484 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juin 1791.] M. d’Harvilie, officier de cavalerie et maréchal de camp, m’a fait passer son serment; il part dans ce moment avec M. de Rochambeau. Je le dépose sur le bureau, et je demande qu’il en soit fait mention dans le procès-verbal. ( Applaudissements .) M. le Président. Je demande à l’Assemblée nationale qu’il soit fait aussi mention dans le procès-verbal de deux serments qui m’ont été remis : l’un est de M. de Moreton, colonel, l’autre de M. Wargemont, maréchal de camp. (Applaudissements�) (L’Assemblée ordonne qu’il sera fait mention de ces trois serments dans le procès-verbal.) M. Lucas. Il y avait à l’ordre de ce jour un rapport sur l’utilité que l’on pourrait tirer de la matière des cloches \ je demande siM. le rapporteur est prêt, qu’il veuille bien le faire. M. Dnpré. Le comité des monnaies ne s’est pas rassemblé, parce que, m’a-t-on dit, M. l’abbé Rochon est revenu de ses principes et a été converti. Je vous ai déjà dit que le seul moyen que vous ayez de sauver la chose publique, était d’adopter une monnaie représentative de l’argent, de faire fondre votre matière de cloche que l’on ne saurait jamais imiter, avec un bénéfice assez important; et je suis persuadé que le patriotisme qui anime tous les Français vous secondera puissamment. En conséquence, je demande que dans l’instant M. Courmesnil, au nom de la majorité des membres du comité, qui sent la nécessité du coulage de cette monnaie, vous présente ses vues sages, et que vous les décrétiez à l’instant. M. Belzals-Courménil, au nom du comité des monnaies. Je ne suis pas encore prêt à faire mon rapport; le comité compte s’assembler dans la journée avec la commission des monnaies pour s’occuper de l’examen des questions qui lui ont été renvoyées. M. Millet de Mureau. Le préopiuant vient de vous dire avec raison que M. l’abbé Rochon était converti sur les monnaies moulées. M. l’abbé Rochon m’a déclaré qu’il avait consulté tous les savants, ses confrères; tous les artistes qu’il connaissait dans la capitale et que plus il a tiré de lumière, plus il était convaincu que le coulage de la petite monnaie étant le meilleur et le seul nioven que pût adopter l’Assemblée nationale. Il s’agit donc en ce moment de savoir si l’Assemblée nationale veut permettre à son comité des monnaies de discuter les objections qui pourront se présenter ou si elle veut délibérer sur le projet de décret que je lui ai présenté. Je vous dirai que M. Rochon travaille dans ce moment à faire des expériences pour vous les soumettre. M. Crillon jeune. Parmi les objections qu’on fait contre le coulage des cloches, il en est une qui mérite quelquesobseivations.il est certainque les différents métaux qui les composent ne présentent, dans aucune, les mêmes proportions. Il en résultera que lorsqu’on coulera les cloches pour en faire des pièces de monnaies, on donnera une valeur uniforme aux pièces de monnaies qui n’auront pas réellement la même valeur intrinsèque. C’est cette observation que je présente aux partisans de ce système. M. Beizais-Courménil. On pourrait décréter le principe que le métal des cloches qui est à la disposition de la nation sera converti en monnaie, et renvoyer au comité pour les moyens d’exécution. (Oui! oui!) Voici le projet de décret que je propose : « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera incessamment fait une menue monnaie en sols et demi-sols, coulée avec le métal des cloches étant à la disposition de la nation, et elle charge son comité des monnaies de lui présenter demain les moyens d’exécuter le présent décret. » (Ce décret est adopté.) M. de Montiiioriu , ministre des affaires étrangères, est introduit dans l’Assemblée. M. le Président. Monsieur, l’Assemblée nationale a reçu ce matin une députation des administrateurs du district de Clermont. Dans le nombre des observations qu’ils ont soumises à l’Assemblée, parmi les pièces qui ont été remises sur le bureau, il s’en est trouvé une dont je vais vous donner lecture. Cette pièce est un passeport dont était pourvu le roi, la voici : « De par le roi, « A tous officiers civils et militaires chargés de surveiller et de maintenir l’ordre public dans les différents départements du royaume, et à tous autres qu’il appartiendra, salut. « Nous vous mandons et ordonnons que vous ayez à laisser librement passer labaronnede Korff, allant à Francfort avec 2 enfants, une femme, un valet