[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1789.1 553 Cela posé, je pense que, dans tous les cas, soit de la permanence ou de la périodicité, de l’unité ou de la multiplicité des Chambres, je pense, dis-je, qu’il est de votre intérêt, car ce n’est pas la cause du roi que je défends, c’est la vôtre, c’est la mienne, il est de votre intérêt que le veto absolu soit laissé au roi. Cette question étant liée à la permanence, je pense que si nous voulons assurer notre liberté, il faudrait aussi ordonner que le Corps législatif s’assemblât tous les ans ; mais sans le veto, ce corps si puissant, qui représente la nation entière, ne reparaîtrait que pour tout changer, au lieu de tout consolider ; et cet esprit de conquête sur les pouvoirs la plongerait dans l’éternel chaos de la confusion et de l’anarchie. C’est avec raison que la sanction royale est la première question soumise à votre discussion; car dans une législation politique la nation ne fera poiut de lois sans la participation du souverain. Le plus grand nombre des lois auront été accueillies par la majorité des suffrages. Le roi ne tes rejettera pas sans les motifs les plus puissants. L’on nous a montré le roi opposé à la nation ; mais n’est-il pas de son intérêt de se confondre avec son peuple? Quel est le peuple sage qui, par l’organisation des pouvoirs, ne se prémunit pas contre celui qui peut tout, et qui voudrait tout exécuter? Il oppose au pouvoir législatif l’autorité royale. Remarquez avec moi que tous les empires qui ont voulu tant limiter l’autorité du roi ont presque toujours perdu leur liberté. La Suède a voulu ériger son sénat en sénat perpétuel, et elle a plus perdu qu’elle n’avait usurpé. Il est une grande vérité : c’est que quiconque abusé de son autorité la perd inévitablement. J'en appelle ici à votre propre expérience ; toutes les fois que le roi a abusé de sa puissance, il l’a perdue; toutes les fois que le peuple a voulu ressaisir l’autorité royale, il a fini par tomber dans l’esclavage. A la lin du dernier siècle, deux souverains ont attiré tous les regards de l’Europe, Charles II et Louis XIV. Croit-on qu’ils ont dû, dit M. Hume, leur haute puissance à leur génie et à leurs ministres? Non sans doute; l’un ne l’a due qu’à la guerre de la Fronde, le peuple honteux n’osa rien faire contre son souverain ; et l’autre a trouvé la source de son pouvoir dans l’échafaud de son malheureux père. L’Angleterre a changé neuf à dix fois de dynastie, et n’a jamais eu aucun roi anglais. Les Romains, le Danemark, la Suède, la maison d’Orange, de Brunswick, lui ont donné successivement des maîtres. Aussi a-t-elle fixé depuis à son souverain un pouvoir raisonnable ; par là ils ont fait que leur souverain a celui de résister. La sanction n’esf pas la prérogative du peuple, mais celle du roi ; le roi ne peut faire de loi; mais il me semble qu’une émulation de concours assure le bonheur du peuple. Si le roi est aveuglé, si la nation est emportée dans un moment d’insurrection ou de fanatisme, n’est-il pas désirable que ces deux pouvoirs se rapprochent au lieu de se combattre? Il est nécessaire que le pouvoir exécutif soit libre et impartial : le serait-il, si le Corps législatif faisait des lois sans sa participation, et surtout si vous en pouviez faire contre lui? S’il est dépendant de l’Assemblée nationale, il aura recoursàces infâmes moyens employés parbiendes princes, d’acheter la vertu d’une partie de leurs sujets pour écraser l’autre. 11 en est de même du pouvoir judiciaire; son concours est nécessaire, parce qu’il ne faut qu’un seul pouvoir exécutif, et il y en aurait nécessairement deux, si la nation avait le droit de faire exécuter les lois. Vous avez sous les yeux l’exemple de la Hollande : pressée entre les flots de l’Océan et l’inquisition, elle a déposé dans les mains d’un stathouder un pouvoir qui n’a aucune influence sur le pouvoir militaire et judiciaire; pour remédier à cet excès, on lui a donné la nomination des places. Les représentants des Provinces-Unies lui ont demandé de ne nommer que dans une certaine classe, et cette classe était celle de la noblesse. Aussi de là est née la plus monstrueuse aristocratie. Séparez-vous vos pouvoirs au premier choc, vous tomberez dans l’anarchie! On propose un parti bien étrange: le veto absolu pour l’Assemblée nationale, et le veto suspensif pour le peuple; mais cela revient au même; l’Assemblée nationale fait partie de la nation, et par là ne serait exposée qu’au veto suspensif. Toute autorité, dit-on, vient du peuple, mais cette autorité ne réside plus dans ses mains; il a réglé les pouvoirs, il les a distribués, et il ne peut les ressaisir à son gré sans le plus grand désordre. Dans un siècle éclairé, il est une puissance supérieure à toutes les autres; c’est l’opinion publique. La liberté de la presse est à jamais assurée, et il est évident que c’est le plus grand bienfait que l’Assemblée nationale ait pu accorder à la nation. La presse est libre, le genre humain est sauvé; il n’y aura plus de despote. Prenez garde qu’avec un veto suspensif le peuple et le Roi ne soient tyrannisés. Que l’on ne craigne pas les ministres; Richelieu Jui-même eût étouffé son génie despotique devant une Assemblée aussi solennelle. Voici le projet d’arrêté que je vous propose : « Les représentants du peuple français, réunis en Assemblée nationale, considérant qu’il est de l’intérêt de la liberté que le plus parfait concert règne entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif; que le Roi en est partie intégrante; qu’aucune loi n’est obligatoire, si elle n’est solennellement consentie par la nation et sanctionnée par le Roi : « Arrête, par un décret perpétuel et irrévocable, qu’aucune loi ne sera reconnue comme loi de l’Etat, que lorsqu’elle aura été proposée par l’Assemblée nationale et sanctionnée par le Roi, sans être obligé de motiver son refus dans le cas où il la rejetterait. Arrête, en outre, que le présent arrêté sera porté au Roi par une députation solennelle, o La séance est levée. Séance du soir. M. le Président propose à l’Assemblée de s’occuper de l'affaire relative à l’approvisionnement de Saint-Domingue. M. de Cocherel lit un mémoire sur le provisoire. , dans lequel il cherche à prouver que les ordonnances rendues par M. du Ghilleau, gouverneur général de Saint-Domingue, ont sauvé cette île précieuse; mais qu’elle est dans le plus