19 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] Eh ! quelle propriété doit être plus sacrée que celle des pauvres? nous lui devons un respect d’autant plus religieux, une protection d’autant plus active, que cette malheureuse classe ne peut avoir de représentants directs parmi nous. Que l’Assemblée déclare donc que les pauvres sont réellement mis par la nation en possession d’une propriété qui leur appartient, qu’ils ne peuvent, à la vérité, exercer individuellement, mais dont iis doivent jouir collectivement par le moyen des établissements publics qui leur sont destinés, et dont la nation leur garantit à jamais la jouissance, de la manière et suivant les lois qu’elie fera à cet effet. Le meilleur usage à faire de ces biens est, sans doute, de les employer à détruire la mendicité. Pour interdire l’état de mendiant, il faut assurer la subsistance des pauvres par un supplément toujours préparé ail produit souvent insuffisant d’un travail raisonnable; ce qui ne peut s’opérer que par l’établissement de bureaux de charité. Je ne doute point que l’Assemblée n’ordonne qu’il en soit établi dans toutes les paroisses du royaume, c’est le seul moyen de prévenir la multiplication des pauvres, de détruire la mendicité, de rendre utiles à la société des milliers d’hommes qui lui sont à charge, et de restituer à la morale et à la religion cette multitude de mendiants qui ne connaissent ni l’une, ni l’autre, dont la corruption sollicite toute notre pitié, et le salutaire remède de notre surveillance. Nous pensons donc que l’Assemblée nationale pourrait former ces décrets : 1° La propriété des biens ecclésiastiques appartient à l’entretien du culte et au soulagement des pauvres ; 2° Il sera fait un état général de la valeur de tous ces biens, et des états particuliers du revenu de chaque bénéfice ; 3° Il en sera fait par la nation une nouvelle répartition ; 4° Ces biens seront toujours soumis à toutes les contributions générales et locales, de la même manière que tous les autres biens du royaume ; 5° Dans le cas d’une grande nécessité de la chose publique, ces biens pourront être taxés momentanément par le Corps législatif à une contribution extraordinaire ; 6° L’administration et la gestion de ces biens demeureront confiées aux ecclésiastiques, qui seront tenus d’en rendre compte à la nation; 7° Le revenu de chaque bénéfice sera distingué en trois parts proportionnées à leur importance. La première demeurera au titulaire pour la subsistance. La seconde sera par lui versée dans le trésor de la communauté, sur le territoire de laquelle ces biens se trouveront situés, pour être employée à solder les honoraires des vicaires, et à l’entretien du culte. La troisième sera versée dans la caisse des pauvres; 8° Il sera, à cet effet, établi incessamment, dans chaque paroisse ou communauté, un bureau de charité, chargé de la distribution des aumônes, de la police des pauvres et de la destruction de la mendicité ; 10° Il sera établi, dans chaque département, un bureau général, chargé de surveiller l’administration et la police des établissements de charité du département; 11° Les revenus des maisons ecclésiastiques que l’Assemblée jugera à propos de supprimer, seront employés à former de grands établissements publics, tels que des maisons d’éducation, des hos pices, et autres objets de cette nature, à l’entretien desquels sera attribuée la part ci-devant destinée au titulaire et aux réparations, sans que la part des pauvres puisse jamais cesser d’être versée dans la caisse des pauvres ; 12° Il sera rendu, à époque fixe, dans chaque département, par la voie de l’impression, un compte public de l’administration de ces revenus; et les caisses particulières, qui se trouveront avoir des fonds oisifs, les déposeront dans la caisse d’une banque provinciale des pauvres qu’on établira, qui les fera valoir à leur profit, et qui sera autorisée à faire des avances aux communautés, lorsque leurs caisses particulières ne suffiraient pas à des dépenses extraordinaires. N. B. On pourrait employer le produit du mobilier des maisons ecclésiastiques supprimées à former les premiers fonds des banques provinciales au bénéfice des pauvres, spécialement destinées à secourir les cultivateurs par des prêts à modique intérêt. Ces banques ne dépendraient jamais que de l'administration de la province, sans que l’administration générale du royaume pût disposer d’aucun de leurs fonds sur lesquels elle exercerait seulement son droit de surveillance. 