636 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1791.] que la justice aurait éclairci, si on n’avait pas enchaîné son ministère; et moi, je demande que la justice reprenne son cours et que les premières demandes de l’hôpital des Quinze-Vingts soient renvoyées devant les tribunaux, nonobstant toutes les évocations qui ont pu être rendues ou plutôt surprises à la religion des magistrats. On vient de vous proposer de renvoyer au département de Paris la liquidation des comptes de M. le cardinal de Rohan; mais, Messieurs, per-mettez-moi de vous dire que c’est là nous proposer de ra'ifier tout ce qui a été fait, de ratifier la vente et l’emploi des deniers. Ce compte sera bien aisé à rendre : On présentera des mémoires faits par desadministrateurs quiétaient desagents de M. le cardinal de Rohan. C’est lui qui a forcé tous les administrateurs à se retirer, et les membres du Parlement, et les maîtres de la Chambre des comptes, et les conseillers au Châtelet, et tous ceux qui avaient part à cette administration. Quand ils ont vu le pouvoir arbitraire qu’exerçait le grand aumônier, ils ont tous donné leur démission. Voilà un fait dont M. le rapporteur a oublié de parler, ils ont à l’instant donné leur démission, avec des protestations dont on ne vous a pas davantage rendu compte. Le sieur Meynier n’est resté dans l’hôpital des Quinze-Vingts que parce qu’il ne voulait pas approuver le brigandage dont il était témoin, que parce qu’on avait donné à un autre le logement qui lui était destiné. Je demande donc que sur tous ces points vous renvoyiez aux tribunaux qui en doivent connaître. M. Cranltier-Biauzat. J’appuie la motion du préopinant. M. Merle, rapporteur. Nous n’avons pas proposé le renvoi aux tribunaux parce que nous n’avons trouvé nulle trace d’une demande judiciaire formée contre la vente. Sans doute, toute personne qui croit avoir à se plaindre peut se pourvoir devant les tribunaux, puisque nous avons vérifié que l’arrêt du conseil de 1786 ne peut pas y mettre un obstacle. Je conviens avec le préopinant que M. le cardinal de Rohan a commis de grandes dilapidations, car toutes les parties s’accordent à s’en plaindre ; mais toutes ces plaintes ne peuvent être portées que devant les tribunaux; et vous auriez été fort surpris que j’en eusse fait le détail dans mon rapport. En conséquence, je crois que vos comités onteu raison de vous proposer leur projet de décret. M. Martineau. Je persiste à demander que l’affaire soit renvoyée devant les tribunaux. C’est là que la collusion, que la complicité des personnes qui ont coopéré à cette manœuvre sera dévoilée, et que les Quinze-Vingts et la nation obtiendront la justice qui leur est due. M. Dionis du Séjour. J’appuie la motion qui est faite, que, sans avoir égard aux arrêts du conseil intervenu dans cette affaire , elle soit renvoyée aux tribunaux qui doivent en connaître. M. Moreau de Salnt-Méry. On peut toujours décréter les trois premiers articles du projet du comité. M. Merïe, rapporteur , donne lecture de ces articles : Art. 1er. <: L’hôpital des Quinze-Vingts sera administré conformément à la loi du 5 novembre 1790. » (Adopté.) Art. 2. « Les administrateurs de ladite maison rendront compte de leur administration, en conformité de l’article 14 du même titre de la même loi. » (Adopté.) M. Merle, rapporteur. L’article 3 est ainsi conçu : « Les administrateurs pourront en tout temps prendre connaissance des pièces justificatives des comptes par un conseil et sans déplacer. » Un membre demande de passer à l’ordre du jour sur cet article, en ce qu’il se trouve suppléé par les précédents. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ordre du jour sur l’article 3). M. Gaultier-Bianzat. Voici, d’après la motion de M. Martineau, la rédaction que je propose à la place des articles 4 et 5 du projet du comité: Art. 3 (nouveau). « L’Assemblée nationale déclare nuis tous les arrêts du conseil rendus sur l’administration des Quinze-Vingts postérieurement aux lettres patentes qui autorisaient la vente de l’enclos des Quinze-Vingts; en conséquence, leurs anciens administrateurs, les administrés, les aejuéreurs de l’enclos des Quinze-Vingts et tous autres réclamants, pourront se pourvoir par-devant les tribunaux ainsi qu’ils aviseront. » (Adopté.) M. le Président lève la séance à dix heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 7 AVRIL 1791, AU SOIR. Réponse de M. de Bonfflers aux objections élevées contre la loi du 7 janvier 1791, au nom du comité d'agriculture et du commerce (1). — (Imprimée par ordre de l’Assemblée nationale.) Da quesla instanza pur doliberati esperienza, (se giammai la provi) che esser suol fonte a i rivi di nostri arti. üaihte. Messieurs, Beaucoup d’objections tardives se sont tout à coup élevées contre la loi solennelle qui consacre le droit naturel de l’inventeur sur son invention, et quelques personnes ont proposé de renvoyer à la prochaine législature l’examen d’une question que vous avez