324 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790.1 M. Fréteau fait lecture d’une adresse dans laquelle le directoire du département de Seine-et-Marne demande que tous nos concitoyens domiciliés en Italie, ou qui y voyagent, soient mis sous la sauvegarde particulière de la nation. (L’Assemblée renvoie cette pétition au comité diplomatique.) M. Camus, membre du comité des pensions, propose deux projets de décrets: l’un relatif aux élèves soutenus dans le collège de Sainte-Barbe par la bienfaisance de M. l’arcbevêque de Paris ; l’autre, concernant le sieur Bousquet, auteur d’un ouvrage sur les matières ecclésiastiques et bénéficiâtes : tous les deux sont adoptés ainsi qu'il suit : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des pensions, par forme de provision seulement, décrète que la municipalité de Paris remettra au supérieur du collège de Sainte-Barbe, sur les revenus dont jouissait cî-devant M. l’archevêque de Paris, la somme de 4,000 livres, pour la pension des boursiers dudit collège, ci-devant payée par M. l’archevêque de Paris, à la charge, par le supérieur dudit collège de rendre compte à la municipalité de l’emploi de ladite somme de 4,000 livres. » « L’Assemblée nationale, ouï le rapport du comité des pensions, décrète que le ci-devant receveur général du clergé remettra au sieur Bousquet, sur les deniers étant entre ses mains, la somme do 3,000 livres, par forme de provision, sur les récompenses et gratifications promises, en 1785 , audit sieur Bousquet, pour l’ouvrage par lui composé sur les matières ecclésiastiques et bénéficiales. » La députation du Port-au-Prince et de la Croix-des-Bouquets est introduite et entendue à la barre. M. Arnauld, orateur de la députation , dit : Messieurs, vous admettez dans votre sein les députés de deux paroisses considérables de la colonie de Saint-Domingue : celle du Port-au-Prince, capitale de l’île, et celle de la Croix-des-Bouquets, qui comprend la plaine de Gul-de-Sac et ses dépendances. A cette députation, Messieurs, se joindra celle de la province du nord dont nous avons eu l’honneur de remettre les dépêches à M. le Président de cette auguste Assemblée. Les circonstances n’ont pas permis que les députés de la province du nord partissent avec nous. Les événements qui ont donné lieu à notre départ précipité n’étaient point connus dans le nord. Cette province, dans les mêmes principes que la partie saine des habitants de Saint-Domingue, tendait au même but. Vous les connaissez ces principes, ils sont puisés dans votre décret du 8 mars, dans les sages instructions qui l’accompagnent : vos décrets sont toute notre force. Quelque vrais que soient les faits dont nous avons à vous entretenir; quoique simple qu’en sera le récit, ce n’est pas sans crainte que nous nous présentons à la barre de l’Assemblée des représentants d’une grande nation. Pleins de respect pour vos lumières, pleins de soumission pour vos décrets, nous réclamons vos bontés. La colonie de Saint-Domingue, Messieurs, la plus belle des colonies françaises, importante sous tous les points de vue possibles, aussi intéressante à la France qu’une grande partie de cet Empire, par la valeur de son sol, la richesse de ses productions, l’industrie, l’activité de ses habitants; plus encore par leur fidélité et leur attachement à la mère-patrie et à leur roi, à ce bon roi dont avec tous les Français ils adorent les vertus : oui, tous les créoles sont Français, ils chérissent leur roi, ils chérissent leur patrie. C’est aveG enthousiasme que nous avons juré d’être toujours inviolablement attachés à la nation, de ne reconnaître de lois que celles décrétées par ses augustes représentants. Vous venez, Messieurs, d’entendre la profession de foi de la colonie. C’est sous cet étendard que nous nous présentons à vous. Adoptez-nous , traitez-nous comme des enfants attachés à leurs pères , et qui veulent concourir au bonheur général et écarter tout ce qui pourrait le troubler. La colonie de Saint-Domingue qui formerait seule une grande puissance, si la nature ne lui avait refusé la jouissance des premiers besoins ; cette colonie, dont les productions lient l’Empire français à toutes les puissances étrangères et les rendent tributaires, a été menacée de sa perte. Peut-être eût-il été sage, peut-être la colonie devait-elle attendre en paix que la régénération s’opérât ici. Les fruits heureux se seraient fait sentir dans toutes les possessions françaises, et nous en eussions joui. La colonie n’aurait point éprouvé les secousses dont elle a été agitée. Les premiers troubles sont nés dans les premières assemblées; les premières divisions, de la diversité d’opinions. Il y avait des réformes à faire : elles pouvaient s’opérer facilement, parce qu’elles tenaient au grand ensemble que l’on rectifiait. C’était là l’opinion de quelques hommes froidement sages qui lisent dans le livre de la nature et calculent les hommes ; l’opinion contraire a prévalu. L’on a formé des assemblées, il s’établit des comités. Les députés furent nommés ; vous les avez admis dans votre sein ; et la colonie, qui ne peut plus être séparée de l’Empire français, y a été représentée. La colonie enfin a couvert ses premières opérations par une conduite plus légale : il s’est formé des assemblées de paroisses ; dans ces assemblées on a nommé des électeurs chargés de préparer les cahiers de demandes et d’établir des plans de réformes. Leurs instructions portaient qu’ils respecteraient les lois établies, qu’ils n’attaqueraient en rien le régime de l’administration de la colonie, qu’ils n’innoveraient rien. Cette institution pouvait être utile, en préparant les matières sur lesquelles vous aviez à prononcer. Cette assemblée était composée de députés de toutes les paroisses, et offrait un ensemble de quatre-vinjgt-deux personnes. Elle ne portait pas le caractère d’assemblée coloniale. Le ministre, informé de ces détails et des prétentions des électeurs, envoie un mode de convention, qui ne fut point adopté ni pour la forme ni pour le lieu où l’assemblée coloniale devait tenir ses séances. Les quartiers, les paroisses s’assemblèrent de nouveau. Il fut arrêté un mode de convocation qui parut satisfaire l’esprit de ceux qui y avaient mis de l’intérêt. Le nombre des députés fut fixé ; le siège de l’assemblée établi à Saint-Marc, une des principales villes de la colonie. Je touche, Messieurs, à la partie purement historique de ce qui s’est passé. Je ne dirai rien dont je n’aie la preuve à la main. Je n’offre point à l’Assemblée, à chaque titre, la lectureaie ia pièce au soutien : nous en ferons le dépôt, elles deviendront pièces de conviction. C’est sur ces pièces que vous porterez un jugement sur un corps constitué assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. Dans l’analyse que je vais faire, je ne me permettrai aucune application, je ne nommerai personne. