[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 166 M. le Président. M. le rapporteur consent à l’ajournement; je le mets aux. voix. (Bruit à droite.) M. l’abbé Maury. Je demande qu’on n’aille aux voix sur l'ajournement qu’après la discussion. A gauche; Oui, pour que vous puissiez déclamer. M. Madier de llontjau. C’est 200,000 livres qu’on prend chaque année dans le Trésor public pour payer les intérêts. M. de Follcviile. Je propose un amendement, Si on renvoie à la prochaine législature, il faut suspendre le payement des intérêts (Murmures.)...; mon amendement est appuyé, monsieur le Président. A droite : il est appuyé ! M. Se Président. Je mets aux voix l’ajournement à la législature. (L’Assemblée, après une épreuve douteuse, décrète, au milieu du bruit, le renvoi de l’affaire à la prochaine législature.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 13 JUIN 1791. Opinion de M. l’abbé Maury, député de Picardie, sur le remboursement que demande Monsieur d'Orléans de 4,158,850 livres pour la dot de Louise-Elisabeth, d'Orléans , fille de Monsieur le régent, et reine douairière d'Espagne (1). Messieurs, en 1721, Monsieur le régent maria Louise-Elisabeth d’Orléans, sa tille, avec le prince des Asturies. Ce prince, connu sous le nom de Louis 1er, monta sur le trône d’Espagne en 1724, au moment ale l’abdication de Philippe V, son père, et il mourut le 31 du mois d’août de la même année. Louise-Elisabeth d’Orléans, connue d’abord sous le nom de MUe de Montpensier, fut mariée avec toutes les solennités et tous ies honneurs que l’on réserve aux filles de France. La demande du mariage se fit par l’ambassadeur d’Espagne dans une audience publique. Le contrat lut rédigé, selon l’usage, en présence de tous les princes du sang, par 2 secrétaires d’Etat, M. le cardinal Dubois et M. le comt ■ deMaurepas; et oo y employa toutes les formes qui constituent, dit-on, dans cette partie, un titre diplomatique. Monsieur le régent dota sa fille, en lui assignant, au nom du jeune roi, 500,000 écus d’or sol sur Je Trésor public, et il la fit renoncer par son contrai de mariage à toute succession paternelle et maternelle. (1) Ce discours n’a pu être prononcé par suite du ■envoi de la question à la prochaine législature. — foy. ci-dessus. . En 1725, après la mort de Louis Ier et de Monsieur le régent, Louis XV devenu majeur liquida par des lettres pat ides enregisti ées à la chambre des comptes, la ot de sa cousine au quatrième dearé, Louise-Elisabedi d'Orléans, reine douairière d’E'pacne. L’estimation des 500,000 écus d’ors 1 fut fixée à la somme de 4,158,850 livres. En attendant que le roi ait pourvu au payement de ladite somme, est-il dit dans les lettres patentes, Sa Majesté ordonne que la reine douairière d’Espagne en reçoive l’intérêt, annuel au Trésor royal, sur le pied du denier 20, c’est-à-dire 207,942 1. 10 s. chaque année. La reine d’Espagne vendit, le 26 avril 1742, la nue propriété de sa créance à M. Louis d’Orléans, son Itère, aïeul du prince qui réclame aujourd’hui cette acquisition. Le contrat de vente porle que la reine d’Espagne jouira pendant sa vie de l’usufruit de sa dot ; que Monsieur d’Orléans, son frère, en faveur de qui elle aliène le fonds, lui fera payer, dans l’espace de 6 années, la somme de 810,000 livres, pour acquitter ses dettes ;qu’à compter du 1er janvier 1749, il lui devra eu outre une rente annuelle et viagère de 69,314 livres, en augmentation de i’in'érêt de sa dot; enfin qu’t! se charge, après le décès de la reine d’Espagne, sa sœur, de payer 45,000 livres de pensions viagères, dont celte princesse pourra di-po�er en laveur de ses officiers et de ses domestiques. Monsieur d’Orléans, qui jouit à ce titre, a vendu ou a feint de vendre depuis quelques mois, sous sa garantie, la dot de la reine d’Espagne. L s cessionnaires du prince se sont présentés, comme porteurs d’un titre de dette exigible, pour en demander la liquidation et le remboursement. M. Camus n’a trouve aucune difficulté dans cette demande; et son caractère facile et coulant en affaires l’a porté à nous proposer de faire droit immédiatement par un décret, à la réclamation des concessionnaires ou prête-noms de Monsieur d’Orléans. Peu s’en fallut que cette décision imprévue no vous fût enlevée, sur sa parole, au commencement de la séance du 11 janvier dernier. Vous avez ajourné, Messieurs, l’examen de cette créance. Vous avez voulu entendre un rapport sur le fond de la cause. La discussion s’ouvre aujourd’hui; tt puisque je suis appelé à énoncer mon opinion, je vais l’exposer et la motiver avec toute l’impartialité d’un représentant de la nation, qui sYstimerait bien à plaindre s’il avait jamais un tort dans cette tribune contre Monsieur d’Orléans. Pour ne laisser sans réponse aucun des moyens qui nous ont été présentés par les conseils de Monsieur d’Orléans, il faut examiner d’abord s’il est vrai, comme ils le prétendent, que ce mariage fut réellement contracté pour l’intérêt de l'Etat, et si l’acquisition de la dot de la reine d’Espagne a été ensuite onéreuse à la maison d’Orléans. Lorsque nous aurons éclairci ces deux points de fait, nous entrerons dans la question de droit qui est soumise à votre décision. Tous les autres détails historiques, dont on s’est prévalu, appartiendront à la discussion du fonds de la cause, que je réduirai à ces deux problèmes juridiques : 1° En supposant légitime Ja créance que réclame Monsieur d’Orléans, cette somme est-elle exigible? 2° La dette dont on sollicite le remboursement est-elle eu effet, ou n’est-elle pas légitime? Vous voulez savoir d’abord, Messieurs, si ce fut réellement pour l’intérêt de l’Etat que le mariage 167 lÀssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juin 1791-1 dont il s’agit fut contracté? Cette digression historique est un peu étrangère sans doute à la légitimité du titre que vous devez reconnaître ou invalider aujourd’hui; mais l’épisode sera si court, que la justice vous oblige d’approfondir ici toutes les assertions indiscrètes dont on se fait devant vous des moyens juridiques. Or voici ce que le duc de Saint-Simon, Duclos et tous les mémoires de la régence déposent unanimement à ce sujet. Ce même mariage, que l’on ne craint plus de nous présenter comme un sacrifice fait par l’amour paternel à l’intérêt de l’Etat, doit être cité au contraire à jamais comme une tacite imprimée sur la mémoire de Monsieur le régent, et comme l’intrigue la plus criminelle du cardi-dal Dubois. Je ne parle point encore de la prévarication d’un tuteur qui abuse de la faiblesse de son pupille, pour doter sa propre fille aux dépens de l’Etat, en l’établissant sur le trône d’Espagne. Ce mémorable abus de confiance, si affligeant pour des Français qui voudraient ne voir dans le régent de Louis XV, qu’un prince justement célèbre par ses talents, par sa valeur, et par tant de qualités aimables dont on voudrait pouvoir couvrir les honteux excès de sa vie privée ; cette infidélité qui lui fut suggérée sans doute par les vils ennemis de sa gloire, dont il avait formé sa société la plus intime, et qui semblait d’abord si opposée au désintéressement de son caractère; cette infidélité, dis-je, ne sera que trop évidemment prouvée dans cette tribune. Monsieur le régent n’exécuta un si coupable projet d’avidité, que par un autre motif d’intérêt personnel, infiniment plus odieux. Toute la France était impatiente de voir naître des héritiers de ce même trône, sur lequel Louis XIV mourant n’avait laissé qu’un faible et dernier rejeton. Monsieur le régent qui voulait prolonger l’espérance d’y monter lui-même, et courir plus longtemps l’heureux hasard d’une mort qu’il croyait, injustement sans doute, devoir placer la couronne sur sa tête, no rougit pas de conclure le mariage de Louis XV, âgé de 11 ans, avec une princesse espagnole, qui n’était encore que dans sa 3m0 année. Cette manœuvre du cardinal Dubois et du régent excita l’indignation de tous les bons Français. Le jeune roi surtout ne put cacher sa douleur et ses larmes en apprenant sa destinée. Le régent sentait si bien lui-même combien ses vues particulières devaient le rendre odieux, qu’il descendit d’abord aux précautions de la ruse, pour en dérober la connaissance à la nation. Après avoir pour en quelque sorte usé la consternation publique qui s’était manifestée par des cris de fureur, il se hasarda enfin de dire, qu’en concluant le mariage de Louis XV avec l’infante, le roi d’Espagne lui avait fait l’honneur de lui demander l’une de ses filles pour le prince des Asturies, son héritier présomptif. 11 n’était en effet que trop vrai que ce second mariage avait été une condition secrète du premier, car il ne fallait rien moins que l’espérance de placer leur fille sur le trône de France, pour déterminer le roi et la reine d'Espagne à se rapprocher ainsi de Monsieur le régent. C’est abuser étrangement de notre crédulité, c’est trop compter sur notre ignorance, que de nous présenter le mariage de MUo de Montpensier, comme le nœud de la paix qui fut conclue entre les deux couronnes. C’était le régent seul qui troublait la paix; et c’était la régence elle-même qui était un prétexte ou un motif continuel de rivalité et de division entre les deux cours. La majorité de Louis XV aurait suffi pour terminer ce différend, indépendamment de tout mariage. M. le duc d’Orléans parvint à faire accéder l’Espagne à la quadruple alliance, en obtenant la disgrâce du fameux cardinal Alberoni. Mais, par le succès de cette intrigue, Monsieur le régent se donna la paix à lui-même, en écartant du cabi-nit de Madrid un rival si redoutable pour son ambition et pour sa tranquillité. Tout le monde sait que M. le duc de Bourbon, premier ministre, subjugué par le vœu rie la nation française, fut ensuite obligé de renvoyer l’infante en Espagne, pour donner au jeune roi une épouse nubile. Cette sage résolution faillit rallumer la guerre entre la France et l’Espagne, et jeta pendant longtemps dans les bras de l’empereur ce même Philippe V, que Louis XIV n’avait établi sur le trône de Madrid, qu’en s’exposant au démembrement de son propre royaume. Le mariage que les conseils de Monsieur d’Orléans osent encore célébrer devant vous, comme avantageux à l’Etat, ne fut donc qu’une double intrigue de cour en morale, et fit commettre à Monsieur le régent une grande faute en politique. Il ne peut par conséquent pas réveiller dans la nation des souvenirs de reconnaissance. Ce n’est pas à l’Etat à récompenser un service qui consistait à prolonger pendant 7 ou 8 ans, dans l’immorale société du Palais-Royal, l’espérance de voir Monsieur le régent assis sur le trône. Louis XV n’avait pas besoin d’ailleurs de doter mademoiselle d’Orléans, pour épouser sa cousine germaine. Il n’y avait en Europe aucune princesse qui se fût permis d’attacher la moindre condition à l’honneur de recevoir la main d’un roi de France. Ce n’était pas la nation française, c’était Monsieur le régent seul qui cherchait à se réconcilier avec le roi d’Espagne son ennemi personnel; et en concluant ce double mariage, on sait bien qu’il lit la loi au lieu de la subir. Après avoir ainsi prouvé que le mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans avec le prince des Asturies fut une simple spéculation de famille, et non pas une affaire d’Etat, et que celte négociation appartenait à l’intrigue et à l’ambition, bien plus qu’à la politique et au patriotisme, il faut examiner à présent si l’acquisition de la dot de cette reine d’Espagne a été réellement onéreuse , et même très onéreuse à la maison d’Orléans. La reine d’Espagne vendit sa dot à M. le duc d’Orléans, son frère, le 26 avril 1742, et elle mourut le 16 juin de la même année : de sorte qu’elle ne survécut qu’environ 50 jours à cette transaction. Raisonnons maintenant d’après ces dates incontestables. La maison d’Orléans a acquis, moyennant une somme apparente de 800,000 livres et 45,000 livres de pensions viagères, un capital de 4,200,000 livres. Un pareil marché ne paraîtrait et ne serait certainement onéreux à personne. Mais il y a plus, je n’examine