décidée. Attendrons-nous en silence que sur ce point l’Assemblée consulte sa propre dignité; et, tranquilles sous votre égide, nous contenterons-nous d’opposer à ces attaques imprévues la plus victorieuse de toutes les armes, votre décret? ou (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (7 avril 1791.] bien faut-ii accepter la tâche extraordinaire qu’on nous impose, pour ne pas dire le défi qu’on nous fait de vous prouver que vous avez eu raison? On n’a point donné, dit-on, l’attention suffisante au rapport qui a été fait sur cette pétition; beaucoup de membres étaient absents, le décret a ôté rendu trop précipitamment; en un mot, l’Assemblée a été égarée. L’Assemblée égarée! et par qui? par moi : est-ce une accusation ou une ironie? On entre ensuite en matière, et l’on vous dit que l’objet de celte loi n’est point assez intéressant pour distraire l’Assemblée des grands travaux auxquels elle est pressée de mettre la dernière main. Eh bien! Messieurs, c’est précisément pour mettre la dernière main à une partie de vos grands travaux, que cette loi vous est proposée. Suffirait-il donc à la raison publique d’avoir enfanté la liberté? Ne doit-elle pas encore s’occuper avec une sollicitude maternelle, de tous les moyens de la conserver; et ne doit-elle pas compter l’opulence nationale au nombre des moyens? Mais, sous quelque point de vue qu’on la considère, cette opulence nationale, elle n’est et ne peut être que le produit du travail de la nation, appliqué, soit au soi par l’agriculture, soit aux productions du sol par l’industrie. L’agriculture et l’iadustrie, voilà les premiers canaux de l’abondance publique; tous deux sont alimentés d'une même source, tous deux coulent au même niveau; et leur correspondance secrète et leur mutuelle dépendance et tous leurs rapports les plus intimes, sont tels qu’il est permis de les confondre, et de regarder la culture comme une première industrie, et l’industrie comme une seconde culture. Un peuple laborieux sera toujours riche; un peuple oisif sera toujours pauvre : il faut donc qu’un peuple travaille sans relâche; et, pour continuer à travailler, il faut qu’il travaille bien; sans quoi d’autres peuples, qui travailleraient mieux que lui, ne manqueraient pas de travailler pour lui, et de s’enrichir à ses dépens. On ne saurait Irop le répéter : malheur au peuple qui néglige les moyens de mieux faire, quand d’autres les cherchent! il se soumet à une oisiveté forcée, à un appauvrissement volontaire, à une infériorité inévitable. Pensez, Messieurs, que les procédés les plus grossiers de l’industrie ont paru autrefois des inventions sublimes : pensez que nos procédés les plus récents et les plus ingénieux seront un jour relégués parmi les essais informes de nos pères; pensez qu’un peuple qui en serait resté, pour l’industrie, au point où elle était portée il y a 100 ans, étonnerait aujourd’hui l’Europe entière par son ignorance; et surtout, Messieurs, pensez qu’il en serait de même dans un siècle, et beaucoup plus tôt peut-être, d’un peuple qui resterait où nous en sommes aujourd’hui. Ou sait trop bien que les hommes n’atteindront jamais à la perfection; mais ils ne se lasseront jamais d’y tendre; et dans cette carrière sans terme, ceux qui rassembleront le plus de moyens de perfectibilité seront éternellement les premiers : ces moyens, c’est l 'invention qui les renferme. Appelez le génie inventif dans un pays, et vous y appelez la prospérité. C’est là seulement que les arts seront vivants, c’est là qu’ils rajeuniront sans cesse, car les inventions en tout genre sont la végétation, et, pour ainsi dire, la pousse annuelle de toutes les branches de l’industrie : chaque progrès que l’invention fait faire à l’industrie d’un peuple élèvera d’un degré ce 637 peuple entre ses rivaux ; et ces avantages croîtront à mesure que germeront les semences de paix, que la philosophie ose enfin répandre dans l’univers : car le temps viendra, et que nos vœux ne peuvent-ils le hâter I le temps viendra, dis-je, où, abjurant tout ce qui nous reste encore de barbarie, les peuples se mesureront, non par leurs fureurs, mais par leur sagesse; non par leur férocité, mais par leur habileté; non par leurs brigandages, mais par leur industrie. On nous a dit que lie sens de la loi en question était obscur : alors on pourrait l’éclaircir avant de la rejeter; car au moins les hommes devraient-ils observer envers les lois ce que les lois observent envers les hommes : ne pas les condamner sans les entendre. Mais sur quoi porte l’obscurité qu’on nous reproche? Est -ce sur le premier principe que nous avons avancé, en exposant le droit qu’un homme a de dire ou de taire sa pensée, et par conséquent de faire ses conditions avant de la manifester ? Répétons ici, en d’autres termes, la première convention que nous avons supposée entre l’inventeur et le corps social. Que dit l’inventeur? « J’ai une idée qui peut, à la fois, vous être utile, et me devenir profitable, mais qui ne