[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] §47 mités multiplient les besoins. La vraie confraternité n’aperçoit d’inégalité dans les moyens que pour les faire disparaître, et le règne de la justice qui va vivifier et régénérer toutes les parties de l’empire, doit se manifester encore plus en rétablissant l’égalité qui existait bien dans le dévouement du zèle, mais qui laissait subsister la plus frappante inégalité dans les moyens de subsister. Les religieux, plus unis entre eux, ne verront plus que des objets d’utilité, à remplir; ils aimeront la patrie, et iis recevront d’elle, par l’organe de ses représentants, le droit de renaître et d’être admis à la jouissance de tous les droits du citoyen, tels qu’ils sont reconnus et consacrés par la constitution française. C’est un dédommagement qui ne peut leur être refusé. F. VERGUET, prieur du Relec, vicaire général de l'ordre de Cîteaux, député de Bretagne. 4e ANNEXE. Opinion de M. Ifayet, curé de Rochetaillée (1), député de Lyon , sur l'état religieux (2). Messieurs, la question qui vous est soumise me paraît être une des plus importantes que vous ayez jamais eues à traiter, soit qu’on la considère en elle-même , je veux dire, sous ses rapports politiques et religieux, soit qu’on l’envisage du côté de l’influence que votre décision doit avoir sur l’existence future de ce grand nombre d’individus qui composent l’état monastique. Un ordre religieux, Messieurs, qui, par la pratique exacte et toujours soutenue des devoirs que lui impose la règle, s’est acquis des droits légitimes à notre admiration, vous demanda, il y a quelques jours, par l’organe d’un de ses membres (3) devenu aujourd’hui notre collègue, d’ordonner provisoirement, et en attendant un décret définitif sur l’anéantissement ou la conservation des instituts religieux, d’ordonner pour l’ordre des Chartreux, que ceux de ses membres qui, fidèles à leur engagement, désirent de vivre et de mourir sous la règle respectable qu’ils ont embrassée, pourront rester réunis en communauté, pour y vaquer, sous la garantie de la loi, à la prière, et aux autres exercices de la vie monastique. 11 vous demandait en outre de déclarer que ceux de ces religieux qui, soit défaut de liberté au moment où ils se sont engagés, soit dégoût, inconstance, ou tout autre motif semblable, ne se croient plus propres au silence, à la vie contemplative des cloîtres, pourront se retirer dans une maison de leur ordre, pour y attendre ensemble le bref de leur sécularisation. Il est temps, Messieurs, qu’un décret de l’Assemblée nationale, dicté par la sagesse , mûri (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Lorsque je me suis présenté au bureau pour demander à parler sur cette matière, trente-deux personnes étaient déjàinscrites. Dans rimpossibilitéd’oblenir la parole, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de faire connaître par un autre moyen, à l’Assemblée nationale, et à mes commettants, mon opinion personnelle sur un sujet aussi important, et c’est uniquement pour y satisfaire que j’ai recours à l’impression. (Note de M. Mayet .) (3) Dom Gerle, prieur d’une Chartreuse en Auvergne. par la réflexion, aille calmer au loin les louables inquiétudes des uns , satisfaire ou modérer l’extrême impatience des autres. Mais cette demande, Messieurs, qui d’abord ne vous avait été faite qu’au nom et en faveur de l’ordre des Chartreux en particulier, a pris dans la motion ultérieure de M. Treilhard un tel degré d’extension, quant à son application et quant à son objet, que pour se trouver dans l’ordre du jour en la discutant, on ne peut plus se renfermer dans le cercle étroit de tel ou tel institut, mais qu’il faut l’envisager sous un rapport absolument général et applicable à tous les établissements religieux du royaume. La motion de M. Treilhard renferme deux objets principaux par rapport aux religieux : la liberté de sortir du cloître ou d’y rester, aux charges et aux conditions qu’il énonce, et le traitement plus ou moins considérable qu’il assigne à chacun d’eux. Dans l’un et l’autre cas, je me permettrai, Messieurs, de discuter seulement la première partie de cette motion, m’en rapportant à la justice de l’Assemblée sur la fixation des pensions qu’il sera convenable d’accorder aux religieux. M. Treilhard vous propose d’abord, Messieurs, d’autoriser les religieux satisfaits de leur sort, à demeurer dans le cloître, aux conditions de se réunir dans des maisons de leur ordre, au nombre de 15 religieux, au moins, et d’y observer la