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Les députés à l’assemblée coloniale nommés, ils se rendirent à Saint-Marc, lieu de leur séance. Je ne vous ai point parlé des brigues et des cabales employées pour être nommé, cela est encore hors de mon sujet. L’ouverture de l’assemblée se fit avec un faste étonnant. On décréta qu’il serait chanté un Te Deurn dans toutes les paroisses. La colonie avait prêté le serment à la nation, à la ioi et au roi; et sur le rideau de la salle de l’assemblée on lisait : Saint-Domingue , la loi et le roi ; plus bas : Notre union fait notre force. On préparait de loin les esprits aux opinions que des gens inquiets et dangereux devaient ouvrir. Le président de l’assemblée fit un discours qui indisposa tous les esprits, même dans Rassemblée qu’il présidait. Cette assemblée, qui ne devait être que provisoire et purement consultative, méconnut ses droits et ses fonctions. Pour ne trouver aucun obstacle à ses desseins, elle exigea des pouvoirs illimités, elle mit tous ses membres à couvert de l’inviolabilité ; enfin assemblée subordonnée, puisqu’elle ne représentait qu’une section de l’Empire français, elle affecta d’exercer tous les droits et les pouvoirs de l’Assemblée nationale : comme si les attributs des pouvoirs souverains pouvaient appartenir à d’autres qu’à ceux qui exercent les droits de fa nation dans sa totalité; comme si s’assimiler à eux, ce n’était pas supposer un empire dans l’Empire, et prétendre à représenter une nation indépendante et séparée. Contre tout principe, cette assemblée décréta que la correspondance des administrateurs ne pouvait être rangée dans la classe des secrets privés; qu’elle ne devait pas être surtout mystérieuse pour les représentants de la commune, et qu’en conséquence les lettres et paquets à l’adresse des administrateurs, étant des lettres et paquets ministériels et d’administration, seraient ouverts par le président en présence de l’assemblée. Les administrateurs, Messieurs, sont les hommes de la nation et du roi. Chargés de gouverner à deux mille lieues une colonie immense, objet de la jalousie des nations rivales, quels inconvénients n’aurait-on pas à craindre si le secret de l’Etat était entre les mains et à la connaissance de tout le monde. C’est ce qui est arrivé. Rien n’était secret : les administrateurs ne savaient que par le bruit ou les papiers publics le contenu des paquets qui leur étaient adressés. Vous croiriez, Messieurs, que les correspondances particulières étaient plus respectées : il serait facile d’administrer la preuve du contraire. La conduite que tenait l’assemblée était imitée par les comités dévoués à ses principes, qui ne respectèrent même pas les secrets des familles. Ces comités étaient composés d’hommes étonnés de se voir agents de la chose publique. Un décret mande M. de Campan, capitaine de grenadiers au régiment du Port-au-Prince, major par intérim à Saint-Marc, pour avoir refusé d'assister à l’installation d’une assemblée qu’il ne pouvait pas reconnaître pour légale, et dans laquelle on ne lui donnait pas ia place que son rang lui assignait. Il présente une lettre de son chef. Il est décrété qu’un officier général, commandant en second de la partie de l’ouest, sera mandé à la barre de l’assemblée pour y rendre compte de la défense faite à M. de Campan. (17 avril.) Décret qui ordonne que M. le gouverneur général renverra sous huit jours, sur un bâtiment du roi, les deux cent quatre-vingts hommes de recrue arrivés au Port-au-Prince ; que cet embarquement se fera en présence de [30 septembre 1790.] 325 deux commissaires du comité de l’ouest, et qu’il ne sera’ plus reçu de recrues dans la partie française de Saint-Domingue, jusqu’à ce que l’assemblée en ail autrement décidé. Ces recrues étaient composées de jeunes gens nécessaires au régiment dont le fond diminuait par les mortalités et les congés acquis. L’assemblée établit un comité de recherches, et décrète que les comptables enverront, du jour du décret au 10 mai, leurs bordereaux de caisse dûment visés de l’officier d’administration ; et défend à ceux de Saint-Marc de se démunir de leurs fonds, sans l’autorisation de l’assemblée. (24 avril.) L’assemblée invite M. le gouverneur-général à se rendre auprès d’elle pour manifester ses principes et sa véritable opinion. On lui observe que, par son refus, il ne forcera point à prendre des mesures désagréables pour Rassemblée, comme pour lui ; qu’il ne la mettra pas dans le cas de déployer les moyens qu’elle a dans ses mains. On lui marque qu’il occupera dans Rassemblée la même place qu’occupent les ministres du roi parmi vous, lorsqu’ils se présentent officiellement. C’est au représentant du roi que Rassemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, dont la constitution n’était pas même légale, parle avec une pareille hauteur. C’est elle qui ose se comparer aux repré-sentansdela nation, qui n’ont point d’égaux. Une pareille conduite, Messieurs, n’offense point M. de Peynier, gouverneur général. Il pensa qu’une démarche que l’on n’avait pas droit d’exiger de lui, pourrait avoir un bon effet. Il se rendit à Saint-Marc. Cet homme loyal, cebrave