pourrait m’ètre profitable qu’autant que vous la trouveriez utile : si je ne vous la disais point, peut-être ne la sauriez-vous jamais; et en même temps, si je vous demandais un prix pour vous la confier, vous craindriez avec raison de faire un mauvais marché. D’après cette considération, voici une proposition qui ne peut compromettre que moi ; je consens à vous faire connaître ma découverte, pouvu. que, pendant un temps déterminé, vous empêchiez que personne autre ne s’en empare, et que, pendant ce temps, la chose dont il s’agit, reste uniquement à ma disposition : c’est à vous ensuite à la prendre chez moi si elle vous convient, ou à la laisser si elle ne vous convient point. En attendant je vous offre un tribut proportionné à la durée de la protection particulière que j’invoque; et souvenez-vous encore une fois que je ne l’invoque, cette protection, que pour des objets que je crois inconnus parmi vous; car, si je me suis trompé, si j’ai cru nouveau ce qui est ancien, si j’ai cru à moi ce qui était à d’autres, vous n’êtes engagés en rien ; le tribut que j’ai disposé est en pure perte, et devient la punition de ma témérité : ainsi vous n’avez rien à risquer, puisque tous les frais commencent par être à ma charge, et qu’ensuite vous êtes nécessairement associés à mes profits, sans l’être à mes pertes : voyez donc si vous acceptez ma proposition, ou bien j’irai la faire ailleurs. » On continue à nous combattre, et l’on se rejette sur la distinction de l’invention première et de la perfection ajoutée. Continuons à nous défendre; et après avoir introduit l’auteur de l’invention devant la sociélé rassemblée, faisons paraître à son tour l’auteur de la perfection. « Vous venez, dirait-il, d’accueillir la. proposition de cet inventeur, et vous avez pensé, je pense comme vous, que son invention peut être utile, mais il en pouvait tirer plus de parti, comme il me serait facile de le prouver par une nouvelle idée qui s’accorde parfaitement avec la mienne et qui lui donne encore plus de mérite; assurez-moi donc la même protection qu’à lui, aux mêmes conditions qu’à lui, et tous les deux, ensemble ou séparément, nous travaillerons pour votre utilité. Que risquez-vous? Rien : que risque-t-il? Rien, car ou je me trompe, alors vous vous en 638 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 mars 1791.] tiendrez à son idée, ou j’ai raison, et alors vous adopterez mon idée avec la sienne. Je lui laisse ce qui est à lui : qu’il me laisse ce qui est à moi. •» Cherchons un exemple, Messieurs, et remontons par la pensée à la première enfance du plus beau de tous les arts, de la navigation. Supposons qu’un homme vient d’inventer la coque du navire; que peu après un autre a inventé la rame, un autre le gouvernail, un autre la voile, etc. Il est clair que chacun de ces hommes a pu faire un traité particulier avec la société et se faire assurer une propriété particulière; il est clair qu’une nouvelle perfection est aussi distincte de l’invention première, que le navire et le gouvernail ; il est clair enfin qu’on a mis cent fois plus d’esprit à confondre ces deux choses, qu’il ne fallait de bon sens pour les distinguer. On abandonne le principe et l’on envient aux conséquences: cette loi, dit-on, sera dangereuse par sa facilité. Et où sont donc ces dangers? Est-ce que les plus grandes inepties seraient admises sans examen? Oui, mais aussi elles seraient rejetées sans scrupule, et alors elles tourneraient au détriment de leur auteur. Mais, dira-t-on, pourquoi jamais de contradicteur? Mais, dirais-je à mon tour, pourquoi toujours des contradictions? Le contradicteur que vous demandez est absolument contraire à l’esprit de la loi : l’esprit de la loiestd’ahandonnerl’hommeàson propre examen, et de ne point appeler le jugement d’auirui sur ce qui pourrait bien être impossible à juger. Souvent ce qui est inventé est seulement conçu, et n’est point encore né; laissez-le nahre, laissez-ie paraître, et puis vous le jugerez. Vous voulez un contradicteur : je vous en offre deux, dont l’un est plus éclairé que vous ne pensez, et l’autre est infaillible, l’intérêt et l’expérience. Me direz-vous que la loi ne doit rien faire qu’a-près un examen approfondi? Gela est vrai pour les récompenses et pour les punitions qu’elle assigne à tel ou tel individu, mais non point pour la protection qu’elle accorde indistinctement à tous les êtres qui la réclament. Rien n’est si bon que la loi; elle ne cesse de tendre une main se-courable à qui peut en avoir besoin; elle assure à chacun un droit égal sur ce qui est commun à tous; elle assure à chacun un droit particulier sur ce qui lui est propre; elle protège les campagnes ouvertes et les enclos; et l’inventeur ne demande que le droit d’enclore sa possession. Me demandez-vous ce qui prouve à la loi que cet homme dit la vérité? Je vous réponds que la loi le présume, et qu’elle attend qu’on lui prouve le contraire. La loi, pour juger équitablement, commence par préjuger