[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1791.] 249 le sens qu’ils attachaient au mot permanence» déclarèrent que leur assemblée n’avait pas entendu se constituer absolument en permanence, mais seulement ne point rompre ses séances jusqu’à ce que les électeurs fussent instruits des délibérations de l’assemblée administrative. Cependant le même jour 17, les électeurs continuèrent encore leurs séances. Une lettre officielle du procureur-syndic au ministre de l’intérieur, fait même craindre qu’ils ne se soient opposés à l’envoi des cnmmissaires pacificateurs, et ce qui n’est pas moins alarmant, c’est que, d’après la lettre du procureur général, il est certain, qu’à l’époque du 17, les gardes nationales de Marseille étaient en marche avec leur artillerie et publiaient que, si on leur ordonnait de revenir sur leurs pas, elles n’en iraient pas moins jusqu’à Arles, et que les têtes des commissaires du département leur répondraient des contre-ordres qui pourraient être donnés. Telles sont, Messieurs, les dispositions qui ont été faites relativement à la ville d’Arles. Telle était la situation de cette ville au départ du courrier extraodinaire qui vous a été adressé par le département. Je vous ai parlé des préparatifs de défense qui avaient été faits : tout annonçait la détermination irrévocablement prise de résister jusqu’à la dernière extrémité. On frémit en pensant aux suites que peut avoir le rassemblement et peut-être l’attaque de 4,000 gardes naiio-tionales qui ont ordre de marcher contre o tte ville. Je ne dois pas dissimuler à l’Assemblée nationale que, de toutes les mesures prises contre la ville d’Arles, celle qui y répand le plus d’effroi est le rassemblement et la marche des gardes nationales. En effet, les bruits vrais ou faux répandus sur les opinions poétiques adoptées par la majorité des habitants d’Arles, doit leur faire redouter de tomber entre les mains de ceux qui déploieraient peut-être d’autant plus de rigueurs à leur égard qu’ils sont tous attachés à la Révolution et qu’ils croiraient voir des traîtres dans les habitants d’Arles. Eh I certes, le souvenir des horreurs commises dans Nîmes par des gardes nationales étrangères justifient trop bien les alarmes de ces habitants, et vous fera sans doute partager leurs justes frayeurs. Ils l’ont déclaré hautement : leurs portes seront ouvertes à des troupes de ligne sur la discipline desquelles ils peuvent compter. Ils en ont même réclamé le secours pour la garde de leur ville, comme le moyen le plus efficace et le plus prompt d’assoupir les dissensions toujours renaissantes au milieu des dispositions militaires qu’ils ont été obligés de faire. J’ignore si les bruits répandus sur les mauvaises intentions d’un grand nombre d’habitants d’Arles sont fondés; si, comme on l’a publié, ils ont arboré les signes de la contre-Révolution; mais quels que soient leurs principes et leurs projets, nous avons de grands maux à prévenir et des crimes nombreux à empêcher; et si vous considérez que le territoire de la ville d’Arles touche à celui d’Avignon ; si vous considérez qu’une fermentation sourde règne depuis longtemps dans ces contrées, vous jugerez que la politique et l’humanité doivent déterminer votre décision. Je ne vous rappellerai l’arrêté du département qui prescrivait aux habitants de mettre bas les armes, qui excitait les prêtres réfractaires et qui ordonnait de fermer des édifices consacrés au culte religieux, par des sociétés particulières, que pour vous dire que cet arrêté très inconstitutionnel a été déclaré nul par une proclamation du roi, du 18 de ce mois. Je n’ai pas besoin, en me résumant, de vous retracer la conduite du corps électoral ; vous avez été frappés de l’illégalité des actes qu’il a exercés, de l’influence vraiment étonnante qu’ii a prise sur le département. Vous avez vu cette assemblée transgressant toujours la limite de ses fonctions, obséder et intimider le premier corps administratif par des députations fréquentes, tumultueuses et arrogantes; exigeant qu’on lui rendît compte des délibérations; nommer des commissaires qu’elle associe aux administrateurs; porter l’audace et le délire jusqu’à se déclarer permanente; excitant la sédition et la fureur des gardes nationales contre les habitants d’Arles, par la publication de la lettre la plus incendiaire, et provoquant ainsi l’oppression, la dévastation de cette ville malheureuse, et peut-être le meurtre de ses habitants. Vous réprimerez, Messieurs, un attentat aussi coupable, que rien ne peut pardonner, qu’aucune circonstance ne justifie, parce que rien ne peut autoriser des