SÉANCE DU 27 BRUMAIRE AN III (17 NOVEMBRE 1794) - N08 23-24 327 égaré, ne leur tirât dessus ; mais aussi ils n’en avaient besoin que pour cela, car un homme mis sur la liste des émigrés était un homme perdu. Je vous ai déjà écrit qu’on lui faisait refuser des certificats dans les sections, puisqu’on forçait ou trompait le département pour qu’il prît un arrêt défavorable, et qu’il obligeât le tribunal à lui faire couper la tête sans jugement. A ces horreurs il s’en mêlaient d’autres, fruits de l’ignorance et de la cupidité, qui n’étaient pas moins funestes, quoique leur effet fut moins sensible pour les gens mal instruits. On avait chassé les bibliothécaires et les médecins de leur place, et des membres de la municipalité exerçaient ces deux fonctions. Marat-Chaussin [Marat-Chaussier] (82) prêtre, était médecin des prisons, et cela dans un temps où une dyssenterie contagieuse ôtait la vie d’abord aux prisonniers et avait ensuite attaqué les habitants ; ces hommes ignorants avaient entassé six cents malades dans des églises propres au plus à en contenir deux cents. Les bons médecins étant morts ou emprisonnés, et les blessés des hôpitaux livrés à l’ignorance, jugez dans quel état était la ville ! Enfin l’air est devenu plus doux, le système politique plus humain; ces fléaux sont bannis pour ceux qui respirent encore; ceux qui sont morts sont une juste cause de regrets pour les bons citoyens; et les enfants, poursuivant les intrigants déplacés quand ils traversent les rues, commencent à leur faire sentir les tourments des vengeances du peuple. A présent on agite la société populaire; on tâche d’y appeler les mécontents ; je les laisse faire, et vous promets de déjouer ce nouveau complot. Signé, Calés. [L’Assemblée, à plusieurs reprises, témoigne son indignation pendant la lecture de cette lettre .] (83) CLAUZEL : Je demande l’insertion de cette lettre au Bulletin, afin de faire connaître au peuple les intentions et les sentiments de ceux qui voudraient ramener le système de terreur dont nous sommes heureusement délivrés. ( Applaudissements . ) [BARÈRE (84) : L’abus atroce dont notre collègue parle dans sa lettre n’a pas été commis seulement à Dijon. Dans toute la République des autorités constituées se sont permis de mettre des citoyens hors la loi, de sorte qu’un grand nombre de Français sont frappés d’anathème par des autorités illégitimes. Il n’est point dans l’intention de la Convention de laisser subsister de pareils actes. Je demande que (82) Débats, n° 785, 810. (83) Débats, n° 785, 810. (84) Moniteur, XXI, 529. Débats, n° 785, 810. J. Mont., n° 33; J. Perlet, n° 785 et M.U., n° 1345 indiquent Rovère pour cette intervention. le comité de Législation soit chargé de nous faire un rapport à cet égard.] Cette proposition est adoptée. 23 Elle renvoie aux comités de Salut public et des Secours publics la pétition d’Etienne-Claude Carré, ci-devant instructeur des élèves de l’école de Mars, qui demande un emploi (85). 24 Le citoyen Marcé donne lecture d’une adresse de la société populaire de Chartres [Eure-et-Loir], qui félicite la Convention du décret sur les sociétés populaires et dit qu’il a rempli le double objet de consacrer l’existence impérissable des sociétés populaires, et de vouer aux mépris les dangereux meneurs qui voudroient rivaliser avec la Convention nationale. Le président lui répond; La Convention nationale décrète la mention honorable, l’insertion au bulletin de l’adresse et de la réponse du président (86). Le citoyen Marcé (87) à la barre s’exprime ainsi : Citoyens représentans, La voix que je viens vous faire entendre dans cette enceinte n’est pas inconnue des vrais patriotes. En juin 1789, elle s’éleva dans le Palais-royal contre la tyrannie, arma les citoyens, arracha les gardes françaises aux prisons de l’Abbaye, leur liberté à Capet, et la Bastille à la garnison royaliste. Les Jacobins naquirent alors, et je m’honore d’avoir l’un des premiers voté dans leur assemblée pour la République. Oui, le titre de Jacobin fut longtemps celui des patriotes, et plus d’un aristocrate s’applaudit aujourd’hui sans doute d’un sacrifice que vous avez cru devoir à la sûreté générale : mais c’est peu d’avoir dissous cette société dégénérée de ses premiers principes, où plutôt égarée par quelques chefs audacieux d’un parti ultra - révolutionnaire, si vous ne l’empêchez de se reproduire... Eh! que fait l’anéantissement de la société des Jacobins, si telle autre société adopte leurs principes, consacre leurs erreurs, accueille leurs orateurs ? Faudra-t-il donc que vous étendiez votre main sur (85) P.-V., XLIX, 245. (86) P.-V., XLIX, 245. J. Mont., n° 33, présente le citoyen Marcé comme « un député de la société populaire de Chartres ». (87) Moniteur, XXII, 522, indique le citoyen Marie.