favorablement. Vous le savez, dans un accusé même, elle voit un innocent jusqu’à ce qu’elle trouve un coupable; et, par une conséquence naturelle, tout homme qui s’adresse à la loi, ne doit-il pas lui paraître sincère jusqu’à ce qu’ri soit déclaré trompeur? Enfin, quels étaient donc ces contradicteurs si regrettés? J’en vois de deux sortes, qu’il est impossible de confondre ; les membres des corps savants, et les suppôts du tisc. Commençons par les premiers; ils le méritent bien ; que perdent-ils? Un droit d’inspection souvent impossible à exercer, un droit dont ils s’accusaient eux-mêmes d’user avec trop d’indulgence, et dont on les accuse avec trop de rigueur; attribution peu désirable, lorsqu’aucune réclamation ne pouvait y soustraire; fonctions glorieuses, lorsqu’elles seront librement déférées. Et quand la science sera-ï-elle doue plus honorée que sous le règne de la liberté? Les conseils de la science ne seront-ils pas toujours invoqués par les arts? Les artistes, dans presque tous leurs différends, ne choisiront-ils pas les savants pour arbitres, et les tribunaux eux-mêmes, dans toutes leurs incertitudes, ne demanderont-ils point l’avis des savants? car la raison se tourne toujours vers la science comme l’œil vers la lumière. Rapportons-nous en d’ailleurs à l’intérêt de l’inventeur, pour ne point négliger une formalité libre à la vérité, mais qui fonde son crédit, et ne pensons point qu’il dédaigne de se pourvoir d’un témoignage qui préparera l’opinion et qui tiendra heu au public d’une demi-expérience. C’est alors que les veilles de ces hommes utiles seront dignement récompensées par une juste confiance; alors on regardera l’étude comme un mérite public, alors la science deviendra la plus belle des magistratures et la plus douce à exercer; magistrature d’autant plus honorable, qu’elle sera toujours méritée, parce qu’elle sera toujours élective, et que dans ces sortes d’élections on verra la vertu si naturellement associée à la science, en recevoir et lui prêter un nouveau lustre. Je ne crains point d’en promettre autant à plusieurs des administrateurs autrefois attachés à cette partie; car l’autorité n’exclut ni le savoir ni la vertu, et je suis bien loin de croire aveuglément aux détracteurs de tous les hommes en place, qui accusent ceux-ci de murmurer contre la liberté que vous avez rendue aux bras, et de vouloir au moins continuer à donner des entraves au génie. Mais si ces accusations étaient fondées, s’il existait en effet de tels hommes, s’ils osaient se plaindre, et si l’on daignait les écouter, il serait plus aisé de les indemniser de la perte de leurs avantages, que d’indemniser l’industrie de la conservation de leur influence. On vous a dit que tous les agents de l’industrie ordinaire étaient effrayés d’avance des suites d’une loi qui va leur susciter de dangereux concurrents. J’ai peine à supposer que cette partie de nos concitoyens, au lieu de chercher dans leurs professions respectives la perfection de l’art, et l’avantage delà patrie, se livre à des terreurs aussi contraires à toute espèce de bien public; et dans tous le cas, ceux d’entre eux qui seraient capables de les concevoir, mériteraient que pour eux, du moins, elles fussent réalisées. Mais pourquoi donc s’effrayeraient-ils, ces citoyens utiles, à la vue d’uoe carrière nouvelle où ils sont appelés les premiers, et qui présenle à beaucoup d’entre eux les plus vastes espérances? On nous dit que ces espérances sont pour le petit nombre, et que le grand nombre en sera la victime. Remarquez, Messieurs, qu’on en peut dire autant de tous les moyens de tendre à la perfection ; tous les hommes y marchent d’un pas inégal, mais faut-il s’arrêter pour l’intérêt de ceux qui restent derrière? Vous croyez, nous dit un autre, allumer le flambeau des arts; et ce sera celui de l’envie. Il me semble qu’il y a deux sortes d’envie, l’une utile et l’autre nuisible; l’émulation et la jalousie : l’une est le sentiment de ses forces, et l’autre celui de sa faiblesse; l’une excite l’homme à s’élever, s’il le peut, au-dessus des autres; j’aulre le porte à rabaisser les autres, s’il le peut, à son niveau. Voyez dans la guerre que vous annoncez entre les inventeurs et les agents de l’industrie ordinaire, de quel côté s rait l’émulation, de quel côté la jalousie. Que demandent les uns? Que les arts fassent des progrès ; que demandent les autres ? Que les arts restent où ils en sont. J’en 639 [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [T avril 1791.] appelle à tous les entrepreneurs, artistes, artisans, ouvriers, manouvriers de toutes les classes. Il suffît qu’ils soient Français : aucun d’eux n’est assez lâche, assez stupide, assez ennemi de sa patrie et de lui-même, pour former un aussi coupable vœu. Et ne sait-on point que toute l’iadus-trie n’est qu’invention, qu’elle n’est que la somme de toutes les inventions des hommes jusqu’à nos jours? que c’est le rassemblement de tout ce qu’ils ont imaginé, de tout ce