[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] Ry CAHIER Des plaintes, doléances et remontrances de la paroisse de Rouvres-sous-Dommartin , diocèse et élection de Meaux, prévôté et vicomté de Paris, remis à M. Jean-Claude Rousquin, avocat au parlement, lieutenant au bailliage et comté de Dom-martin et juge ordinaire dudit Rouvres, et au sieur Laveux, receveur des terres et seigneuries dudit lieu, y demeurant, élus députés pour comparoir pour les habitants de la ladite paroisse de Rouvres et en leur nom en rassemblée générale de ladite prévôté et vicomté de Paris, le samedi 18 avril 1789, sept heures du matin, en la salle de l'archevêché et par-devant M. le prévôt de Paris, à l'effet de concourir à l'élection des députés du tiers-état de ladite; prévôté et vicomté de Paris aux Etats généraux, et de présenter à ladite assemblée les articles des doléances, plaintes et remontrances qui suivent, et requérir (juil soit inséré au cahier commun de ladite prévôté et vicomté, lequel sera porté par les députés de ladite prévôté à l'assemblée des Etats généraux du royaume (1). Les habitants, pénétrés de la plus vive reconnaissance pour l’amour que leur porte leur bienfaisant monarque, des vues patriotiques du bienfaisant ministre qu’il a rappelé auprès de lui, et par une juste confiance dans les magistrats qui, par leur courage et leur dévouement, sont parvenus à faire rentrer la nation dans ses droits, en sollicitant avec persévérance la convocation des Etats généraux, ne croient pas pouvoir prendre un parti plus sage que d’adhérer aux principes relatifs à la liberté et à la propriété, posés par le parlement de Paris dans son arrêté du 5 décembre dernier ; pour quoi lesdits habitants demandent que les principes établis dans ledit arrêté soient adoptés par les Etats généraux ; en conséquence : Art. 1er. En prenant acte de la déclaration que Sa Majesté a bien voulu faire du droit imprescriptible appartenant à la nation d’être gouvernée par ses délibérations durables et noiî par les conseils passagers de ses ministres, que le retour des Etats généraux soit assuré et fixé à trois ans .ou aux époques qui seront par eux jugées convenables; qu’il en soit accordé de particuliers pour l’Ile-de-France. Art. 2. Que les députés ne puissent consentir aucun secours pécuniaire à titre d’emprunts, impôts ou autrement, avant que ces droits, qui appartiennent à chaque citoyen autant qu’à ia nation, aient été invariablement établis et solennellement proclamés. Art. 3. Que les droits du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif soient exactement déterminés et séparés l’un de l’autre. Art. 4. Que la liberté des citoyens soit assurée sur des bases plus certaines ; en conséquence, que nul homme ne puisse être arrêté sans être immédiatement remis entre les mains de ses juges naturels dans le délai qui sera fixé par la loi, et qu’il n’existera . aucun lieu de détention autre gué ceux qui sont soumis à l’inspection et à la juridiction de la justice ordinaire. Art. 5. Que les citoyens ne puissent être jugés que d’après les lois et par les juges royaux reconnus et établis par elles, sans que lesdits juges puissent modifier et interpréter les lois, ni les (1) Nous publions ee cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. causes évoquées par aucun motif, en déclarant les juges responsables à la nation de l’exercice dô leurs fonctions. Art. 6. Qu’aucun impôt ne puisse être établi sans le consentement des Etats généraux et d’après la connaissance détaillée de la situation des finances, du montant du déficit et de ses véritables causes; comme aussi qu’il soit substitué aux impôts, qui distinguent les ordres et tendent à les désunir, des subsides qui soient également répartis entre tous les citoyens de tous les ordres, sans distinction ni privilège; mais, sur toutes choses, qu’il ne puisse être admis ni introduit aucun papier-monnaie ni banque nationale, qui ne peut produire qu’un très-grand mal et dont le seul nom et souvenir sont capables d’effrayer les citoyens, par l’abus et l’agiotage qu’ils occasionnaient et qui est très-préjqdiciable au commerce. Art. 7. Que les ministres soient comptables à la nation des prévarications qu’ils pourraient commettre, et qu’ils soient, audit cas, traduits devant les juges nationaux par la nation elle-même, ou poursuivis à la requête des procureurs