SÉANCE DU 14 VENDÉMIAIRE AN III (5 OCTOBRE 1794) - Nos 62-63 329 soumises à des jurés de jugement, les pré-sidens des tribunaux criminels seront tenus de poser la question relative à l'intention ; et les jurés d’y prononcer par une déclaration formelle et distincte; et ce, à peine de nullité (110). 62 BAR : Il s’est élevé plusieurs difficultés sur la manière dont devoit s’exécuter la loi sur la délivrance des certificats de civisme dans la commune de Paris. Les sections ont cru que c’étoient elles qui dévoient continuer à les délivrer ; votre loi du 4e jour des sans-culottides a bien dit que c’étoit les comités civils des sections ; mais elle n’a pas fixé la manière dont ils dévoient les accorder (111). Un autre membre du comité de Législation [BAR], au nom des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, propose, et la Convention décrète ce qui suit : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, sur les difficultés qui se présentent dans l’exécution de la loi du quatrième jour des Sans-Culottides, relative aux certificats de civisme, décrète; Article premier. - Les certificats de civisme seront délivrés, dans la commune de Paris, par les comités civils des sections. Art. II. - Ils devront être signés au moins par sept membres présens à la délibération. Art. III. - Il est défendu à toutes les autorités constituées d’exiger des citoyens qu’ils déclarent, pour obtenir des certificats de civisme, s’ils sont, ou non, fonctionnaires publics, ou remplissent une commission ou emploi. Art. IV. - Le présent décret sera publié dans le bulletin des lois (112). 63 Le rapporteur du comité de Salut public [ESCHASSERIAUX] soumet à la discussion de la Convention le projet de décret relatif à la commission de com-(110) P.V., XLVI, 307-308. C 321, pl. 1331, p. 38, minute de la main de Pérès, rapporteur. Moniteur, XXII, 163 ; Débats, n" 745, 242-243; J. Fr., n” 741; M. U., XLIV, 233. (111) J. Paris, n 15. (112) P.V., XLVI, 308-309. C 321, pl. 1331, p. 39, minute de la main de Bar, rapporteur. Bull., 14 vend, (suppl. 1); Moniteur, XXn, 162 ; Débats, n° 745, 243 ; Ann. Patr. , n° 643 ; Ann. R. F., n“ 14; C. Eg., n° 778; F. de la Républ., n" 16; Gazette Fr., n 1008; J. Fr., n 740; J. Mont., n° 159; J. Paris, n” 15; J. Per-let, n° 742; Mess. Soir, n” 778; M. U., XLIV, 285; Rép., n° 15. merce et approvisionnemens précédemment ajourné, conçu en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Salut public et de Commerce, décrète : Article premier. - La commission de commerce et approvisionnemens de la République sera composée de cinq commissaires. Art. II. - Ces commissaires sont les citoyens Picquet, Johannot, Magin, Le-guiller, Louis Monneron. Art. III. - La commission formera un conseil de commerce composé de douze citoyens choisis dans les différentes places de commerce, connus par leur civisme, leur expérience; la liste en sera présentée à l’approbation des comités de Salut public et de Commerce. Art. IV. - Les citoyens appelés pour composer ce conseil auront le même traitement que les agens du commerce. Art. V. - Ce conseil s’occupera de dresser et de présenter à la commission des états des ressources de la France, de toutes ses relations commerciales intérieures et extérieures, des moyens d’étendre le commerce, d’augmenter et d’assurer les importations et les exportations, de faire prospérer les manufactures de multiplier les moyens d’échange; ces fonctions seront déterminées par les comités de Salut public et de Commerce, sur la proposition de la commission. Plusieurs membres combattent le projet de décret; les uns fondés sur ce qu’il ne remplit pas les vues qu’on s'est proposées; les autres craignent que le conseil qu’on propose d’établir près la commission peut devenir dangereux. Ils ajoutent que ce seroit établir une chambre de commerce, et la question préalable est invoquée sur le projet de décret (113). ESCHASSERIAUX l’aîné, au nom des comités de Salut public et de Commerce, reproduit à la