qu’ils imaginent journellement pour adoucir une condition dont ils ne seront jamais entièrement satisfaits? Etre utile aux hommes, voilà le but de tous les efforts de l’invention. Arrêter ces efforts ou les décourager, c’est se ren ire coupable envers toute l’humanité. Soyez donc inventeurs si vous le pouvez, dirais-je à nos fabricants, et ne troublez point ceux qui le sont. Que pouvez-vous disputer à des gens qui ne vous disputent rien, et qui ne veulent s’établir que hors de votre domaine? Que diriez-vous d’un laboureur qui s’opposerait aux défrichements d’un champ limitrophe, sur lequel il n’aurait aucun droit? Que diriez-vous d’une peuplade barbare qui, satisfaite d’un petit pays assez mal cultivé, ne voudrait point de voisins? Songez que si vous vous opposez chez vous aux progrès de l’industrie, elle en fera ailleurs; songez qu’alors vos concitoyens eux-mêmes vous laisseront pour s’adresser aux étrangers, et que vous resterez sans débit dans vos comptoirs, sans ouvrages dans vos ateliers, environnés d’ouvriers que vous ne pourrez ni occuper, ni solder. Voilà quel serait le fruit de ces inquiétudes que vos calomniateurs vous supposent, et qui ne conviennent ni à l’industrie ni au patriotisme, mais bien à l’ignorance et à la cupidité. Je conviens cependant que certains intérêts paraîtront d’abord compromis, en ce que d’un côté l’on pourra voir quelquefois baisser les prix des anciennes fabrications décréditées par la supériorité des nouvelles; et que de l’autre il faudra quelquefois hausser le salaire des ouvriers qui, désormais certains d’être recherchés et bien payés par les inventeurs, seront moins à la discrétion de leurs anciens maîtres. J’aperçois ici, comme en beaucoup d’autres occasions, l’intérêt des vendeurs en opposition avec celui des acheteurs, l’intérêt des riches en opposition avec celui des pauvres, l’intérêt du petit nombre en opposition avec celui du grand nombre. Mais est-ce donc un si grand mal, que le public puisse opter entre la supériorité des nouvelles fabrications et le bon marché des anciennes ? Est-ce un si grand mal, que le pauvre ouvrier soit plus sûr d’avoir du travail? Est-ce un grand mal que ce travail soit un peu mieux payé? Croyez-vous en bonne foi, dirais-je à tous nos fabricants, que les profits de l’inventeur seront pris sur les vôtres? Non, ils ne le seront point; ils seront pris sur ceux des fabricants des autres nations. Et ces inventeurs, parmi lesquels plusieurs d’entre vous ne tarderont pas à prendre un rang distingué, vous occuperont à travailler pour tout l’univers et il vous suffira, pour vous en convaincre, de réfléchir sur ce qui se passe depuis plus d’un siècle chez les Anglais et de voir la fortune de ces hommes industrieux qu’ils enlèvent journellement à la France. Est-ce de l’or de l’Angleterre qu’elles sont formées, ces fortunes ? Non sans doute (on s’en serait bientôt ennuyé); c’est de l’or de toute l’Europe, c’est de notre or que ces transfuges ne cessent de pomper au profit de l’Angleterre, car tel est l’attribut particulier des inventeurs , qu’ils font toujours du bien où ils sont, et du mal où ils ne sont point. On fait une autre difficulté : on suppose qu’un homme a mis en lumière une idée jusqu’alors inconnue, et d’une telle influence, et d’une telle utilité, que sur-le-champ elle prévaut sur tout ce qui l’avait précédée, en sorte que l'usage en devient soudainement indispensable et général; Voilà, dit-on, une branche de l’industrie nationale, et par conséquent une partie intéressante delà richesse publique tout entière à la disposition d’un seul homme. Mais observez qu’elle y était encore bien davantage avant que cet homme l’eût procurée à la nation, car à présent du moins vous la connaissez et vous la possédez, au lieu qu’auparavant il dépendait de lui de la faire connaître ou de la tenir cachée, de la produire chez vous ou ailleurs. Ne lui enviez point un avantage que vous lui devez, que vous n’auriez peut-ètie jamais connu sans lui, et que sans lui sûrement vous n’auriez point connu aussitôt, un avantage auquel il vous associe, et qui est bien moins pour lui que pour vous ; un avantage dont il ne jouit qu’en partie et pour un temps, et qu'il va bientôt vous laisser en entier et pour toujours. Enfin, ne disputez point à votre bienfaiteur une part dans son bienfait. Vous craignez peut-être que cet homme ne propage point assez promptement, assez puissamment, assez universellement les nouveaux moyens de prospérité qu’il vous a découverts ; mais songez que ses forces croissent avec ses succès, et croyez que votre intérêt ne peut jamais être plus en sûreté que sous la surveillance du sien. Get homme, dira-t-on, peut n’avoir fait qu’une simple importation d’une chose qui n’était connue que dans un autre pays, mais qui probablement serait passée tôt ou tard dans le nôtre, et dont le prix alors aurait été rabaissé par la concurrence au lieu d’être actuellement renchéri par le privilège. Laisserez-vous, ajoutera-t-on, cet