34 [Convention nationale.] ARCHIVES J (Suit un extrait de la pétition que nous repro¬ duisons ci-dessous .) Le Président. Lyon a commis un grand crime : Lyon n’est plus. La Convention nationale pren¬ dra votre demande en considération : sa clé¬ mence sera aussi grande que sa justioe. La pétition est renvoyée au comité de Salut public. Suit le texte de la, pétition des citoyens de Ville-Affranchie, d'après un document imprimé. Le peuple de Ville-Affranchie, a la Con¬ vention NATIONALE (1). « Citoyens représentants, « Une grande commune a mérité l’indignation nationale; mais qu’avec l’aveu de ses égare¬ ments, vous parvienne aussi l’expression de ses douleurs et de son repentir ! « Ce repentir est vrai, profond, unanime : il a devancé le moment de la chute des traîtres qui nous ont égarés. Si le fond de leurs âmes nous avait été plutôt connu, jamais, non jamais, nous n’eussions été les instruments de leurs attentats. Nous avons gémi, deux mois, sous l’insolent despotisme de ces perfides conspira¬ teurs. Deux mois par leurs coupables artifices, ils ont abusé la faiblesse et l’ignorance, ou, par les excès de leur tyrannie, ils ont enchaîné les efforts du patriotisme qui voulait rejeter leur emploi. « Quand nos remparts sont tombés devant les armes de la République nos âmes se sont con¬ solées, et les vaincus ont applaudi à leurs vain¬ queurs. Nous avons dit : le règne du despotisme est passé, celui de la liberté commence. Les mesures arbitraires vont faire place à celles de la justice. Les dénonciations dictées par la haine ne seront plus accueillies; toutes celles qui ne porteront pas le caractère d’un patriotisme désintéressé n’oseront paraître devant les juges de la nation. « Tels étaient nos vœux, telles étaient les pensées des représentants du peuple devant qui les traîtres ont disparu; telles étaient le$ dispo¬ sitions de la brave armée qui a conquis nos cœurs, ainsi que nos murs. « Eh ! comment ne pas nous confier à ces légi¬ times espérances ! Les droits sacrés de l’homme, base de l’immortelle C onstitution si chère aux Français, étaient proclamés devant les légions victorieuses, à mesure qu’elles s’avançaient au milieu de nos applaudissements, de nos regrets, de notre confusion, de notre joie et de nos larmes. La sûreté des personnes et des propriétés était promise par le soldat lui-même, au moment de son triomphe et quand tout semblait excuser, même un excès de vengeance, tout a été pai¬ sible et majestueux comme la loi; l’humanité n’a pu mêler aucun reproche à la victoire. « Pourquoi ce beau spectacle a-t-il si peu duré? La guerre a cessé; mais nous éprouvons des malheurs pires que tous ceux de la guerre. « Sans doute la liberté doit venger, avec éclat, la majesté du peuple outragé; elle a ses jours de colère et de fureur ; mais ces jours sont passagers comme les orages, vous le savez aussi (1) Bibliothèque (de la Chambre de? députés, Col¬ lection Parliez de l'Oise), in-quarto, t. 44, 'ri® 36. ELEMENTAIRES. { g bien que nous : l’effet de ses salutaires rigueurs se détruit quand on les prolonge ou qu’on les exagère. «C’est dans vos écrits, c’est dans vos discours que nous avons puisé ces principes : nous vous citerons le mot profond d’un de vos plus coura¬ geux collègues, proféré naguère à cette tribune : qui se fait ultra-révolutionnaire, est aussi dange¬ reux que le contre-révolutionnaire. « C’est dans ees fatales circonstances que ce mot doit être surtout rappelé. Que les faits parlent seuls, et que l’âme des représentants d’un peuple magnanime juge et prononoe. « Les premiers députés avaient pris un arrêté, à la fois juste, ferme et humain : ils avaient ordonné que les chefs conspirateurs perdissent seuls la tête, et qu'à oet effet on instituât deux commissions qui, en observant les formes, sau¬ raient distinguer le conspirateur du malheureux qu’avaient entraîné l’aveuglement, l'Ignorance et surtout la pauvreté. « 400 têtes sont tombées dans l’espace d’un mois, en exécution des jugements de ces deux commissions. De nouveaux juges ont paru et se sont plaints que le sang ne coulât point avec assez d’abondance et de promptitude. En consé¬ quence, ils ont créé une commission révolution¬ naire composée de sept membres, chargée de se transporter dans les prisons et de juger en un moment, le grand nombre de