SÉANCE DU 22 BRUMAIRE AN III (12 NOVEMBRE 1794) - N° 28 159 d’indemnité et de secours, pour cinq mois et treize jours de détention et pour retourner à son domicile. Le présent décret ne sera imprimé qu’au bulletin de correspondance (100). 28 SALLENGROS, au nom du comité des Secours publics, a fait le rapport suivant : Citoyens collègues, Par décret du 13 de ce mois, la Convention nationale, après avoir entendu plusieurs de ses membres qui lui ont donné le détail des actions héroïques du citoyen Druge, capitaine au septième régiment de hussards, dit de la Liberté, employé à l’armée du Rhin, couvert de 35 blessures reçues à la défense de la patrie, qui le forcent de suspendre la continuation de ses services, et sur la motion qui a été faite, charge son comité des Secours de lui faire un rapport, dans le plus court délai, sur les indemnités dues à ce guerrier, des pertes qu’il a éprouvées dans les combats ; et que son président donnera l’accolade fraternelle au brave Druge, présent à la barre. Druge, à l’âge de 17 ans entra comme chasseur au service de la République dans le huitième régiment ; et à compter de l’époque où les Français firent les premiers efforts pour la conquête de la liberté, il ne cessa d’être animé de l’esprit qui les domine. Bientôt les chefs de ce corps, ennemis de la révolution, devinrent ses ennemis particuliers; dévoué à la patrie, Druge ne craignit pas de les braver pour faire triompher la cause commune; son exemple concourut à soutenir le courage de ses compagnons d’armes lorsqu’il fallut résister au commandement cruel qu’ils reçurent de charger les citoyens de Sarre-Louis, aujourd’hui Sarre-Libre. Dès le commencement de la guerre que la liberté soutient contre la tyrannie, les chasseurs du huitième régiment firent partie de l’armée du Rhin : les circonstances depuis lors l’ont placé dans différens corps, dans lesquels il a eu le bonheur et la gloire de participer à un très grand nombre d’actions éclatantes et héroïques. Les représentans du peuple près l’armée du Rhin, dans leur lettre à la Convention nationale, du 15 vendémiaire dernier s’exprimèrent ainsi : « Chers Collègues, Vous avez chargé les représentans du peuple près les armées de vous faire connoître toutes les actions d’éclat qu’ils recueilleront dans leur mission ; la vie militaire du capitaine des hussards, Druge, depuis qu’il combat contre les ennemis de la République en offre un si grand nombre et de si extraordinaires, que nous (100) P.-V., XLEX, 125. Bull., 23 brum. Rapporteur Du Bois Du Bais selon C* II, 21. n’avons pas hésité à penser que la vie de cet intrépide soldat, qui va respirer quelque temps l’air natal pour accélérer la guérison des honorables et multipliées blessures dont il est couvert, et pour rendre quelques devoirs filiaux à ses vieux parens, produira, dans la Convention nationale, l’émotion la plus douce, celle que vous éprouvez toujours au récit de quelque grand acte de vertu ou de dévouement républicain. Nous avons invité Druge à rédiger lui-même ce tableau intéressant de sa vie; il est certifié par tous les généraux ; toute l’armée dont il est connu et estimé l’eût certifié de même. Cette pièce, qui a tout le caractère et l’attestat de la vérité, obtiendra sans doute de votre justice la lecture publique et l’insertion au bulletin. Votre justice fera sans toute davantage encore. À ce courage Druge joint beaucoup de probité, d’exactitude, d’ordre, et a les talens nécessaires pour diriger utilement un corps de troupes légères à cheval, et nous croyons remplir une partie de nos devoirs en vous demandant pour lui le commandement du premier régiment des hussards ou troupes légères à cheval dont la nomination écherra à la Convention nationale. » Un arrêté des mêmes représentans du peuple, donné à Neustadt, quartier général de l’armée, le 14 du même mois de vendémiaire, contient entre autres dispositions, que, vu les certificats des officiers de santé que nous a présenté le citoyen Druge, capitaine des hussards du septième régiment, vu le tableau des actions brillantes que ce brave et courageux républicain a faites durant toute cette campagne, qui lui ont mérité l’estime de toute l’armée ; vu que les blessures honorables qu’il a reçues ne lui permettent pas de continuer cette campagne jusqu’à leur guérison, quelque désir qu’il en ait ; vu que, s’il importe de punir les lâches et les mauvais soldats, il est un devoir plus urgent encore de récompenser la valeur et le dévouement sans bornes à la gloire de la République, autorisa, comme récompense militaire, le citoyen Druge à aller finir sa convalescence auprès de ses parens qu’il a désiré revoir pour leur prêter les secours que prescrivent la nature et la piété filiale. On s’est fait un devoir de transcrire littéralement les expressions du représentant du peuple près l’armée du Rhin ; il appartient à la justice, à l’honneur du brave Druge, que ses actions soient rapportées d’une manière fidèle et authentique; ce seroit lui faire tort, si on y ajoutoit des phrases et des considérations particulières. Mais si Druge peut et doit être compté parmi les plus braves, parmi les plus intrépides défenseurs de la République, s’il joint à son courage héroïque beaucoup de probité, d’exactitude, d’ordre, et les talents militaires pour diriger un corps de troupes légères à cheval, il est bien naturel de croire, et on est facilement convaincu qu’il sait aussi respecter et chérir les auteurs de son existence, et que c’est une jouissance et un devoir bien doux pour lui de les aller consoler et secourir pendant leur vieillesse, au moins pendant le temps