homme jouir de ces avantages énormes que vous ne voulez poiot disputer à l’inventeur ? Le laisserez-vous imposer un prix arbitraire sur les objets de son importation ?... Vous qui élevez cette difficulté, mettez-vous un moment à la place de cet importateur dont il s’agit, et jugez des autres par vous-mêmes ; ne sentiriez-vous point que le vendeur, en pareil cas, serait encore plus intéressé à se garantir du reproche, que l’acheteur à se garantir de la vexation ? Ne seriez-vous point obligés , sous peine d’être ruinés, à répandre et à multiplier vos fabrications au point d’en rassasier le royaume, et ne tâcheriez-vous pas en même temps de les procurer à un prix qui pût décourager à la fois et les contrefactions de l’intérieur et les importations du dehors ? En un mot, faudrait-il vous apprendre les premiers éléments de votre profession et vous expliquer que le vrai profit du marchand n’est pas de vendre cher, mais de vendre beaucoup ? Cette objection au sujet des prix fait naître une question au sujet de toutes les découvertes indigènes ou étrangères : vaut-il mieux pour une nation les avoir plus tôt et les payer davantage, que les attendre plus longtemps pour en jouir à meilleur marché? Et quoi! faudrait-il donc d’avance l’espoir très incertain d’acheter un jour à meilleur marché les produits d’une nouvelle découverte par des années de non-jouissance, par des années de stagnation, par des années 640 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. d’ignorance, par des années de dépendance envers l'industrie d’une autre nation? Il me semble entendre demander, en d’autres termes, lequel vaut mieux, d’ignorer ou de savoir, de ne rien faire ou de travailler, d’acheter ou de vendre, d’attendre ou de jouir. C’est sans doute une grande différence d’avoir à meilleur compte ou chèrement ce qui se fabrique sur notre terrain; mais c’en est une plus considérable encore de fabriquer chez nous, ou de nous pourvoir ailleurs; et c’en est une incommensurable que de pouvoir fournir à l’étranger, ou d’êtie forcés à lui acheter. Nous aurons donc toujours moins d’intérêt en pareil cas à différer jusqu’au moment du bon marché, qu’à presser le moment de la fabrication; et, en général, si une nation pouvait supputer tout ce qu’elle gagne à posséder ia première une invention utile, et tout ce qu’elle épargne à se l’approprier le plus tôt possible, elle conviendrait sans peine qu’en ce genre, comme en beaucoup d’autres, la patience est le plus mauvais calcul. En vain essayerez-vous, poursuivent nos adversaires, d’exaiter les bienfaits de cette loi et d’en atténuer les dangers; en vain prou virez-vous que les alarmes qu’elle excite sont vaines, et queles espérances qu’elle présente sont réelles: elle n’en sera pas moins, entre les inventeurs et les fabricants, une source intarissable de procès, plus aisés à prévenir qu’à juger. Tous les avantages de votre loi, quels qu’ils puissent être, ne sont que du gain pour l’Etat et les particuliers; mais nous y voyons une occasion de trouble; et la considération du profit doit céder à celle de la paix. Dans ces procès dont on nous menace, et dont je doute, avec raison; dans ces procès qu’on prépare, peut-être en feignant de les redouter, qui seront les vrais agresseurs? Sont-ce des nommes engagés par intérêt, par honneur, par contrat, à n’exercer leurs droits personnels que hors du cercle des droits d’autrui? Sont-ce des hommes qui ne demandent qu’à n’être point troublés clans une propriété (idéale peut-être), mais au moins qui n’est la propriété de personne autre? Sont-ce des hommes qui verraient à la première contestation l’intérêt commun de beaucoup d’hommes s’élever contre leur intérêt isolé, des hommes auxquels il importe par-dessus tout de ne donner aucune prise à d’innombrables rivaux, des hommes enfin trop bien avertis par tant de contrariétés qu’il ne faudra que des raisons plausibles pour les attaquer, et qu’il leur faudra des raisons évidentes pour se défendre? Vous craignez les procès, et vous nous rappelez ceux dont les tribunaux ont retenti sur ces matières avant que la loi eût parlé; mais pensez-vous à tous les encouragements qui existaient alors pour la chicane et qui désormais n’existeront plus? Pensez-vous qu’aux volontés variables des hommes a succédé la protection uniforme de ia loi? Pensez-vous que la jurisprudence est devenue facile; que les formes sont devenues simples; que les juges sont devenus électifs; que la brigue est devenue impuissante, et qu’il est enfin permis au bon droit d’invoquer le bon sens? Vous craignez les procès ! Mais, quand il serait vrai qu’il en naîtrait quelques-uns, n’est-ce pas une suite inévitable de toute loi nouvelle, à laquelle, dans les premiers temps, les intérêts les plus opposés essayent, chacun de leur côté, de trouver des interprétations favorables? Toute loi nouvelle peut donc, avant d’éclairer les hommes, occasionner quelques erreurs; et c’est à l’Assem-[7 avril 1791.] blée nationale