règle monastique. Il vous propose, en second lieu, de permettre à ceux qui se trouveraient mécontents dans leur état, de rentrer dans le monde aussitôt après la déclaration qu’ils en auront faite par-devant les officiers municipaux, sauf à se pourvoir pour le lien spirituel seulement , par-devant la puissance ecclésiastique , pour être par elle relevés de leurs vœux, s'il y a lieu. On vous propose enfin de statuer que les religieux qui voudront continuer de vivre sous la règle monastique, se retireront, par préférence, dans celles de leurs maisons qui se trouvent situées dans les petites villes et dans les campagnes. Tels sont, Messieurs, les trois objets principaux de la motion de M. Treilhard, sur lesquels je supplie l’Assemblée de me permettre quelques observations. Il me semble d’abord, survie premier article, qu’indépendamment des motifs puisés dans la religion, qui ne nous permettent pas de forcer de pieux cénobites, engagés dans un état saint, liés par un serment irrévocable, à la face des autels et sous les auspices de la loi, à devenir involontairement parjures, et à abdiquer malgré eux, une profession dans laquelle ils ont juré de vivre et de mourir, il me semble qu'indépen-damment de ces motifs respectables sans doute, la voix sévère de la justice, le sentiment plus doux de l’humanité, le texte même de vos décrets, vous tracent fa marche que vous avez à suivre, et vous prescrivent de ne pas troubfer dans la possession de leur état, des hommes paisibles, des citoyens édifiants, vertueux, qui reposent tranquillement sous la garantie des conventions sociales, et que peut-être on chercherait bien moins à inquiéter aujourd’hui, si leurs devanciers, en défrichant de leurs propres mains presque la moitié du sol de la France, en la fécondant par leurs sueurs, n’eussent acquis quelque aisance, et si l’on veut, des richesses. Les religieux, Messieurs, quelle que soit la règle qu’ils ont embrassée, dès qu’une fois le légis- 648 , [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] lateur l’a approuvée, jouissent de leur état, au même titre que vous jouissez du vôtre : de toutes les propriétés, celle de soi-même, celle de sa personne, est incontestablement la plus sacrée, la plus précieuse, la plus inattaquable ; vous avez reconnu vous-même cette grande vérité, Messieurs, dans les articles préliminaires de la constitution que vous venez de donner à la France -: le droit d’aller, de venir, de rester, d’agir, de demeurer est le droit le plus naturel, le plus imprescriptible de l’bomme. Tel aime le mouvement, tel autre cherche le repos : le goût de celui-là le jette dans le tumulte des grandes villes, dans l’embarras des affaires, dans des sociétés de plaisirs ; la vie retirée, au contraire, la solitude, le silence des associations religieuses ont de l’attrait pour celui-ci : qui oserait soutenir que quelqu’une de ces inclinations est vicieuse? qu’elle est blâmable, nuisible à la société ? Qui ne voit, au contraire, que c’est de la diversité même de ces goûts naturels, que résulte l’harmonie des empires, et ce concours alternatif de besoins, de secours mutuels, sans lesquels la vie sociale n’eût jamais été qu’une grande chimère. Ainsi, Messieurs, quand parvenus à l’âge de faire un choix, quand après avoir examiné autour de lui, et avec attention, tous les arts, toutes les professions de la vie, les regards du cénobite se sont fixés avec complaisance sur tel ou tel monastère ; quand il a couru s’y réfugier comme dans un asile qui lui promettait le bonheur, il a suivi son goût, sa pente, son. inclination naturelle ; il a usé du premier de tous Jes droits, celui de chercher à se rendre heureux par tous les moyens que les lois autorisent. Il a engagé sa liberté, il est vrai, ou plutôt il l’a échangée contre les avantages qui lui ont semblé préférables ; mais en cela il a stipulé librement. La violence ou la séduction n’a point présidé au contrat, il ne se plaint nullement des conditions qu’il a souscrites, il en demande au contraire l’exécution dans tous leurs points et il ne redoute rien au monde, autant que de reprendre cette liberté que vous viendriez lui offrir, parce qu’elle ne serait plus pour lui un trésor, mais un fardeau dont bientôt il serait accablé. Je sais, Messieurs, tous les reproches qu’on fait à l’état monastique ; je connais tous les moyens qu’on allègue pour légitimer, s’il était possible, le dessein que quelques personnes semblent avoir formé, de renverser d’un seul coup tous les établissements religieux qu’on