ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { 23 Sombre " 93 230 [Convention nationale.] Explication du troisième tableau, par Périek. Les idées se groupent d’ elles-mêmes dans l’esprit; elles y forment naturellement des tableaux; mais quand il s’agit de rendre ces tableaux sensibles, il est indispensable de recou¬ rir à des moyens conventionnels pour conser¬ ver aux figures qui les composent la physiono¬ mie et l’attitude qu’elles ont dans la pensée. Un commerce non interrompu avec nous donne à l’enfant qui jouit de tous ses sens l’habitude de ces conventions; il entend dire : papa est bon, papa aime son fils, le cheval de papa, et il emploie le lien, il suit la règle d’appo¬ sition de ce que nous appelons grammaticale¬ ment l’objectif ou l’objet, il fait usage des pré¬ positions. Le sourd-muet est privé de ees avantages. Seul, au milieu de ses semblables, il ne peut rien obtenir de l’imitation. Il faut lui apprendre à parler notre langue sans en avoir aucune autre qui puisse servir d’objet de comparaison, qui fournisse au moins les premières bases de la cor¬ respondance; il faut créer avec lui l’idiome dans lequel on veut qu’il pense et s’exprime, ou plutôt il faut en créer-deux tout à la fois. Prenons-le même à l’instant où il est parvenu à faire des abstractions, à distinguer la forme de la matière, à sentir qu’il est besoin de les désigner séparément, il n’en croira pas moins qu’il lui suffit de les nommer l’une après l’autre pour qu’elles se disposent dans l’esprit de l’audi¬ teur comme elles le font dans le sien, et il négli¬ gera de les lier. Le raisonnement vient au secours de l’ins¬ tituteur qui enseigne un élève dont il peut être entendu. Posez d’abord ce triple principe, que la matière est toujours revêtue d’une forme quelconque, que tout être substance est suscep¬ tible de plusieurs formes, et que les mêmes formes se retrouvent dans des êtres de diffé¬ rentes natures. Faites-lui remarquer ensuite que toutes les fois qu’on offre, soit à son oreille, soit à ses yeux, le signe représentatif d’un être subs¬ tance, il n’est pas le maître de ne pas se le peindre sous une forme qui, étant pour l’ordi¬ naire celle qu’il a le plus communément, peut ne pas se trouver la même que lui attribue celui qui veut communiquer avec lui; qu’ alors, il doit dépouiller cette forme et substituer celle que lui donne l’auteur de la pensée et que, pour provoquer ce jeu dans l’esprit de l’auditeur, il devient nécessaire d’employer un signe aver¬ tisseur, un mot nouveau qui lie la qualité à la substance. Cette courte explication, appuyée de quelques exemples, conduira sans effort l’élève à la contexture de la phrase. Avec le sourd-muet, il faut prendre une autre marche; il faut parler à ses sens, c’est le seul moyen de communication qui existe encore entre lui et son guide. Il faut bâtir et bâtir silentement qu’il puisse remarquer et la coupe et la position de chaque pierre de l’édifice, distinguer le ciment des matériaux, et apercevoir jusqu’à la moindre jointure. Après lui avoir mis sous les yeux des images isolées, nous commençons à en lier deux et à substituer au lien que nous avait offert la na¬ ture, celui convenu pour notre langue. Vient le mot table, dont la place seule indique le ser¬ vice; mais pourquoi cette sorte de privilège! Voilà ce à quoi nous devons répondre. Il est le sujet d’une seconde proposition. Table est frap¬ pée. Mais la pensée est infiniment rapide; la parole ou l’écriture en sont devenues la peinture; et tout portrait doit ressembler à son original. La parole et l’écriture ne sauraient donc, sans violer cette condition de rigueur, comporter plus dé figures qu’il n’est strictement indispensable. Supprimons donc tout ce qui peut l’être sans nuire à la vérité du tableau. D’abord, ce sont les deux derniers éléments du grand lien, un seul nous suffit pour attester son existence. Les terminaisons ant é représenta¬ tives de sa dénomination générique être, dispa¬ raîtront aussi; car dès que l’être est déterminé, pourquoi conserverions-nous un signe vague et désormais inutile? Ces deux premières suppressions nous font pressentir qu’il en est encore d’autres au moins possibles, et nous nous demandons s’il est bien essentiel de Conserver deux liens, lorsque nous ne voulons plus former qu’un ballot, lorsque nous avons transporté le premier lien au milieu des deux paquets? Nous nous demandons encore si la qualité passive frappée a besoin d’être exprimée; si elle ne pourrait pas être fondue dans celle active, frappant. Nous faisons l’action, et nous restons convaincus qu’il est impossible qu’un être frappe sans qu’il y ait un objet frappé. Le radical frappe peut donc réunir cette double idée, son influence s’étend donc jusque sur le mot table : il est donc inutile de répéter l’action et la position de l’objet; après, l’action suffit pour le faire reconnaître. Cette convention établie, si nous faisons suivre immédiatement le terminatif, il devien¬ dra lui-même un second objet, et nous aurons présenté un tableau faux. Répétons encore l’action, -et il ne nous sera plus permis de douter que la baguette n’est point frappée comme la table; nous la verrons même frappant, mais frappant sous l’impulsion de la main. Dès lors, nous soupçonnerons la nécessité d’un signe de plus, qui nous avertisse du rôle particulier qu’elle joue. Les prépositions ne sont réelle¬ ment que des modificatifs : elles forment à la vérité une espèce à part; mais elles rentrent dans le grand genre, et c’est assez pour m’auto¬ riser à y prendre d’abord une expression avec laquelle nous soyons déjà familiarisés; ainsi, nous partirons d’un point connu pour arriver à l’intelligence d’un mot qui, donné sans cette précaution, n’aurait jamais été compris. La qualité servant deviendra notre boussole; nous la traduirons ensuite par le mot instrument, enfin, par celui avec qui ne saurait pas être entendu. Cette préposition nous devient très pré¬ cieuse pour arriver à la décomposition des ellyptiques connus sous la fausse dénomina¬ tion d’adverbes. Fortement se résout par avec une main forte, et ce pas devient le dernier que nous avions à faire pour embrasser tout le sys¬ tème grammatical, pour connaître la valeur et le service de toutes les espèces de mots qui entrent dans la composition du discours. Un membre [Monnel (1)], au nom du comité des décrets, fait lecture de plusieurs pièces rela-(1) D’après la minute du décret qui existe aux Archives nationales, carton G 286, dossier 849. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j décembre 1793 281 tives an citoyen Jean-Baptiste Boiron, suppléant du département de Rhône-et-Loire. La Conven¬ tion décrète le renvoi de ces pièces au comité de sûreté générale, où Boiron sera entendu, pour en être fait un prompt rapport (l). Suit le texte des pièces lues par Monnel (2). I. Les administrateurs du directoire du district de Commune-Affranchie, aux citoyens com¬ posant le comité de sûreté générale de la Convention nationale. « Du 4 frimaire, l’an II de la Répu-; blique française, une et indivisible. « Citoyens, « Nous vous adressons ci-joint un certificat délivré le 2e jour de la 3e décade du 2e mois par la Société populaire de Saint-Cliamond, et transmis au procureur syndic de notre adminis¬ tration par celui du district d’Armeville, auquel sont jointes différentes autres pièces. Vous y verrez qu’un sieur Boiron, député suppléant à la Convention nationale, s’est rendu indigne de la confiance du peuple en acceptant les fonc¬ tions de président des sections de Saint-Cha-mond, pendant que les contre-révolutionnaires de Lyon y dominaient. L’intérêt que nous pre¬ nons à la chose publique nous engage à vous transmettre toutes ces pièces pour que vous preniez à ce sujet toutes les mesures qui vous paraîtront convenables. « Salut et fraternité. « Andrieu, président; B. Saligniac; Revol fils, administrateur provisoire du direc¬ toire; Fontenelle, procureur syndic; G agnaire ; Fleuri Fili.ieux, secrétaire. » IL Au citoyen procureur syndic du dislric d’Armeville. « Ce jourd’hui, deuxième jour de la troi¬ sième décade du second mois de l’an second de la République française, „ une, indivisible et démocratique. « En exécution de l’ordre émané de la Con¬ vention nationale, à nous adressé par le comité des décrets à l’effet de scruter la conduite poli¬ tique et révolutionnaire du citoyen Jean-Bap¬ tiste Boiron, député suppléant à la Convention nationale depuis l’époque du trente-un mai, premier et second juin derniers, lecture prise du décret de la Convention nationale en date du vingt-deux du second mois et des pièces y rela¬ tives, et la matière mise en délibération, il a été reconnu que le susdit Boiron n’avait pas donné, depuis ce temps-là, les preuves de patriotisme et de civisme qu’on avait lieu d’attendre de lui, et qu’il a rempli les fonctions de président des (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 66. (2) Archives nationales, carton F’ 4444, dossier Députés suppléants, sections pendant que les rebelles Lyonnais souillaient notre territoire. « A Saint-Chamond, en Société populaire, les jour et an que dessus. « Conord, président; Magert, trésorier; Jamet, secrétaire provisoire. » Compte rendu du Moniteur universel (1). Monnel, au nom du comité des décrets, donne lecteure des pièces relatives à Boiron, député suppléant, admis depuis le 31 mai. Les adminis¬ trateurs du district de Commune-Affranchie lui reprochent a avoir présidé les sections de Saint-Chamont, sa patrie; pendant que les fac¬ tieux de Lyon y dominaient, et la Société popu¬ laire de Saint-Chamont, de n’avoir pas donné les preuves de civisme qu’on avait lieu d’attendre de lui. Les pièces sont renvoyées au comité de sûreté générale, pour en faire un rapport. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d’aliénation et domaines réunis [Piette, rapporteur (2)], décrète ce qui suit : Art. 1er. « L’adjudication de la ferme de Tinselve, située sur le territoire de Lœuilly, district de Cûauny, département de l’Aisne, faite le 4 mars 1791, au profit du citoyen Santerre qui en souscrit décla¬ ration en faveur du citoyen Toussaint-Charles Girard, notaire à Paris, le 17 juillet môme année, est déclarée nulle et de nul effet. Art. 2. « Ledit citoyen Girard sera remboursé de la somme de 113,100 livres, prix principal de ladite adjudication, ensemble des intérêts dudit prin¬ cipal, sauf les retenues de droit depuis le paye¬ ment qu’il en a fait; sur lesquels intérêts il îera compte et déduction des redevances qu’a dû lui payer la veuve Dorchi, fermière, les contribu¬ tions auxquelles est assujetti le domaine de Tin¬ selve, cependant prélevées. Art. 3. « H sera procédé à une nouvelle adjudication de ladite ferme, conformément aux lois rendues pour l’aliénation des domaines nationaux. « Le présent décret ne sera point imprimé (3).» La séance est levée à 4 heures (4). Signé : Coüthon, Président; A.-L. Thibad - deau, Bourdon (de l’Oise), Marie-Joseph Chénier, Jat (de Sainte-Foy), Perrin ( des Vosges), Pelissier, secrétaires. (1) Moniteur universel (n° 95 du 5 nivôse an II (mercredi 25 décembre 1793), p. 382, col. !]• (2) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 286, dossier 849. (3) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. y6. (4) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 67,