653 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1790.] pect leurs noms, qui ne doivent plus être séparés de celui du restaurateur de la liberté française. Si nous leur parlons de nos travaux et de nos peines, ce sera pour les engager à marcher sur nos traces, à tout sacrifier à la patrie. Nous venons de poser sur le bureau toute la procédure instruite dans l’affaire de la matinée du 6 octobre 1789 ; ensemble les pièces jointes, dont nous sommes redevables au comité des recherches de l’Assemblée nationale. Nous n’avons pas obtenu la même justice du comité des recherches de la ville de Pans, quoique nous avous observé qu’il résultait des délibérations du comité de l’Assemblée nationale et de l’instruction, qu’un grand nombre de pièces y avaient été portées. C’est l’objet d’un arrêté que nous avons l’honneur démettre sous vos yeux. Le paquet scellé renferme des décrets sur des personnes étrangères à l’Assemblée, et que vous jugerez peut-être convenable de ne pas rendre publics. » Extrait de la délibération de la compagnie, du 7 août 1790. « Ce jour, la compagnie a arrêté qu’il sera fait une députation à l’Assemblée nationale, à l’effet de lui exposer que le comité des recherches de la municipalité de la ville de Paris s’est refusé, jusqu’à présent, à communiquer au procureur du roi les pièces relatives à la plainte concernant les forfaits commis à Versailles dans la matinée du 6 octobre dernier; qu’il résulte cependant, tant des pièces remises par le comité des recherches de l’Assemblée nationale, que de l’information, que le comité des recherchas de lavihe de Paris, a nombre de pièces en ses mains qui seraient utiles à l’instruction, s’en rapportant, la compa-gnieaux mesuresque l’Assemblée nationale voudra bien prendre dans sa sagesse, pour que le comité des recherches de la ville de Paris soit tenu de communiquer au procureur du roi toutes les pièces et renseignements qu’il peut avoir à ce sujet. « Pour copie conforme à la minute collationnée par nous soussigné. « Signé : Cellier, greftier. » M. le Président répond : L’Assemblée va prendre en considération vos demandes. (La députation du Châtelet se retire.) M. Dur�et. Je fais la motion de mander sur-le-champ à la barre le comité des recherches de la commune de Paris, pour lui ordonner de communiquer au Châtelet toutes les pièces relatives aux attentats du 6 octobre, qu’il peut avoir entre les mains. (La partie droite de l’Assemblée appuie cette motion.) M . le Président se prépare à la mettre aux voix. M. de Mirabeau l'aîné. Ce n’est pas là l’ordre de la délibération. M. l’abbé Gouttes. La motion qui vient d’être faite doit être la suite de la discussion qui va s’ouvrir sur un objet beaucoup plus intéressant : nous n’avons jamais eu de question plus délicate à examiner, jamais affaire plus importante ne nous a été soumise, üe la décision que nous allons porter, dépend la confiance de la nation pour nos travaux futurs et même passés : l’honneur de l’Assemblée exige que si quelques-uns de nos collègues sont coupables, la justice ait son cours. Vouloir les soustraire à la loi, ce serait vouloir nous perdre; les condamner saus les entendre, ce serait manquer à la justice Je demande qu’il soit nommé un comité (La partie droite s'agite et murmure avec violence) pour examiner cette malheureuse affaire, qui continuera d’être poursuivie, et qui sera jugée, afin que les membres de cette Assemblée ne restent pas sous une accusation aussi solennelle. M. de Mirabeau l'aîné. Je suis très éloigné de penser, avec le préopinant, que l’Assemblée nationale éprouve le moindre embarras dans la détermination qu’elle doit prendre. Notre marche est déjà tracée, les principes sur cette matière sont déjà consacrés; l’Assemblée nationale ne peut être ni accusateur, ni juge : une seule chose la concerne, c’est de connaître les charges qui, après 10 mois, conduisent à inculper deux de ses membres. Tel est l’esprit de la loi de notre inviolabilité : l’Assemblée nationale a voulu qu’aucun de ses membres ne fût mis en cause sans