s’était contenté jusqu’ici de miner sourdement. On dit qu’ils sont inutiles, qu’ils ont dégénéré de leur antique vertu ; que l’oisiveté, le relâchement, le scandale même ont gagné les cloîtres... Mais d’abord, Messieurs, quand l’état monastique ne vous offrirait dans ceux de ses membres qui sont restés fidèles à leur institut, que le spectacle des vertus chrétiennes portées à leur perfection, que l’accomplissement des conseils évangéliques, pourrait-on froidement le qualifier d’inutile ? Quand il n’aurait aux yeux de la société, que ce seul mérite, d’offrir un asile paisible et assuré, au citoyen dégoûté des agitations du monde, ne se prés'enterait-il pas déjà sous un aspect favorable ? Sans doute, Messieurs, l’état religieux a dégénéré de sa première splendeur; il a subi le sort de tous les établissements humains ; car en est-il un seul qui ne se soit plus ou moins écarté des règles de son institution? Et si, au lieu de les y appeler par des réformes sages, utiles, on allait prononcer la peine d’anéantissement contre tous les corps qui nous laissent apercevoir des marques de dégradation, quel serait celui qui pourrait se flatter d’échapper au fer destructeur? ne marcherions-nous pas bientôt au milieu des décombres et des ruines ? Et puis, Messieurs, combien la prévention n’a-t-elle pas exagéré la vie dissipée, oisive, licencieuse même qu’on a dit régner dans les cloîtres, et qui n’est, après tout, que le honteux partage de quelques individus ! On nous peint avec les couleurs les plus fortes la conduite mondaine, les mœurs peu décentes de tel ou tel religieux; mais on ne nous dit rien de ces vertus qui honorent l’humanité, de cette vie exemplaire, mortifiée, que mènent les autres, et j’ose dire que c’est le plus grand nombre ; on nous cache avec soin, on voudrait nous faire oublier les travaux utiles auxquels certains corps religieux se livrent encore chaque jour : l’instruction publique, l’association aux sollicitudes pastorales, la direction des consciences, et par-dessus tout, les abondantes aumônes qu’ils répandent autour d’eux. Sans doute, Messieurs, la Société elle-même retirerait des ordres religieux de bien plus grands avantages, si la considération publique pouvait encore devenir pour eux un motif d’encouragement, si des idées d’avilissement, de mépris, ne les avaient pas placés, depuis bien des années, sous une espèce d’anathème, et si la crainte d’une destruction prochaine, n’était allée dessécher en eux le germe de toute émulation. Je pense donc sur le premier article de la motion, présentée par M. Treilhard, que, sans détruire les ordres monastiques, on pourrait, par de sages réformes, diriger leur régime vers des objets d’utilité nationale et religieuse ; mais que dans le cas où l’Assemblée pencherait pour la suppression de ces établissements, il est conforme à la justice, à son humanité, à ses principes mêmes sur la liberté individuelle, d’affecter un certain nombre de maisons où les religieux qui désirent de finir leurs jours, sous la règle monastique, pourront rester, et d’assigner à chacun d’eux des moyens suffisants de subsistance. Quant à la seconde partie de la motion de M. Treilhard, il me semble que pour la décider, il faut d’abord rappeler un principe généralement avoué et reconnu jusqu’à ce jour : c’est que l’émission des vœux monastiques étant, de sa nature, un acte religieux, une promesse dont Dieu seul est l’objet, elle est sous ce rapport essentiellement soumise, quant au fond, à la puissance ecclésiastique; exclusivement à toute autre’ autorité ; mais envisagée sous un autre point de vue, elle est aussi l’objet d’un contrat civil, assujetti comme tous les autres contrats, à des formalités légales, telles que la présence des témoins, l’inscription sur les registres du monastère ; et dans ce sens, l’acte de profession religieuse est soumis à la puissance politique, qui, par des lois précises, s’est chargée d’en maintenir l’exécution pour la garantie réciproque des contractants, et pour assurer la tranquillité des familles. C’est de ce concours mutuel, de cette réunion des deux autorités, que l’irrévocabilité des vœux monastiques, quand ils ne sont pas le fruit de la séduction ou de la violence, acquiert toute sa force; et par une conséquence naturelle de ce principe, ils ne peuvent aussi être invalidés, déclarés nuis, que du consentement réciproque et pour ainsi dire simultané des deux puissances. Il y a plus, Messieurs, telle est encore aujourd’hui sur cette matière, la jurisprudence canonique du royaume, que