de chambre et 3 domestiques, sans lui donner ni souffrir qu’il lui soit donné aucun empêchement. « Le présent passeport valable pour un mois seulement. « Donné à Paris, le 5 juin 1799. « Signé : LOUIS. « Par le roi : « Signé : MONTMORiN. » Sur la lecture de cette pièce, l’Assemblée nationale a rendu le décret dont je vais donuer lecture. « L’Assemblée nationale décrète que le sieur de Montmorin, ministre des affaires étrangères, sera appelé sur-le-champ à l’Assemblée nationale, pour y rendre compte d’un passeport qu’il a signé le 5 juin courant, et dont le roi était porteur, et qui a été remis par les députés du directoire du district de Clermont, avec autres pièces. < Il est ordonné au commandant de la garde nationale de pourvoir sur-le-champ à la sûreté et à la garde de la personne dudit sieur Montmorin. » L'Assemblée entendra de votre bouche les éclaircissements que vous avez à lui donner. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Il est d’usage dans les bureaux du département des affaires étrangères de donner des passeports à tous les habitants qui se présentent pour en avoir, sur un certificat de leur section, à moins que ce soit des personnes très connues, parce que les cerlificats des sections sont destinés à attester ceux qui y sont et qu’on peut laisser aller. On en donne aux étrangers sur la demande de leurs ambassadeurs. Celui dont vous venez de faire lecture a été vraisemblablement ri. mandé par une étrangère ; madame la baronne 485 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juin 1791. j de Korff aura fait demander un passeport soit au département des affaires étrangères, soit à la municipalité, où l’on en expédie également, parce que j’en envoie à M. le maire un certain nombre eu blanc qu’il remplit et qu’il donne aux personnes qui se présentent. Et, lorsque le nombre que je lui ai donné est fini, il nTen envoie l’étatavec le nom des personnes à qui il les a donnés, et l’on en tient registre aux affaires étrangères. Celui dont il est question doit vraisemblablement s’v trouver. Si vous permettez, j’enverrai chercher le registre et on l’y trouvera. M. Gaultier - Biauzat. Il doit y avoir, dans le bureau chargé de la délivrance des passeports, la pièce sur laquelle ce passeport a été délivré. J’en ai demandé, il y a 2 mois, pour une personne, et il ne m’en fut' accordé que sur la déclaration, signée de moi, qui contenait le nom de la personne qui demandait le passeport. Je prie M. le ministre de faire venir en même temps la pièce sur laquelle le passeport a été délivré. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. J’ignore si ce passeport a été délivré aux bureaux des affaires étrangères ou à la municipalité. Dans le premier cas, il sera fait mention dans mes registres, de la pièce sur laquelle il a été accordé; mais en général ces pièces ne sont guère conservées, ou il en faudrait faire magasin. M. Gaultier-Biauzat. Je me rappelle très bien que celui à qui je me suis adressé pour demander le passeport, le nommé Geoffroy, je crois, m’a dit qu’on les conservait. Un membre à gauche : Pourquoi ne pas dire M. Geoffroy... M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Si on les conserve, celle-ci s’y trouvera sûrement. Permettez que j’ajoute encore, Monsieur le Président, que rien n’est ■ lus facile, même d’après ces considérations-là, de prendre un passeport sous le nom d’un autre. Il est impossible que le ministre des affaires étrangères n’y soit pas pris. Sûrement toutes les personnes qui sont sorties depuis un mois ont envoyé chercher des passeports, les unes sous leur nom, les autres sous des noms supposés. Je ne puis pas éclaircir, je ne puis pas vérifier si les noms sont vrais. (C'est vrai ! c'est vrai!) Je vois avec peine qu’une occasion aussi simple ait élevé de la suspicion sur moi. Si j’eusse été suspect, il y a lieu de croire que je les aurais précédés ou suivis. ( Vifs applaudissements.) M. Muguet de Nanthou. Messieurs, c’est moi qui ai fait la motion de demander M. de Montmorin : je dois rendre compte de l’intention qui me l’a dictée. Je ne l’ai point faite pour jeter des soupçons sur le ministre des affaires étrangères; mais, lorsqu’on a entendu que le roi était porieur d’un passeport signé de M. de Montmorin, cette nouvelle a d’abord fait concevoir non pas aux gens éclairés, mais à ceux qui dans les tribunes n’ont peut-être saisi que le mot de passeport signé Montmorin, une idée qu’il m’a paru