pas si l’acquisition a été faite à titre onéreux : c’est un point de droit fondé sur des conventions réelles ou apparentes, que je n’ai pas besoin de discuter. J’examine seulement si dans le fait l’acquisition dont il s’agit a été réellement onéreuse à la maison d’Orléans, comme on ose l’avancer. Or, je soutiens que ce capital de 4 millions ne lui a jamais rien coûté, et je crois pouvoir le démontrer. En effet, Messieurs, quelles obliga ions a contractées M. Louis d’Orléans, fils du régent, pour s’approprier ces 4 millions? Les voici: 1° Il s’engage à payer à la reine d’Espagne, sa 168 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.) sœur, à commencer du 1er janvier 1749, une pension annuelle et viagère de 69,000 livres. Or, la reine d’Espagne mourut en 1742, de sorte que cette rente viagère était éteinte 7 ans avant que le premier terme en fut échu. Cet article du contrat n’a donc jamais été onéreux à la maison d’Orléans; 2° Il promet d’acquitter les dettes de la reine d’Espagne, lesquelles montaient à 800,000 livres, en payant aux créanciers, à compter du 1er janvier 1744, 135,000 livres par an, pendant 6 années. _ Or, lorsqu’il remplissait cet engagement, il relirait en compensation, depuis 18 mois, du Trésor royal, une rente annuelle de 207,942 1.10 s. Ce revenu n’était donc pas absorbé par l’extinction graduelle des dettes , au moment même où l’on payait les créanciers; et on ne leur a distribué' 135,000 livres par an, que pendant les 6 premières années de la jouissance de la dot. Voilà un second article qui n’a pas été non plus onéreux à la maison d’Orléans; 3° En lin il s’engage à payer après la mort de la reine d’Espagne 45,000 livres de pensions viagères à ses officiers et à ses domestiques. Cette princesse en donne d’avance l’état qui est joint au contrat de vente, et une pareille précaution de dernière volonté indique assez que cet acte était un vrai testament, déguisé sous le nom d’une aliénation faite en faveur de son propre héritier. Un 25® de ces pensions viagères a du s’éteindre tous les ans. Mais ajoutez, si vous le voulez, ces 45,000 livres de libéralités viagères, à la somme de 135,000 livres, payées aux créanciers pendant 6 ans; et à cette époque même vous trouverez encore un bénéfice évident pour la maison d’Orléans, qui, en acquittant ces deux charges de la succession, recevait annuellement 208,000 livres du Trésor royal. Cette acquisition ne lui a donc pas été onéreuse un seul instant, et vous ne voyez ici pour elle que le gain total et gratuit du fond, avec un profit manifeste sur les intérêts, au moment même où elle les partage, pendant 6 ans, avec les créanciers de la reine d’Espagne. La dot gratuitement accordée au nom du roi, par M. le régent, n’avait donc point d’autre objet que de faire renoncer MUe de Montpensier à toute succession paternelle et maternelle. Est-il juste que la même maison d’Orléans, qui gagnait ainsi une portion légitimais d’enfant, en mariant une fille qu’elle aurait dù doter, jouisse en même temps et de cette renonciation d’une mineure déshéritée, et de la somme même qui fut la représentation de sa part héréditaire? C’est vouloir s’enrichir par ses propres charges : c’est s’approprier à la fois, selon le langage des jurisconsultes, et la chose et le prix. Outre les avantages incontestables que nous apercevons ici pour l’acquéreur dans le contrat de vente, M. le duc d’Orléans fut héritier de la reine d’Espagne, sa sœur. Il ne trouva aucune dette dans cette succession, puisque les 800,000 livres qu’il s’était chargé de payer, en achetant la dot de cette princesse, couvraient toutes ses créances passives. M. d’Orléans, en sa qualité d’héritier, a dû recevoir d’ailleurs de l’Espagne à titre du douaire de sa sœur, le tiers de la dot, comme augment de dot, stipulé dans le contrat de mariage; et ce tiers de dot a fait entrer fans ses coffre-* environ 1,400,000 livres. Le mobilier et les diamants de la reine d’Iispagne qui avait une représentation analogue à sou rang, quand elle habitait le palais du Luxembourg où elle est morte, passèrent encore dans la maison d’Orléans, à titre d’hérédité. J’ignore quel fut le produit net de la vente, après le décès de la reine d’Espagne; mais cette somme qu’il est difficile d’évaluer devait être considérable. La reine d’Espagne n'avait point vendu ses pierreries. Or, par son contrat de mariage, elle en avait reçu du régent son père, pour 120,000 livres, et de Philippe V, son beau-père, pour 50,000 écus d’or, au soleil, en pleine et entière propriété. Vous voyez, Messieurs, que le marché devient de moins eh moins onéreux à la maison d’Orléans. Mais allons plus loin. La reine d’Espagne avait été déshéritée de la succession de son père et de sa mère. M. le duc d’Orléans qui lui devait sa légitime se serait acquitté sans doute, d’une manière très avantageuse pour lui, en payant des des dettes qui ne s’élevaient point au-dessus de 800,000 livres, et des pensions viagères, dont le fonds pouvait valoir environ la moitié de ce capital. Je ne prétends pas établir ici aucune comparaison. Il ne serait pas juste de rapprocher des partages qui ne se ressemblent point, puisque la masse des biens et le nombre des copartageants ne sont pas les mêmes; mais j’observe qu’en héritant des bijoux et des meubles de la reine d’Espagne, et de Y a-ugment de sa dot , la maison d’Orléans n’a jamais rien payé d’effectif à cette princesse. Elle veut même se servir de ce mariage pour gagner plus de 4 millions, tandis que M. d’Orléans vient de compter de nos jours 10 millions à Mmc de Bourbon, sa sœur, pour son seul droit légitime. Encore une fois, je ne veux prouver, par ce calcul, qu’un seul fait incontestable, savoir : que l’acquisition vraie ou simulée de la dot de la reine d’Espagne, 50 jours avant sa mort, n’a nullement été onéreuse à la maison d’Orléans, comme le prétendent ses conseils. Et quand même cette princesse n’aurait pas laissé des fonds suffisants pour payer ses dettes; quand même elle aurait reçu et dissipé sa légitime, la maison d’Orléans n’aurait pas dû souffrir, et n’aurait pas souffert sans doute, que sa mémoire fut flétrie par une banqueroute de 800,000 livres. Mais on l’avait exclue de toute succession paternelle et maternelle; on n’exerçait point envers elle une libéralité purement gratuite, en promettant d’acquitter ses dettes; on ne lui restituait même aucun de ses droits; on la dépouillait réellement en paraissant la secourir ; on voulait, en s’appropriant 4 millions, se donner la faveur d’un acquéreur apparent, parce qu’on se méfiait du simple titra d’héritier; et cette transaction, qu’on dit aujourd’hui si onéreuse, tendait uniquement à faire passer dans la maison d Orléans, la dot qui avait été assignée sur le Trésor public à la reine d’Espagne. Ce n’était plus la princesse, mais uniquement la famille qui se trouvait ainsi dotée par la nation, en vertu d’une renonciation gratuite, sans cause, et par conséquent nulle de plein droit. Monsieur d’Orléans entreprend néanmoins de prouver que la reine douairière d’Espagne pouvait disposer de sa dot en faveur d’un héritier ou d’un cessionnaire. Pour y parvenir, il extrait du contrat de mariage de sagrandTante la clause relative au douaire fixé au tiers de la dot, sous le nom d 'augment de dot : lequel , est-il dit dans l’acte, sortira nature d'héritage pour elle, les siens étayants cause, pour en pouvoir disposer, soit entre vifs , soit par dernière volonté. On a beau faire imprimer en caractères italiques cette clause étrangère à la dot de mademoi- ]13 juin 1791.] 469 ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Assemblée nationale.] selie d’Orléans. On ne peut rien suppléer dans un acte. Une faculté qui n'est accordée qu’à l’augment de dot, ne doit donc pas s’étendre à la dot elle-même. 11 y a plus; le silence de l’acte sur cette dot, que la maison d’Orléans ne payait point, semble prouver au contraire que le régent lui-même aurait rougi, en transigeant avec le roi d’Espagne, de frustrer le roi de France de la réversion de son propre bienfait, si sa fille venait à mourir sans postérité. Il n’y a donc, du moins en vertu du contrat de mariage, aucune analogie entre la dot et le douaire désigné sous la dénomination d’augment de dot : et quand même ces deux espèces de biens seraient également disponibles par leur nature, les conseils deM. d’Orléans n’en auraient pas moins mal raisonné, en voulant établir leur identité par le contrat qui ne les confond point : puisque l’acte ne dit pas un seul mot de la transmis ion héréditaire de la dot, tandis qu’on stipule formellement cette faculté relativement à l’augment de dot, c’est donc en commentant à son gré le contrat de mariage de sa grand’- tante, que M. d’Orléans essaye de légitimer par un sophisme l’acte d’acquisition de son aïeul. Après avoir joui très abusivement du bénéfice de cette lucrative transaction, il nous présente aujourd’hui, pour rendre sa cause plus favorable, de nouveaux acquéreurs, que nous ne devons pas sans doute croire simulés. 11 vient de vendre la dot de la reine d’Espaene, dont il est le représentant et l’héritier. Les porteurs de celte créance nous en demandent la liquidation et le remboursement. Il faut donc discuter leurs prétentions, que Monsieur d’Orléans appuie de tout son intérêt; et vous avez à décider maintenant, Messieurs, si même en supposant la dette constatée et reconnue, elle serait exigible et remboursable par la nation. C’est le dernier épisode de la cause; car nous n’en sommes encore qu’aux épisodes. Je vais donc essayer de prouver qu’indépendamment du jugement que vous porterez sur la légitimité ou sur la nullité de laj dette, les ayants cause de M. d’Orléans n’ont aucun titre pour en exiger le remboursement. Les lettres patentes du 11 juin 1725, que l’on nous oppose ici pour fonder la réclamation des cessionnaires deM. d’Orléans, furent soliicitéespar la reine d’Espagne. J’exposerai bientôt les motifs qui déterminèrent Louis XV, devenu majeur, à les accorder. Dans ce moment, je ne dois pas en développer l’esprit ; je suis obligé d’en apprécier rigoureusement la lettre, et de discuter les obligations qui furent alors contractées par le roi, seul représentant suprême de la nation. Il faut d’abord, Messieurs, vous lire en entier ces lettres patentes de 1725, expédiées pour liquider la dot de la reine douairière d’E-pagne. Vous n’y trouverez pas un seul mot qui indique le projet de valider ou de confirmer le don fait par M. le régent. Ces lettres patentes ne parlent ni de l’époque du remboursement du capilal, ni de la faculté de le rendre ou d’en disposer par testament. Voici cette pièce décisive, que l’on nous présente comme un acte de ratification, et même comme le titre d’une créance exigible, cessible au gré de la reine d'Espagne: « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France « et de Navarre, à nos aimés et féaux conseillers, « les gens tenant notre chambre des comptes de «P;iris, salut. Nous avons donné et constitué « en dot à notre très chère et très amée tante « Louise-Elisabeth d’Orléans, à présent reine « douairière d'Espagne, cinq cent mille écus d’or « sol, ou leur valeur, par son contrat de mariage « avec le prince des Asturies, passé entre nous et « notre très cher frère et oncle le roi d’Espagne, « le 16 novembre 1721. Suivant l’évaluation que « nous avons fait faire desdit s cinq cent mille « écus d’or sol, ils se sont trouvés monter à la « somme de quatre millions cent cinquante-huit « mille cent cinquante livres; et en attendant « qu’il ait été pourvu par nous au payement de « ladite somme, nous avons jugé à propos d’as-« surer à la reine douairière a Espagne, notre « sœur, cousine et ta de, la jouissance des inté-« rêts de ladite somme sur le pied du denier « vingt. A ces causes, nous avons, par ces pré-« sentes, signées de notre main, liquidé et liqui-« dons à la somme do quatre millions cent etn-« quante-huit mille cent cinquante livres, les « cinq cent mille écus d’or sol que nous avons « donnés et constitués en dot à notre très chère « et très amée sœur, cousine et tante, Louise-« Elisabeth d’Orléans, reine douairière d’Espa-« gne, par son contrat de mariaee du 16 novern-« bre 1721, et en attendant que nous ayons « pourvu au payement de ladite somme, voulons, « ordonnons et nous plaît , que ladite reine .