5e ANNEXE à la séance de lr Assemblée nationale du 14 avril 1790. Opinion de M. Acfaard de BonvonI«ir et plusieurs députés du Cotentin , sur la part qui appartient aux pauvres dans les biens ecclésiastiques (1). L’Assemblée nationale a décrété que les biens ecclésiastiques étaient à la disposition de la nation; en conséquence, elle a disposé d’une partie de ces biens, pour acquitter ses dettes. Elle a sans doute voulu réserver le reste à l'entretien du culte et le soulagement des pauvres. Nous demandons que la part de ces derniers soit fixée, et que les pauvres soient mis, dès ce moment, en possession effective d’une propriété déterminée, propriété qu’ils ne peuvent, à 1a vérité, exercer individuellement , mais dont ils doivent jouir collectivement, par le moyen des établissements qui leur sont destinés. Cette part des biens ecclésiastiques que nous réclamons pou? les pauvres, doit être inaltérable; elle est sacrée et inviolable : aucune partie n’en peut être détournée ; et toute proposition qui tendrait à l’appliquer à un autre objet que le soulagement immédiat des pauvres, serait une atteinte au droit sacré de la propriété. Nous nous croyons bien assurés qu’elle ne serait jamais admise par l’Assemblée nationale, dont l’intention ne peut pas être de commencer par disposer du bien des (1) Plus de trente honorables membres ayant retenu d’avance la parole sur la motion de M. Treilhard, et des prélats qui se trouvaient ne pouvoir l’obtenir qu'après une si longue liste d’orateurs, qui probablement ne seront pas tous entendus, ayant demandé la préférence, les députés du Cotentin ont cru devoir faire connaître leur opinion par la même voie qu’ils l’ont ci-devant manifestée; d’abord sur la propriété* et ensuite sur la différence des biens ecclésiastiques. 20 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1790.] pauvres, pour établir ensuite une taxe de remplacement. Cette marche fiscale, digne d’un régime ministériel, ne le serait assurément pas d’une assemblée de représentants de la nation ; iis savent trop combien la taxe des pauvres, établie en Angleterre, est un impôt onéreux aux propriétaires des terres, et combien elle est mal administrée. Nous ne craignons donc pas que l’Assemblée nationale dispose arbitrairement de la part qui appartient aux pauvres, daus ces biens qu’elle a adjugés à la nation ; mais nous croyons qu’il lui convient de la fixer dans ce moment d’inquiétude générale, et de prononcer sur cet objet d’une manière positive. Le meilleur emploi à faire sur ces revenus et le plus utile aux pauvres auxquels ils appartiennent, et à la société qui doit les suppléer, quand ils sont insuffisants, c’est de les faire servir à l'extinction de la mendicité. La mendicité est, au moral et au physique, un des fléaux les plus destructeurs de la prospérité d’un empire : c’est une école du vice; et, sous ce seul rapport, elle mériterait toute l’attention de l’Assemblée. Mais pour détruire la mendicité, il faut interdire l’état de mendiant, et pour interdire à un vrai pauvre la faculté de demander l’aumône, il faut avoir assuré sa subsistance, et s’être mis en état de fournir chaque jour un supplément au produit, trop souvent insuffisant, d’un travail raisonnable. La société doit, à tout homme, son pain quotidien, quand il fait tout ce qui dépend de lui pour le gagner. On propose de multiplier les hôpitaux destinés à recevoir les malades, les vieillards et les infirmes. Nous avouons la nécessité de ces établissements; mais nous pensons qu’ils doivent être rares, destinés seulement à recevoir les malades incurables et les vieillards absolument abandonnés. On sait combien les hôpitaux sont, en général, chèrement et mal administrés; que les places destinées aux infirmes sont trop souvent accordées à la faveur; que les malades des villes y sont seuls admis, et qu’ils sont d’un très petit secours aux campagnes qui obtiennent rarement d’y faire recevoir leurs infirmes, et qui n’ont jamais la faculté d’y faire transporter leurs malades. Les hôpitaux sont nécessaires dans les grandes villes; mais dans les petites villes et dans les campagnes, rétablissement des bureaux de charité, bien organisés, nous semble infiniment préférable sous tous les rapports. Non seulement un bureau de charité prend soin des pauvres, mais il prévient leur multiplication par des secours donnés à propos; il console les pauvres honteux ; il sert de père aux orphelins, il porte dans les cabanes des soulagements aux vieillards et aux infirmes ; il fournit du linge, et procure tous les secours de la médecine aux malades, dans leurs maisons, sans les entasser dans des lieux aussi malsains que les hôpitaux : il prévient ainsi les épidémies qui commencent toujours par Jes pauvres ; il donne des habits et des couvertures à ceux qui sont nus; il veille sur Tes mœurs; il corrige avec charité; il réprimande en père; il instruit en ami; il réprime la débauche avec autorité; il fournit de l’ouvrage au pauvre valide, il fait même occuper utilement le pauvre demi-valide ; il se fait rendre compte de l’assiduité au travail; il modifie l’aumône selon le vrai