militairequi a tout sacrifié à Ramour de la paix, au désir de la maintenir, n’a pas eu lieu d’être content de sa résignation. On a lu en sa présence des paquets interceptés qui lui étaient adressés ; il y a été interpellé d’une manière outrageante. C’était une victoire pour Rassemblée générale de la partie française de Saint-Domingue d’imaginer qu’elle avait forcé le gouverneur-général à se rendre auprès d’elle. Cette victoire lui en préparait d’autres. (26 avril.) En suivant ce qui s’est passé dans cette assemblée par ordre de date, le 26 avril, elle reçut de la province du nord un paquet qui contenait votre immortel décret du 8 mars, décret à jamais mémorable, décret qui assure le sort des colonies. Un décret, Messieurs, rendu par les représentants d’une grande nation, est le serment de toute la nation. La nation a donc juré que nos propriétés mobilières et immobilières seraient respectées; que ce que nous possédions légitimement, parce que la loi et le prince en sont garants, ne serait plus l’objet d’une discussion que la raison ne peut étayer. Nos propriétés sont d’un poids immense dans la balance générale. Si les Etats sont des masses combinées, plutôt par la nature qui dirige tout, que par les calculs des hommes ; si ces masses, qui doivent essentiellement exister pour se soutenir ou se détruire mutuellement et faire place à d’autres, influent dans l’ordre politique, quel vide n’éprouverait pas cette monarchie, si de faux calculs, si des préjugés plus vains lui faisaient per-pre ses colonies ? Dans l’ordre politique nos propriétés sont inaltérables ; dans Rordre moral même elles sont inattaquables. Votre éternel décret, qui fait époque dans la colonie, votre éternel décret qui avait rappelé la joie et la tranquillité dans tous les cœurs, fut soumis à l’examen de Rassemblée générale de la partie françaisede Saint-Domingue, qui cependanta 326 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790.] arrêté qu’il vous serait fait une adresse de re-mcrcîments. Vous avez su avec quel enthousiasme il a été reçu dans toute la colonie, et que des actions de grâces ont été rendues à l’Eternel pour ce signalé bienfait. (26 avril.) L’assemblée décrète que son installation sera notifiée au conseil supérieur de la colonie par deux commissaires du comité de l’ouest qui y prendront les places d’honneur, seront couverts, reçus et reconduits par deux de Messieurs jusqu’à la porte de la salle d’audience. Cette cérémonie a eu lieu. Le conseil a fait, ce sacrifice à l’amour de la paix, et pour ôter tout prétexte à des esprits dangereux de faire le mal. (30 avril.) La permanence de l’assemblée est décrétée à l’unanimité. Les députés, dit Je décret, ne sont plus les représentants de leurs paroisses, mais de toute la partie française de Saint-Domingue. En conséquence, ils n’ont plus de mandats à recevoir de leurs constituants ; ils ne peuvent être révoqués que pour cause de forfaiture jugée. Les membres rappelés continuent leurs fonctions. Faite pour préparer des plans, cette assemblée marchait à l’indépendance de tous les genres. Pour que toutes les branches d’administration gémissent sous Je despotisme de cette assemblée, il est décrété que le préposé à l’administration des finances, ses subalternes et comptables sont dès ce moment sous ses ordres, et continueront d’être aux appointements de la partie française de Saint-Domingue; que le commissaire, chargé de la direction des finances, se transportera, sous quinzaine, à Saint-Marc avec ses bureaux. La plus légère réflexion eût fait apercevoir les dangers et les frais énormes de cê déplacement. Le décret fut sans effet. (5 mai.) Cette étonnante assemblée, toujours hors de mesure, confirme le conseil du Cap, et s’attribue un droit qui ne pouvait lui appartenir. Elle confirme les jugements rendus par ce nouveau tribunal, défend au conseil supérieur de la colonie de connaître des affaires dans l'arrondissement de la province du Nord. Ce décret inconstitutionnel peut avoir des effets dangereux pour les particuliers qui auront poursuivi des jugements iucompétcmment rendus. La réunion clés deux conseils a été funeste à la province du r ord. Nous devons regarder cette réunion comme le principe des troubles dont cette brillante et principale partie de la colonie a été si cruellement agitée. (8 mai.) Après avoir attaqué tous les degrés de juridiction, cette assemblée décrète encore que les administrateurs n’accorderont plus de concessions. (13 mai.) Elle décrète le rétablissement de la plaidoirie, oubliant toujours, même dans les choses bonnes en elles-mêmes, qu’elle ne peut cj je proposer. Je vous al dit, Messieurs, que votre décret du 8 mars avait été reçu avec enthousiasme ; que les paroisses en avaient témoigné leur allégresse et avaient fait des adresses à l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue pour notifier leur pleine et entière adhésion a ce précieux décret, et l’inviter à en adopter les principes. La province du nord, la Croix-des-Bou-quets, d’autres paroisses encore lui témoignent qu’elles s’opposeront à l’exécution de tout décret qui ne sera pas émané de vous; qu’elles arrêteront la promulgation de tout arrêté qui n’-aura pas été préalablement communiqué aux assemblées provinciales; revêtu de la sanction provisoire _au gouverneur général, et terminé par ces mots : sauf la décision définitive de V Assemblée nationale et la sanction du roi. Cette conduite sage et réfléchie devait éclairer l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, et la rappeler aux vrais principes. Toujours loin du plan qui lui était tracé, elle chercha à jeter des craintes dans les esprits; elle interprêta l’article 4 de votre décret et de vos instructions du 28 mars. Fatigué de tant d'incertitudes et d’écarts, on se plaignit hautement de la conduite de l’assemblée qui fit une adresse insidieuse à ses constituants. Les municipalités devaient être établies sur le mode de celles de France en ce qui ne nuirait point aux convenances locales. L'assemblée