discussion le projet de décret ajourné sur l’augmentation du nombre des membres de la commission des subsistances [sic], et sur la création d’un conseil à cette commission. DUHEM : Je ne crois pas que la Convention doive créer une chambre de commerce, à côté de la commission des subsistances. Je ne crois pas non plus que ce soit à la République à se mêler de faire le commerce ; je crois qu’un ajournement du projet de décret nous donnerait la faculté de discuter et le mode des réquisitions et la mesure du maximum. Je crois que le maximum, qui nous a été donné par Pitt, a cependant sauvé la République par la sagesse du peuple et de la Convention. Le rapporteur : Ce n’est point une chambre de commerce que le comité veut créer; mais (113) P. V., XLVI, 309-311. C 321, pl. 1331, p. 40, rapport imprimé, 4 p. Voir 9 vendémiaire, n° 78. 330 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE dans ce moment, où nous avons besoin de toutes les lumières pour ressusciter le commerce et l’élever au point de splendeur où il doit arriver, nous avons cru devoir appeler le secours de tous les hommes de génie et de talents. N’oublions pas que ce sont les lumières qui ont révolutionné les poudres et les salpêtres; il ne s’agit ici ni du maximum ni du mode de réquisition. Le comité de Salut public ne vous propose point de faire faire le commerce par la République ; ainsi Duhem s’est-il encore trompé à cet égard. TURREAU : Si le système du comité de Salut public était le même que celui de Ronsin et d’Hébert, je combattrais le projet; mais son intention comme ses vues tendent à activer le commerce en grand. Il y a dans la commission des subsistances une foule de subalternes qui sont profondément ignorants, pour ne pas dire quelque chose de plus; il n’y a pas d’inepties qu’on n’ait commises dans les approvisionnements ; ce n’est pas, je le sais bien, la faute de la commission : composée de deux membres, elle ne peut tout voir, tout embrasser. Je demande donc que le nombre soit porté à sept au lieu de cinq proposé par les comités. RICHARD : Les idées présentées par le rapporteur des comités sont infiniment précieuses. Je ne pense pas cependant qu’il faille les adopter. Il n’est pas nécessaire de créer une nouvelle autorité. Le comité de Salut public a une grande latitude de pouvoirs. Augmentez-les encore, s’il le faut, en cette partie. Vous pouvez bien l’autoriser à s’entourer de lumières. Mais je ne crois pas prudent de constituer de nouveaux agents qui se montrent toujours jaloux de l’autorité. Je demande donc qu’on autorise le comité à appeler toutes les lumières, et que la Convention passe à l’ordre du jour sur le reste. GARNIER (de Saintes) : On a déjà fait observer qu’il suffit au comité d’appeler auprès de lui des lumières sans créer une nouvelle autorité. Qu’on se rappelle que, lorsqu’on crée des agents, ce sont toujours de nouveaux ministres. Il leur faut des maisons et des voitures. Au reste, ce n’est point là le fond de la question : il faut en venir à la commission elle-même. Elle n’a pas assez d’agents éclairés. Les représentants du peuple en mission ont pu se convaincre de la défectuosité de cette administration. Embarrassé par la multiplicité des rouages et par l’ignorance de ceux qui les font mouvoir, on se trouve dans la famine au milieu de l’abondance. Il faut que les magasins, après avoir approvisionné les armées, versent le surplus dans la circulation. Il y a des manufactures qui ne peuvent travailler, faute de matières premières. Il faut autoriser simplement le comité de Salut public à s’entourer des hommes dans les lumières desquels il a confiance (114). Un membre appuie l’article premier et l’article II du projet, et demande qu’on passe à l’ordre du jour sur le surplus. (114) Moniteur, XXII, 166. Débats, n 745, 246-247; J. Paris, n" 15. On demande que le projet soit lu article par article : cette proposition est admise. Le rapporteur lit l’article premier; cet article est décrété : l’article II est