besoin et le mérite ; il ne laisse tomber à faux aucuns des dons delà charité; enfin, on peut dire qu’il ôte toute excuse aux mauvais pauvres, et rend la vie supportable aux bons : ainsi, il encourage à faire l’aumône, par la certitude que l’on a qu’elle ne sera pas mai placée. L’établissement des bureaux de charité dans toutes les paroisses de campagnes, seul moyen de détruire la mendicité, et de rendre utiles à la société des milliers d’hommes qui lui sont à charge, serait donc le plus grand bien que l’on pût faire à tout le royaume. Plusieurs paroisses de campagnes très peuplées, situées dans des cantons très pauvres des provinces de Normandie et du Maine, en ont établi avec le seul secours des aumônes des habitants, et avec le plus grand succès. Elles ont réussi à supprimer absolument la mendicité dans leur territoire. Elles ont reconnu que le tribut ordinaire qu’elles payaient à la mendicité, surpassait celui de la taille, sans compter la dévastation que font dans les biens de campagnes les mendiants livrés à eux-mêmes, sans police, et plusieurs autres inconvénients. Le tribut volontaire payé par chaque habitant au bureau de charité, est infiniment moindre que le tribut levé par les mendiants, et les pauvres N sont infiniment mieux. Il faut avoir vécu dans les campagnes peuplées, pour savoir combien nos bons paysans font abondamment l’aumône, et pour combien ils ont acquitté jusqu’ici la dette d’autrui! Un pauvre ne demande jamais en vain un morceau de pain à la porte d’un paysan. Nous proposons donc : 1° Que l’Assemblée nationale fixe la portion des biens ecclésiastiques qui demeurera invariable-meùt affectée au soulagement des pauvres et à l’extinction de la mendicité; que cette portion soit telle, que la nation ne puisse jamais être soumise à une taxe des pauvres ; 2° Qu’il soit établi dans chaque département une caisse des pauvres, dans laquelle seront versés les revenus des biens que la nation leur adjuge, et qu’elle déclare inaliénables ; 3° Qu’il soit établi dans chaque département un bureau général des pauvres, qui aura la police de tous les établissements de charité du département; 4° Qu’il soit établi dans chaque paroisse du royaume un bureau de charité chargé de la distribution des aumônes, de la police des pauvres et de la destruction de la mendicité ; 5° Que ces bureaux soient composés du curé et de plusieurs notables, du nombre desquels pourront être les membres de la municipalité; mais qu’ils soient distincts des assemblées municipales, sous la protection et la tutelle desquelles ils demeureront (1); 6° Que, dans chaque bureau de charité, il soit établi une caisse pour recevoir la part qui sera attribuée à la paroisse dans la répartition générale des revenus des pauvres du département, ainsi que les aumônes des particuliers, le produit des quêtes et des troncs des églises, les amendes, etc.; 7» Que la répartition des revenus des pauvres soit réglée en raison composée de la population, de la misère ou des moyens de subsistance, et de la quantité des biens ecclésiastiques situés dans les différents départements, districts et paroisses ; (1) Ces bureaux doivent être composés du curé, de plusieurs notables résidant dans les différents quartiers ou cantons de la paroisse, du chirurgien et des bonnes-sœurs, de femmes d’habitants. 21 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [U avril 1793.) 8* Qu’il soit établi dans chaque district un hospice destiné à recevoir les incurables et les vieillards absolument abandonnés, que toutes les paroisses du district aient un droit égal à y obtenir des places; 9° Qu’il soit conservé ou établi dans chaque département une maison de correction pour y renfermer les vagabonds, gens sans aveu, mendiants obstinés, pauvres indociles, les fainéants et débauchés qui dérobent la subsistance du vrai pauvre; 10° Qu’il soit formé un comité de six membres, chargé de proposer un règlement général pour tous ces établissements, et pour parvenir à détruire la mendicité; 11° Aussitôt que les bureaux de charité seront organisés, qu’il soit promulgué une loi pour interdire la mendicité, et que l’Assemblée nationale invite, au nom de la patrie, tous les bons citoyens à concourir, de tous leurs moyens et de toute leur volonté, au succès de ces établissements qu’elle doit considérer comme une des bases de la prospérité de l’Empire. 6* ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 14 avril 1790. Réflexions sur le projet du comité des dîmes , adressées à l’Assemblée nationale par M. Pellerln de I�a Buxière, député du bailliage d’Orléans (1). Messieurs, votre comité des dîmes vous a fait, par l’organe de M. Ghasset, un rapport qui paraît avoir captivé les suffrages d’une grande partie des membres qui composent cette auguste Assemblée; cependant, Messieurs, comme dans un plan d’une si grande étendue, et qui renferme tant de branches différentes dont chacune est essentielle à l’harmonie du tout, il n'est pas étonnant qu’il se soit glissé quelques inadvertances, des erreurs même très importantes : vous me permettrez, sans doute, d’attaquer celles que j’ai cru y apercevoir, et de proposer les moyens propres à rectifier’ Je plan qu’on vous a présenté. Et d’abord, votre comité, dans le préambule de son rapport, dit que, pénétré d’un saint respect pour la religion, il s’est fait un devoir d'assigner à cette partie des dépenses publiques tout ce qu’il * a cru être nécessaire pour conserver au service divin une majesté simple , et pour donner une uisance honnête aux ministres des autels. Mais j’observe que le respect pour la religion, quand il est bien réglé, ne doit pas seulement se borner à assurer la majesté simple du culte et la subsistance des ministres des autels, mais qu’il doit surtout contribuer à fournir aux peuples tous les moyens nécessaires pour remplir facilement et habituellement tous les devoirs de la religion. Or, je prétends que non seulement le projet du comité n’offre pas à tous les fidèles les moyens de remplir les devoirs de la religion, mais qu’il en met un très grand nombre dans l’irn possibilité d’y satisfaire, et même que, contre le désir du comité, il prépare insensiblement la ruine de la religion en France, en ruinant presque tous les appuis qui en consolident l’existence; d’où je conclus que le projet du comité est totalement manqué. Il est manqué dans son premier objet, parce que la trop grande réduction des curés et autres ministres de la religion sera un obstacle presque insurmontable à l’accomplissement des devoirs qu’elle prescrit. Il est également manqué dans le second, parce que le traitement qu’on se propose de faire aux ministres des autels, et qu’on regarde comme une aisance honnête , sera absolument insuffisant pour la plupart d’entre eux ; il est manqué même dans sa presque totalité, parce que les articles oubliés dans le projet sont si essentiels, que la religion, l’éducation, le bien public se trouveraient inévitablement dans le plus grand danger, si on ne s’empressait de les rétablir et de les proposer comme articles fondamentaux et constitutionnels. 1° La réduction des ministres, telle qu’elle a été imaginée par le comité, offre une source intarissable de difficultés à tous ceux qui voudraient s’occuper fidèlement des exercices de la religion, de cette religion qui seule peut les rendre justes et heureux, selon l’expression même de votre comité des dîmes. Je ne parlerai point ici de la réduction des évêchés : c’est aux évêques chargés par leur place de l’inspection générale de l’Eglise de France, à examiner si le plan du comité peut s’accorder avec l’importance et la multiplicité de leurs fonctions, et quelles seraient d’ailleurs les formalités que la religion exigerait dans une pareille circonstance. Je me bornerai uniquement à ce qui concerne la réduction générale des ministres de la religion à celle des curés en particulier. Et d’abord, Messieurs, n’est-il pas étonnant qu’on propose une réduction de douze à quinze mille ministres essentiels de la religion, dans un temps, surtout, où le vide effrayant que va causer dans l’église la suppression 'des chapitres et monastères, semblerait exiger qu’on en augmentât considérablement le nornbre. Malgré la prévention contraire si généralement répandue, nous ne craignons pas d’avancer que, dans ces différentes sociétés, dont la proscription est déjà prononcée, ou va bientôt l’être, il est une infinité d’hommes laborieux et infatigables qui se font un devoir sacré de voler continuellement au secours de l’Eglise et de ses pasteurs : l’Eglise s’est toujours plu à les regarder comme ses trompes auxiliaires, et toujours ils ont accepté avec empressement cette glorieuse qualité. La chaire, les tribunaux, les malades, les hôpitaux, lesmissions,lesarmées,les mers, les nations lespluséloignées.touteslesparties du monde ont été etsont encore tous les jours les témoins de leur zèle et de leurs travaux. Dans le nouvel ordre de choses qui va éclore, cette foule innombrable d’ouvriers va s’évanouir pour ne plus jamais reparaître; les pasteurs et leurs vicaires vont être abandonnés à leur seule force; et c’est précisément dans ce moment de détresse qu’on vous propose d’en diminuer si prodigieusement le nombre I N’est-il donc pas évident, Messieurs, que le ministère évangélique, qui est sans contredit le plus utile, le plus important de tous les ministères aux yeux de la religion, aux yeux même de la saine politique; n’est-il pas, dis-je, évident ou que ce ministère honorable va devenir le plus triste, le plus pénible, le plus accablant de touts les états, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.