décrète un nouveau mode sans le soumettre à la sanction. provisoire du gouverneur général : quelques paroisses adoptèrent ce nouveau plan ; beaucoup le rejetèrent. (28 mai.) Par son décret du 28 mai, l’assemblée annonce qu’elle attendra que vous ayez fait connaître vos dispositions. Ce décret, suivant l’assemblée, devait tranquilliser les esprits et ramener la paix, elle le présentait comme conforme à votre décret. Il serait inutile de rien ajouter aux observations de l’assemblée provinciale du nord qui n’ont point été affaiblies par le développement qu’en a fait l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. C’est en vain qu’un écrivain de celte assemblée a voulu identifier le décret du 28 mai avec celui de votre auguste Assemblée : en vain a-t-il prétendu rappeler la confiance publique sur un acte où tous les principes constitutionnels sont méconnus, et où les liens, qui doivent unir les colonies à la mère-patrie, sont presque entièrement brisés. Un député de l’assemblée générale écrivait à sa femme (sa correspondance est imprimée) : « La « colonie est maintenant entre la liberté et la « servitude. Si elle est digne d’être libre, elle « acceptera notre décret du 28 mai, et se confiera « à nous pour la perfection de l’ouvrage, si elle « s’en tient au décret de l’Assemblée nationale et « aux instructions qui l’accompagnent, elle n’aura « fait que changer de jougç et alors ce n’est pas « la peine de se tuer pour ne rien faire ». Le même jour, l’assemblée arrête qu’elle adhère au décret du 8 mars avec reconnaissance, en tout ce qui ne contrarie point les droits de la partie française de Saint-Domingue, déjà consacrés dans son décret du 28 mai. (4 juin.) Dans les mêmes principes, l’assemblée décrète que tous les affranchissements, pour quelque cause que ce soit, demeureront suspendu?, à compter du jour de la notification du présent décret; que quant aux libertés qui se trouvent actuellement données, soit par testament ou par tout autre acte, et dont les demandes seraient ordonnancées et non encore homologuées, elles demeurent également suspendues ; que quant à celles qui seraient demandées par la suite, l’assemblée générale de la partie française de Saiol-Domingue s’en réserve la connaissance, pour y être statué ainsi qu’il appartiendra. Prenant en considération les abus résultant plus particulièrement des libertés qui s’obtiennent par mariage, l’assemblée fait défense de passer outre à la célébration , jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné; seront réputés frauduleux et nuis tous les affranchissements qui, postérieurement au présent décret, seraient accordés contre les règles usitées de la partie française de Saint-Domingue. La colonie, Messieurs , d’après vos décrets, et pour arrêter les écarts de l’assemblée, s’occupait [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790.] 327 de convoquer des assemblées de paroisses, pour déterminer si celle de Saint-Marc continuerait ou s’il s’en formerait une autre, d’après vos intentions : elles sont indiquées. Effrayée de cette nouvelle marche, dans la crainte de se voir dissoudre, l’assemblée choisit, dans son sein, les émissaires qu’elle doit envoyer dans tous les quartiers, dans toutes les villes, pour se faire des partisans. Cet emploi est donné à ceux dont les talents promettent plus de succès. Le Cap est départi à un jeune orateur qui possède éminemment le talent de la parole; toujours sûr de lui et de l’effet qu’il doit produire. Il avait déjà ébranlé les esprits. Ses collègues et lui s’étaient annoncés porteurs de paroles de paix et de conciliation. Leurs discours étaient incendiaires et tendaient à diviser les esprits et à mettre le trouble dans la ville et les dépendances. La province du nord clairvoyante, occupée de la chose publique, enjoint à cet orateur et à ses collègues, d’avoir à désemparer du Cap avant le coucher du soleil, de la province, sous quarante-huit heures, sous peine d’être embarqués. Plusieurs paroisses ont résisté aux insinuations de ces émissaires envoyés pour les séduire: elles ont révoqué l’assemblée; d’autres l’ont maintenue purement et simplement; d’autres, à la charge de se conformer à vos décrets et aux instructions qui les accompagnaient : c’était dire que, jusque-là, elle s’en était écartée. Onze paroisses ont gardé le silence. L’assemblée générale delà partie française de Saint-Domingue, ses partisans, n’ont rien oublié pour rendre ces assemblées orageuses, en écarter le citoyen tranquille et rester maîtres des délibérations. Ces excès sont consacrés dans les pièces que nous produisons.� Ils ont été au Port-au-Prince, au point que l’église, lieu de l’assemblée, a été vide en un instant; que les bons citoyens se sont retirés, et que la délibération de ce jour a été prise par quarante ou cinquante partisans de l’assemblée, dont les noms ne sont pas connus en majeure partie. Ils n’osèrent cependant pas tixer, dans leur délibération, la continuation pure et simple de l’assemblée; ils arrêtèrent que les vœux seraient portés, par scrutin, chez les capitaines de districts, et que le dépouillement s’en ferait à l’église à un jour indiqué. On nomma des commissaires presque tous pris dans le comité de cette ville, vendu à l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. Le dépouillement des scrutins se lit. L’on passa, sans examen, tout ce qui était en faveur de rassemblée ; on compta, comme positifs pour la continuation, les vœux conditionnels, et on livra, à la plus sévère discussion, l’état, les personnes, les qualités de ceux qui en demandaient la dissolution, dont la majeure partie furent désignés comme incapables de voter, par cela seul qu’ils étaient contre l’assemblée. L’animosité des partisans de l’assemblée alla plus loin ; on désigna les opposants ; on leur fit craindre des outrages ou des malheurs. On s’était déjà familiarisé avec ces excès. Sans jugement, sur le cri du peuple, un ancien juge du petit Goave y avait été décapité; cette ville est ouvertement dévouée à