe que l’on peut impunément* troubler l’ordre dé l’Assemblée. Quand j’ài demandé la parole, je voulais proposer une peine grave ; mais lorsque j’ai vu que M. l'abbé Maury aggravait ses torts en voulant les justifier, j’ai cru que l’emportement jetait un si grand désordre dans ses pensées qu’il ne devait plus être comptable de ses actions. Je crois qu’il y a lieu à user d’indulgence. La priorité étant demandée pour la motion de M. de Mirabeau, elle1 lui est accordée. La motion, mise aux voix, est adoptée, et l’Assemblée décrète que M. l’abbé Maury sera . censuré, et que la censure sera portée au procès-verbal. M. le Président. Il reste à statuer sur les articles du projet de décret qui vous est proposé par le comité des finances. Le projet de décret est mis aux voix et adopté sous modification. M'. le Président annonce que le comité de* vérification a examiné les pouvoirs de Ml le baron de Nédonchelle, député du bailliage du Quesnoy, suppléant de M. le duc de Groy, qui a donné sa démission et qu’il a trouvé ces pouvoirs parfaitement en règle. M. lë baron de Nédonchelle est admis. M. le Président annonce qu’une députation du district des Cordeliers est; venu@î'apporter dés pièces intéressantes sur lesquelles, ilo s’agit de; prendre une délibération. Il fait lecture d’une adresse et d’un procès-verbal de ce district. L’adresse expose que le 8 octobre, le Châtelet de Paris rendît un décret de prise de corps contre M. Marat, auteur de l 'Ami du peuple ; qu’aujour-d’hui les huissiers s’étant transportés rue de l’An-eienne-Comédie-Française, pour mettre le décret à exécution, M. Marat avait fait parvenir au district des Cordeliers sa réclamation contre ce décret qui, antérieur à la loi portant réformation de la jurisprudence criminelle, ne pouvait être mis à exécution. Le district des Cordeliers a cru voir dans la nouvelle loi une abolition des anciennes lois criminelles dans cette partie, et pour donner une preuve de son zèle pour le maintien et l’exécur tion des décrets de l’Assemblée nationale, il dit avoir mis bon ordre à ce que le décret de prise de corps contre le sieur Marat ne fût pas exécuté. Ce district fait part à l’Assemblée nationale de la nomination qu’il a faite, le 19 de ce mois, de cinq commissaires pour viser les décrets de prise de corps qui seront dans le cas d’être mis à exécution sur son territoire, à l’effet de mettre les citoyens à l’abri des ordres arbitraires et d’assurer l’exécution des décrets de l’Assemblée. M. Rewbell rappelle le décret de l’Assemblée qui surseoit à toutes les procédures prévôtales d’où il infère que le décret contre M. Marat ne doit pas être exécuté. M. de liaclièze lit l’article 27 du décret sur la réformation de quelques points de la jurispru- 288 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {23 janvier 1790.] dence criminelle qui porte que, dans les procès commencés, les procédures déjà faites subsisteront. Il trouve fort étrange que le district des Cordeliers s’érige en tribunal, lorsqu’il n’y est autorisé par aucun décret de l’Assemblée nationale. M. Goupil de Préfeln trouve des motifs d’ordre public dans l’exécutioa des décrets de prise de corps, rendus avant la nouvelle loi sur la procédure criminelle. M. de Cazalès dit que les lois anciennes gardent leur force, jusqu’à ce qu’elles soient abrogées et que les nouvelles ne peuvent, en aucun cas, avoir d’effet rétroactif. M. Mjts Chapelier rend justice au patriotisme des citoyens du district des Cordeliers et propose de charger M. le président de les informer qu’ils ont commis une erreur et que le décret de prise de corps doit suivre son effet. Cette motion est mise aux voix et adoptée en ces termes : cL’ Assemblée nationale a décrété, «que son président écrira au district des Cordeliers pour l’avertir qu’il se méprend sur les principes qui intéressent la société ; que les jugements rendus par les tribuuaux doivent être exécutés ; que personne ne peut y porter obstacle, et qu’ainsi la délibération que le district a prise, de mettre un visa sur les jugements portant prise de corps, qui doivent s’exécuter dans l’étendue de son territoire, a, contre son intention, l’effet de blesser l’ordre public, et de renverser les principes. L’Assemblée nationale attend du patriotisme du district des Cordeliers qu’il