détenus qui les remplissent. A peine le jugement est-il prononcé que ceux qu’il condamne sont exposés en masse au feu du canon chargé à mitraille. Ils tombent les uns sur les autres frappés par la foudre, et souvent mutilés ont le malheur de ne perdre à la première décharge, que la moitié de leur vie. Les victimes qui respirent encore après avoir subi ce supplice, sont achevées à coups de sabres et de mousquets. La pitié même d’un sexe faible et sensible a semblé un crime : deux femmes ©nt été traînées au carcan, pour avoir imploré la grâce de leurs pères, de leurs maris et de leurs enfants. On a défendu la commisération et les larmes. La nature est forcée de contraindre ses plus justes et ses plus généreux mouvements sous peine de mort. La douleur n’exagère point ici l’excès de ses maux. Ils sont attestés par les proclamations de ceux qui nous frappent. 4,000 têtes sont encore vouées au même sup¬ plice; elles doivent être abattues avant la fin de frimaire. Des suppliants ne deviendront point accusateurs; leur désespoir est au comble; mais le respect en retient les éclats : ils n’apportent, dans ce sanctuaire, que des gémissements et non des murmures. « Législateurs, voua qui nous rappelé* sans cesse aux saintes institutions de la nature, aux principes sacrés de la morale; non, vous n'or¬ donnâtes jamais ceg inhumanités dont on n’a pas d’exemple chez les peuples barbares. Vous avez voulu que la loi frappât les coupables, mais que l’équité rigoureuse tînt le fer qui doit les immoler. Vous avez voulu que des formes légales fussent observées dans les jugements; vous avez voulu qu’en les craignant, on révérât votre justice; qu’on vît un appui pour l’inno¬ cence, un guide pour la faiblesse, dans le bras qui s’appesantissait sur le crime : vous avez voulu donner à la vengeance nationale une énergie imposante, une dignité fière et républi¬ caine, mais non un caractère d’atrocité bas et féroce, qui déshonorerait en quelque sorte le berceau de la liberté; car la justice n’est plus, dès que la cruauté commence, 35 [Convention nationale. 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES., I ® '■''.maire an H I 20 décembre 1793 « C’est à vous qui ave? médité sur les hommes et sur les événements, qui avez comparé les révolutions des siècles anciens et des siècles modernes; c’est à vous d’apprendre ce que vous entendez par conspirateurs. Vous savez que le secret des conspirateurs n’est jamais renfermé que dans peu de têtes, et que lorsque le glaive a frappé ses premières têtes, la raison, l’huma¬ nité, la prudence, l’intérêt, pardonnent à la mul¬ titude égarée, et peuvent diriger ses forces vers un but utile et patriotique. h C’est en vain qu’on affecte de craindre un parti dès longtemps détruit, un parti que nous détruirons nous-mêmes, s’il osait jamais repa¬ raître. Le traître Préçy n’est plus, quoiqu’on feigne de croire à son existence; ou du moins si sa mort n’a pas encore expié ses forfaits, il vit seul, abandonné à sa rage impuissante. Tous ses com¬ plices ont péri, ou dans leur fuite ou sur l’écha¬ faud. S’il méditait contre toute apparence, quelques nouveaux attentats, c’est dans la cité qu’il a trompée, que des milliers de bras sont levés pour l’arrêter; c’est là qu’il trouverait son tombeau; c’est là que l’indignation publique le punirait, par les plus terribles châtiments, de nous avoir séparés de la grande famille que nous avons toujours aimée, et où nos remords nous rendent dignes de rentrer. « Oui, nous conjurons la France dont vous êtes les organes, de nous compter encore parmi ses enfants. Nous étions français, nous étions vos frères, vos parents, vos amis, nous le sommes, nous le serons toujours. « Les oppresseurs nés de l’humanité, les enne¬ mis du peuple, les tyrans, les rois en un mot ont adouci quelquefois les décrets de leur vengeance; ils ont connu la gloire et le plaisir de pardonner. Le burin de l’histoire, tenu même par des mains libres, inscrivit avec honneur dans tes annales ces actes de clémence. La politique de la li¬ berté serait -elle moins généreuse que celle du despotisme? « Dans le premier mouvement d’une juste indi¬ gnation, vous avez rendu un décret, que semble avoir dicté le génie du sénat romain. Vous avez ordonné qu’on dressât une colonne, où seront gravés ces mots : Lyon n'e t