l’assemblée. Un citoyen connu et estimé du Port-au-Prince, avait été, de la manière la plus indigne, traîné par la ville; un mulâtre pendu par les agents du comité. Ce comité était assemblé ; prévenu du désordre qui devait régner dans la ville, et quoiqu’il eût appelé à lui la police, dont il avait dépouillé ceux qui devaient y veiller par état, il ne se donna aucun soin pour prévenir le crime. Dans un récit rapide, il serait difficile de rapprocher des événements qui se sont vivement succédé, et qui ont eu lieu aux mêmes époques; les réflexions qu’ils entraînent nécessairement, en coupent le fil. J’y mettrai toute la précision qui sera en moi, pour ne point fatiguer votre attention. L’assemblée du Port-au-Prince, dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir, a eu lieu le 13 juin. Elle fut orageuse; rien n’y a été libre que la violence des partisans de l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, qui y voulaient dominer; ils y ont réussi. Le lendemain, les citoyens, que le trouble et la crainte avaient écartés, se rendirent chez un notaire, et y protestèrent contre l’assemblée du jour précédent. Cette protestation porte un caractère bien différent ; elle est signée par tous citoyens connus, dont la fortune et l’état pouvaient supporter le grand jour. Cette protestation ne fut pas le seul effet des craintes des bons citoyens; ils se réunirent et formèrent une compagnie de volontaires composée de la jeunesse la plus active, -la plus dévouée aux bons principes et à l’esprit du bon ordre. On comptait aussi, dans cette compagnie, les citoyens les plus recommandables par leur état et les plus estimables par leurs qualités. Cette compagnie nomma des chefs. Elle avait deux destinations: elle était civile et militaire. Elle nomma un président de ses assemblées ; le choix tomba sur moi. Le serment que fit cette corporation, la légitime aux yeux de l’honneur; il est joint aux pièces. Je vais vous en donner lecture. Serment prononcé par la compagnie des volontaires du Port-au-Prince, le 12 juillet 1790. » Nous Français, citoyens de la paroisse du « Port-au-Prince, ici rassemblés en corps de vo-« lontaires, jurons et promettons, par les lois de « l’honneur, de nous soutenir et secourir dans « toutes les occasions, et de nous réunir d'esprit, « de cœur et d’actions à tous les bons citoyens, « qui, n’abjurant point leur mère-patrie, adop-« tent, comme loi sacrée et fondamentale, les « décrets de l’Assemblée nationale, en date des « 8 et 28 mars, et les instructions adoptées par « ladite assemblée. « Promettons, en outre, de protéger et défendre « l’assemblée coloniale de Saint-Domingue, qui « sera reconnue par le vœu général de la colonie, « en tant qu’elle ne s’écartera jamais, sous au-« cun prétexte, des décrets de l’Assemblée natio-« nale, ci-dessus rappelés. « Pour copie conforme à l'original, « Signé : DU COLOMBIER, secrétaire. > L’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, qui sentait de quel poids serait cette nouvelle formation, si bien organisée, qui devait donner de l’activité et inspirer de la confiance, lança un décret qui portait l’anéantissement de cette compagnie. Ce décret fut sans effet. Par un nouveau décret, l’assemblée défend aux directeurs des postes de délivrer aucune lettre ni paquet, qu’après qu’un membre du comité aura présidé à l’ouverture des malles du courrier. Par cette précaution, le comité était instruit des paquets adressés au gouvernement et du lieu de leur départ. Par cette opération, le départ des courriers était retardé ; le commerce en souffrait, et l’assemblée pouvait répandre les écrits qui favorisaient ses projets. M. le gouverneur général, 328 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790.] conformément k vos instructions, fait la proclamation delà continuation de l’assemblée, par une majorité qui n’était qu’apparente: il compte aussi, comme positifs, les suffrages conditionnels, et quoiqu’il connût parfaitement les cabales et les intrigues de l’assemblée et de ses agents, il se croit obligé de prononcer la continuation d’une assemblée aussi dangereuse ; mais il déclare formellement, qu’invioiablement attaché aux intérêts de la nation, il ne permettra l’exécution d’aucun décret de l'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, qu’autant qu’ils auront reçu la sanction. Plusieurs paroisses font connaître, d’une manière bien exprimée, leurs principes, leur adhésion à vos décrets. Leurs arrêtés vous seront remis. Malgré le vœu des paroisses qui n’étaient pas dans les principes de l’assemblée; malgré les réclamations de la province du nord, cependant elle décrète encore l’établissement des municipalités, sur un plan combiné par elle et éloigné du mode des municipalités du royaume. Le gouverneur général, qui voyait avec douleur rassemblée s’égarer pour ne pas adopter vos principes, publie une interprétation de vos décrets des 8 et 28 mars, dont il ne veut ni ne peut s’écarter, et renouvelle sa profession de foi : cet homme loyal, ce brave militaire ne prétendait rien changer à vos décrets ; il annonce ce qu’il sent, ce qu’il éprouve en les méditant, ce qu’il croit que tout homme honnête doit sentir. L’assemblée le dénonce comme usurpateur du pouvoir législatif; l’accuse d’attenter à l’autorité de cette auguste Assemblée; le déclare convaincu d’avoir violé les droits de la partie française de Saint-Domingue, et exercé le despotisme le plus affreux. Le délire le plus absolu avait anéanti toutes les facultés de cette assemblée. M. de Peynier, Messieurs, est l’homme le plus simple, le plus droit, le moins attaché aux prérogatives de son état, le moins jaloux d’honneur, le moins entreprenant. L’assemblée décrète que le préposé à l’administration des linances versera, chaque mois, jusqu’à nouvel ordre, entre les mains du receveur de Saint-Marc, une somme de 200,000 livres, qui sera à la disposition de l’assemblée, avec injonction aux receveurs de s’y conformer, sous peine d’y être contraints comme dépositaires de deniers publics. Une