aidera l’exécution du jugement, loin d’v porter obstacle. » M. le Président lève la séance et l’indique à demain à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TARGET. Séance du, samedi 23 janvier 1790, au matin (i) M. l’abbé d’Expilly , l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille. M. Duport demande la parole et fait une motion pour que l’Assemblée s’occupe d’un règlement de discipline qui détermine les peines à infliger aux membres de l’Assemblée qui troubleraient l’ordre. Cette motion est accueillie et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera nommé quatre commissaires pour rédiger un règlement à l’elfet de déterminer les censures et les peines qui pourraient être infligées aux membres de l’Assemblée qui se seraient oubliés au point de lui manquer de respect, pour ledit règlement rapporté à l’Assemblée, y être délibéré par elle. Le procès-verbal de la séance d’hier est ensuite adopté. jL M. le Président a rendu compte de la mission qui lui avait été donnée par l’Assemblée, de présenter au Roi quatre décrets de l’Assemblée nationale. Le premier est relatif à la Corse; le second porte un nouveau délai accordé jusqu’au 1er mars , pour la déclaration des mena ecclésiastiques; le troisième déclare que la contribution pour la garde soldée de Saint-Quentin sera comptée pour impôt direct; enfin le dernier regarde la jurisprudence criminelle. M. le président a de plus fait part à l’Assemblée qu’il avait pressé l’expédition de ces différents décrets. M. le Président a ensuite donné lecture à l’Assemblée d’une lettre de M. d’Albert de Rioms ainsi conçue : « M. le président , je reçois avec la reconnaissance la plus respectueuse les assurances que l’Assemblée nationale daigne me donner de son estime, je regarde comme une faveur, non moins précieuse pour moi, qu’elle veuille bien honorer du même sentiment M. le marquis du Gastellet , M. le comte de Bonneval, le commandant du Village, M. Gautier, M. Broves, M. de Saint-Julien et M. Broquier. « Nous respectons les motifs qui ont déterminé l’auguste Assemblée à ne point voir de coupables, quoiqu’il y eût un délit bien constaté, convaincus que la patrie ne peut être heureuse et libre que sous l’empire des lois ; le sentiment des injures que nous avons reçues, déjà si affaibli par les marques d’estime dont l’Assemblée nationale nous honore, sera entièrement effacé lorsque nous aurons le bonheur de voir la tranquillité universellement rétablie. Puissions-nous être Tes dernières victimes du désordre! puisse bientôt arriver le jour où le citoyen honnête, vivant heureux sous la sauvegarde des lois, le peuple saura que, pour être véritablement libre, il doit leur obéir, et où le trône reprenant sa dignité , le meilleur des rois exercera sans opposition cette autorité active, conservatrice de tous les droits que les décrets de l’Assemblée nationale, organe des Français, lui décernent pour la commune félicité ! « Ce sont là les vœux que le patriotisme le plus pur nous inspire-, mon intérêt personnel m’y en fait ajouter un : que la sagesse du gouvernement écarte de nous les horreurs de la guerre. « L’opinion exagérée que l’on s’est faite de mes services m’imposerait, je le sens trop, une tâche que je ne pourrais jamais remplir; mais si le fléau devient inévitable, puisse alors mou sang, versé jusqu’à la dernière goutte, payer le prix des bontés dont je suis comblé , et que le sacrifice de ma vie soit aussi utile à la patrie qu’il sera glorieux pour moi! « Je suis avec respect, M. le président, votre très humble, etc. Signé : Albert de Rioms. » Cette lettre est vivement applaudie. M. de Faucigay demande qu’elle soit insérée au procès-verbal, mais cette proposition n’a pas de suite. M. le Président fait connaître ensuite le résultat du scrutin, auquel on avait procédé la veille, pour les quatre remplacements à faire dans le comité de jurisprudence criminelle. MM. le président Le Pelletier de Saint-Fargeau, Duport ,Di-noeheau, duc de La Rochefoucauld ayant réuni la majorité, ont été déclarés membres de ce comité ; et MM. de Chabrol, Turpin, le président d’Ormes-son, Lanjuinais ayant eu le plus de suffrages après les quatre premiers, ont d’abord été déclarés suppléants ; mais il a été ensuite proposé et con-(1) Celte séance est incomplète au Moniteur.