toujours les causes de [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] 649 cette nature ont été portées directement par-devant les tribunaux ecclésiastiques, et que jamais les cours séculières n’en ont été saisies, que pour déclarer qu’il y ayait, ou qu’il n’y avait pas abus dans la sentence du juge d’Eglise. Cependant, Messieurs, par un renversement bien étrange de tous ces principes, on vous propose aujourd’hui de dissoudre seuls, par le fait et en vertu de la souveraine puissance que vous exercez, les engagements les plus solennels, les plus librement contractés, et que la société entière, j’ose le dire, a regardés jusqu’à ce jour comme irrévocables. On vous propose de rappeler dans le monde tous les religieux mécontents dans le cloître, sans examiner si les motifs de leurs réclamations sont légitimes, sans observer aucune forme juridique, et sans qu’au préalable le juge naturel, seul compétent, ait prononcé s’il y a ou s’il n’y a pas lieu à la sécularisation. Il est vrai, Messieurs, qu’on ajoute à cette partie du décret qui vous est proposé, ces mots, comme une clause non pas impérative, mais uniquement comme une formalité de pure bienséance : sauf à se pourvoir par-devant la puissance ecclésiastique en ce qui concerne le lien spirituel. C’est-à-dire, Messieurs, qu’ils auront la liberté d’y recourir ou de s’en dispenser, suivant qu’ils seront plus ou moins accessibles aux remords ; mais, Messieurs, si ces religieux sécularisés par vous, négligent ou refusent, n’importe par quel motif, de s’adresser aux supérieurs ecclésiastiques, pour se débarrasser d’un fardeau qui pèse sur leur conscience, ou bien si le tribunal compétent ne juge pas les motifs de leurs réclamations suffisants, conformes aux règles canoniques, car enün on peut supposer que l’Eglise ne fera pas plier la sainte rigidité des principes, au gré des circonstances, de l’opinion et des événements ; dans ce cas, je vous le demande, Messieurs, dans quel rang placerez-vous ces religieux que vous aurez déliés par le fait, et qui cependant seront encore liés par le droit? Au rang, me dira-t-on, de ces citoyens qui, ne troublant pas l’ordre public, n’ont d’autres juge de leurs actions que leur conscience, et doivent participer à tous les avantages de la vie civile. Mais, si cela est, Messieurs, si, sans qu’il en résulte des inconvénients pour la société, la mobilité dans les affections, l’ennui, le dégoût ou l’inconstance peuvent dissoudre les engagements les plus irrévocables, et dont la stabilité assure le bonheur des familles, la tranquillité des empires ; si les liens les plus sacrés peuvent devenir ainsi le jouet d’une volonté capricieuse, et tomber au gré de celui qui les porte, certes, Messieurs, des principes si nouveaux, mais dont, je l’avoue, les conséquences m’effraient, vont vous ouvrir un champ bien vaste, et vous offrir encore de grandes réformes à faire. Par exemple, le mariage avait passé jusqu’ici pour un contrat indissoluble , on avait même pensé que le bonheur de la société exigeait qu’il en fût ainsi; mais il y a, vous le savez, dans cet état bien des époux malheureux : faudra-t-il donc, pour les rendre au bonheur, briser leurs liens et prononcer le divorce, sauf à se pourvoir par-devant les tribunaux ecclésiastiques pour le lien spirituel seulement ? Tout le monde sait encore qu’une fois parvenus au sacerdoce, un serment solennel, des liens indissolubles nous retiennent dans le sanctuaire, et nous empêchent de revenir sur nos pas; mais il y a dans l’Église quelques prêtres mécontents, qui supportent impatiemment le joug de leurs devoirs, et maudissent peut-être le jour où ils se sont engagés : faudra-t-il donc aussi, pour les mettre à leur aise, rompre leurs chaînes et leur permettre d’embrasser une profession séculière, sauf toujours à se pourvoir par-devant V autorité ecclésiastique, pour le bien spirituel seulement. De bonne foi, Messieurs, où en serait la société si de telles maximes pouvaient jamais prévaloir ? Si l’amour inquiet d’une liberté indéfinie pouvait devenir la règle unique de nos actions ? Telles sont cependant les conséquences monstrueuses, mais naturelles, qui dérivent du principe qu’on vous propose de consacrer à l’égard des ordres religieux. Mais, à Dieu ne plaise cependant. Messieurs, que je prétende qu’une grande nation, quand elle exerce les droits de la souveraineté, ne puisse avoir aucune inspection sur les ordres religieux, et que ceux-ci, une fois admis dans l’Etat, ne puissent en être retranchés, si une