ordonnance du commissaire ordonnateur, faisant fonctions d’intendant, arrête l’effet du décret. Par un nouveau décret, l’assemblée casse et annulle l’assemblée provinciale du nord , et déclare déchu, pendant dix ans, du droit de citoyen actif, quiconque n’obéira pas au décret. Elle avait tenu la même conduite en décrétant la suppression de la compagnie des volontaires du Port-au-Prince. Cette assemblée prend, sous sa sauvegarde, l’exempt de maréchaussée de Saint-Louis, qui avait désobéi à son chef, en matière grave. Au delà de toutes les bornes, sans caractère, comme sans principes, cette assemblée ne marchait que d’erreurs en erreurs. Elle ouvre tous les ports aux étrangers. Les précautions prises par ce décret sont illusoires; l’examen le confirmera. Le commerce des colonies mérite une grande considération. Le temps est venu où toutes les discussions vont finir entre les cultivateurs et les négociants. Pour le bonheur général, l union doit régner entre eux d’une manière irrévocable. C’est à cette auguste Assemblée à la fixer. Point de commerce, point de colonies : aussi point de colonies, point de commerce. Aujourd’hui le commerce intérieur, les échanges de royaume à royaume n’occuperaient pas la trentième partie du commerce national. Ce sont les colonies qui sont l’âme du commerce: ce sont les colonies qui décident des mouvements de la terre entière; ce sont les colonies qui lient tous les hommes répandus sur la surface du globe, en se transmettant mutuellement leurs besoins. Si les colonies reçoivent des avances, reçoivent les objets dont elles ne peuvent se passer, elles doivent aussi le retour de leur3 productions territoriales. C’est au commerce national à profiter de cet avantage, tant que les colonies n’éprouveront point de disette par le fait du commerce. Celte vérité est reconnue aujourd’hui, parce que les négociants sont des hommes instruits et sensibles. Aussi, Messieurs, jamais le commerce n’a témoigné de dispositions plus heureuses pour les colonies, que dans ce moment. La progression du commerce est sensible; il tient à la vérité, à la consommation : à tout il faut un aliment. On n’opère pas sur le néant que l’on présente aux négociants nn point sur la terre où ils puissent placer utilement leurs fonds, ils y voleront. Dépositaire de l’or, le commerce doit les avances dont les intérêts ne peuvent être payés que par le produit des terres. Cet aperçu, tout faible qu’il est, vous démontrera que le sort des colonies et du commerce est dans vos mains. Cette cause intéressante sera portée à votre tribunal. Vous aurez à juger que les productions des colonies sont dues de préférence au commerce national qui aura rempli ses engagements, mais que ce même commerce ne peut se refuser à ce que les colonies trouvent chez l’étranger ce qu’il est impossible que le commerce national lui fournisse. Vous venez de voir l’étranger admis dans nos ports; le licenciement des troupes marchait avec cette dernière opération : il est décrété. Il no fallait ni puissance ni force qui pussent s’opposer aux dispositions et aux entreprises de cette assemblée. En prononçant l’amnistie en faveur des déserteurs, on invite les troupes à abandonner leurs drapeaux, et à venir se ranger sous ceux de rassemblée. Le déserteur pouvait s’enrôler dans les troupes nationales, ou rester citoyen actif, en se faisant connaître de la municipalité. A l’expiration du nouvel engagement, le soldat devait être gratifié d’une concession, s’il restait dans la colonie. L’assemblée s’était ménagé cette disposition dans la défense faite aux administrateurs, par le décret du 8 mai, de ne délivrer aucune concession nouvelle. Cette conduite, Messieurs, n’a eu d’effet que sur les détachements du régiment du Port-au-Prince, en garnison aux Cayes et à Saint-Marc. Le dernier détachement a été embarqué sur le vaisseau le Léopard . Vous avez rendu un décret à ce sujet. Un simple interrogatoire que l’on ferait subir à ce détachement donnerait de grandes lumières sur la conduite et les projets de l’assemblée. Il est impossible d’imaginer lès moyens de séduction employés pour corrompre le régiment du Port-au-Prince : prières, présents, espérances flatteuses, tout a été mis en usage. Ce beau, ce brave régiment était sur le point de succomber, lorsque le chevalier de Mauduit, qui en était colonel, revint dans la colonie, dont il avait été huit mois absent. Aimé du soldat, il en connaissait le caractère. Il .s’attacha à découvrir les traîtres agents de ce complot. Il peint aux soldats les dangers, la honte attachée à la désertion, et fait passer dans leurs cœurs les sentiments de l’hon- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. neur. Il en est plein. Ses regards électrisent son régiment; aussi le dernier soldat est-il un homme sur lequel on peut compter. Nous devons aussi les éloges les plus marqués aux officiers de ce régiment; tous ont tenu une conduite admirable dans les circonstances critiques où ils se sont trouvés. Ils méritent que cette auguste Assemblée les prenne en considération, lorsque le moment sera venu d’organiser la colonie, et de déterminer les forces nécessaires à sa tranquillité. Nous offrirons un mémoire relatif à cet objet : il est visé du gouverneur général qui l’a adopté. L’avancement, la préférence qu'il y ••demande pour les officiers déjà attachés au régiment du Port-au-Prince est une justice. Le désintéressement du brave colonel y est bien caractérisé. Il s’oublie, pourvu que les officiers et les soldats soient pris en considération par l’Assemblée. M. de Mauduit, Messieurs, dont Washington disait : « Ce qui m’étonne le plus « dans ce brave et jeune chevalier français, « c’est sa modestie » ; M. de Mauduit est le héros, l’ange tutélaire delà colonie : tout était perdu sans lui. C’est lui qui a ranimé des ressorts trop relâchés ; c’est lui qui a dit, qui a prouvé qu’il y avait plus de danger à s’abandonner aux écarts de l’assemblée générale delà partie, etc., et des perfides comités qui en étaient les