nécessaire de détruire, dans un moment où les inquiétudes se portent tantôt sur un objet, tantôt sur un autre. J’ai craint que cette erreur, qui trouve sa source dans un excès de zèle, ne portât à quelque démarche qui pourrait être dangereuse; en conséquence, j’ai cru que je devais, pour la sûreté de M. de Montmorin, demander qu’il vînt donner des explications. Moi-même je sais fort bien que tous les jours on délivre à la municipalité des passeports pour les personnes qu’on ne connaît pas; que je couvais demander un passeport qu’on n’a pas droit de me refuser, et le donner ensuite à d’autres personnes. D’après cela, je déclare que je n’ai eu d’autres intentions que d’éioigner les soupçons que des malveillants peut-être auraient cherché à faire naître nour troubler la tranquillité publique et pour détourner la confiance de dessus les personnes revêtues de l’autorité, dans des moments au contraire où il ne faut la détacher de personne. ( Applaudissements .) M. Canins. Je n’entends pas cette manière-là: il me semble que l’on juge sur des mots ; je demande, Messieurs, pour l’intérêt de M. de Montmorin, outre la garde pour sa sûreté, que l’on ne s’en tienne pas à cette explication ; cela ne doit pas suffire pour sa justification, et elle doit être complète; et je suis surpris que vous soyez toujours aussi légers et aussi prompts à prendre une impression favorable. D’après cela,jedemande que l’Assemblée nomme quatre commissaires pour se transporter dans tous les bureaux et dans tous les lieux d’où peut venir l’expédition du passeport. On verra s’il existe une pièce .pour le demander et si les mémoires sont brûlés si promptement que, du 5 au 23 juin, ils n’existent plus; en un mot, je demande que l’on approfondisse les faits. Je ne prétends pas que M. de Montmorin soit coupable; mais c’est pour lui-même, et pour ce que nous devons au peuple, que notre devoir est d’éclairer; je demande que cette vérification soit faite à Tintant même, et qu’on vienne sur-le-champ en rendre compte à l’Assemblée. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Monsieur le Président, je vous prie de vouloir bien me donner communication du passeport; je verrai à l’écriture s’il vient de mes bureaux ou de la municipalité. Quant à la proposition de M. Camus, j’allais le faire. (Le passeport lui est remis.) M le Président.. M. de Montmorin appuie la proposition de M. Camus. M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères. Je crois que le passeport a été expédié dans mes bureaux. M. de Blacons. M. Gondolpha, secrétaire de M. de Montmorin, est ici ; il pourrait nous donner un compte plus détaillé. M. Camus. Qu’on ferme la discussion ; le décret rendu relativement à M. de Montmorin a été su de lui plutôt qu’il c’aurait dû l’être. (Murmures.) M. Bewbell. Il a existé, et il existe peut-être encore à Paris, une baronne de Korff qui est l’agent d’un prince étranger et qui, comme telle, nous a envoyé à tous différents mémoires relativement à des réclamations concernant les affaires étrangères. Il est impossible que cette dame ne soit pas connue de M. de MoDtraorin. (Applaudissements dans les tribunes.) 486 [Assemblée Dationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Plusieurs membres à gauche se lèvent pour imposer silence aux tribunes. M. d’André. S’il existe une baronne de Korff, M. de Montmorin n’a pas donné un passeport à une personne inconnue ; si cette raison-là est vraie elle justifie encore M. de Montmorin. M. de llontmorin, ministre des affaires étrangères. Je ne connais pas cette daine. M. d’ Aiguillon. Je. demande la parole pour un fait : Je dois dire qu’il n’y a pas 2 mois, il a été remis chez moi un mémoire qui traitait des intérêts des princes d’Allemagne pour leurs fiefs d’Alsace, et que mon portier m’a dit qu’il venait de la part de Mme la baronne de Korff que je ne connais pas et que je n’ai jamais connue. Voilà un fait que je peux attester à l’Assemblée. (La motion de M. Camus est mise aux voix et adoptée.) M. Gourdan. L’Assemblée a reçu une lettre de la municipalité de Valenciennes, qui annonçait qu’elle avait des raisons de croire que Monsieur et Madame étaient sortis du royaume, munis d’un passeport, signé de M. de Montmorin. Je prie l’Assemblée d’ordonner de s’en enquérir chez M. de Montmorin, soit sur les registres, soit sur les pièces qui leur seront produites. M. Francoville. Et moi je demande que M. Gourdan veuille bien nous dire le nom qu’a