électeurs à s’arroger des pouvoirs que la Constitution ne leur a point conliés. Eh! le dernier exemple que l’Assemblée laissera à ses successeurs, ne sera pas l’exemple d’une faiblesse dont les suites pourraient être si funestes à la Constitution. Après un examen rapide, et avant que j’eusse approfondi les détails, votre comité avait arrêté de vous proposer le renvoi de cette affaire dans tous les chefs, au pouvoir exécutif; mais j’ai vu par les lettres du ministre de l’intérieur, écrites hier à M. le président, que le roi avait pensé qu’il ne devait pas prononcer sur la conduite du corps électoral et qu’il avait renvoyé cette affaire à votre décision. Cette circonstance et l’examen le plus approfondi ont donc absolument changé les motifs qui avaient déterminé le comité. La nécessité urgente de faire ce rapport ne m’a pas permis de convoquer ce matin le comité des rapports, pour lui proposer de changer son décret, et je vous déclare que celui que je vais avoir l’honneur de vous proposer, u’est pas celui qui avait été arrêté au comité et que les circonstances particulières m’ont déterminé à changer. Le voici : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, qui lui a rendu compte des arrêtés du directoire et du conseil d’administration du département des Bouches-du-Rhône, ainsi que de la proclamation du roi, en daie du 18 de ce mois, qui déclare nuis les arrêtés de ce département, des 28 juin et 7 septembre derniers, « Art. 1er. Improuve la conduite des électeurs du département des Bouches-du-Rhône; déclare nuis et attentatoires à la Constitution et à l’ordre public les arrêtés qu’ils ont pris relativement aux troubles de la ville d’Arles, ainsi que leur délibération du 15 de ce mois, par lesquels Rassemblée électorale s’est déclarée permanente ; fait défense aux électeurs de provoquer à l’avenir, sous aucun prétexte et dans aucun cas, l’armement et la marche des gardes nationales, sous peine d’être poursuivis comme perturbateurs du repos public. « Art. 2. L’Assemblée nationale décrété que les gardes nationales qui ont eu ordre de marcher contre la ville d’Arles rentreront incessamment, et au premier ordre qui leur en sera donné, dans leurs municipalités respectives; que le roi sera prié d’envoyer à Arles des commissaires chargés d’y rétablir la paix et autorisés à requérir la force publique. « Art. 3. L’Assemblée nationale renvoie au pou. 250 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1191.} voir exécutif à statuer, s’il y a lieu, sur les arrêtés et délibérations du département des Bouches-du-Rhône. » ( Mouvements divers.) Plusieurs membres : Cela n’est pas suffisant. (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. d’André. Messieurs, l’affaire qui vous est soumise ne peut pas engager une longue discussion ni souffrir de difficultés. Il faut y distinguer deux objets très séparés : le premier, celui des arrêtés du département. Cet objet-là ne peut venir devant l’Assemblée qu’en conséquence du recours du département contre la proclamation du roi qui a cassé ses arrêtés. Le département des Bouches-du-Rhône avait pris des arrêtés dont on vous a fait lecture; ces ar<êtés étaient véritablement inconstitutionnels, puisqu’ils désarmaient des citoyens sans qu’ii se fût passé auparavant aucun événement extraordinaire et sans l’autorisation du roi, puisque, d’autre part, ils contenaient d’aulres dispositions qui, toutes, également ne pouvaient être exécutées sans l’autorisation du roi. Sur ce point, le roi a cassé les arrêtés : c’est son droit; si le département réclame, on examinera la cassation, qui est, à mon sens, bien juste. Ce premier point-là ne doit pas actuellement nous occuper. Ce qui doit nous occuper, c’est le second objet de l’affaire, c’est la conduite des électeurs, parce que, à cet égard, le pouvoir exécutif ne peut rien, car la Consiitution lui défend de se mêler des assemblées électorales et de prononcer sur leurs actes. S’il en était autrement, le pouvoir exécutif, sous prétexte que tel ou tel acte est étranger aux assemblées électorales, pourrait sans cesse inquiéter et influencer ces assemblées. Ainsi, vous ne pouvez admettre aucune inspection du pouvoir exécutif sur les assemblées électorales; c’est là une des bases de la Constitution. Mais si, lorsque les assemblées électorales s’écartent des objets pour lesquels elles sont convoquées, ce ne peut être qu’au Corps législatif à statuer, les départements n’en doivent pas moins empêcher les voies de fait qui pourraient être commises par ces assemblées. Ainsi, le département des Bouches-du-Rhône, en supposant qu’il ait pris des délibérations