agents, qu’à les arrêter dans leur marche; c’est lui quia sauvé la colonie, en relevant l’âme du soldat, et en l’attachant à la cause des bons citoyens. Quel sort eût été le nôtre, Messieurs, si, par l’inspiration de l’assemblée, les soldats eussent abandonné leurs drapeaux! Un mauvais soldat est un malhonnête homme. Cette troupe débandée se serait portée à tous les excès ; les gens honnêtes en eussent été les premières victimes. Le chevalier de Mauduit, par son seul caractère, a rappelé à l’honneur, des gens qu’on disposait au crime ; il les a rappelés à la fidélité qu’ils devaient à la nation ; aussi est-il béni par tous ceux qui ne s’aveuglent point. Nous l’aimons tous. Il a reçu nos félicitations. Un homme estimé de Washington, le législateur, le créateur de l’Amérique, doit être vertueux. Il est bien doux pour l’amitié d’ajouter une pensée à l’opinion publique. Cependant on vous Je peindra comme un traître, comme un scélérat. Un nouveau décret de l’assemblée générale défend de connaître de l’affaire qui se poursuivait à la juridiction du Port-au-Prince, contre un des membres du comité de cette ville: il en était alors président. 11 était, avec d’autres confrères, accusé d’avoir cherché à corrompre les soldats, d'avoir tramé des cabales abominables et des projets affreux : -les dépositions en font foi. Ce sont sur de pareils hommes que l’assemblée ouvrait sa main protectrice! Un second décréta donné le même appui à celui qui avait le premier présidé l’assemblée, et qui en avait fait l’ouverture. Il est défendu aux tribunaux du Cap de faire aucune poursuite. Il était accusé d’avoir été le moteur d’une prise d’armes, dans la nuit du 16 au 17 décembre, dont l’effet devait être funeste à MM. de Vincent et de Cambfort. Il était question de s’assurer de leurs personnes, pour ne plus trouver d’obstacles à ses projets ambitieux. Les trames ourdies pour séduire les troupes furent dirigées aussi contre l’équipage du vaisseau du roi le Léopard, en rade au Port-au-Priuce, et commandé par M. de La Galissonnière, dont le nom illustré par de grandes actions serait un [30 septembre 1790.1 $29 titre, si ses services ne le rendaient recommandable. Les membres du comité du Port-au-Prince furent les agents de ce complot: nous vous produirons des lettres de l’assemblée générale. Pour arrêter les effets de la séduction, M. de Peynier crut indispensable de faire lever l’ancre à ce vaisseau, il donna l’ordre àM. de La Galis-sonnière d’appareiller pour le Cap. L’équipage refusa d’obéir, et dit qu’il était aux ordres du comité du Port-au-Prince, et de l’assemblée générale, qui avait rendu uu décret du 27 juillet, portant, en substance, que l’officier commandant le vaisseau du roi h? Léopard , ainsi que les forces navales alors au Port-au-Priuce, seraient requis au nom de l’honneur, du patriotisme, de la nation, de la loi, du roi, et particulièrement de la partie française de Saint-Domingue, de ne point sortir de la rade du Port-au-Prince, jusqu’à nouvel ordre. Les officiers de ce vaisseau n’étaient plus eu sûreté à leur bord ; ils reçurent l’ordre d’en descendre, et l’équipage, soutenu dans son insurrection, persista dans sa désobéissance. Il ne fut plus possible, Messieurs, de tolérer les abus qui se multipliaient. Les craintes des gens honnêtes augmentèrent. On voyait, dans le vaisseau le Léopard, un ennemi dangereux que l’on pouvait diriger contre la ville; et peut-être cela eûl-il été exécuté, si les coups n’avaient pu n’être portés que contre les objets de leur haine. M. le gouverneur général assembla un conseil ; on y examina toutes les pièces qui démasquaient les séditieux : on délibéra sur le parti à prendre pour assurer la tranquillité de la ville. Par les dépositions qui venaient de toutes parts aux chefs, par les avis qu’ils recevaient des mouvements que l’on remarquait dans la ville, tout annonçait des projets dangereux. L’on a même su que si ces projets n’avaient pas été exécutés à certaine époque, c’est que les moyens n’avaient pas été bien concertés. Il fut arrêté que pour prévenir un désastre qui ne devait porter que sur la partie saine de la ville, et ceux dont l’état et la fortune pouvaient dédommager les scélérats qu’on emploierait; il fut arrêté qu’on s’assurerait des plus dangereux agents de cette perfidie; ils furen t désignés ; M. de Mauduit en reçut l’ordre. Ses différents pelotons commandés attendaient que la frégate l’ Engageante fût hors de la portée du canon du Léopard , dont on craignait le ressentiment, lorsqu’il saurait que ses partisans étaient arrêtés. La frégate appareilla, et lorsqu’elle fut hors de ioute atteinte, les pelotons se mirent eu marche. Il était une heure après minuit. Les vents, qui commandent l’instant de départ des bâtiments, n’avaient pas permis une expédition plus prompte. M. de Mauduii est informé que la maison où se tenait le comité est remplie de gens armés, au nombre de plus de trois cents, quoique la garde n’y fût ordinairement que de vingt hommes. Il en instruit le gouverneur général, et l’assure qu’il dissipera cet attroupement, s’il en reçoit l’ordre. Le général le lui envoie. M. de Mauduit apprend que l’attroupement augmente; que de tous côtés l’ou voit dans la ville des gens qui forcent les citoyens à abandonner leurs maisons pour se rendre en armes au comité; que les patrouilles bourgeoises sont de 40, 50, même de 80 hommes ; qu’une patrouille militaire de 5 hommes a été désarmée; que l’on annonce des projets sur les magasins du roi, où l’on veut attirer toutes les forces, afin d’exécuter plus sûrement les projets concertés. 