généraux. Art. 8. Que la dette nationale soit consolidée en hypothéquant, par lesdits Etats, des impôts déterminés aux légitimes créanciers de l’Etat. Art. 9. Que les tailles et vingtièmes soient convertis en une subvention répartie également sur tous les biens, sans exception, et perçue sans frais, et de façon que le peuple ne puisse être vexé et tourmenté, par les préposés, garniseurs et autres qui accablent journellement le cultivateur, et le paysan, soit dans la partie des aides, du sel, tabac, etc. Art. 10. Que le prix du sel soit diminué, les aides et contrôles supprimés, et qu’il soit substitué une autre forme de perception moins fiscale et moins extensoire. Art. 11. Que les députés concourraient aux moyens d’établir entre les cultivateurs et propriétaires fonciers, d’une part, et capitalistes, de l’autre, cet équilibre dans lequel l’impôt pèserait également sur l’agriculture et sur l’existence des gens de campagne ; et, pour y parvenir, les députés exprimeront avec force le vœu que forment les citoyens de voir proscrire les spéculations usu-raires et l’hydre de l’agiotage. Art. 12. Que la propriété soit respectée dans la possession des moindres citoyens; en conséquence, qu’on ne puisse disposer arbitrairement des maisons, héritages ou autres propriétés, sans le consentement des propriétaires, et dans le cas d’utilité publique, sans payer auxdits propriétaires le prix de l’objet dont l’intérêt général exigerait le sacrifice ; qu’on ne puisse également se servir des chevaux, bœufs ou autres animaux, pour employer au transport des troupes et de leurs équipages, pour la confection ou réparation des travaux publics, sans en dédommager les propriétaires par un salaire raisonnable. Art. 13. Que la corvée soit abolie et que l’entretien et établissement des routes soient faits aux frais de la chose publique; qu’en conséquence, tous ouvriers employés aux travaux, soit pour voiturer des matériaux, soit pour les employer, soient payés de leurs peines par salaires raisonnables. Art. 14. Qu’il soit obtenu de bons et sages règlements sur les milices, ruineuses aux habitants des campagnes, et sur le fait du logement des gens de guerre. Art. 15. Que tous privilèges pécuniaires achetés à prix d’argent, lesquels exemptent de la taille et 60 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars. autres charges publiques, soient remboursés le plus promptement possible comme préjudiciables à l’agriculture. Art. 16. Que le privilège des maîtres de poste soit également supprimé, sauf à ceux à qui cet établissement est utile, d’en payer les frais. Art. 17. Que la noblesse ne puisse s’acquérir par charges ou emplois, et qu’à l’avenir elle ne s’acquière que par Je mérite et le talent, soit dans les armées, la magistrature, le commerce et les emplois. Art. 18. Que non-seulement les capitaineries soient réformées autant qu’il sera possible, mais encore que le gibier, notamment les bêtes fauves, soient réduites au moindre nombre que faire se pourra, dans toutes les forêts où elles ne servent fe plus souvent qu’à dévaster les bois et les campagnes voisines ; que Ja quantité de remises plantées dans les campagnes soit diminuée, ou au moins que la distance de chaque remise soit fixée. Qu’il soit fait à ce sujet de bonnes et fermes représentations, ainsi que sur l’entretien des chemins communicatifs de paroisse à paroisse, de façon qu’ils ne puissent jamais être changés, et que les arbres qui sont plantés dans les voiries, soient éloignés les uns des autres à une distance telle, qu’ils ne puissent pas gêner les voitures et par là empêcher les charretiers de se procurer une autre voie en traversant des terres où on fraye un chemin qui cause préjudice au fermier. Art. 19. Que les curés de campagne soient ourvus de revenus suffisants pour pouvoir vivre onorablement dans leur état, administrer gratuitement les sacrements de l’Eglise et secourir les pauvres de leur paroisse. Que les canonicats et prébendes soient la récompense de ceux qui ont vieilli dans le ministère ; que les bénéfices simples soient donnés au mérite, à la vertu et au talent, sinon en mettre le revenu en séquestre pour être employé au soulagement des pauvres qui ne pourront mendier de paroisse en paroisse, et à élablir des maîtres et maîtresses d’école et sages-femmes. Art. 20. Que la dîme en nature soit supprimée et payée