même que j’ose en appeler. Faut-il pour c Ta rejeter toute loi nouvelle? Faites que l’industrie soit active et florissante; faites qu’il n’y ait point de bras oisifs dans le royaume; faites que chacun, occupé de scs affaires, ne se mêle point de celles d’autrui; faites qu’il y ait plus de profit à travailler qu’à plaider, et vous diminuerez le nombre des procès. Ne vous laissez donc point égarer par une crainte qui deviendrait d’autant plus dangereuse que le motif en est plus respectable, et songez que ces disputes particulières, aisées à éclaircir, aisées à terminer, iront, pour la plupart, s’éteindre au tribunal paternel des juges de paix : craignez, en cherchant à les prévenir de trop loin, craignez, dis-je, de les trancher au désavantage de la nation; et pour éviter quelques procès d’ouvriers, ne faites pas perdre le grand procès de l’industrie nationale contre l’industrie étiangère. Enfin, et voici, je l’avouerai, de toutes les raisons contraires celle qui m’a fait le plus d’impression. Pourquoi des privilèges exclusifs? nous dit-on; est-ce que la liberté ne suffit point? Sans m’arrêter à l’intention qui, dans cette circonstance, fait employer l’expression d q privilège exclusif de préférence à d’autres qui seraient tout aus?i justes et moins odieuses, je crois que l’on peut et même que l’on doit distinguer \e privilège exclusif en offensif et défensif. Un privilège exclusif qui enlèverait à plusieurs les droits communs à tous pour les attribuer seulement à quelques-uns serait offensif, et un tel privilège est une véritable usurpation ; un privilège exclusif qui ne ferait qu’interdire aux uns de toucher à ce qui appartient en entier aux autres, serait seulement défensif; et ce privilège n’est autre chose que la propriété. L’un est une véritable invasion, l’autre une simple garantie : accorder le premier de ces privilèges, c’est d’une commune faire une possession particulière; refuser le second, c’est d’une possession particulière faire une commune. Vous dites ensuite que la liberté suffit : nous le disons comme vous; mais comment suffit-elle? C’est en admettant tout ce qui ne lui est pas contraire. La liberté suffit, mais avec la propriété, et la propriété de l’inventeur est son invention. La liberté suffit, mais d’accord avec la loi qui protège la propriété; et l’inventeur invoque celte loi. La liberté suffit, mais elle n’interdit pas la politique avec les étrangers ; et l’inventeur vous propose une disposition politique : vous contenterez-vous de ne laisser à l’inventeur que la liberté de produire son invention, lorsqu’ailleurs on lui donre la faculté d’eudisposer ?N’en doutez point, de quelque pays que soit l’inventeur, il portera ses inventions oùelles seront le mieux accueillies, car le génie de sa nature est cosmopolite; le bien le plus précieux d’un inventeur est facile à transporter; ce sont ses idées : tous les pays lui sont égaux; c’est à la politique à l’attirer et à lui faire adopter une patrie. Mais, supposons un moment qu’un de ces inventeurs, dénué, comme ils le sont presque toujours, des dons de la fortune, essaye de faire usage de cette liberté à laquelle vous n’ajoutez aucun autre bienfait, et vous verrez à quels dangers elle l’expose. Attendez-vous que plus d’un infortuné viendra bientôt vous dire avec douleur : « J’avais fait une découverte ; j’ai voulu la produire et former un établissement, mais les premières dépenses ont absorbé tous mes moyens, et il a fallu suspendre mes travaux au moment d’en jouir; cepen- 641 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1791.] dant un rival m’a observé, il a conçu mon idée, il l’a méditée, il a bien jugé que mon entreprise manquait, uniquement faute de fonds; et comme il était riche, il n’a pas craint le môme accident ; il a donc essayé, il a continué, il a réussi; il s’est enrichi, et je me suis ruiné. » Voilà comme cette liberté banale peut trahir l’espoir d’un inventeur pauvre, et transporter ses droits à un imitateur opulent; voilà comme elle n’accorde à l’homme de génie que le droit de donner et non celui de jouir. « Verrons-nous donc encore, sous le règne de la liberté, la richesse tenir lieu de talent, au lieu de voir le talent tenir lieu de richesse? Verrons-nous encore le pauvre semer dans le champ du riche, et le riche moissonner dans le champ du pauvre? » Toutes ces objections, convenons-en, Messieurs, n’étaient imposantes que par leur nombre; et dans ce nombre, à peine en citerait-on quelques-unes de spécieuses; et comment pourrait-il en exister de solides contre une loi qui, en assurant aux hommes à talents la plus incontestable des propriétés, ne touche à la propriété d’aucun autre individu ; contre une loi redoutée de nos rivaux, qu’elle va priver du tribut énorme que leur industrie nous a trop longtemps imposé; contre une loi qui, en rétablissant le génie dans ses droits, va rétablir les Français dans leurs biens; car désormais nous ferons ce qu’on faisait pour nous : nous vendrons