( douairière d’Espagne soit payée annuellement « par le garde de notre Trésor royal en exercice « et sur les quittances du trésorier de sa mai-« son, de la somme de deux cent sept mille neuf « cent quarante-deux livres dix sols, à laquelle « montent les intérêts de celle de quatre millions « cent cinquante-huit mille cent cinquante livres, « sur le pied du denier vingt : et ce, à commen-« cer du jour de la mort du roi d’Espagne, qui « est du 31 août 1724 Ordonnons que les quit-« tances du payement desdits intérêts seront par « vous passées et allouées dans la dépense des « comptes de notre Trésor royal, sans aucune « difficulté. Si vous mandons que ces présentes < t vous ayez à enregistrer, et le contenu en b elles « garder et exécuter selon leur forme et teneur : « car tel est notre plaisir. « Donné à Chantilly, le onzième jour de juin, « l’an de grâce mil sept cent vingt-cinq et de « notre règne le dixième. « Signé : Louis. » Ces lettres patentes furent enregistrées à la chambre des comptes le 28 août 1725. Il ne s’agit pas, je le répète, de discub r dans ce moment la ratification que l’on prétend voir dans ces lettres patentes, de la dot accordée par le régent à la reine d’Espagne. Cette insoutenable prétention sera combattue dans l’examen du fond de la cause. Mon objet doit être uniquement ici d’examiner si ces lettres patentes autorisent Monsieur d’Orléans à nous présenter cette créance comme une dette exigible, dont on nepeut lui refuser aujourd’hui le remboursement. Distinguons d’abord un créancier réel d’un simple donataire. Ces deux titres ne doivent jamais être assimilés. Ua créancier fait grâce à son débiteur, s’il n’en exige point un payement échu ; mais un donataire qui se soumet sans aucune réclamation à recevoir l’intérêt annuel d’une libéralité purement gratuite, sans se réserver la faculté d’en retirer le fonds, ne peut plus ensuite faire la loi à son bienfaiteur, en vertu du premier titre de donation, lorsqu'il en accepte un second et indéfini, dans lequel il ne stipule pas formellement le droit de se faire rembourser le bienfait dont on lui fixe les intérêts. Il faut donc s’en tenir dans ce moment aux clauses précises des lettres patentes de 1725, puisque M. d’Orléans lui-même les produit comme 470 [Assemblée nationale.] son véritable titre, et qu’il s’en prévaut pour couvrir les nullités manifestes de la première donation. Raisonnons donc uniquement d’après ces lettres patentes et voyons si cette pièce autorise Monsieur d’Orléans à nous demander le payement des millions dont il se croit propriétaire. Louis XV ne promit point en 1725 de rembourser le capital dont il est question, à la réquisition de la reine d’Espagne; il voulut seulement, et la princesse donataire accepta cette condition, qu’en aitendant que le roi eût pourvu au payement de ladite somme de 4,200,000 livres, les intérêts lui en fussent comptés annuellement, au denmr vingt, par le Trésor royal. Ce sont les termes décisifs des lettres patentes. Cette rente ne devait donc plus être remboœ sable à la volonté de la reine d’Espagne, et encore moins de ses ayants cause, dont on ne parlait pas, mais au gré du roi seul, qui s’engageait à acquitter annuellement les intérêts. Aussi, durant le long règne de Louis XV, n’a-t-on jamais osé réclamer le payement du fonds, ou du moins n'a-t-on jamais pu l’obtenir. Par le contrat de mariage, le roi avait promis de donner 500,000 éeus d’or au soleil, ou leur valeur. On nous dit que cette promesse ne fut point exécutée pendant le mariage de Mademoiselle d’Orléans. Quand cette princesse fut devenue veuve, le roi, sur sa requête, consentit à la liquidation de la somme promise; et il en ordonna, non pas le remboursement, mais le payement provisoire des intérêts, en attendant, disait-il, qu’il eût pourvu à l’extinction du capital qu’il ne devait point. Voilà manifestement la loi de toutes les parties. La reine d’Espagne et ses héritiers ont joui jusqu'à présent des intérêts, conformément à la liquidation qui fut faite en 1725. Mais je ne vois pas q s’ils aient acquis aucun titre nouveau, qui h s autorise aujourd’hui à nous demander le remboursement de la dot; et je n’aperçois ici qu’une simple forme de rente constituée, dont le capital, s’il était dû, ne serait remboursable du moins qu’à la volonté du débiteur. Aussi lorsqu’en 1764, le roi ordonna le remboursement de la dette publique, pour opérer la libération de l’Etat, Monsieur d’Orléans dut faire mettre son contrat dans la roue de fortune, pour participer au hasard des tirages qui fixaient l’ordje des remboursements. Il ne se présenta point alors comme créancier d’un capital exigible. Le silence de son fils, sur cette formalité prescrite impérieusement à tous les créanciers de l’Etat, semble même prouver qu’elle ne fut point remplie. Monsieur d’Orléans ne se présenta donc point, ou sa demande fut rejetée : mais s’il s’était soumis à la liquidation, il aurait paru comme un simple rentier qui s’estimait assez heureux, sans doute, cfètre admis daus la classe de tous les autres créanciers, dont il prétend se séparer aujourd’hui, puisqu’il n’avait pour titre qu’un contrat qui n’était pas même enregistré, et des lettres patentes qui ne validaient point cet engagement insolite et illégal. Comment Monsieur u’Orléans aurait-il acquis ensuite un privilège, pour sortie de cette classe commune, sans attendre même que son tour de remboursement soit déterminé par son ordre d’hypothèque? Certes, Messieurs, ce serait un singulier privilège que le droit d’être payé avant tous les créanciers de l'Etat. L’abolition des privilèges pécuniaires en ce genre remonte fort au delà eu décret que vous avez rendu pour établir, dms cet ordre de justice, la plus entière égalité parmi tous les citoyens français. Les ordonnances de 1405 et de [13 juin 1791.] 1579 ont fixé le rang auquel la créance réelle ou prétendue de Monsieur d’Orléans doit être placée, tant pour les intérêts que pour le capital ; elles ne l’appellent qu’au tour des libéralités ; elles veulent expressément, conformément aux principes du droit naturel que toutes ies charges, les legs pieux, les dépenses du trône, les gages des officiers, les emprunts enfin soient entièrement acquittés avant les libéralités, et surtout les libéralités qui ne sont pas même des dons réraunératoires. Nemo liberalis nisi lïberatus. C’est en vertu de cet axiome de droit, qu’on M'acquitte jamais les legs d’un testament, qu’après avoir payé toutes les dettes d’une succession. Monsieur d’Orléans n’a en effet pour titre de créance qu'une donation purement gratuite. Or, la justice doit marcher avant la générosité. Monsieur d’Orléans ne peut donc pas exiger le remboursement de cette dette, qu’il lui sera bientôt si difficile de faire confondre avec les autres sommes constituées sur l’Etat. Sa demande est fondée sur un acte qui constate l’abus de confiance le plus manifeste, en faveur d’un père de famille, de la part d’un tuteur et d’un administrateur de la chose publique. Ces trois qualités vont se trouver en effet réunies sur la tête du même individu, que les représentants de la nation française doivent juger aujourd’hui. Le grand art des conseils de Monsieur d’Orléans consiste à faire disparaître deux de ces titres, pour ne montrer dans M. le régent que l’administrateur suprême du royaume qui a contracté au nom du roi une obligation nationaie, aussi sacrée et aussi incontestable que les engagements personnels du roi lui-même. J’arrive ici, Messieurs, au véritable nœud de celte grande affaire. Il est temps d’examiner enfin, si la dette qu’on nous présente est véritablement une dette de l’Etat. Il faut donc aborder sans préjugés et sans prévention le fonds de la cause. Je soutiens que la dette réclamée par Monsieur d’Orléans est radicalement nulle, et que vous devez en prononcer solennellement l’illégalité et la nullité. Pour établir mon opinion, en rassemblant tous les principes et toutes les difficultés dans un ordre de discussion claire et méthodique qui mette l’Assemblée nationale en état d’apprécier mes raisons, et qui facilite à mes adversaires, si j’en ai, la réfutation de mes erreurs, je vais remonter à l’origine de cette créance; je vais considérer M. le régent sous trois rapports, en le faisant comparaître successivement aujourd’hui devant vous, comme père, comme tuteur d’un jeune roi, et comme administrateur. En sa qualité de père, il a dû marier sa fille de ses propres biens, et il a abusé de l’autorité paternelle. En sa qualité de tuteur, il n’a pas pu doter sa fille aux dépens de son pupille; et toules les lois réprouvent cette prévarication dont vous avez droit de lui demander compte. Enfin, en sa qualité d’administrateur du royaume, il n’a pu s’affranchir d’une charge personnelle pour en grever l’Etat; et tous les exemples qu’on allègue pour le justifier déposent au contraire invariablement contre lui. Je dis d’abord qu’en sa qualité de père il a dû marier sa fille, et qu’il a abusé de son autorité paternelle. En effet, Messieurs, quelles sont les obligations d’un père? Les lois romaines le chargent expres-sémi-nt du soin de doter sa progéniture : « Ne-que enim leges incognito? sunt, quibus cautum est ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 471 [Assomblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] omnino, paternum esse officium, dotem pro suâ dare progenie. » Monsieur, père du régent, avait un apanage qui lui tenait lieu de sa portion héréditaire, conformément aux lois du royaune. Le régent, qui en hérita, ne devait pas sans doute le partager avec ses sœurs, p uce que l’apanage appartenait exclusivement à l’aîné des mâles. Mais M. le régent jouissait de la dot de sa mère ; il jouissait de la dot de son épouse, fille de Louis XIV; il jouissait, à titre de suces-sion, d’une portion considérable des biens de Mademoiselle de Montpensier, fille de Gaston d’Orléans, ainsi que de plusieurs autres acquêts d’une haute importance. Le roi n’était pas tenu de doter Louise-Elisabeth d’Orléans, pour favoriser son cousin, et cette princesse était évidemment appelée au partage de tous les biens libres de la maison d’Orléans. Je vais le prouver. Le roi est sans doute le père adoptif de tous ses sujets : mais ce titre ne l’oblige point de doter les filles nubiles de son royaume. C’est à leurs ascendants à pourvoir à leur établissement. Rien ne peut affranchir un père de cette obligation que lui impose la paternité. Un régent ne doit donc jamais acquitter sa dette personnelle de père aux dépens de l’Etat. Si des considérations extraordinaires l’obligeaient, et par con-équent l’autorisaient à puiser dans le Trésor public des libéralités particulières, il serait tenu sans doute de remplir au moins toutes les formalités de droit, auxquelles le roi lui-même a toujours élé assujetti. Or, Monsieur le régent s’affranchit arbitrairement de toutes ces formes légales et tutélaires, en 1721. Je n’en citerai ici qu’un seul exemple; mais il opère de plein droit la nullité de l’engagement réclamé par la maison d’Orléans. Ce prince ne lit peint enregistrer le contrat de mariage de sa fille au Parlement de Paris. Or, l’enregistrement était de rigueur pour un acte qui, en stipulant une dot sur leTrésor public, grevait la nation d’une charge nouvelle. Le roi lui-même ne pouvait pas se dispenser de cette précaution, pour faire de la dot de sa cousine une créance perpétuelle du royaume. Cette dot n’a donc jamais été une véritable dette de l’Etat, mais uniquement une dette particulière de la maison d’Orléans. On nous dit, mais on ne le croit pas sérieusement sans doute, que dès lors l’Etat devait doter Mademoiselle d’Orléans comme tille de France. D’abord elle n’était point fille de France ; elle était simplement une princesse collatérale de la maison de France, à laquelle