358 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE gouvernement. Elle avoit réuni tous les moyens combinés d’élever une faction colossale à côté, et bientôt au-dessus de la représentation nationale. Vous l’avez découvert et révélé au peuple souverain, qui ne souffrira jamais, ni intrigans, ni fripons, ni séditieux, ni usurpateurs; il s’est à l’instant prononcé pour le maintien de la loi et de l’unité. Vous avez exprimé son vœu et la faction s’est évanouie. Les sociétés populaires réunions paisibles d’hommes purs et soumis aux lois, doivent veiller sans relâche, et porter leurs réclamations aux représentants du peuple, non pas avec le cri de la révolte, mais avec les sentimens toujours dus à l’image vivante de la souveraineté : c’est là une portion sacrée des droits des l’homme. Mais si un petit nombre d’opiniâtres agitateurs pervertit le but de ces réunions, jusqu’à substituer leur volonté, leurs passions à la volonté générale, jusqu’à faire applaudir et adopter par une société, jadis utile, des principes de discorde, de rébellion, de guerre civile, la France n’y verra plus qu’une société anti-populaire. Non, l’art de confondre les idées, d’abuser du sens et de l’application des mots, de farder le vice, d’honorer la barbarie, de souiller la vertu, de profaner et de corrompre la morale naturelle, de soumettre enfin, par la terreur, à une poignée la grande majorité du peuple français : non, certes, cet art abominable n’est pas un droit, mais un crime. Nos braves, nos sages armées savent triompher des tyrans; pour vous, triomphez ici de tous les scélérats: triomphez et des complices du despotisme qui ne voudraient pas permettre aux droits de l’homme de résister à l’orgueil, et des perturbateurs de la République, prétendus patriotes par excellence, qui, se prévalant des droits de l’homme pour les anéantir autour d’eux, poursuivent de tous côtés, dans leurs fureurs hypocrites et intéressées, la liberté, l’industrie, les talents, les vertus, les opinions et les propriétés. Chaque jour, au bruit des victoires extérieures, donnez-nous une bonne loi ; formez une institution salutaire; répandez la lumière et l’instruction; créez des encouragements réels, soutenus, efficaces, pour la culture, l’industrie, le commerce, les sciences et les arts; ramenez peu* l’indulgence les esprits égarés; secourez la pauvreté laborieuse ; flétrissez la paresse, la dissipation et le vice ; versez l’honneur sur la probité, les bonnes mœurs, le désintéressement, le vrai patriotisme; versez l’ignominie sur les méchants, les ennemis de la volonté du peuple et les charlatans de tous les genres. Tenez d’une main ferme les rênes du gouvernement révolutionnaire; renouvelez, épurez, remplissez de citoyens éclairés les autorités, les administrations, les bureaux; repoussez avec une défiance égale et ceux qui voudraient disperser sans règle des pouvoirs arbitraires dans les mains impures des intrigants, et ceux qui proposent de ramener avant le temps l’exercice de l’autorité constitutionnelle dans la main du peuple, qu’ils se flattent d’agiter et d’égarer encore. C’est par de telles mesures, soutenues du courage infatigable de douze cent mille républicains, que bientôt en voyant le bonheur et la force de la France libre et régénérée, toutes les nations lui tendront une main fraternelle, et tous les tyrans tomberont à ses pieds. Tels sont les sentimens unanimes de la section de l’Homme-Armé. LE PRÉSIDENT (67) : On l’a dit dans le sein de cette assemblée, les émigrés, les tyrans coalisés, désespérant d’asservir, par la force des armes, un peuple qui veut être libre, ne songent qu’à le diviser ; ils envoient des émissaires dans la société des Jacobins de Paris; que l’on fait prodigues, afin que les motions les plus extravagantes, les plus propres à soulever les gens sages contre la révolution française, y soient faites; n’importe à quel prix ; tels ont été les ordres des ennemis de la République; et certes, ceux qui soutenoient naguère à la tribune de cette société que la majeure partie de la Convention nationale étoit en contre-révolution, les exécutoient bien ponctuellement. Sans doute, il y avoit beaucoup de citoyens trompés, égarés, par le masque du pàtriotisme ; mais les brigands qu’on vit, dans la nuit du 9 thermidor, en pleine révolte contre la représentation nationale, n’en ayant pas été exclus, il étoit de la sagesse de celle-ci de mettre un terme aux coupables excès que commettoient les Jacobins de Paris, soit par faiblesse, égarement ou mauvaise intention. Les applaudisse-mens qui ont été donnés à cette mesure, ne laissent aucun doute sur sa bonté. La Convention va s’occuper de ranimer les arts, l’agriculture et le commerce, de l’instruction publique, pour régénérer les mœurs sans lesquelles il n’est ni vertu, ni République. Je vous invite aux honneurs de la séance. 