ce que nous achetions, et de ces changements salutaires il naîtra bientôt parmi nous un nouvel ordre de richesses d’autant plus précieuses, qu’elles sont, pour ainsi dire, attractives, et qu’une industrie supérieure est une sorte d’aimaut pour l'or des étrangers. Ces considérations sont grandes, Messieurs, et cependant elles disparaîtront devant un dernier motif qu’il me reste à vous présenter. Vous ne l’ignorez point, au moment où elle a été rendue, cette loi qu’on vous propose d’oublier, elle a retenti jusqu’aux extrémités de l’Europe, et tous les arts ont cru entendre une proclamation universelle, qui les rappelait de leur sommeil ou de leur exil; aussitôt, parmi nos concitoyens, une foule d’hommes habiles en tous genrés ont repris un nouveau courage et même un nouvel être; ils se sont dit à eux-mêmes qu’enlin ils allaient être récompensés par leurs propres travaux, que même ils seraient honorés, mais surtout qu’ils seraient utiles. Cet espoir leur suffisait ; et tandis que de tout côté ils vous bénissent, tandis qu’ils s’agitent, qu’ils se préparent, qu’ils se mettent à l’œuvre et qu’ils s’efforcent de hâter les destinées qui leur sont promises, une foule d’hommes utiles, attirés des Etats voisins et des contrées lointaines, sont prêts à se fixer dans la patrie des talents, et à l’enrichir de leurs ingénieux tributs. Quelques-uns peut-être ont eu trop de confiance dans leurs forces ; le temps nous en instruira. Mais faudra-t-il tous les accuser de trop de confiance en vos décrets? Cependant ils ont formé des spéculations nouvelles, ils ont quitté leurs familles, oublié leu; s affaires, contracté des engagement, rassemblé toutes leurs ressources, épuisé leur fortune et leur crédit, déposé des fonds, arrêté des ouvriers, et déjà commencé des entreprises dont ils se promettaient des avantages qu'un changement inopiné, qu’un souffle va faire disparaître. Que deviendront en ce moment et ces dépentes, et ces etablissements, et ces travaux commencés à l’ombre de votre protection, et ces emprunts cautionnés, pour ainsi dire, par vos décrets, et surtout que 4rc Série. T. XXIV. deviendront (ant de pauvres artisans qui, sur la foi de ces mêmes décrets, n’ont pas craint de passer dans� de nouveaux ateliers ? On était en droit de mêler votre nom aux promesses qu’on leur a faites; et ce nom les a décidés à les accepter. C’est de vous qu’ils en attendent l’effet; c’est vous qu’ils accuseront d’y manquer; et son-* gez, Messieurs, qu’il y va pour eux, non de ces grandes spéculations, non de ces brillantes perspectives, non de ces immenses fortunes dont quelquefois les débris mêmes offrent encore des moyens de subsistance ; mais il y va de leurs salaires, c’est-à-dire de la vie. Et ces mêmes artistes, pour lesquels on cherche à vous refroidir, oublierez-vous qu’ils étaient venus se plaindre à vous comme des enfants à leur père ? Oublierez-vous que vous les aviez écoutés, que vous les aviez accueillis, que vous leur aviez rendu ce bien si précieux à l’homme, le sentiments de ses forces, que vous leur aviez rendu ce bien si précieux au citoyen, le sentiment de ses relations avec la chose publique; et vous briseriez votre ouvrage I et vous trahiriez leurs vœux ! et vous renverseriez leurs projets ! et vous tromperiez jusqu’à leur reconnaissance ! et vous leur raviriez jusqu’à leurs illusions ! Faudra-t-il donc qu’ils regrettent les abus qu’ils vous ont dénoncés! faudra-t-il que plus malheureux cent fois qu’auparavant, ces hommes, à qui vous avez tendu la main, soient plongés soudain dans le désespoir et dans l’ignominie? Faudra-t-il que ceux auxquels il restera les moyens de fuir, aillent demander à l’étranger l’effet de vos promesses, et lui porter le fruit de leur génie? On vous les a présentés comme des insensés, ces hommes que l’on n’a point entendus : on a dit qu’ils étaient des intrigants, ces hommes que l’on ne connaît point encore ; enfin, on leur a reproché jusqu’à leur pauvreté et leur discrédit ; comme si cette pauvreté même et ce discrédit n’étaient point pour eux des titres sacrés auprès de vous ! Faut-il donc être riche, faut-il être puissant pour être écouté par des législateurs? Non: il suffit d’être irréprochable et d’être infortuné ; et, dans la juste plainte du malheureux le plus obscur, ils entendent la voix de tout le genre humain. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 7 AVRIL 1791, AU SOIR. Respectueuse pétition des artistes INVENTEURS A l'Assemblée nationale (1). Messieurs, Au moment même où vous allez fixer le sort de l’industrie française, les artistes inventeurs vous supplient de permettre que, pleins de confiance < n votre justice, ils vous portent leurs espérances, vous manifestent les craintes dont ils sont agités et vous exposent une suite de faits, bien propres à dissiper les n âges que l’on cherche en vain à répan tre sur leurs imprescriptibles droitsl puisqu’ils ne les tiennent que de la nature. (1) Ce document est incomplet au Moniteur. 41