véritable nécessité l’exigeait. Je pense, Messieurs, que la félicité publique étant la première loi, le souverain peut, pour y atteindre, employer tous les moyens légitimes, il peut donc mettre des bornes à la durée d’un institut religieux il peut lui défendre de se régénérer, en admettant dans son sein de nouveaux sujets, il peut même frapper de nullité tous les vœux, tous les engagements qui viendraient à être contractés dans l’étendue de son domaine, au mépris de la loi qu’il aurait portée. Mais il est bien sensible, Messieurs, qu’une telle loi, si jamais elle était nécessaire, ce dont je suis bien éloigné de convenir, ne pourrait nullement s’appliquer aux religieux qui se seraient engagés avant sa promulgation, et qu’elle ne saurait être, dans aucun cas, rétroactive pour eux. D’où je conclus que l’autorité ecclésiastique a seule le droit de juger en matière de vœux, et que les religieux, qui seraient dans l’intention de faire prononcer la nullité de ceux qu’ils ont contractés, doivent rester dans le cloître, jusqu’à ce que le tribunal compétent ait fait droit à leur demande. Je passe rapidement, Messieurs, à la troisième disposition contenue dans la motion de M. Treilhard ; il vous propose de renvoyer dans les petites villes, et dans les campagnes’ les religieux qui habitent aujourd’hui la capitale et les autres villes considérables du royaume. Sans doute l’étendue, l’importance des emplacements que les ordres religieux occupent dans les grandes villes, et dont la vente pourrait être d’un très-grand avantage pour la chose publique, a été le motif déterminant de cette disposition ; mais si cette idée, Messieurs, mérite d’être favorablement accueillie, lorsque nous la considérons sous un rapport d’économie et d’administration, elle peut aussi avoir ses inconvénients, ses dangers, dans l’ordre de la religion et du culte public. Le plus léger examen sur cette matière suffit pour nous convaincre que les paroisses, dans les grandes villes, ne sont pas, à beaucoup près, assez pourvues de prêtres, et que quelque partie des fonctions du culte catholique se trouveraient nécessairement en souffrance, si quelques ordres religieux n’y avaient jusqu’ici suppléé par leur zèle. On pourrait, il me semble, concilier deux intérêts aussi chers, en ordonnant qu’il sera affecté dans les villes un certain nombre de maisons à ceux des ordres religieux qui voudront se rendre 650 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.} utiles à l’Église, tels que les Franciscains, par exemple, dont le zèle, à cet égard, et l’assiduité ne se sont jamais démentis; c’est une réflexion, Messieurs, que je prends la liberté de vous proposer par forme d’amendement à cet article de la motion de M. Treilbard. Enfin, Messieurs, quelles que soient les dispositions de l’Assemblée nationale sur l’état monastique, ma conscience et le vœu de mes commettants m’obligent à déclarer que l’anéantissement total des ordres religieux serait infiniment préjudiciable à l’Eglise. Il est une partie essentielle des fonctions du ministère qui, étant absolument hors de la portée des pasteurs des paroisses, ne peut guère être confiée qu’aux ordres religieux je veux parler des aumôneries sur les vaisseaux, dans les régiments, dans les hôpitaux de l’armée, des missions en pays étrangers, et du service paroissial dans la plupart de nos colonies. Il entrera aussi vraisemblablement dans vos vues de confier l’éducation publique à des corps ecclésiastiques, soumis à une règle, à un régime fixe, et par là:lplus à même que des instituteurs isolés, d’inspirer à leurs élèves cette unité de sentiments religieux et patriotiques, qui perfectionnent l’homme en le rendant citoyen, et qui porteront la gloire du nom Français au plus haut degré où elle puisse atteindre. Toutes ces considérations, Messieürs, qui n’ont pas échappé sans doute à votre sagesse, me font désirer qu’un certain nombre d’ordres religieux survivent à la destruction dont il semble que tous vont être frappés. Dans ce moment où les corps monastiques attendent le jugement de la nation avec autant d’anxiété que de respect , il n’en est aucun qui n’ambitionne de se voir appelé à des fonctions aussi honorables que pénibles, de conserver par là une existence à laquelle ils sont attachés, et qui leur deviendra bien plus chère encore, quand elle aura enfin acquis aux yeux de la nation entière, un grand objet d’utilité publique. Je me résume, Messieurs, et je propose à l’Assemblée nationale de décréter : 1° Que tous les religieux qui voudront continuer de vivre sous la règle monastique, en auront la liberté, et qu’il sera pourvu dmne manière convenable à leur subsistance, entretien, réparations de bâtiments et aux frais du service divin. 