43 La section des Marchés [Paris], en masse, se présente: elle trace le tableau des atrocités commises par les Jacobins et leurs nombreux complices répandus dans la République par des affiliations sur lesquelles ils fondoient leur puissance et la durée de leurs crimes. Elle ne provoque pas cependant la vengeance nationale contre tous les membres de la ci-devant société des Jacobins ; elle désire, au moment où le peuple pourroit, par un retour terrible, les accabler tous, que l’on sépare les meneurs des menés, les méchans de ceux qui ne sont qu’égarés. Elle demande justice contre les intrigans, les factieux, les égorgeurs. La même section recommande à la Convention les familles de ses frères d’armes combattant aux frontières, envers lesquelles elle a pris, par une générosité supérieure à ses moyens, des engagements pécuniaires qu’elle a la douleur de ne pouvoir remplir. La Convention nationale décrète la mention honorable et l’insertion au bulletin, (67) Bull., 11 frim. Débats, n° 799, 1019-1020. SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - NOB 44-45 359 avec la réponse du président ; et sur le surplus elle renvoie aux comités des Finances et des Secours publics (68). L’ORATEUR (69): Citoyens représentans, votre temps, tout votre temps est à la République entière : la section des Marchés saura le ménager. Nous venons vous dire que votre proclamation au Peuple français a reçu son assentiment ; qu’il la regardera sans cesse comme le thermomètre auquel doivent se peser toutes les actions des citoyens et tous les actes des autorités constituées. Citoyens, il fut un temps où la société des Jacobins aimoit la liberté et le peuple ; elle vou-loit le bien, elle fit le bien ; des médians, sous le prétexte d’épuration, en changèrent la sagesse et la vertu pour mettre à leur place ce que l’ignorance a de plus crasse, ce que l’immoralité a de plus profond. Ces êtres pervers se disoient amis du peuple; ils despotisoient le peuple; ils se disoient amis de la liberté; ils ne la vouloient que pour eux ; ils disoient : respectez la Convention ; et ils prêchoient l’insurrection contre elle, au moyen de leurs nombreuses affiliations, ils avoient usurpé une autorité monstrueuse et colossale qui menaçoit sans cesse la Convention nationale. Par eux, la France n’étoit plus qu’une vaste bataille. Procureurs constans d’un tribunal de sang, dirigés par Robespierre (d’exécrable mémoire), ennemis déclarés du tribunal dont la sagesse entière sait distinguer l’innocent du coupable ; au 9 thermidor, complices d’une municipalité conspiratrice, les regards foudroyants de la Convention et du peuple ont précipité dans la fange ces nouveaux titans ; vous avez étouffé ce grand foyer de contre-révolution ; vous avez clos cet antre impur d’où partoient des exhalaisons méphitiques qui empoisonnoient tous les points de la République ; enfin, vous avez bouché la salle où se retiroit le pâle léopard, où le lion féroce secouoit, en s’éveillant, son énorme crinière. Ils étoient : ils ne sont plus ; le poids qui nous oppres-soit est soulevé. Enfin, la vertu, le talent et le patriotisme respirent ; le cruel étranger qui ten-doit son espoir par nos troubles intérieurs, frémit en ce moment en voyant la sagesse des mesures que vous venez de prendre. Citoyens-représentans, nous ne venons pas provoquer la vengeance nationale contre tous les membres de la ci-devant société des Jacobins. Nous sentons notre force; nous pourrions les accabler, comme ils nous ont accablés par leur audace; mais nous souhaitons que l’on sépare les meneurs, les méchans de ceux qui ne sont qu’égarés. Hélas ! notre plus grand plaisir seroit de pouvoir pardonner ; que notre conduite à venir soit donc la critique de leur conduite passée. Qu’ils jugent de la différence qu’il y a entre les vrais patriotes et ceux qui n’ont que le masque du patriotisme ; que notre sagesse les fasse rougir de leur folle barbarie. Ils sont nés Français: cela nous porte à croire que l’humanité ne leur sera pas toujours étrangère. (68) P.-V., L, 226. (69) Bull., 11 firim. (suppl.). F. de laRépubl., n° 72 ; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; Mess. Soir, n° 835 ; J Paris, n° 72. Vive la République ! Vive la Convention nationale! LE PRÉSIDENT (70) : L’antre jacobite de la rue Honoré fut jadis le heu où se forgeoit la foudre qui anéantit le despotisme ; mais les tyrans coalisés comprirent bientôt qu’il falloit se servir de ses ouvriers mêmes pour fabriquer l’arme la plus contre-révolutionnaire envers la liberté ; il falloit, pour la bannir du sol français, détruire la représentation nationale ; quel est le moyen que les meneurs des Jacobins de Paris n’aient pas employé pour l’avilir et pour l’assassiner? Lions, rochers, tout a été provoqué à s’élancer contre elle ; semblables aux titans, ces insensés croyoient escalader les deux ! Un seul acte de la volonté nationale leur a fait connoître la faiblesse de leurs moyens ; s’ils osoient remuer encore, la justice les attend. Les mandataires du peuple, forts de son appui, déjoueront toujours ainsi les projets de ceux qui voudroient usurper ses droits. 44 Un secrétaire lit une pétition des femmes et des enfans des défenseurs de la patrie, de la section des Marchés [Paris]. Renvoyé aux comités des Secours publics et des Finances (71). [Réal annonce que Cambon a fait imprimer un projet de décret qui remplira le vœu de ces citoyennes et de toutes les familles qui sont dans le même cas ; il demande que ce projet soir décrété dans trois jours. Décrété.] (72) 45 La section du Pont-Neuf [Paris] est admise. Elle annonce que, nommée par exception Révolutionnaire, sous le règne de Robespierre, de la commune rebelle et de leurs complices, qui avoient écarté de son sein la liberté, la franchise et l'énergie, elle désire reprendre son premier titre ; que sous ce nom, qu’elle n’a jamais déshonoré par aucun excès, elle apporte à la Convention le rapport de l’arrêté pris par quelques intrigans ou dupes, portant adhésion à celui du ci-devant club électoral et de la section du Muséum, contre le gouvernement actuel. Elle félicite la Convention de son adresse au Peuple français ; elle demande la punition prompte et inexorable de ces mandrins politiques, qui, ne voulant que d’une liberté de contrebandiers, ont égaré, stupéfait, égorgé le peuple, afin de (70) Bull., 11 fiim. (suppl.). (71) P.-V., L, 226. Rép., n° 72. (72) Rép., n° 72. M.XJ., n° 1359.