également décrété; et sur les articles III, IV et V, la Convention nationale passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que la commission de commerce a le droit, avec l’autorisation des comités de Salut public et de Commerce, d’appeler auprès d’elle tous les citoyens dont les connoissances peuvent lui être nécessaires (115). THURIOT : Si j’avais présenté à l’assemblée les raisons développées par Garnier, j’en aurais tiré pour conséquence qu’il fallait adopter le projet du comité. C’est par l’embarras des rouages qu’on éprouve des difficultés. La commission demande le secours d’autres agents; elle embrasse l’universalité de la République. Je ne dis pas que ce soit un bien, mais c’est une fatalité où les circonstances nous ont réduit. Il faut nécessairement une augmentation de membres à la commission. On vous a parlé ici d’une création de chambre de commerce, c’est une expression ajoutée qui fait toute l’erreur. On n’a point entendu dans les comités créer une chambre de commerce. Il ne suffit pas de s’occuper des traités de l’intérieur, il faut s’occuper des transports et des moyens de faire arriver de l’étranger. Les membres de la commission ne peuvent se livrer à de grandes méditations sur cet objet, puisqu’ils sont absorbés par leurs occupations premières. Sans doute il serait à désirer qu’il n’y eût pas même de commission, que tout particulier pût vendre ses denrées; mais quand vous avez douze cent mille hommes sous les armes, il faut songer à leur subsistance. Quand on s’occupera des obstacles et des abus qui sont nés dans cette partie, on pourra embrasser un grand système et chercher les meilleurs moyens de revivifier l’agriculture, le commerce et les arts. Aujourd’hui je ne vois nul inconvénient à admettre le projet, j’en vois à le rejeter. Richard a dit : Pourquoi le comité de Salut public propose-t-il un conseil, puisqu’il peut s’entourer des lumières dont il a besoin? Je réponds que ce conseil n’est point pour le comité, mais pour la commission; et s’il est composé comme nous avons lieu de l’espérer, il lui sera du plus grand secours. Un membre : Je soutiens, d’après le projet de décret et le développement donné par Thu-riot, que ce conseil, au lieu de ressusciter le commerce, achèverait de le tuer. Je demande l’ordre du jour. BOURDON (de l’Oise) : J’appuie l’ordre du jour. Le projet de décret tend à donner un directeur au commerce ; le véritable directeur du commerce est la liberté. Je sais bien que les circonstances dans lesquelles la République se trouve placée la forcent à restreindre cette liais) P.-V., XL VI, 311. C 321, pl. 1331, p. 41, minute de la main de Goujon. Décret non mentionné par C* II 21, p. 5. SÉANCE DU 14 VENDÉMIAIRE AN III (5 OCTOBRE 1794) - N° 63 331 berté de commerce qui, dans des temps de paix, fait sa splendeur et sa force. Le comité a cru devoir créer un conseil pour aider la commission ; mais quand il y aura deux bureaucraties, l’une rejettera la faute sur l’autre. Au lieu de ce conseil, augmentez le nombre des agents et mettez-y un homme de génie, qui fait plus de travail en un moment que plusieurs hommes médiocres en beaucoup de jours. PRIEUR (de la Marne) : La première question est de savoir si le nombre de commissaires sera porté de deux à cinq ; nulle difficulté à cet égard. On a ensuite agité la question de savoir si on devrait laisser subsister la commission et créer le conseil. Il ne faut pas, quand on veut raviver le commerce et l’agriculture, retourner brusquement, d’un ancien ordre de choses où les circonstances nous ont réduits, à une liberté de commerce dont les fripons et les méchants pourraient abuser. Personne n’a oublié à quelle anxiété nous condamnait, l’année dernière, la confusion des opérations dans cette partie. Des représentants du peuple faisaient des réquisitions à Bordeaux pour le Morbihan, tandis que d’autres en faisaient à Nantes pour Bordeaux. Qu’arrivait-il? C’est que les détenteurs de subsistances, parmi lesquels il y a