constitutionnelles, ne devait point recevoir les députations; il ne devait pas exécuter les arrêtés de l'assemblée électorale, mais rendre compte au Corps législatif qui aurait prononcé. Pour savoir ce que vous avez à faire dans la circonstance, il faut remarquer que les assemblées électorales doivent s’abstenir rigoureusement de toute espèce de délibération; que, si elles en pouvaient prendre sur les faits étrangers à l’élection, vous n’auriez plus de Constitution, puisque, dès l’instant même que les assemblées électorales seraient convoquées, elles usurperaient le pouvoir des corps administratifs et de tous les autres corps que vous avez placés dans la Constitution; ce principe-là est reconnu et ne peut pas être contredit. Or, l’assemblée électorale du département des Bouches-du-Rhône a commencé par délibérer; elle a envoyé trois députations au directoire; elle a fait bien plus, elle a écrit à toutes les municipalités une lettre circulaire dans laquelle on remarque cette phrase : « C’est un moment d’alarme; tout le monde doit s’armer, c’est à la ville d’Arles qu’il faut marcher. » Je dis que si, par suite de cette lettre, les gardes nationales marchent sur Arles et qu'il arrive le moindre malheur, les électeurs doivent en être personnellement et individuellement responsables et punissables. {Applaudissements.) Je vais plus loin, Messieurs, Je ne parlerai pas d’une délibération qu’ils ont prise, d’anrès laquelle ils se font payer nonobstant votre décret : selon eux, il faut commencer par avoir l’argent; cela ne fait rien à l’affaire. Mais les électeurs ont délibéré de se rendre permanents : or, est-il rien de si extraordinaire qu’une assemblée d’électeurs qui se déclare permanente, surtout après avoir délibéré la veille qu’elle se ferait payer! Elle dit, il est vrai, que votre décret qui défend aux électeurs de se faire payer n’est pas sanctionné, et c’est pour cela qu’elle a commencé par prendre l’argent. De plus, les électeurs ont encore délibéré de forcer le département, qui ne voulait pas faire partir les gardes nationales, parce qu’ils sentaient qu’envoyer 4,000 gardes nationales contre une ville, c’était commencer la guerre civile et que, dans un pays où les têtes s’exaltent facilement, dans un pays voisin d’Avignon où il y avait eu pendant deux ans une guerre civile, dans un pays voisin de Nîmes où il y avait eu des meurtres considérables qu’un peut appeler guerre civile, dans un pays à portée du prétendu camp de Jalès, dans un pays enfin où les divisions de religion subsistent encore, armer les citoyens Jes uns contre les autres c’était allumer un incendie qui pourrait embraser la moitié du royaume. Le département se refusait à envoyer des troupes; il avait sagement pris l’arrêté d’envoyer des commissaires conciliateurs à Arles; et le département était d’autant plus porté à faire cette démarche-là qu’il avait déjà envoyé des commissaires pacificateurs à Arles et que ces commissaires avaient rendu le compte le plus satisfaisant de la conduite de cette ville. Ces deux commissaires étaient en effet dans le département lorsqu’on a pris cette délibération inconstitutionnelle qui a détruit tout le bon effet de leur mission, délibération par laquelle les électeurs envoyèrent trois députations consécutives au directoire pour le sommer de faire marcher des troupes et pour le forcer de faim délivrer des fonds sur la caisse des contributions publiques. Si on vous rendait compte, Messieurs, de toutes les circonstances de cette affaire, votre indignation serait au comble contre ces électeurs. Il résulte de tous ces faits que vous devez nécessairement adopter le projet qui vous est proposé par M. Alquier, parce qu’il est conforme aux principes de la Constitution, et casser toutes les délibérations qui ont été étrangères aux élections. Mais avant de terminer, Messieurs, je crois devoir vous citer un fait très important, dont M. le rapporteur nous a parlé, et qui vous prouvera que les habitants d’Arles sont loin d’avoir les intentions coupables qu’on leur a prêtées. Aussitôt qu’ils ont eu connaissance de l’arrêté du département, ils ont nommé un commandant de la garde nationale et ce commandant, avec l’aveu de tous les citoyens, a écrit au département la lettré suivante : « Nous ne nous opposons pas à l’exécution de votre arrêté, quoique vous vouliez nous désarmer contre le droit des gens et contre tous les droits de la Constitution française; nous sommes prêts à nous soumettre à tout ce que la loi ordonne, mais nous vous déclarons que nous ne voulons point de gardes nationales ; nous craignons les gardes nationales.