plus. « Eh bien ! que votre décret se réalise aveo plus d’utilité et de grandeur encore; que Lyon ne soit plus en effet; que Ville-Affranchie digne de son nouveau nom enfante des soldats à la liberté; que l’aotive industrie de ses habitants, au lieu de servir le luxe et l’opulence, s’applique tout entière désormais aux besoins des défen¬ seurs 4e 1 ; patrie; que dans ses mws, s’élève un peuple nouveau régénéré par un regard de la clémence nationale, qu’il aille en foule expier sur les ruinas de Toulon ses égarements pu¬ nis. Imitez la nature, ne détruisez point, mais recréez; changez les formes, mais conservez les éléments; dites un mot, et de toutes parts sor¬ tiront de nos murs des hommes semblables à vous, « Ah ! par cette pitié gravée dans le cœur de tous les hommes, mais qui dans celui des hommes publios doit être plus puissante et plus active, parce qu’ils ont plus de larmes à essuyer et plus de bienfaits à répandre, représentants du peuple, pères de la patrie, ne soyez pas sourds à la voix d’une ville plus infortunée enoore que coupable; écoutez une section du peuple, humiliée et repentante, qui, courbée devant la majesté du peuple entier, lui demande grâce, non pas. pour re crime, ea? ses auteurs et ses agents ne sont plus, mais grâce pour le repentir sincère, pour la faiblesse égarée, grâce même, nous l’osons dire, pour l’innocence méconnue, pour le patrio¬ tisme impatient de réparer ses erreurs 1 Qu’au règne de la terreur succède o lui de l’amour Vil sera plus fort et plus durable. Renvoyons la terreur dans les camps des eso’aves et des des¬ potes ligués contre notre indépendance. Légis¬ lateurs, que l’arbre de la liberté affermi de plus en plus par vos mains, croisse au milieu des Bénédictions de tous les habitants de l’empire; qu’il soit éternellement soutenu par le courage, la générosité, la grandeur d’âme, l’amour de la gloire, et toutes les vertus Aères et douces à la fois, qui Arent la gloire et le bonheur des anciennes républiques ! » Un grand nombre de citoyennes, mères et épouses, filles on sœurs de citoyens en état d’ar¬ restation, se présentent. Elles rappellent à la Oonvention qu’elle a décrété que son comité de sûreté générale lui ferait sous trois jours un rapport sur la pétition qu’elles ont faite (1), que déjà plus de huit jours se sont écoulés sans que ce rapport ait paru. Elles attribuent oe retard aux travaux immenses dont le comité de sûreté générale est surchargé-En conséquence, elles demandent que la Convention nomme, pour s’oc¬ cuper de cet objet, une commission prise dans son sein-Le Président répond : « Tandis que les perfides espérances des égoïstes, des indifférents et des modérés, fous ennemis imperturbables de la liberté, se ratta¬ chaient à la Vendée, soutenue par la coalition des brigands couronnés qui infestent nos fron¬ tières, il a fallu, pour faire face à tant d’adver¬ saires, mettre leurs partisans dans l’impuissance de nuire à la République et d’augmenter le nombre de ceux qui ne l’ont jamais sincèrement voulue; tel est notre devoir. Nous avions juré de le remplir; nous en avons vu le moyen dans la mesure de sûret générale contre laquelle vous réclamez. « Mal à propos vous la confondez, cette mesure salutaire, avec une loi pénale; le salut du peuple est ce qui a déterminé les arrestations qui affec¬ tent votre sensibilité; vous les trouvez trop fortes; mais les législateurs des anciennes Républiques ont été bien pins sévères dans les moments de crise-A Athènes, une loi du plus sage des législa¬ teur®, le vertueux Solon, condamnait â la peine de mort tous les citoyens qui, dans les événe¬ ments révolutionnaires, n’avaient pris aucun parti. Cicéron, qui défendit si bien la liberté de Rome par ses écrits, a vanté cette loi salutaire; mais, pour avoir négligé de la suivre, il devint la victime d’un ambitieux qui finit par asservir sa pairie; et l’indulgence de l’orateur romain fut plus funeste à son pays que l’ambition de l’usur¬ pateur qu’il avait ménagé. Malgré les leçons de l’expérience et les exemples fournis par l’histoire des Républiques anciennes, la Convention natio¬ nale, après quatre années de lutte entre son indul¬ gence et les grandes mesures de salut public, après fl) Voy. Archives partemntoitmt . lr® séria, t. txxxï, sésntre du Ï3 frfmaJrB sn Ir, p. 384. .