qu’elle eût eilemiême jugé s’il y a lieu à action, à accusation. Je ne sais sous quel rapport on parle de décrets qu’il faut tenir secrets. Ou insinue la propositiond’un renvoi àunautre tribunal. Certes, il serait commode qu’après dix mois d’une procédure secrète, qu’après avoir employé dix mois à multiplier, à répandre les soupçons, les inquiétudes, les alarmes, les terreurs contre de bons ou de mauvais citoyens, le tribunal dont l’histoire sera peut être necessaire à la parfaite instruction de cette affaire, cessât d être en cause, et rentrât dans une modeste obscurité, où chacun de ses membres bornerait ses fonctions à instruire leurs neveux dans les principes de la liberté, et à les encourager par l’exemple de leur zèle et de leurs efforts pour la Révolution. Le droit et le désir des membres qui sont inculpés, est sans doute que tout soit connu. Notre droit, notre désir est que l’Assemblée connaisse tout ce qui concerne ses membres. Je propose de décréter que le comité des recherches de l’Assemblée nationale lui fera rapport des charges qui concernent quelques-uns des représentants delà nation, s’il en existe, dans la procédure prise par le Châtelet de Paris sur les événements des 5 et 6 octobre 1789, à l’effet qu’il soit décrété, sur ledit rapport, s’il y a lieu à accusation. Voilà le seul décret qui soit réellement dans vos principes. M. l’abbé Maury. Au moment où la main de la justice commence enfin à soulever devant nous le voile qui couvrait les déplorables événements des 5 et 6 octobre, nous devons imiter le secret religieux que se sont imposé les ministres de la justice. Je tne bornerai à discuter devant vous les principes du préopinant; ils tiennent à l’ordre public; il s’agit de déterminer la manière de concilier les intérêts de la liberté et de la justice. 11 s’agit d’établir en quoi consiste l’inviolabilité des représentants de la nation. C’est donc sur ce seul objet que je vais fixer toutes mes pensées. J’observerai avec regret que, dans deux de vos décrets, l’Assemblée a paru s’écarter des premiers principes de l’ordre public. Vous avez décrété, au sujet du défaut de payement d’une dette en matière civile, que les députés n’étaient pas inviolables. G’est surtout en matière civile qu’il serait vrai que pendant 654 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1790.] toute la durée de leur mission, aucune action civile ne devait autoriser à porter atteinte à leur liberté. Par un second décret, rendu au sujet de M. de Lautrec, vous avez dit que les membres du Corps législatif ne pouvaient être décrétés, avant qu’il eût été décidé par le Corps législatif s’il y a lieu à accusation. Vous vous êtes écartés des véritables principes; en voici la preuve. Jamais la mission honorable que le peuple vous a confiée n’a mis ses représentants à l’abri des poursuites légitimes; pourquoi voudrions-nous être hors de l’atteinte des lois dont le glaive est suspendu sur la tête de tous les citoyens? Celui qui veut que la loi le protège doit être soumis à la loi. Quelle face présenterait la France, si 1,200 citoyens pouvaient refuser de répondre à la loi ? Nous deviendrions la terreur de nos concitoyens, dont nous devons être l’espérance et la lumière. Nul homme, dans la société, ne doit pouvoir se soustraire à la justice. La justice est instituée pour sévir, non seulement contre le faible, contre le pauvre, mais encore contre le puissant. Le décret relatif à M. de Lautrec ne saurait être regardé comme un décret constitutionnel, mais comme rendu dans une circonstance donnée. Tout le monde sait qu’en ce moment il s’agit d’un crime de lèse-nation, de haute trahison. Le décret rendu au sujet de M. de Lautrec ne parie pas de crime de haute trahison. Ces crimes ne peuvent donc être jugés par ce décret. L’accord et l’harmonie régnent entre tous les décrets de cette Assemblée : je demande comment on pourrait concilier, dans le système que l’on annonce, l’usage et l’application du décret relatif à M. de Lautrec, avec les décrets constitutionnels sur la jurisprudence