11 y envoie un piquet sous les ordres d’un capitaine. A l’instant où l’on y voit déboucher une patrouille nombreuse, 330 |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1790 ] avec deux fanaux, quoique la lune éclairât de manière à faire saisir tous les objets. M. de Mauduit envoie tous ces détails au gouverneur général, et lui mande qu’il est instant de prendre les mesures nécessaires pour arrêter de plus grands malheurs. L’officier, porteur des avis du colonel, lui rapporte l’ordre deM. de Peynier de tout faire pour prévenir le mal. Alors M. de Mauduit réunit les différents pelotons, parce qu’il présume que les gens désignés pour être arrêtés étaient au comité. Il prend deux pièces de canons. Les pelotons réunis formaient 84 hommes, auxquels se joignirent 25 volontaires qui s’étaient rendus aux casernes, sur les mouvements que l’on voyait dans la ville. Ce colonel se porte vers la maison qu’occupaient les gens armés. Arrivé à l’encoignure de la rue, il place sa troupe. Seul il s’avance à vingt pas en avant, et somme cet attroupement, au nom de la nation, de la loi, du roi, et d’après les ordres de M. le gouverneur général, d’avoir à se dissiper. Il reçoit pour toute réponse : Non, non! et une décharge de coups de fusils, dont il n’est point atteint. Avec un sang-froid qu’aucune expression ne peut rendre, il recommence la même sommation ; une seconde décharge de coups de fusils et d’espingoles est dirigée sur lui. Un sapeur et un grenadier qui s’étaient avancés lors du premier danger qu’il avait couru, sont tués à ses côtés : plusieurs soldats sont tués et blessés derrière lui. Deux volontaires le furent aussi. Alors il ordonne à sa troupe de faire feu. Deux S artisans du comité sont victimes. On crie : Grâce! de Mauduit, aussi généreux et humain, qu’il est brave, fait cesser le feu et contient les soldats jusqu’à ce que les malheureuses victimes de la séduction eussent eu le temps de s’échapper. Les soldats frémissaient de rage de voir leurs camarades tués et blessés: mais ils obéissent à leur chef, qui ne permet d’entrer dans la maison que lorsqu’il la crut évacuée. Il ordonna à ses soldats de se saisir des armes abandonnées par les fuyards. On trouva beaucoup de fusils, de pistolets, trois espingoles; 35 personnes étaient encore enfermées dans cette maison. M. de Mauduit les met sous la sauvegarde de l’honneur. Les soldats les conduisent aux casernes où elles ont passé le reste de la nuit. Voilà, Messieurs, le récit fidèle de l’événement qui a eu lieu au Port-au-Prince dans la nuit du 29 au 30 juillet. En vain les ennemis de la vérité, les ennemis de M. de Mauduit voudraient le calomnier, ils n’altéreront point ces faits. Ils publient que ce colonel avait des projets destructeurs. C’est avec cent huit hommes qu’il en attaque quatre cents retranchés et armés. Deux hommes sont tués par le feu de la troupe bien servi ; un plus grand nombre de soldats sont victimes d'un feu mal dirigé par des gens peu accoutumés au maniement des armes. M. de Mauduit avait deux canons qui n’ont effrayé que par leur bruit. Ils n’étaient point chargés pour être meurtiers. C’était l’intention de ce colonel, qui n’a point attaqué, qui n’a point tiré le premier. Il ne voulait point de victimes: il voulait dissiper un attroupement devenu dangereux, parce qu’il était dirigé par des scélérats qui voulaient profiter du désordre. Ces hommes atroces, pour irriter les esprits, annoncèrent que la ville devait être livrée au pillage. Us n’ont produit que le découragement, et il n’y a pas eu de pillage. Ils ont osé lâchement calomnier la troupe et leur chef: leur calomnie est retombée sur eux. La ville, inquiète auparavant, toujours agitée de craintes, est rentrée dans le calme le plus profond par la fuite des auteurs du désordre. La proclamation que le gouverneur général fit le lendemain, aurait ramené la sécurité; elle a été troublée par la déclaration de guerre de l’assemblée de la partie française de Saint-Domingue, dont il avait prononcé la dissolution, ainsi que celle du monstrueux comité du Port-au-Prince. La destruction de cette assemblée était le vœu de tous les honnêtes gens de la colonie. Tandis que cet événement s’opérait au Port-au-Prince, sans s’être concertée, la province du nord faisait des dispositions qui tendaient au même but ; elle envoyait douze députés, pris dans tous les corps, pour offrir au gouverneur général force, appui, et le prier d’user de l’autorité et des moyens qu’il avait dans ses mains, pour y parvenir. Cette députation annonçait le départ d’un corps de troupes patriotiques et d’un détachement du régiment du Gap, sous le commandement de M. de Vincent, qui devait attendre des ordres aux Go-naires. Je vous ai dit, Messieurs, que les préparatifs pour opérer la dissolution de rassemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, se faisaient à deux points éloignés, sans avoir été concertés. Dans le même temps, l’on disposait au Port-au-Prince, un détachement de troupes patriotiques et réglées, qui devait se porter à Saint-Marc, M. de Mauduit devait le commander; on l’avait demandé, parce que le sort de la colonie repose sur lui. C’est dans ces circonstances que le vaisseau le Léopard partit du Port-au-Prince. On croyait qu’il faisait voile pour la France; il alla s’embosser à Saint-Marc, de manière à écraser toutes les forces qui auraient pu le porter du Port-au-Prince sur cette ville, par terre et par mer. Le ministre a dû vous faire parvenir les détails relatifs à ce vaisseau. L’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue cria aux armes ; elle invita toutes les paroisses à se réunir. Je vais vous donner connaissance des lettres et proclamations. Séance du 31 juillet. « L’assemblée générale, transportée d’une vive « indignation aux nouvelles affreuses qu’elle « vient de recevoir du Port-au-Prince, et péné-« trée du sentiment le plus juste et le plus pro-« fond, jure de venger le sang des braves citoyens « contre lesquels l’exécrable Mauduit, avoué par « le traître Peynier et par son infernal conseil, a « osé enfin tourner des armes destinées à défen-« dre les habitants de cette île. « Invite, au nom de l’honneur et du salut de « la patrie en danger, toutes les paroisses de la « partie française de Saint-Domingue, d’accourir « très promptement au secours de leurs frères du « Port-au-Prince qu’on égorge. « Déclare le comte de Peynier et les sieurs « Mauduit, Coustard, Cournoyer, La Galissonnière