que les honorables blessures 160 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE qu’il a reçues l’empêchent de continuer son service. Or, il résulte d’un autre arrêté des mêmes représentons du peuple, du 10 vendémiaire, que le payeur général de l’armée a dû lui payer la somme de 600 livres par forme d’indemnité provisoire, et que le comité des Secours publics est invité à augmenter cette indemnité qui n’équivaut pas au quart des pertes et dépenses que ce brave militaire a faites en servant si honorablement sa patrie. D’après les renseignemens, d’après le décret de la Convention nationale, qui charge son comité des Secours de lui faire un rapport, dans le plus court délai, sur les indemnités dues à ce guerrier, votre comité a pensé, à l’unanimité, qu’il étoit de toute justice de lui accorder 2 400 L d’indemnité, indépendamment des 600 L qu’il a dû recevoir; et il s’est félicité d’avoir à délibérer sur un objet d’autant plus recommandable, d’autant plus urgent que Druge et ses parens jouissent de peu de fortune, et sont du nombre des bons, des véritables républicains sans-culottes. En conséquence, le comité des Secours m’a chargé de vous présenter le décret suivant (101) : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des Secours décrète : Article premier. - La Trésorerie nationale, sur le vu du présent décret, paiera au citoyen Druge, capitaine au septième régiment des hussards dits de la Liberté, la somme de 2400 L d’indemnité à lui due pour les pertes et dépenses que ce brave militaire a faites en servant la patrie avec la plus haute distinction, et ce indépendamment de 600 L qu’il a reçues. Art. II. - Renvoie les pièces de cet intrépide guerrier à son comité de Salut public, avec injonction de proposer l’avancement auquel il a droit par ses actions héroïques et par les blessures honorables qu’il a reçues. Art. III. - Le rapport et les faits dont parlent les représentans du peuple sur l’armée du Rhin, seront insérés en entier dans le bulletin (102). Faits héroïques du capitaine Druge. [Le capitaine Druge aux représentans du peuple près l’armée du Rhin] (103) Lorsque les Français eurent déclaré la guerre aux tyrans coalisés, les chasseurs du huitième régiment furent désignés pour concourir à la composition de l’armée du Rhin, et leur marche fut désignée vers Wissembourg. (101) Bull., 24 brum. F. de la Républ., n° 53, mention. (102) P.-V., XLIX, 125-126. Bull., 24 brum.; Moniteur, XXII, 486 ; F. de la Républ., n° 53 ; M. U., n° 1341 ; J. Perlet, n° 780. (103) Bull., 24 brum. (suppl.). Pour parler en détail de toute ma vie militaire, comme défenseur du peuple, il faudroit que je fasse l’histoire des différens corps dans lesquels les circonstances m’ont placé. Sous ce rapport, il me seroit infiniment glorieux d’avoir à participer à des actions éclatantes, dont les fruits ont été cueillis par la main de la liberté ; mais ce sont mes propres actions qu’on veut connoître, et je ne dois parler que d’elles. 1. Jusqu’à la retraite de Francfort, je n’eus point d’occasion pour me faire connoître d’une manière spéciale; mais pendant cette retraite, je vis dix de nos frères d’armes au pouvoir de l’ennemi. Je crie, à moi camarades : je fuis suivi par quelques uns ; nous tombons furieux sur les ennemis qui étoient en nombre supérieur, et nous ramenons les infortunés, après avoir paré tous les coups, et en avoir porté de mortels. 2. Le 24 décembre (vieux style), deux de mes camarades et moi sûmes que quelques ennemis étoient dans le village de Bibry, nous y fumes, et leur tuâmes cinq chevaux. 3. A Bingles, deux compagnies de volontaires alloient être cernées par l’ennemi, de l’autre côté d’une petite rivière; Wimphen m’invita à les aller faire replier. Je partis ventre à terre ; j’arrive, et quoique l’ennemi fut très près, je les fais rétrograder et marcher devant moi : ils traversèrent la rivière dans des petites barques. Lorsque tout est passé, je lance mon cheval à l’eau, je le mets à la nage ; alors une grelle de balles pleut autour de moi, mais aucune ne me blesse, et je me sauve à la nage. 4. A la retraite de Mayence, étant en tirailleur, j’attaque un cavalier ennemi qui se défend avec courage; mais ses efforts sont vains, il est fait prisonnier, et je l’amène avec son cheval. 5. A Rhimberg, trois volontaires sont pris par six hussards bleus, je cours à leur secours ; moi troisième, nous nous battons avec intrépidité, et nous ramenons nos trois républicains. 6. Le 19 juillet, parti de Linctback avec l’armée pour marcher sur Mayence, mis en avant en tirailleur, un Autrichien fait feu sur moi et me manque; je l’ajuste et le mets à terre : je prends son sabre et sa carabine, dont je fis présent au général Férinaud; je pris aussi son butin que je donnai à un volontaire qui étoit dépourvu. 7. Le lendemain, je fais la rencontre d’un ennemi, je me bats et le fais prisonnier. 8. Le 22 juillet, cadet Boucher et moi fûmes sur la droite de Daum en tirailleurs, nous voyons quatre grenadiers de la Corrèze pris par une patrouille de l’ennemi; nous fonçons sur elle, nous nous battons ; bientôt nos frères sont délivrés, malgré les efforts réunis de huit ennemis, et dans le même instant nous arrachons encore des mains des Autrichiens un écrivain de l’état-major, nommé François. 9. En nous retirant, je fus provoqué par un ennemi qui me donnoit le défi d’aller me battre : je cours à lui; du premier coup de sabre qu’il me porte, il coupe mon casque, et me blesse légèrement : à l’instant même je lui en porte un autre qui lui perça la poitrine ; il tombe mort, je m’empare de son cheval et l’emmène.