2° Qu’il sera assigné dans les villes, un certain nombre de maisons , aux ordres religieux qui voudront se rendre utiles pour, à la demande et sous l’inspection des curés, y remplir les fonctions du ministère qui leur seront confiées. 3° Que les religieux qui voudraient se faire séculariser, seront tenus de rester dans une maison de leur ordre, et d’y observer la règle de leur institut, jusqu’à ce que l’autorité ecclésiastique les ait dispensés de leurs vœux par un jugement canonique. 4° Qu’il sera conservé un ou plusieurs ordres religieux, pour remplir les fonctions du culte catholique sur les vaisseaux, dans les régiments et dans les hôpitaux de l’armée, dans les missions en pays étrangers et pour le service spirituel, dans celles de nos colonies où il leur a été confié jusqu’ici. 5° Que l’éducation publique leur sera aussi confiée, sauf à l’Assemblée nationale à déterminer dans la suite, les moyens qui lui paraîtront les plus propres à donner à ces corps la stabilité qu’ils doivent avoir, pour procurer à la religion et à l’Etat la plus grande utilité possible. 5e ANNEXE. Opinion de M. Dupont (1), député du bailliage de Nemours, sur la disposition que doit faire V Assemblée nationale des biens ecclésiastiques en général , et de ceux des ordres religieux en particulier (2). Messieurs, je ne puis qu’applaudir aux principes qui vous ont été exposés par votre comité ecclésiastique, relativement aux ordres religieux ; j’y reconnais la charité chrétienne et les lumières de la philosophie, mais ce n’est pas sans une grande surprise que j’ai vu le projet de décret qui vous a été proposé en même temps, s’écarter sensiblement de ces mêmes principes que les auteurs de ce projet ont développés d’une manière si raisonnable et si touchante. Permettez-moi donc d’y revenir; de vous les présenter de nouveau avec simplicité, avec clarté, et d’indiquer les véritables conséquences qu’il me paraît que l’Assemblée nationale doit en tirer. Les propriétés des corporations sont de deux espèces : les premières, nécessaires à l’existence de la corporation, demeurent indivises entre les membres dont elle est composée; les secondes, dont l’usage est particulier aux individus, servent à leur procurer directement des jouissances. Lorsqu’une corporation est détruite, la société, qui est la grande corporation dans laquelle se fondent toutes les autres, rentre en possession des propriétés véritablement indivises de la corporation éteinte ; elle y rentre comme elle rentrerait dans la propriété des biens d’une famille dont le dernier membre ne laisserait point d’héritier. Mais elle n’acquiert aucun droit sur la portion de biens destinés aux jouissances personnelles des individus. Une propriété usufruitière est aussi sacrée que toute autre propriété; et la société est obligée, dans tous les arrangements qu’elle fait pour son plus grand bonheur, de respecter chez tous les individus les propriétés dont Us jouissent conformément à la loi, sous la seule condition de remplir, comme les autres citoyens, les obligations de la loi. La société doit protéger tout le monde, et ne doit nuire à personne qu’à ceux qui nuisent. Il ne lui est permis de faire du mai à qui que ce soit, que pour repousser le mal plus grand que l’individu ou le corps qu’elle réprime pourrait faire aux autres. La société française, la nation que nous avons l’honneur de représenter, a donc pu, et nous avons dû, en son nom, anéantir la république, qui, sous le titre d’ordre du clergé , se regardait comme une nation particulière dans l’Etat, traitait avec l’Etat de puissance à puissance, et avait, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) J’ignore si je pourrai obtenir la parole sur le projet de décret que le comité ecclésiastique a proposé relativement aux ordres religieux. Je me suis trouvé le trente-cinquième au rang parmi ceux qui désirent que l’Assemblée nationale les écoute, et il n’est pas vraisemblable qu’on laisse pousser la discussion jusqu’à moi. Je crois pourtant avoir des considérations importantes à soumettre à mes collègues. J’écris donc cette fois mon opinion avant de l’avoir prononcée, et je la leur remettrai imprimée ; je la recommande à la bienveillance dont ils m’honorent, et bien plus encore à leur sagesse, à leur équité, à leur humanité. Dupont, député du bailliage de Nemours.