l’Etat ne devait rien ; et cette auguste qualité de princesse du sang, non pas, comme on le dit, tante du monarque, mais sa cousine au quatrième degré, ne lui donnait assurément pas le droit d’être traitée, en vertu de la volonté de son père, comme une sœur, ou comme une tille du roi. Je me réserve d’examiner en détail, dans le développement de mon opinion, l’étrange assertion de Monsieur d’Oriéans, qui nous dit, dans son mémoire, que toutes tes princesses du sang mariées à des. princes étrangers, depuis deux siècles ont été dotées par le Trésor public. Je prouverai le contraire par une foule d’exemples, et par l’exemple même qu’on a eu la maladresse de citer à l’appui d’une si étrange prétention. Mais il fallait bien, dit-on, puisque le roi mariait cette princesse, qu’il la dotât sur le Trésor public. D’abord il n’est pas rigoureusement vrai que le roi mineur ait marié Mademoiselle d’Orléans. Il n’est pas vrai surtout qu’il eût besoin de faire ce mariage pour régler le sien propre, dont il était la récompense et non pas la condition. On n’a pas pu dire, et on n’a pas dit sérieusement dans le contrat de mariage, que le roi mineur mariât sa cousine. Dans notre droit public, c’est la fille elle-même qui se marie, en procédant sous l’autorité de son père, qui peut seul stipuler les intérêts de ses enfants mineurs. Le mariage d’un mineur serait nul, au moins civilement, sans ce consentement paternel auquel rien ne peut suppléer dans nos lois. Le roi consent tacitement, sans doute, au mariage de tous ses sujets, quand la loi n’y met aucun obstacle; il permet d’une manière particulière le mariage des princes et des princesses de son sang; mais, malgré toutes les formules de respect et d’honneur, il ne les marie point, il n’anéantit pas en leur faveur, ou à leur préjudice, les droits de la paternité. Le contrat de mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans constate, comme tous les autres actes de ce genre, que la loi procède sous l’autorité de son père, lequel stimile pour sa fille, en présence et avec la permission du roi mineur. Faut-il à présent prouver sérieusement que Monsieur le régent nesacrifia point alors sa fille et son bonheur personnel à l’intérêt de l’Etat, et à l’éclat du rang suprême? Ah! on ne soupçonnait pas encore au commencement de ce siècle, que ce fût un acte de patriotisme bien méritoire, que de vouloir monter sur le trône, ou d’y placer ses enfants! La parenté qui existait entre les rois de France et d’Espagne, Louis XV et Philippe V, son oncle paternel, était sans doute un lien plus puissant que celte alliance qu’on nous présente comme un bienfait public de la maison d’Orléans envers la nation, et qui n’était réellement qu’une faveur spéciale obtenue par la maison d’Orléans. La nation ne doit, par conséquent, aucune reconnaissance à Monsieur le régent, pour avoir procuré un trône à sa fille aux dépens de l’Etat, en la déshéritant, et en se réservant l’expectative d’hériter de cette dot nationale, si la reine d’Espagne descendait au tombeau sans postérité. Monsieur le régent n’a donc pas consulté les intérêts de la nation française; il ne s’est, proposéque de marier magnitiquementetgratuitement sa fille, et d’enrichir sa maison, en puisant, comme administrateur du rovaume, dans le Trésor public, 4,200,000 livres, qu’il versait dans ses coffres particuliers, comme père de famille. C’est uniquement sa postérité qui a profité de cette dilapidation; et un si scandaleux abus de confiance ne peut pas soutenir aujourd’hui les regards des représentants du peuple français. Ainsi, il est manifestementimpossiblede justifier Monsieur le régent comme père; mais je vois en lui une autre qualité : il était tuteur du jeune roi : et les conseils de Monsieur d’Orléans ont grand soin de dissimuler ce titre qui les embarrasse. Il faut donc le citer devant vous, sous ce rapport sacré que lui donnait la tutelle de son roi. Il faut le confronter ici avec les lois auxquelles tous les tuteurs sont soumis indistinctement. Un tuteur a le droit d’administrer les biens de son pupille; mais rien assurément ne l’autorise à se les approprier. Ici, Messieurs, ce n’est pins moi qui vais vous parler. Je ne dois vous faire entendre que les paroles sacrées de la loi; et il me suffira de répéter les textes des lois romaines qui régissent encore le royaume en matière de tutelle, pour vous présenter les régi s immuables de décision qui s’appliquent à la cause de Mon- 172 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791 .j sieur d’Orléans. Je vais donc traduire ces oracles éternels qui doivent vous servir de guides (1). Il est de principe, qu’un tuteur ne peut jamais acheter les biens de son pupille, ni par lui-même, ni sous aucun nom étranger; qu’il ne peut les donner à personne, et encore moins à sa famille ou à lui-même; qu’il n’a pas le droit d’imposer de nouvelles charges sur les biens d’un mineur, ou d’en consentir l’extinction; que sa puissance tutélaire finit dès qu’il s’agit d’autoriser son pupille dans tout ce qui concerne ses intérêts personnels; que le mineur peut toujours revenir contre tout ce qui a été fait à son préjudice, quand même le tuteur aurait rempli tontes les formalités prescrites, quand même il se serait fait autoriser juridiquement dans toutes ses conventions; enfin que si le tuteur abuse de son pouvoir, soit par une mauvaise foi, soit même par erreur ou par ignorance, il en répondra toujours en son propre et privé, nom. L’article 276 de la coutume de Paris s’exprime ainsi : « Les mineurs et autres personnes étant en puissance d'autrui ne peuvent donner ou tester directement ou indirectement , au profit de leurs tuteurs, curateurs, pédagogues,- ou autres administrateurs , pendant le temps de leur administration et jusqu'à ce qu'ils aient rendu compte. » Voilà vos lois, Messieurs; voilà la disposition textuelle de là coutume de Paris, ou plutôt voilà les axiomes immuables de la raison et de la justice! Appliquons ces principes universels au contrat de mariage de Louise-E isabeth d’Orléans. Quelles sont ici les parties contractantes? D’un côté, c’est une fille mineure qui procède en présence et sous l’autorité de son père, tuteur d’un roi mineur et régent du royaume. De l’autre côté, c’est un mineur qui assiste au contrat, et qui s’engage à payer une dot, sous l’autorité de son tuteur, lequel tuteur est père de la princesse contractante. Je m’arrête d’abord à une seule observation. Tout contrat doit être fait entre deux parties. Or je délie le métaphysicien le plus subtil de me trouver ici deux parties, et surtout les deux parties nécessaires pour former un contrat de donalion, dans l’acte que j’examine. Le roi est mineur; il n’agit point : c’est son tuteur qui transige pour lui. La princesse est mineure; elle n’agit point : c’est son père qui stipule pour elle. Ce n’est ni le roi mineur, ni la princesse mineure qui contractent. Noos ne voyons donc ici qu’un pèro qui marie sa fille aux dépens d’un enfant, avant que celui-ci puisse avoir aucune volonté légale. Celui qui donne est le même que celui qui reçoit. Le régent, comme tuteur, paye la dot aux dépens de son pupille; et le régent comme père, déshérite sa fille pour s’emparer de la donation qu’il se tait à lui-même. Je vous demande pardon, Messieurs, de me servir ici du mot propre; mais, quand je lis un acte où je ne trouve qu’un seul contractant, toutes (1) Tutor in re pupillari tune domini loco habetur qimm tutelam administrât , non cùm p-upillum spoliât. Cod. lib. 7, pro eropt. Tutor rem pupilli ernere non potest. Lib. 34. Si filins tutoris vel quœ alia persona juri ejus subjecta emerit, idem est ac si ipse emisset. Lib. 1. Donationes à tutor e faclæ pupillo non nocent. Lib. 22. Simili modo potest dici nec servitutem imponi passe fundo pupilli, nec servitutem remitti. Lib. 2. In rem suam tutorem auctorem fîeri non posse. Lib. 2. Mi-mribus amtis 25, etiam in iis quæ prœsentibus iu-toribus in judicio vel extra judicium gesta fuerint, in inlegrim restituiionis auxilimn superesse, si circim-venti fuerint. Lib. 2. Competet adversus tutores tutelæ actio, si malè conlraxerint. Lib. 7. mes notions se troublent, ma raison se perd dans une si monstrueuse conve tion, et je suis forcé de me dire à moi-même : C’est sans doute ainsi que l’on usurpe le bien d’autrui, mais ce n’est pas ainsi que l’on règle les conditions d’un contrat. Je vois distinctement celui qui reçoit : je demande que l’on me montre celui qui donne, si ce n’est pas M. le récent qui se lègue à lui-même ce qu’il prend à l’Etat. Le motif apparent de cette donation est uniquement la constitution de dot de !a fille du tuteur lui-même. Or, quel est celui qui donne? C’est le tuteur sous le nom d’un roi mineur. A qui donne-t-il ? Ce n’est pas uniquement à la princesse, puisqu’en échange de cette donalion eDe renonce à la succession de son père et de sa mère, au profit de ses collatéraux qui sont les enfants de son père. Il donne donc réellement au père de la princesse, c’est-à-dire à la famille de ce même tuteur que la loi déclarait également incapable de donner et de recevoir. Il y a pies, Messieurs, celte donation si manifestement irrégulière, est peut-être encore nuisible à la fille elle-mêne : car elle abandonne en échange à son père un bien qu’elle ne connaît pas, un bien dont la valeur s’élèverait peut-être au-dessus du don qu’elle reçoit. C’est donc toujours le même individu donateur, qui, sous le nom de son pupille, donne d’une main une portion des biens de ce même pupille, et qui reçoit de l’autre ce don qui le dispense de dotersa propre fille. C’est lui qui est le donateur et le donataire. C’est lui qui enrichit sa postérité, en lui léguant la légitime à laquelle sa fille renonce, et qui y ajoute encore, au profit de sa famille, l’espérance éventuelle d’hériter de cette même dot qu’il fait payer à l’Etat. Or, il me semble que cette identité du donateur et du donataire, clans un seul et même acte, répugne essentiellement à la nature des contrats, parce que tout contrat est une obligation, et que toute obligation suppose nécessairement deux individus distincts. Enfin que donne-t-on dans ce contrat individuel, comme léserait un testament? On donne le bien d’un mineur, qui, sous aucun prétexte, ne peut être ni donné ni engagé, soit par le tuteur, soit par le pupille, et encore moins au prolit du tu'eur ou de ses descendants. Le pupille, ne devait rien : il n’était que le cousin de la princesse. L’Etat ne devait rien : il n’est point obligé de doter les biles d’un régent, c’est donc sa propre detm, que le tuteur de Louis XV, a voulu acquitter aux dépens de son pupille et de l’Etat. Un roi de France qui possède de vastes domaines, et qui n’est certainement pas réduit, quoiqu’on en dise, à la pension ou à l’aumône deses sujets, peut, sans doute, s’il est majeur, faire un présent de noces à sa parente. Nous verrons bientôt des exemples de cette munificence de nos rois, qui ont quelquefois contribué à l’établissement des princesses de leur sang, de même qu’à la dot des filles de leurs grands officiers ou de leurs ministres. Nos monarques ne sont point à cet égard d’une pire condition que leurs sujets, auxquels aucune loi ne commande ni ne défend de pareils actes de bienfaisance. Mais il ne faut pas que ce présent, fût-il fait en pleine majorité, soit l’équivalent de la dot de leur propre fille; il ne faut pas qu’il cause ou qu’il proroge un impôt; il ne faut pas surtout qu’un tel contrat, qui giève la nation d’une charge très réelle puisqu’elle deviendrait perpétuelle si l’on n’en payait pas le fonds, soit affranchi de l’enregistrement. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791,] 4�0 Un simple bon de roi, un acte, un édit même non enregistrés ne peuvent jamais être ie titre d’une rente perpétuelle sur l’Etat. Cette prodigalité, digne d’Henri III et de s s mignons, n’a jamais été autoiisée dans notre droit public; et je défends ici la cause du peuple en attaquant les dispositions de Monsieur le régent. La ratification du don injuste qu’il a fait, si elle était aujourd’hui décrétée par l’Assemblée nationale, grèverait à jamais la France des dilapidations ou des usurpations que tous les régents du royaume pourraient se permettre dans la suite, à leur profit. Nos lois ne permettaient à aucun tribunal de notre ancien régime d’allouer une pareille dépense dans aucun compte de tutelle. Or, un régent est soumis à la loi comme tous les Français. Il n’existe aucune ordonnance, aucune coutume, aucun jugement, aucun exemple enfin qui affranchisse le tuteur d’un roi de la loi commune. Tout système qui tendrait à établir, sous ce rapport, line différence légale entre la tutelle du monarque et celle des particuliers, ne serait qu’un misérable romande jurisprudence, imaginé pour défendre une cause désespérée. Pouvons-nous donc légitimer, en faveur d’un prince, une prévarication que nous ferions punir dans tout autre citoyen qui oserait s’en vanter devant nous? Monsieur d’Orléans, arrière-petit-fils de Monsieur le régent, n e.-t pas coupable sans doute de cette iniquité, et je ne la lui impute point; mais il ne peut pas en nroliter, parce qu’il nous représente son bisaïeul, qui n’avait aucun droit des’approprb-ret de lui transmettre les fonds qui appartei aient à son pupille, ou plutôt àl’Eiat. Je laisse à l’esprit de chicane les petits moyens de procureur. J’ecarte loyalement de cette discussion toutes les difficultés dont la solution se présente d’avance à mon esprit. Les opinants qui seront moins sévères que moi sur le choix de leurs moyens, observeront, qu’en vertu même du contrat de mariage de Louise-Elisabeth d’Orléans avec le prince des Asturies, le payement de sa dot devait se faire dans la ville de Madrid : savoir un tiers au temps de la célébration dudit mariage, et les deux autres tiers en deux payements égaux . de 6 mois en 6 mois, en sorte que le payement soit entier et parfait 1 an après tadite célébration. Or, est-il piobable, diront-ils, que Monsieur le régent qui survécut deux ans à ce mariage n’ait ordonné aucun des payements qui étaient tous les trois échus? Est-il probable que le premier terme du moins n’ait pas été acquitté au moment de l’arrivée de la princesse des Asturies à Madrid? Us demanderont si les commis de M. le duc de Bourbon, qui fit expédier les lettres patentes de 1725, s’étaient bien assurés que la dot entière n’avait pas été payée ; si la dépense passée en compte depuis 1721, dans la foule des acquits de comptant qui étaient alors si excessivement multiplies, n’avait pas éteint cette prétendue dette ; s’il est vraisemblable que Monsieur le régent, même en supposant la négligence la plus inexplicable de la part de la courde Madrid, ait négligé une précaution si facile, et qui le mettait à l’abri de toute recherche; enfin si Monsieur le régent ne devait pas être jaloux de consommer celte opération de finance avant la majorité du roi, en éteignant une detie contractée à son profit, et qu’il lui importait d’acquitter préférablement à toute autre créance ? Je sais bien qu’il est impossible de prouver aucune de ces conjectures ; mais il faut avouer que si cetie manière d’argumenter ne peut convaincre personne, parce qu’elle n’établit invinciblement aucune vérité de fait, elle doit du moins embarrasser un adversaire de bonne foi, par son extrême vraisemblance. Je ne prétends néanmoins en tirer aucun avantage. De pareils moyens ne me sont nullement nécessaires; et j’ai de trop puissams motifs de décision à présenter pour être réduit à la nécessité de deviner ce qu’il m’est impossible de savoir avec certitude. Je ne m’arrête pas davantage au défaut d’acceptation de la part de la princesse. Je reconnais que cette acceptation, inconnue alors, n’est pas même nécessaire à présent, quand les donations se font par contrat de mariage. Telle est la disposition de l’article 10 de l’ordonnance de 1731 sur les donations. D’ailleurs, tous ces vices de forme ne méritent pas de fixer l’attention de cette Assemblée, quand l’examen du fond présente tant de moyens de nullité. La dette que réclame Monsieur d’Orléans n’a donc pas pu être dans son principe une dette foncière de f’Eiat, puisque le contrat n’a jamais été enregistré. A-t-elle pu le devenir par des actes postérieurs? Non, sans doute : car rien ne peut valider un acte radicalement nul. Il est de principe, en effet, et d’un principe généralement reconnu, que tout acte nul par lui-même, ne peut jamais être validé, ni par son exécution, ni par aucun acte subséquent. Les lettres patentes de 1725, dont on ne cesse de nous parle-, n’ont été, et ne sont qu’un titre de comptabilité, de simples lettres de forme expédiées sans examen et sans discussion dans les bureaux, pour faire exécuter un acte que l’on supposait valable. Or, ce premier acte qui était évidemment nul, a infecté tous les autres actes qui l’ont suivi; et cette nullité primitive de la donation entraîne, de plein droit, la nullité de tous les enregistrements possibles. M. le procureur général, indépendamment des autres prérogatives de sou ministère, n’aurait pas même eu besoin de prendre des lettres de rescision pour les faire annuler, parce qu’un tribunal qui enregistre n’a pas le droit de faire une donation, attendu qu’il n’est pas propriétaire. Il y a une foule d’exemples de ces enregistrements déclarés nuis, avec l’acte qui n’était pas susceptible d’être enregistré. Or, tel était le contrat de mariage de la reine d’Espagne; car il aurait fallu que son père, tuteur de Louis XV, eût rendu ses comptes de tutelle, et eut ainsi écarté son incapacité légale, avant de recevoir, pour lui ou pour les siens, la donation de son ancien papille devenu majeur. Voilà, Messieurs, des principes incontestables, que je vous supplie de ne pas perdre de vue. Les conseils de Monsieur d’Orléans prétendent aujourd’hui que le don fait par Louis XV, mineur, fut ratifié par ce prince devenu majeur, qui liquida la dot de la reine d’Espagne par les lettres patentes du 11 juin 1725. Cetie objection vous est présentée, Messieurs, comme un moyen insoluble. On vous dit que le régent était mort à cette époque, et que Louis XV ayant ratifié seul, et en pleine majorité, la donation faite à la reine d’Espagne, ce don consacré par l’enregistrement des lettres patentes, à la chambre des comptes, est devenu véritablement une dette de l’Etat. Avant de discuter la question de droit, dont j’ai déjà posé les principes fondamentaux, il faut d’abord examiner le point de fait. M. le duc de Bourbon, premier ministre, entraîné par le vœu général du royaume, venait d’offenser mortellement Philippe V, en renvoyant [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juin 1791.] 474 en Espagne la jeune infante destinée à Louis XV; et il avait fait épouser à ce monarque une princesse nubile. Louise-Elisabeth d’Orléans, veuve du prince des Asturies, qui n’avait régné qu’un moment sous le nom de Louis 1er, ne pouvait plus dès lors séjourner en Espagne. Au moment où l’infante y retourna, la veuve de Louis Ier fut obligée de revenir en France. Il aurait été aussi indécent que barbare de laisser dans la misère cette reine douairière, que son père avait déshéritée en la mariant. On la privait de son rang en Espagne, par le renvoi de l’infante; et puisqu’on l’immolait véritablement alors à 1 intérêt de l’Etal, il était d’autant plus juste de fournir à son entretien, quYlle avait été déshéritée par son contiat de mariage. Elle était orpheline, veuve, reine, fugitive et sans fortune. Son indigence eût été un nouvel affront envers la cour d’Espagne, que l’on voulut inutilement apaiser par tuutes sortes de moyens. On le voulait avec d’autant plus de sincérité, qu’on n’avait jamais eu l’intention de l’offenser, en cédant à l'empire des circonstances et au vœu do tous les Français qui sou, iraient vers la naissance d’un héritier du trône. On ne devait donc pas examiner, et on n’examina point en effet la légitimité de rengagerai ru qu’un tuteur redouté avait fait contracter à son pupille. On prit simplement des mesures pour en remplir les conditions, et personne ne sera tenté de désapprouver cette disposition provisoire. Mais, quand on prétend établir ensuite une grande différence entre cette dvtie et les libéralités du Livre ronge, j’avoue que je ne comprends pas bien les raisons sur lesquelles on peut fonder cette distinction imaginaire. Je viens de raconter le fait, passons maintenant à la discussion du droit. On nous présente ici des lettres patentes du 11 juin 1725, comme on ante de ratification fait en pleine majorité. Mais d’abord pesons attentivement les expressions. Ne confondons pas les c!auses d’un contrat avec son commentaire. N’admettons pas légèrement ues mots qui ne se trouvent point dans cet acte, et auxquels rien ne peut suppléer. Les lettres paît nies de 1725, que j’ai déjà rapportées, ne font aucune mention, ni de la ratification ni de la validation de celte donation abusive et nulle; elles n’annoncent pas le plus léger soupçon sur les nullités dont la donation était infectée. C’est un simple calcul monétaire : c’est la liquidation, ou plutôt, l’évaluation au titre de la monnaie courante, d’une dette en écus d’or sol, qu’on suppose légitime. Or, si la donatio n était radicalement nulle, comme contraire aux lois et aux bonnes mœurs, elle ne pouvait produire aucun effet, parce qu’elle n’avait aucune valeur. Il aurait fallu, si Louis NY avait eu l’intention de donner, qu’il y procédât par un nouvel acte de donation dans toutes les formes, puisque le premier contrat était comme non avenu. Je dirais plus, Messieurs, quand même le roi aurait cru ou même voulu confirmer alors cette donation, elle n’en serait pas plus valable, par la grande raison de droit que celui qui conlirme ne donne rien. Denisart, au mot Donation , n° 43, cite à ce sujet entre autres jugements, un célèbre arrêt rendu au Parlement de Paris, le 11 février 1735, au rapport de M. de L. Guillaumie. Une donation fut déchirée radicalement nulle, et par conséquent de nul effet, quoiqu’elle eut été ratifiée par le donateur dans le contrat de mariage de la donataire. Les lettres patentes de 1725 n’énoncent donc ni les vices de la donation, ni l’intention d’y remédier; elles règlent seulement le mode d’acquitter une dette qu’on suppose valable, sans aucun projet de la ratifier. Le roi ignorait et devait ignorer, à l’âge de 15 ans, la nullité de la donation faite à ses dépens par son tuteur. On se trompa, ou on le trompa, en lui demandant cette liquidation qui établissait une comptabilité provisoire et non pas une donation légale. Ce prince ne donna réellement qu’un bon annuel de générosité sur le Trésor royal. Il était loin de soupçonner les véritables principes sur les droits de son tuteur; sur les donations graïuites qui sont de véritables aliénations interdites même aux rois majeurs par les ordonnances, et toujours révocables; enfin sur la nullité de tous les engagements contraires aux lois; et quand même il en aurait eu connaissance, l’instruction qu’on lui supposerait serait un argument de plus contre Monsieur d’Orléans, puisqu’il en résulterait que Loms XV devenu majeur, et parfaitement instruit de la force légale d’un acte, n’aurait pas prétendu faire une donation dans ces mêmes lettres patentes, où il ne promettrait que d’acquitter les intérêts de la dot, sans s’obligera payer le fonds, à la réquisition de la prétend e donataire, et surtout sans ratifier, sans renouveler, et même sans confirmer la donation. Cet enregistrement d-s lettres paternes de 1725 ne peut pas eu étendre la disposition, ni suppléer à ce qui n’y est pas même énoncé: elles rappellent un don déjà fait, mais une simple énonciation ne suffit pas pour constituer une véritable dette de l’Etat. Les cours souveraines n’ont pu voir et n’ont vu dans ces lett es paf entes, que ce qu’elles contiennent réellement : savoir une forme légale pour autoriser le garde ou Trésor royal et la chambre des comptes, à allouer le payement des intérêts, conformément à cette liqui ation. L’enregistrement n’a pas eu plus de force pour valider la dette, que les lettres patentes elles-mêmes