pris Monsieur pour sortir du royaume. M. Gourdan. Je réponds à l’interpellation. On dit que M. de Montmorin a délivré des passeports à Mesdames, tantes du roi, sous des noms supposés que je ne connais pas, et que M. de Montmorin l’a su : il est très possible que Monsieur, frère du roi, ait employé ce moyen pour s’évader du royaume. M. d’André. Pareille supposition suffit pour faire assassiner le ministre. M. de llontmorin. Je crois essentiel d’instruire l’Assemblée que je n’ai point donné de passeport à Mesdames sous des noms supposés. Si elles l’avaient demandé sous des noms supposés, ça aurait été une véritable évasion ; et alors je m’y serais opposé. J’ai donné à Mesdames des passeports sous leur véritable nom et sous leur nom simple. M. Ferguet. Je demande que M. Gourdan prouve ce qu’il a avancé. M. le Président. Je propose pour commissaires MM. fiœderer, Camus, Gourdan et Muguet. (L’Assemblée désigne ces 4 commissaires.) En conséquence, le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale a nommé pour commissaires MM. Rœderer, Gourdan, Camus et Muguet, pour vérifier sur le registre des affaires étrangères si le passeport délivré le 5 de ce mois sous le nom de Mme la baronne de Korff , et dont le roi était porteur, y est enregistré. Us sont chargés, de plus, de vérifier sur quelles pièces et d’après quels motifs il a été expédié. Il est enjoint à tous secrétaires du département des affairés étrangères d’ouvrir tous registres relatifs aux passeports. <> [24 juin 1791.] M. de Talleyrand-Périgord. M. Le Chapelier a un rapport à faire au nom du comité de Constitution. M. Camus, un des commissaires. Je propose que M. Gondolpha, secrétaire de M. de Montmorin, nous accompagne, et que M. de Montmorin reste ici. Nous viendrons vous rendre compte de notre mission devant lui. Un membre : Il me semble, Messieurs, que si, le passeport dont le roi était porteur peut donner lieu à un soupçon quelconque, ce soupçon doit plutôt tomber sur Mme de Korff, à qui ce passeport a été délivré, que sur toute autre personne. (Murmures.) _ M. le Président. La parole est à M. Le Chapelier pour faire un rapport au nom du comité de Constitution. M. Le Chapelier, au nom du comité de Constitution. Messieurs, le projet de décret que vous présente votre comité de Constitution, ayant en tête un considérant qui en explique les motifs, pour abréger le temps de l’Assemblée qui paraît désirer suspendre un instant sa délibération, je ne ferai d’autre rapport que la lecture des motifs consignés dans le considérant : « L’Assemblée nationale mesurant toute l’étendue de ses obligations, et trouvant dans la confiance de la nation le droit et le devoir de prendre sur elle les dangers dont on a menacé la liberté française; « Considérant que la tranquillité du royaume, l’achèvement de la Constitution dépendent de l’ensemble des moyens que l’Assemblée nationale vient d’employer, et de la suite qu’elle doit y apporter. « Certaine que le courage et la modération du peuple français abrégeront les travaux de ses représentants, mais ne pouvant, dans le nouvel ordre d’événements où elle se trouve placée, marquer, sans compromettre la chose publique, l’époque précise de sa séparation, quelque zèle qu’elle mette à la rapprocher, et ne voulant laisser aucun doute sur la résolution où elle est de remplir le serment qu’elle a fait de remettre à la première législature le dépôt complet de la liberté publique et de la Constitution, croit donner à la nation une preuve nécessaire de son dévouement, en suspendant pour quelques instants les opérations des électeurs qui sont déjà ou qui seront nommés par les assemblées primaires. » ..... M. Babey. C’est une infamie! (Murmures.) Voix diverses : Non! non! — La question préalable! — Nous demandons que la lecture ne > oit point achevée. — C’est prolonger nos pouvoirs. M. Rewbell. Je demande que l’on écoute le projet du comité dans le plus grand silence, sauf après à le discuter très mesurémeut et à le rejeter s'il ne vaut rien. J’observe à l’Assemblée, pour faciliter cette discussion et faire sentir toute l’importance de la matière, qu’on vient de m’assurer d’un fait : On prétend que déjà des citoyens de Paris ont arrêté qu’il serait présenté à l’Assemblée nationale des pétitions pour qu’elle ne prenne aucune mesure sur les affaires présentes qu’elle n’ait reçu le vœu des 83 départements. Il est donc important que l’Assemblée veille par un décret à ce que les