criminelle. Vous avez décrété que la procédure serait secrète jusqu’à la comparution de l’accusé; si le paquet remis par le Châtelet est ouvert dans l’Assemblée ou au comité, vous renversez cette base constitutionnelle : le tribunal institué par vous, pour juger les crimes de lèse-nation, ne serait plus qu’un tribunal chargé d’une commission rogatoire. Que deviendrait la justice, si les juges que vous avez reconnus mériter votre confiance en étaient privés au moment où il faut lancer les décrets? Deux de nos collègues sont accusés ; ce serait compromettre étrangement l’honneur de cette Assemblée, que de vouloir lui faire prendre, pour deux de ses membres, des précautions qui ne sont point accordées aux autres citoyens, dont l’innocence est aussi précieuse aux yeux de la loi. Nous avons parlé d’égalité. C’est devant la loi que cette égalité existe. Toute précaution est injurieuse au Corps législatif, à tous les citoyens accusés, qui doivent désirer que les motifs de l’accusation paraissent au grand jour, et qu’un torrent de lumières se répande sur cette affaire, afin que, rentrés dans la classe ordinaire de la société, ils sortent de l’épreuve qui leur est préparée, dignes de l’estime. Cette vie, morale du citoyen, tant qu’une procédure n’est pas reconnue, tant que les témoins ne sont pas ré-colés, doit être considérée comme un dépôt de calomnies : si votre comité divulguait une procédure suspecte, il pourrait déshonurer quelques-uns de vos concitoyens. évitez ce danger, en honorant l’autorité ordinaire de la loi : c’est elle que je réclame en ce moment. Les Anglais, qui se connaissent en constitution et en liberté, n’ont jamais demandé de sauf-conduits pour leurs représentants. Tout citoyen a droit de se plaindre contre un lord , le juge de paix délivre un warrant expédie un mittimus et lance un décret que le parlement approuve, car il aime les lois et la liberté. L’Assemblée nationale doit exprimer la satisfaction avec laquelle elle a vu la délicatesse du Châtelet, qui n’a pas voulu décerner, sans la con-ulter, les décrets que ce tribunal a rendus contre deux de vos collègues; que l’Assemblée nationale renvoie donc la procédure, qu’elle en ordonne la poursuite, en déclarant qu’aux yeux de la loi tous les hommes sont égaux, que la loi ne connaît que des citoyens; enfin, je demande subsidiairement que l’Assemblée ordonne au comité des recherches de la commune de Paris de remettre au Châtelet tous les documents qui seront jugés nécessaires. M. Pétion. Je n’examinerai pas dans quelle circonsiauce le Châtelet vient donner le plus grand éclat à une alfaire que l’Assemblée, que le public pouvaient croire entièrement assoupie ; mais enfin, puisqu’il vient vous en occuper aujourd’hui, puisqu’il demande le parti qu’il doit prendre, c’est à vous à lui tracer la route que vous avez déjà indiquée par un décret, non de circonstance, non particulier à l’affaire de M. de Lautrec, mais constitutionnel, mais rendu après une première discussion et après un renvoi au comité chargé de vous présenter des dispositions générales à cet égard. Vous avez senti combien il était dangereux de remettre l’Assemblée nationale entre les mains des tribunaux: vous avez senti combien on pourrait susciter de persécutions à ses membres pour les arracher successivement à leurs fonctions ; vous avez senti combien il était contraire à votre dignité de vous soumettre à ces inquisitions secrètes. Lorsqu’après avoir examiné la procédure, l’ Assemblée déclare qu’il y a lieu à accusation, ce ne sont pas des fonctions de juge qu’elle fait, mais des fonctions de grand-jure vis-à-vis de ses membres. Les grands jurés existent dans tout Etat libre, et sans grand juré il n’existe ni liberté politique, ni liberté individuelle. En vous pariant de l’Angleterre, on a onblié de vous dire que le grand juré y existait. Vous devez à vos collègues ce que vous êtes sur le point d’accorder à vos concitoyens ; vous ne prétendez point les soustraire aux tribunaux, ils seraient jugés par vous plus sévèrement que par