qui ne la ratifient point, et dans lesquelles le mot de ratification ne se trouve pas. L’exécution de ces lettres patentes, pendant 65 ans, n’a jamais pu former ensuite un titre de créance en faveur de Monsieur d’Orléans ; carie payement d’une somme qu’on ne doit pas, quoique l’on croie la devoir, n’établit point une dette. Celui qui raye en pareil cas ce qu’il ne doit point prouve bien le désir de s’acquitter, mais non pas la voloniê de s’endetter. Telle'est la disposition piéeise de la loi .Qui per errorem solvit, magis distrahendo obligations animo , quant con-trahendo, dare videtur. Ou ne p-ut pas invoquer non plus la prescription, en matière de créance, lorsque le titre de la possession n’a jamais été légitime, et il est d’ailleurs de principe en Fiance que l’on ne prescrit jamais contre le roi. Celui qui achète d'un tuteur, dit Domat, livre III des lois civiles, titre VII, section 6, article 12, le bien de son mineur, sans observer les formalités , ne peut pas prescrire sous prétexte qu'il a cru de bonne foi que le tuteur pouvait l’aliéner, car il a dû savoir que les biens du mineur ne peuvent être aliénés, que pour causes nécessaires, et en observant les formalités prescrites par les lois. Les acquéreurs des biens rl’un mineur sont assurément dans une classe plus favorable que les simples donataires. Or, si le premier de nos jurisconsultes dépouille les acquéreurs meme de bonne foi, qui ont cru pouvoir traiter avec un tuteur, et auxquels on ne peut reprocher que des nullités dé formé, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 175 comment excuserions-nous un tuteur avide, qui, en s’appropriant les biens de son pupille, ne saurait jamais prescrire contre lui, après avoir violé toutes les lois, sans remplir aucune formalité. Monsieur d’Orléans s’appuie encore sur l’état de ses revenus qui vous a été présenté, et dans lequel cette créance active se trouve comprise. De pareils états sont des bilans qu’un débiteur fournit à ses créanciers, et qui ne peuvent servir à personne de titres de propriété. On ne peut même les produire en justice, que sauf la vérification. La dot de la reine d’Espagne est entrée dans l’actif de la succession de feu Monsieur le duc d’Orléans. Mais toutes ces conventions de famille nous sont étrangères. Monsieur d’Orléans n’a donc aucun recours à exercer contre nous; il ne peut même en exercer aucun contre Madame de Bourbon, sa sœur, puisqu’il a consenti à liquider ses droits in globo, à la somme de 10 millions, par une convention définitive et purement volontaire. Ce prince doit en avoir d’ailleurs d’autant moins de regret, que cette transaction absolument libre ne lui est nullement préjudiciable. Mais, au reste, il ne suffit pas qu’une famille se pariage tranquillement des libéralités abusives et radicalement nullcs, pour nous en constituer les débiteurs à notre insu. Res inter alios acta nemini nocet. Il nous reste maintenant à considérer Monsieur leducd’Orléans, père de la reine d'E-pagne, comme administrateur du royaume de France. En cette qualité il n’a pu s’affranchir d’une charge per-sonnellepourengreverl’Etat; etles exemples qu’on allègue pour le justifier déposent au contraire invinciblement contre lui. Quelle est en effet, Messieurs, l’autorité d’un régent du royaume de France? Je professe hautement que c’est l’autorité du roi lui-même, dans tout ce qui ne l’intéresse pas personnellement. Celui qui est dépositaire de cette puissance souveraine ne peut être mis en cause, et n’est obligé de rendre aucun compte de sa puissance politique. Notre droit public ne l’a soumis, jusqu’à présent, à aucune responsabilité. Mais il faut distinguer dans le duc d’Orléans, outre son titre de rég'-nt, sa qualité de tuteur. Ce sont deux caractères publics absolument distincts ; et, dans une sage législation, un prince du sang ne devrait jamais les réunir, parce qu’il est toujours dangereux de mettre un orphelin entre les mains de son héritier présomptif. La régence du royaume et la tutelle d’un jeune roi ont été très souvent séparées dans notre droit public: notre histoire nous en fournit une foule d’exemples. Lorsque Monsieur le duc d’Orléans maria sa fille aux dépens de son pupille, il ne procéda point comme le régent du royaume, mais uniquement comme un tuteur infidèle de Louis XV. J’ai déjà prouvé que la France n’avait nullement besoin de ce mariage; que c’était à Monsieur le duc d’Orléans qui le négociait, à doter sa tille ; et que ces conventions matrimoniales n’avaient pas été une affaire d’Etat, mais un arrangement de famille. On a beau chercher à embrouiller la cause, pour nous montrer dans un contrat domestique une opération de la régence. Ce système politique n’eut jamais aucun fondement, car il s’agit beaucoup moins, dans cette discussion, du mariage que de la dot. Monsieur le régent voulut être Je tuteur du petit-fils de Louis XIV et pour obtenir cette commission, il fit casser le testament de ce grand roi, qui avait cru déposer eu d’autres mains la personne de son successeur. Or, un tuteur, quel qu’il soit, doit un compte de tutelle à son pupille devenu majeur. Il est responsable de l’administration de ses biens. C’est cotte grande vérité que les défenseurs de Monsieur d’Orléans s’efforcent d’obscurcir, je le sais, Messieurs, mais il est heureusement facile de dissiper les nuages doat ils cherchent à vous environner ; et puisque c’est ici l’un des points prin-paux de cette question de droit public, il faut donc poser pour base de votre décision des principes sacrés et immuables. Les règles éternelles de la justice, qni sont antérieures et supérieures à touies les lois, ont le même emoire sur tous les hommes. 11 n’y a dans un Etat, ni deux législations ni deux morales. De quelque titre politique, Messieurs, qu’un tuteur soit revêtu, il est tenu d’administrer fidèlement les biens de son pupille, et il est nécessairement responsable de ses malversations devant la loi. C’est un principe de droit naturel, auquel aucune institution ne peut déroger; quand il s’agit de ['administration d’uu régent, on ne présume point, j’en conviens, et on ne doit pas présumer la fraude. On ne lui demande même pas ordinairement, sans de puissants motifs, un compte de tutelle, parce que cet examen se fait par le cours ordinaire du gouvernement, à la chambre des comptes, qui vérifie annuellement toutes les dépenses de l’Etat; et on suppose que sa gestion est à l’abri de tout reproche, quand il ne s’élève ni plainte ni réclamation. Mais la simple présence du tuteur, à la séance royale ou au lit de justice dans lequel le roi déclare sa majorité, n’est point une décharge légale; et cette cérémonie ne le dispense pas d’être toujours responsable de sa tutelle. Si vous consacriez, Messieurs, par un décret, la prétention contraire, je ne puis trop le répéter, il n’y aurait plus aucun genre d’intidé-lité, de déprédation, de brigandage, qu’un régent ne put se permettre impunément contre son pupille. Mais que dis-je? Je n’use pas même en ce moment de la rigueur du droit. Ce n’est pas moi qui demande ici au tuteur, régent de Louis XV, compte de sa gestion : je m’oppose seulement à ce que ses ayants cause recueillent le fruit de la dilapidation la plus odieuse. Je m’oppose à ce qu’un abus révoltant de confiance fonde un droit de propriété légitime. Je m’oppose enfin à ce qu’un exemple scandaleux soit érigé par vous en loi de notre gouvernement. Ainsi, Messieurs, qu’un régent ne rende nul compte de son administration politique, je le conçois; je fais plus : j’y consens. Mais que ce même régent, que l’on ne recherche point, vienne, par ses représentants, rechercher lui-même son pu-pilte, qu’il soit autorisé à lui présenter un titre de créance qu’il s’est fait à lui-même aux dépens d’un mineur, un litre qui accuse son infidélité, un titre qui constate la spoliation la plus manifeste; et qu'il ose lui dire sans rougir : « Payez-moi 4 millions que je me suis donné dans votre enfance, sur vos propres biens ! » C’est le plus scandaleux abus de l’irresponsabilité administrative, c’est le d; rnier délire de l’immoralité. Un tuteur qui demande ainsi lui-même à compter est donc comptable; et eût-il été dépositaire de l’autorité souveraine, je dirai plus, eut-il été roi, cette gestion de tutelle devrait toujours être séparée de son gouvernement. Je vais en citer un exemple à jamais mémorable. Nous connaissons dans notre histoire un autre duc d’Orléans, dont le nom, cher à tous les Français, avertit d’âge en âge la reconnaissance et l’amour, et va recueillir au fond de tous les 176 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]13 juin 1791 -j cœurs, ce noble héritage de gloire qui l’environne depuis trois siècles, des bénédictions publiques. Ce prince, célèbre à jamais dans nos annales, sous le nom de Louis XII, et oncle par sa sœur de Gaston de Fuix, duc de Nemours, fut appelé par la loi du royaume à la tutelle de ce jeune héros. 11 en rernp it fidèlement les fonctions; il poursuivit, en cette qualité de tuteur, plusieurs procès au parlement de Paris, contre les branches collatérales de la maison de Foix, et il rendit ensuite ses comp'es de, curatelle, dès que son pupille fut parvenu à l’âge de majorité. Ces exemples seraient plus communs dans notre histoire, si les monarques français s'étaient all és plus fréquemment av> c leurs sujets. Il faut respecter assez la justice pour ne pas douter que nos rois n'eussent été astreints à des restitutions juridiques, s’ils avaient usurpé les biens de leurs pupibes dans ces tuMles particulières. Compelit adversùs tutorem tutelœ actio. Aux yeux de la loi, tii le roi ni le régent ne peuvent jamais absoudre le tuteur. S’il est donc viai qu’il y ait eu une malversation évidente dans la gestion du duc d’Orléans, tuteur de Louis XV, l’Assemblée nationale manifestement autorisée à dénoncer tous les abus, à les poursuivre et à y remédier, a le droit incontestable de mettre aujourd’hui en cauœ, je ne dis pas si l’on veut, le légentdu ioyaume, mais le tuteur del’arrière-petit-iils de Louis XIV. Un duc d’Orléans régent ne peut pas s’affranchir d’un obligation, à laquelle s’est honorablement soumis un autre duc d’Orléans, roi. de France, qui, étant assis sur le trône, a rendu compte de la tutelle de Gaston de Foix. J’accuse donc aujourd’hui le régentdeLouis XV, en celle qualité de tuteur! et si les représentants de la nation examinent sous ce rapport la cause dont il s’agit, il ne pourra plus y avoir de x opinions dans cette Assemblée. La prévarication du tuteur de Louis XV ne saurait être ni enveloppée d’aucun nuage, ni justitiée par aucun sophisme. La justice aurait dû, dans la minorité de ce prince, s’approprier le mot sublime de la clémence, en disant comme elle que ce n’était pas au tuteur d’un roi de France à doter les les filles du duc d Orléans. Les conseils de Monsieur d’Orléans, qui n’ont eu garde d’employer une seule lois ee mot, si terrible pour eux’ de tuteur de Louis XV, dans les deux mémoires qui vous ont été présentés, ont soutenu qu’en mariant sa tille aux dépens de l’Etat, Monsieur le régents’étuitcouformé àl’usage reçu, et que, depuis deux cents ans, aucune princesse, même d’une branche col latérale de la maison de France, n’avait épousé des souverains étrangers sans être doiée par le roi. On s’est préva u ue l’exemple de Maric-Loui-e d’Orléans, fille de Monsieur et d’Henriette d’AngletLerre, qui étant née en 1662, épousa en 1679 Char! s II rot d’Espagne, et mourut en 1689 sans postérité. On a dit que cette princesse avait été dotée par Louis XIV sou oncle; et on nous a délié hautement ee citer aucun autre exemple qui ait jamais déchargé le Trésor public de cet usaee. Eh bien! Messieurs, j’accepte le défi qui vous est porté par icsconseiis de Monsieur d’Orléans ; et je l’accepte pour l’exemple même dont ils veulent se prévaloir. Vous allez juger s’ils sont plus exacts dans leurs citations, qu’adroits dans leurs réticences. L’exemple qu’on nous allègue ne pouvait pas être plus maladroitement choisi; car il établit évidemment le contraire de ce que l’on