encore beaucoup de préjugés sur le papier-monnaie, disaient, quand ils avaient une double réquisition : Je ne sais à laquelle obéir; écrivez aux représentants du peuple. Le temps s’écoulait, et les subsistances manquaient. Cette année, les départements en général ont produit en abondance du pain, du vin et des fourrages. D’un autre côté, ne voyons-nous pas les Américains tourner leur commerce vers nos ports? Leurs farines arrivent en abondance. Nos matelots font des prises continuelles, et sont notre meilleure commission de commerce. Il faut que le gouvernement prenne des mesures pour empêcher l’augmentation scandaleuse des prix de certaines matières. Par exemple, on achète du coton 230 L, on le revend dans le pays 540 ; le marchand le débite à 800 L, et le fabricant le porte encore jusqu’à 1 200 L. Un autre objet encore, c’est la cherté des transports ; elle est une suite de circonstances. On a été obligé d’envoyer aux armées les chevaux et les voitures. Les postes sont très-mal servies dans plusieurs départements. Les rivières sont presque desséchées. Je crois bien que, dans les temps ordinaires, nulle commission ne vaut la liberté; mais il faut sacrifier aux circonstances. Je vote pour l’adoption du projet de décret. [Romme expose divers abus auxquels les réquisitions donnent lieu, et qu’il a été à portée de s’assurer dans ses missions. On observe que ce n’est pas la question qu’on traite.] (116) On demande à aller aux voix sur le projet de décret. (116) Débats, n° 745, 247. BENTABOLE : Je demande par amendement que nul commissaire ne puisse avoir d’équipages. Ce sont toujours les femmes qui s’en servent. Cette économie servira la République. On rit. GOUPILLEAU (de Fontenay) : Il me semble qu’on a beaucoup divagué. Il me paraît démontré qu’il faut de nouveaux agents à la commission. Y aura-t-il ensuite un conseil? Je suis parfaitement d’avis qu’il faut donner au comité de Salut public la faculté de s’entourer de lumières ; mais je ne voudrais pas qu’il fût créé par un décret; car il voudrait peut-être s’arroger les pouvoirs de la commission. Laissons au comité la plus grande latitude à cet égard. Je demande l’ordre du jour, motivé sur ce qu’il est autorisé à s’entourer des lumières qu’il croit utiles. PRIEUR (de la Marne) : Les réflexions du préopinant sont frappantes. J’appuie l’ordre du jour motivé. THURIOT : Je demande qu’au moins le comité soit autorisé à donner ce conseil à la commission. GOUJON : Je vois encore du danger dans cette proposition, parce que, dès que le conseil serait reconnu par la Convention, dès qu’il ne serait plus un simple bureau de la commission, il tendrait à s’emparer des branches d’administration. Je sens bien la nécessité d’appeler dans la commission des hommes instruits, mais je veux que ce soit elle qui agisse. Déjà elle avait créé l’année dernière un pareil bureau. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que le comité de Salut public peut faire des réquisitions, et sur ce que la commission peut s’entourer des lumières dont elle peut avoir besoin. L’ordre du jour ainsi motivé est décrété (117). BENTABOLE : Aux voix mon amendement ! On rit (118). La rédaction du décret est définitivement adoptée comme suit : Article premier. - La commission de commerce et approvisionnemens de la République sera composée de cinq commissaires. Art. II. - Ces commissaires sont les citoyens Picquet, Magin, Leguiller, Louis Monneron et Johannot. Art. III. - La Convention nationale passe à l’ordre du jour sur les articles III, IV et V, motivé sur ce que la commission de commerce a le droit, avec l’autorisation des comités de Salut public et de Commerce, d’appeler auprès d’elle tous les ci-(117) Moniteur, XXII, 166-167; Débats, n* 745, 247; mention dans Ann. Patr., n° 643; Ann. R. F., n° 14; C. Eg., n° 778; F. de la Républ., n 15; Gazette Fr., n° 1008; J. Fr., n° 740; J. Mont., n" 159; J. Perlet, n° 742; J. Univ., n° 1776; M. U., XLIV, 218; Rép., n" 15. (118) Moniteur, XXII, 167.