en argent, notamment la dîme verte, qui sert de nourriture au troupeau nécessaire à l’engrais des terres. Art. 21. Qu’il soit établi un tribunal rural pour connaître des causes entre fermiers et sans frais, comme il a été établi un tribunal consulaire pour connaître des faits de marchand à marchand. Art. 22. Que les baux faits par gens de mainmorte soient continués par leurs successeurs, sauf l’indemnité s’il y a lieu dans le cas où le bénéficier décédé aurait reçu quelques pots-devin, ce qu’il serait essentiel d’empêcher comme étant une espèce d’aliénation. Art. 23. Qu'ils s’opposent à l’article 33 du règle-glement, qui réduit au quart les membres du tiers-état, comme étant injuste et contraire aux intérêts de la commune. Art. 24. Enfin que lesdits députés demandent règlement sur tout ce que le temps permettra aux Etats généraux de statuer relativement aux améliorations de tous les genres, et sur la poursuite des principaux abus qui affligent le royaume, et en particulier : • Art. 25. Sur le maintien de la religion. Art. 26. Sur le respect dû au culte. Art. 27. Sur le rétablissement de la discipline ecclésiastique. Art. 28. Sur la restauration des mœurs. Art. 29. Sur la vénalité des charges. Art. 30. Sur la réformation du code criminel, de même sur celle du. code civil, pour parvenir à diminuer les frais et la longueur des procès, en supprimant ou diminuant les frais de fiscalité sue cet objet, épices et droits de secrétaire. Que les juges soient appointés de façon qu’ils ne vexent pas les parties et qu’ils puissent rendre la justice et passer les actes d’hôtels à moindres frais, gratuitement même. Art. 31. Sur les meilleurs moyens à trouver pour prévenir les banqueroutes et” faillites ou en empêcher l’impunité ou les funestes effets. Art. 32. Sur le rétablissement, entre la province de l’Ile-de-France et les autres provinces du royaume, de l’équilibre qui n’existe plus depuis longtemps, relativement à la masse des impôts, le poids accablant des contributions s’élevant à un degré presque incompréhensible et hors de toute proportion avec les autres provinces du royaume. Art. 33. Sur les réparations et reconstructions des églises, presbytères, etc., auxquelles on sait que le clergé s’est soustrait depuis 1695 et qui épuisent les villages pour plusieurs années. Art. 34. Sur le commerce des grains et le renchérissement des bestiaux qui ont opéré la ruine de citoyens, dont la plupart, surtout dans les villages, sont réduits à une misère extrême, .rendue encore plus affreuse par l’intempérié des*saisons et par l’oubli total des lois sur le prix de la mouture et la police des moulins. Art 35. Sur l’extinction des droits de minage, péage, hallage, etc., bien entendu après l’examen des titres, avec les indemnités dues à la propriété reconnue légitime. Art. 36. Sur les maisons de force et tous dépôts de mendicité, qui doivent être pourvus d’un régime plus humain et en tout temps soumis à l’inspection et à la surveillance des droits naturels. Que les cours souveraines soient autorisées à poursuivre, suivant la rigueur des ordonnances, quiconque sollicitera, obtiendra, décernera ou exécutera des ordres arbitraires. Art. 37. Sur la liberté de la presse et sur les moyens de connaître, juger et punir ceux qui en abuseraient. Art. ' 38. Sur la sûreté inviolable des lettres missives et relations de confiance, lesquelles ne pourront jamais faire titre d’accusation contre aucun citoyen. Art. 39. Sur les avantages à retirer de l’aliénation des domaines. Art. 40. Sur la destruction du Concordat, dont l’enregistrement n’a jamais été opéré qu’en lit de justice et dont le seul effet a été de rendre les biens ecclésiastiques le patrimoine de la faveur. Art. 41. Sur l’abus des abbayes commendatai-res. Art. 42. Sur les consignations et autres, sur cjuoi ils s’en rapporteront à MM. les députés plus instruits qu’eux sur les frais de justice, police et finances , dans lesquels départements dont les finances doivent être fixées, il y en aura beaucoup à retrancher qui pourraient mettre à niveau la dépense et la recette. Fait et arrêté cejourd’hui 12 avril 1789, et ont lesdits habitants signé avec nous, juge susdit, après avoir coté et paraphé ledit cahier de doléances par première et dernière page et paraphé ne varietur au bas d’icelle. Signé Lavaux; Dufour; Navré; Louis Hiblon; Rousquin ; Navié.