veut prouver. Ce mariage de Marie-Louise d’Orléans avec Charles II, roi d’Espagne, était l’une des conditions du traité de pair de Nimègue, traité le plus glorieux et le plus utile que. la France ait jamais conclu. L’Espagne nous cédait, outre la Franche-Comté, les villes de Valenciennes, de Condé, de Bouchain, de Cambrai, d’Aire, de Saint-Omer, d'Yores, de Warvick, de Varneton,de Poperingue, de Bailleul, de Cassel, de Metiin, de Bavay, de Maubeuge et de Charlemont. Teifis étaient les conditions que Louis XIV dictait à l’Espagne, indépendamment de celles qu’il imposait à la Hollande, à l’empereur et à l’Empire, dans les murs de Nimègue, le 10 août et le 17 septembre 1678. Pour sauver à l’Espagne, aux yeux de l’Europe entière, la honte dos sacrifices qu’elle subissait, on proposa le mariage de Chartes II, avec Mademoiselle d’Orléans. Si Louis XIV, en concluant un traité si avantageux, s’élafi chargé de doter sa nièce, it de la gratifier de 500,000 écus d’or au soleil, cette convention stipulée dans le traité de Nimègue aurait véritablement éié regardée comme une affaire d’Éiat, et aucun Françai-ne serait tenté do blâmer un pareil sacrifice. Il est pourtant vrai que Louis XIV ne dota point la princesse d’Orléans, sa nièce, et qu’il se rendit uniquement caution de la dot, laquelle consistait en 500,000 écus d’or au soleil. Pour former cette somme, on as-ignait à la princesse : lu Un million de livres tournois légué par Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII, à cette même Marie-Louise d’Orléans, sa petite fille, qu’elle avait élevée; 2° 19,285 jacobus (guinées d’or) , et en outre les intérêts qu’ils avaient produits depuis le jour de la mort de Madame. Ces deux sommes étaient dues par l’Amdetnrre pour la dot de la princesse Henriette, mère de Mademoiselle d’Orléans. L’argent ne valait à cuite époque, eu 1679, que 26 livres le marc : de sorte que ces deux sommes réunies formaient à peu près l’équivalent des 500,000 écus o’or au soleil, promis pour la dot. Le roi ne donna donc rien par le contrat; mais dans le cas seulement où ces deux capitaux, qui étaient évidemment un propre de cette princesse, puisqu’elle eu avait hérité de sa grand’mère et ne sa mère, ne compléteraient pas la valeur des 500,000 écus d’or au soleil, Louis XIV garantit la somme et promit d’v suppléer. Voilà, Messieurs, en quoi consislecet exemple si décisif que vous allèguent les conseils de Monsieur d’Onéans. Le voilà ce fait péremptoire dont on semblait nous interdire jusqu'à la uiscussion, comme une scandaleuse déclamation contre l’évidence! Mais toutes ces rodomontades d’érudition ne vous empêcheront pas de lire modestement, à la suite du trai'é do Nimègue, les articles du c ntral dont vous venez d’entendre les conditions. Vous trouverez l’acte imprimé depuis plus d’un siècle, dans le corps diplomatique, tome 7, partie première, p ige 417. Je tiens le livre dans ma mam, pour la commodité de ceux de nos collègues qui voudraient en faire dans l’instant la vérification. Je crois vous avoir suffisamment rassurés contre l’autorité du seul exemple dont on ait encore o-é se prévaloir dans cette cause. Mais on va plus loin. On se prépare, dit-on, à nous citer quelques autres exemples de ce genre, que l’on tient en réserve nour embarrasser et pour en-lr. finir l’Assemblée nationale, au moment du décret. Puisque j’occupe dans cet instant la tribune, et que je ne suis pas assuré d’obtenir la [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [13 juin 1791.J réplique, je vais donc répondre d’avance à ces moyens à peine indiqués. Il faut poursuivre ici nos" adversaires jusque dans leurs derniers retranchements. Il faut les réfuter avant même qu’ils aient parlé. On nous affirme, dans les mémoires de Monsieur d’Orléans, que l’exemple de cette dot accordée, dit-on, par Louis XIV à sa nièce, est conforme à l’usage reçu dans la nation depuis deux siècles. On nous somme de citer aucune princesse d’une branche collatérale de la maison de France, qui ait été mariée depuis 200 ans, à un souverain étranger, sans avoir été dotée par le Trésor royal? J’entends, Messieurs; la maison d’Orléans est la seule branche collatérale de la dynastie régnante, qui ait marié ses füles à des souverains étrangers. Elle n’ose pas nous dire aujourd’hui nettement, qu’elle les a toutes dotées aux dépens de l’Etat, outre les dons immenses qu’elle en a reçus ; et qu’en héritant ensuite de plusieurs de ces dots qu’elle n’avait point payées, elle a su s’enrichir par ces mêmes établissements qui ruinent tant d’autres familles. Il faut donc mettre ici sous vos yeux tous le contrats de mariage des filles de la maison d’Orléans. C’est bien évidemment d’elles que l’on veut nous parler, quand on s’appuie sur les exemples de ce genre, puisque aucune autre branche collatérale de la famille de nos rois n’a marié ses filles, depuis deux siècles, à des princes étrangers. Pour triompher pleinement du défi qui nous est proposé, examinons rapidement aujourd’hui, comment Monsieur, et le régent son tils , ont marié leurs filles; et vous vetrez, qu’en cherchant à se faire un titre de ces exemples, pour nous demander la dot de la reine douairière d’Espagne, les conseils de Monsieur d’Orléans nous fournissent de nouvelles armes, pour combattre leurs prétentions. La princesse Anne d’Orléans, Mademoiselle de Valois, seconde fuie de Monsieur, et d’Henriette sa première femme, épousa en 1684, Victor-Amé-dée, duc de Savoie. C’est en vertu de ce mariage que le roi de Sardaigne, qui en est issu, se trouve aujourd’hui le plus proche héritier de la maison de Stuart, dont il est, après M. le cardinal duc d’York, le premier descendant par les femmes. On sait que la loi salique n’est point admise en Angleterre. La dot d’Anne d’Orléans fut de 1,200 livres, formées de trois parties bien dis-linctes. La première consiste dans les propres de la princesse, c’est-à-dire dans la moitié des droits dotaux de sa mère, que l’Angleterre n’avait pas encore payés, savoir : 19,285 jacobus , avec les intérêts de cette somme depuis le jour de la mort de Madame, en 1670, intérêts qui avaient presque doublé le capital, en 1684. Comme cette créance pourrait paraître suspecte au duc de Savoie, qui était dépourvu de moyens pour en forcer le payement, Louis XIV, s’en rendit garant, et la prit sur son propre compte ; mais, par le même contrat, Louis XIV s’en tit assurer le transport par la princesse, en vertu du double consentement de son père, qui était aussi son tuteur, et de son futur époux, le duc de Savoie. La seconde partie de la dot est composée d’une somme de 900,000 livres, que Louis XIV s’oblige de payer au duc de Savoie, en trois termes qu’il assigne, après s’être approprié plus de 800, OOü livres, en capital ou en intérêts, de la dot encore due par l’Angleterre; de sorte que le présent de noces accordé par Louis XIV à sa nièce, se réduisait à peu près à rien. J’observerai à ce sujet que, Série. T. XXVII. 177 sous le règne de Louis XIV, les libéralités pécuniaires étaient beaucoup moins importantes et beaucoup plus rares qu’on ne le croit communément. C’est une réflexion que j’ai faite souvent, en lisant sa correspondance avec Colbert. Enfin la troisième portion de cette dot comprenait une somme de 300,000 livres que Monsieur donnait à sa fille, savoir : 60,000 livres en diamants, et 240,000 livres sur les intérêts qui lui étaient dus par l’Angleterre, pour la dot de sa première femme, depuis son mariage jusqu’à sa viduité. Tel est l’extrait fidèle de ce contrat de mariage. Voyons maintenant si Monsieur le régent a pu se faire un titre d un pareil exemple pour doter la princesse des Asturies, sa fille, aux dépens de l’Eiat. Ne résulte-t-il pas évidemment, Messieurs, de ce simple exposé, qu’il n’y avait en France aucune loi, aucune coutume, aucun usage, qui constituât le roi débiteur de la dot des princesses du sang, lorsqu’elles épousaient des souverains étrangers? Le contrat de mariage de Victor-Amédée avec Anne d’Orléans, en fournit la preuve : car si cette obligation eût existé, Louis XIV n’aurait-il pas acquitté la totalité de la dot, au lieu d’en payer à peine une si modique portion ? Se serait-il approprié la légitime d’Anne d’Orléans, en se faisant céder tous ses droits sur le cour d’Angleterre? Aurait-il obligé ensuite son frère de fournir, de ses propres deniers, une somme de 300,000 livres pour le complément de cette dot. Enfin se serait-il soumis à tous ces calculs économiques, lorsqu’il était question de l’établissement d’une nièce chérie, d’une nièce dont il avait si tendrement aimé la mère, qu’on l’accuse encore d’avoir causé involontairement sa mort, en excitant, contre Henriette d’Angleterre, l’inexorable jalousie de son mari? Les circonstances politiques augmentent encore ici le poids de mes raisons. Tous les historiens Français et Anglais ont observé que, Louis XIV s’étant alors suscité par son ambition la défiance de tous les souverains, ce prince était singulièrement attentif à conserver l’alliance ou du moins la neutralité de la Grande-Bretagne qui mettait un poids si considérable dans la balance politique de l’Europe. Serait-il donc surprenant, que pour s’assurer des droits à une dette, ou si l’on veut, à la reconnaissance de cette nation, il eût consenti à un si léger sacrifice, qui lui ménageait pour alliés le roi d’Angleterre et le duc de Savoie? Ce contrat de mariage que j’ai ici sous mes yeux est imprimé en entier dans le quatrième volume du Recueil des traités de faix , par Frédéric Léonard. L’authenticité d’un pareil acte ne peut point être contestée. La dot d’Anne d’Orléans, dont Louis XIV lut ainsi caution, et qui ne lui coûta réellement qu’un présent très ordinaire de noces, n’est par conséquent pas un exemple qui puisse justifier aujourd’hui devant vous la mémoire de Monsieur le régent. Une autre sœur utérine de ce même prince, Elisabeth-Charlotte d’Orléans, épousa, en 1698, Léopold, duc de Lorraine et de Bar, père de l’empereur François Ier. Cet exemple, encore plus rapproché de Monsieur le régent, pourra-t-il légitimer, ou du moins excuser l’insigne abus de confiance que je lui reproche dans cette tribune ? Par le contrat de mariage, Louis XIV donne à sa nièce la somme de 900,000 livres, payables en 3 termes égaux. Monsieur et Madame promettent de donner et de constituer en dot, à leur fille, 400,000 livres payables après leur décès, outre 12 178 lAssemblêe nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 113 juin 1791.J la valeur de 300,000 livres en bagues et joyaux, qu’on lui délivre au moment du mariage. Ce contrat est rapporté en entier dans l’histoire de Lorraine par üom Galmet, tome VII, page 467 des preuves. Monsieur et Madame constituent ici une dot peu considérable à leur fille ; mais du moins ils la dotent d’une somme de 700,000 livres. Monsieur le régent est sans doute le seul exemple que l’on puisse citer d’un prince qui, en mariant sa fille, se soit cru dispensé, moyennant 40,000 écus de diamants, de rien fournir pour sa dot, et qui ait imposé la totalité de cette charge paternelle à un pupille dont il était le tuteur. Mais expliquons d’une manière plus lumineuse, en interrogeant l’histoire, cette espèce de don purement manuel, d’une somme de 900,000 livres, que Louis XIV fit à sa nièce, en la mariant au duc de Lorraine. D’abord, ce mariage fut une suite de traité de Ryswick, par lequel Louis XIV en restituant au duc de Lorraine ses Etats, dont il s’était emparé, s’y était réservé plusieurs places fortes, des bailliages entiers, et toutes les grandes routes, sauf un dédommagement qu’il avait promis, il est vrai, par le traité de Ryswick, mais qu’il aurait pu n’effectuer jamais. Ma haute admiration et ma vénération profonde pour Louis XIV ne m’empêcheront pas d’avouer hautement, qu’il fut longtemps très injuste envers la maison de Lorraine, dont il eut pendant tout le cours de son règne le désir et l’espoir d’envahir l’héritage. Le jeune Léopold, qui depuis fut l’un des princes les plus chéris, et par conséquent les plus grands de l’histoire moderne, vint