les tribunaux mêmes ; je demande si Ton peut seulement mettre en question la motion de M. de Mirabeau l’aîné, sans revenir sur les décrets que vous avez déjà rendus ? On dit qu’il y a de la différence entre le délit dont il s’agit aujourd’hui et celui dont M. de Lautrec était accusé: il s’agit aujourd’hui du crime de lèse-nation ; il s'agissait alors du crime d’avoir voulu tenter une contre-révolution à main armée : sans doute, M. de Lautrec était innocent, vous l’avez déclaré; mais c’était d’un crime de lése-nation qu’il était question, et c’est à ce sujet que vous avez rendu un decret vraiment constitutionnel : vous en jugerez ; il sera remis sous vos yeux. Quant à la proposition de demander le comité des recherches, vous ignorez s’il a des torts et vous prendriez à son égard une résolution flétrissante. J’adopte simplement l’opinion de M. de Mirabeau l’aîné. M. de Cazalès. Je ne répondrai pas aux principes du préopinant, à ses réflexions sur les jurés, à la proposition d’établir aujourd’hui un régime particulier pour un délit antérieur à la création de ce régime. On a dit que le décret [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1790. ] rendu au sujet deM. de Lautrec est constitutionnel ; tout annonce, au contraire, qu’il est de circonstance. 11 porte que le comité présentera incessamment un projet de loi sur la grande question de l’inviolabilité des représentants de la nation; il n’est pas un membre de cette Assemblée qui, gémissant sur un de ses collègues, victime d’une accusation évidemment injuste, ait pensé s’autoriser du décret auquel il a concouru avec empressement, pour soustraire aux lois les auteurs et les complices d’un attentat déplorable, qui a souillé la Révolution, qui pèse sur la nation française, qui sera son éternel déshonneur. (Il s'élève de grands murmures dans la partie gauche de V Assemblée, la partie droite applaudit.) Oui, je le répète, qui pèse sur la nation tout entière, qui sera à jamais son éternel déshonneur ! Si les auteurs d’un forfait abominable, dont il n’est pas au pouvoir des hommes d’accorder le pardon, ne sont découverts et punis, que dira la France, que dira l’Europe entière? L’asile des rois a été violé, les marches du trône ensanglantées, ses défenseurs égorgés, d’infâmes assassins ont mis en péril les joiirs de la fille de Marie-Thérèse (il s'élève des murmures ), de la reine des Français (les murmures augmentent ), de la fille de Marie-Thérèse, de cette femme dont le nom célèbre surnagera sur l’oubli auquel vous avez dévoué les noms obscurs des victimes et des agents de la Révolution. Ils étaient députés, ils étaient Français, ils étaient hommes, et ils se sont souillés de ces attentats odieux. Si vous adoptiez la motion qu’on vous propose, si vous déballiez publiquement la procédure, vous verriez disparaître les coupables ou les preuves; le crime seul resterait; il resterait toujours p!us odieux, car il serait sans vengeance. Quel étrange privilège s’arrogeraient donc les représentants de la nation? La loi frapperait sur toutes les têtes, et ils s’élèveraient au-dessus de la loi, le seul point par lequel l’égalité rapproche insensiblement tous les membres d’une société. C’est donc au nom de la justice, votre premier devoir, de l’honneur, votre premier intérêt, de la liberté qui ne peut exister si un seul citoyen n’est pas soumis à la loi, que je vous engage, que je vous presse, que je vous conjure de décréter la motion deM. l’abbé Maury, de déclarer que les membres de cette Assemblée n’ont aucun privilège devant la justice; que le crime, quel que soit le criminel, doit être jugé et puni; que le coupable ne sera pas dérobé à l’équité, à la sévérité d’un tribunal qui a mérité votre contiance, qui est votre ouvrage, que vous avez créé pour les crimes de cette nature. Je demande donc le renvoi de cette procédure au Châtelet; je demande qu’il lui soit enjoint de la poursuivre, en lui prescrivant d’y mettre ce courage, cette activité qui doivent l’honorer et le rendre à jamais célèbre daus l’histoire. M. l