solliciter à Versailles les indemnités qui lui avaient été promises à Ryswick ; et il jugea, très sagement, que, ne pouvant pas lutter seul contre la puissance de Louis XIV, une alliance personnelle avec la famille royale serait le moyen le plus sûr de faire accueillir ses justes réclamations. Il proposa donc au roi d’épouser sa nièce, et le mariage fut bientôt conclu. En payant 900,000 livres pour la dot de cette princesse, Louis XIV, loin d’être généreux, acquittait à peine une partie de ses engagements envers Léopold. Mais que peut-il y avoir de commun entre une telle convention, qui était moins une libéralité domestique que l’exécution d’un traité solennel, et l’énorme abus de confiance d’un régent, qui dispose, sans titre et sans motif, au profit de sa fille, ou plutôt au sien, d’une somme de plus 40 millions, qu’il puise dans le Trésor public.?... J’ajouterai à ces observations, que, lorsque Louis XIV mariait ainsi ses propres nièces, ce n’était pas un tuteur qui dotait ses enfants aux dépens de son pupille, mais un roi majeur qui avait le droit de faire des présents pécuniaires à sa famille, sur son propre revenu, dont il ne devait alors compte à personne. Cette différence incontestable ne permet plus d’établir aucune parité entre les libéralités d’un roi et les usurpations d’un régent. Voici enfin les deux derniers exemples du même genre, que l’on puisse invoquer dans cette discussion. En 1720, Monsieur le régent maria deux autres de ses filles à des princes étrangers. Char-lotte-Aglaé d’Orléans, épousa Renaud d’Est, prince de Modène. Monsieur le régent lui constitua en dot, au nom du roi, 300,000 écus, espèce des neuf à la taille, ou au marc, qui furent payés comptant; il y ajouta, de ses propres deniers, en forme de dot 400,000 livres, outre les diamants que la princesse avait en son pouvoir, et qui étaient estimés 500,000 livres. Moyennant ces 900,000 livres de dot, la princesse de Modène renonçait à toute succession paternelle et maternelle. Enfin, Philippine-Elisabeth d’Orléans, autre fille de Monsieur le régent, fut accordée, par contrat de mariage, à l’infant Don Carlos, second fils de Philippe V, roi d’Espagne, et d’Elisabeth de Parme. Elle fut ensuite renvoyée de Madrid avec la reine douairière d’Espagne, sa sœur, après le retour de l’infante destinée à Louis XV. Le con� trat est du 26 novembre 1720, et la princesse de Modène avait été mariée le 11 février de la même année; mais, dans ce court intervalle, Monsieur le régent était devenu beaucoup plus prodigue des libéralités d’autrui, en disposant du Trésor royal au profit de sa famille. La dot qu’il fit donner au nom du roi, à cette dernière fille, fut de 400,000 livres écus d’or au soleil; et il la gratifia d’une somme de 40,000 écus en pierreries. Je doute qu’on ose, dans cette discussion, se faire une autorité de ces deux derniers exemples. Des contrats de mariage conclus pendant la régence ne prouvent certainement rien; ou plutôt ils démontrent que Monsieur le régent, qui dota ces deux princesses aux dépens de son pupille, se rendit coupable de trois prévarications, au lieu d’une seule que je lui imputais en examinant la dot de son autre fille, reine douairière d’Espagne. Dans le mois de février 1720, Monsieur le régent n’avait enlevé au Trésor public que 300,000 écus, des neuf an marc, pour doter la princesse de Modène, et il lui avait donné 900,000 livres de ses propres deniers. Dans le mois de novembre de la même année, il accorda 400,000 écus d’or sol, sur les biens de son pupille à sa seconde fille, qu’il mariait à don Carlos; et alors devenu moins scrupuleux, il s’affranchit de tout son personnel. Mais, au mois de novembre 1721, il va encore plus loin, et sans rien débourser, il assigne généreusement 500,000 écus d’or au soleil sur le Trésor royal, à celte de ses filles qui épouse le prince des Asturies. Ses héritiers réclament aujourd’hui cette dernière et coupable usurpation comme une dette sacrée; mais on ne parviendra pas à nous persuader que l’Etat soit obligé de doter ainsi les filles d’un régent, et que la fixation des dots entre les deux cours de Versailles et de Madrid, doive servir de tarif, à nos dépens, aux princesses des branches collatérales de la maison de France, quand elles épousent l’héritier présomptif du trône d’Espagne. On aura beau nous dire que cette princesse fut mariée comme une fille de France. Éhl vraiment nous ne le savons que trop; et c’est précisément le reproche le plus grave que nous ayons à faire au tuteur de Louis XV. Si la reine douairière d’Espagne eût été réellement une Fille de France, il aurait été de toute justice qu’elle fût dotée par le Trésor public. Mais ce titre auguste ne lui a jamais appartenu, et il n’était pas au pouvoir de son père de le lui donner, en grevant l’Etat, par des dilapidations toujours croissantes, d’une dette de plus de 4 millions. Résumons à présent tous les faits que nous venons de discuter. On nous a défié de citer aucun exemple d’une princesse de branches collatérales de la maison de France, qui ait été mariée depuis deux siècles à un prince étranger, sans avoir été dotée par l’Etat. J’ai accepté le défi; j’y ai répondu en puisant tous mes moyens dans les seules archives de la maison d’Orléans; Je reprends maintenant le défi, et je somme à mon tour tous les conseils de Monsieur d’Orléans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] de nous citer un exemple, un seul exemple, d’une rincesse en ligne collatérale de la maison de rance, mariée depuis deux siècles à un prince étranger, et qui ait été dotée par nos rois, aux dépens de la nation ! Je ne dis pas encore assez, je vous annonce, Messieurs, que les conseils de Monsieur d’Orléans, qui vous ont montré d’abord la confiance la pins intrépide, ne seront pas même tentés d’accepter le défi que je leur propose devant vous. Cependant, quoiqu’il soit démontré que la maison d’Orléans jouît sans aucun titre légitime, depuis 49 ans, d’une rente annuell-de 208,000 livres sur le Trésor royal; quoique ses prétendus droits ne soient fondés que sur un acte très abusif en lui-même, et dont l’objet ne fut. jamais d’enrichir le frère en mariant la sœur; quoique cette rente si indûment perçue ait coûté à l’Etat environ 10 millions, qu’il ne devait point depuis la mort de la reine douairière d’E-pagne, je ne crois pas que la nation doive répéter aujourd’hui cette somme importante que le roi aurait pu se dispenser de payer. L’Assemblée nationale u’a pus le droit de réclamer les arrérages postérieurs à la transaction de 1742. En effet, le roi doit manifestement un compte, en vertu des lettres uatentes de 1725 qui ont ga-rami à sa cousine la jouissance ues intérêts de sa dot, tant que ce don ne serait pas déclaré nul. Or, le compte se trouve déjà rendu dans les quittances. Le roi a payé annuellement ce qu’il a voulu. Il était le maître de faire de son revenu l’usage qui lui convenait; mais certes il n’était pas le maître de grever l’Etat d’une dette de plus de 4 millions, sans remplir aucune formalité, et surtout sans confirmer authentiquement ce don abusif qu’on avait fait, en son nom, durant son enfance! En motivant ainsi mon opinion sur le capital et sur les intérêts, je crois être fondé sur les véritables principes ; et il me semble que je ne fais ni tort, ni grâce à Monsieur d’Orléans. Le rétablissement de l’ordre nécessite sans doute la réforme des abus; mais il n’autorise assurément point les recherches inquisitoriales qui porteraient le trouble et la désolation dans toutes les familles injustement favorisées. Le même esprit de justice et d’impartialité qui m’oblige d’attaquer ici la validité de la errance, me déterminerait donc à défendre, en faveur de la maison d’Orléans, la jouissance des intérêts, si on lui en demandait le remboursement. Nous avons un droit manifeste d’oppositions pour l’avenir, mais nous n’avons nul droit de recours sur (e passé. Je ne doute même pas que, sous l’ancien régime, la maison d’Orléans n’eût joui paisiblement de cette di'tte active, dont le titre est si manifestement abusif, quoiqu’il n’existe certainement fias d’exemple d’un»1 concession si immorale et si révoltante; dans l’histoire même de Ja dilapidation de nos finances, aucun ministre n’aurait peut-être osé mettre eu cause, la maison d’Orléans pour lui demander compte de ce don scandaleux qu’elle s’est fait, à ede-même, sur le Trésor public. Mais aujourd’hui, Messieurs, que la France discute ses droits, ses charges et ses intérêts par l’organe de ses propres représentants ; aujourd’hui que vous voulez renvoyer au grand jour les abus de tout genre auxquels vous prétendez remédier; aujourd’hui que votre décision vous est dictée d’avance, par votre propre décret du 3 d’août dernier, qui supprime et révoque toutes assurances de dots et de douaires , dont le Trésor public était 179 grevé, par des actes non moins authentiques que le contrat de mariage dont il s’agit, puisque le Parlement de Paris ne l’a jamais enregistré; aujourd’hui que, du moins dans vos principes, toute exception en faveur de la maison d’Orléans serait injuste et inconstitutionnelle ; aujourd’hui que tous vos décrets sont fondés sur ce principe terrible, que tout ce qui fut abusif dans l’origine doit être réformé sans pitié; aujourd’hui que vous dépouillez en conséquence les propriétaires de fiefs de leurs droits patrimoniaux, les défenseurs de l’Etat d’une partie des modiques récompenses qu’ils avaient obtenues au prix de leur sang, les pensionnaires du Trésor public d’une portion considérable de leur traitement viager, une multitude innombrable de citoyens français, de leurs emplois, de leur état, de leurs propriétés; aujourd’hui enfin, que vous exercez un ministère si rigoureux dans toutes les branches de l’administration, vous ne pouvez plus reconnaître une créance fondée sur l’abus de confiance le plus inexcusable; une créance aussi illégale dans la forme qu’elle est injuste dans le fond ; une créance qui réunit tous les caractères d’un délit public, et qui ne porte aucun des titres d’une dette nationale; qui nous présente enfin, dans la même famille, un père qui donne à sa fille, une sœur qui dispose ou vend au profit de son frère, un héritier qui transmet à des eess on.naires réels ou fi' tifs, ce qui n’a jamais appartenu légitimement, ni au père, ni à la fille, ni à l’héritier, ni à ses prête-noms. Vous pouvez donc réduire toute la cause aune seule question. A quel litre se présente ici Monsieur d’Orléans? Est-ce en vertu de la donation? Elle est faite par un mineur, elle est faite sans cause, elle est faite au profit d’un tuteur, durant le cours de sa tutelle, elle n’est pas même enregistrée, elle est radicalement nulle. Est-ce en venu des lettres patentes de 1725 ? Ces lettres patentes ne valident rien, ne ratifient rien; elles ne règlent que la comptabilité des intérêts; elles supposent valide un acte frappé des nullités les plus incontestables ; elles n’assignent aucun terme au remboursement du fond de la donation et elles ne peuvent par conséquent jamais servir de titre légal, pour appeler au rang des capitaux constitués sur l’Etat cette même créance qu’on voulait d’abord placer dans la classe privilégiée de la det: e exigible. D’après ces considéraiions, je conclus en vous proposant le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que la prétendue créance dont la maison d’Orléans jouit sur le Trésor public, d’une somme de 4,158,850 livres, assignée en not, au nom de Sa Majesté, par Monsieur le régent, durant la minorité du feu roi Louis XV, à Louise-Elisabeth d’Orléans, reine douairière d’Espagne, est nulle et de nul effet : que les intérêts cesseront d’en être payés, à compter de ce jour; que cette dot est et demeurera rejetée de la liquidation des dettes de l’Etat ; qu’enfin défenses sont faites à tous administrateurs et gardes du Trésor public de rien payer à l’avenir, ni pour le principal ni pour les intérêts à échoir, de la somme fixée par les lettres patentes du 11 juin 1725, à peine d’en être responsables en leur propre et privé nom. »