624 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [22 août 1791.J « Le souvenir des importants services que la partie du Nord a rendus à la Dation; l’aveu authentique que l’Assemblée nationale en a fait, les éloges et les remerciements qui ont accompagné cet aveu, tout favorise et excite le mécontentement. « N’exigez pas, Monsieur, que je vous fasse le détail des propositions, toutes plus violentes les unes que les autres, qui s’agitent dans les conversations. Les cœurs les plus fidèles sont aliénés, et la guerre civile la plus affreuse, ou la perte de la colonie pour la France, peuvent être les suites de la disposition présente des esprits. « Le silence du commerce dans la discussion de cette affaire est comparé au zèle avec lequel il s’est montré lorsqu’il était question de la traite des noirs; et cette comparaison irrite encore davantage. « La première partie du décret sur les esclaves et les simples affranchis ne rassure même pas à l’égard des propriétés; on n’y voit qu’une disposition , qu’un décret subséquent abrogera , comme celui-ci anéantit la promesse du 12 octobre. Ainsi (ce qui est le plus granddes malheurs) la confiance des colons en l’Assemblée nationale se détruit. « Les mêmes lettres annoncent que l’Angleterre a un armement de 45 vaisseaux, et ma plume se refuse à vous rendre les discours, et peut-être les vœux que celte circonstance fuit naître. « L’Assemblée provinciale s’assemble demain, m’assure-t-on, pour prendre un parti. Je ne saurais prévoir ce qui y sera résolu; j’ai IVxpé-rience de son patriotisme; mais l’Assemblée nationale a vu ses principes sur les gens decouleur, dans son adresse du mois de juillet. Ils n’ont pas changé. D’un autre côté, il est difficile que les gens de couleur n’aient pas avis de ce décret si public; et s’ils remuent, tout est perdu. « Jugez, Monsieur, quelle doit être ma position. Il ne m’appartient pas de commenter les décrets ; et mon devoir est de les faire exécuter. Mais je suis résolu de verser jusqu’à la dernière goutte de mon sang plutôt que de répandre celui de mes concitoyens et de mes frères. « Je fais des vœux pour que la retraite des députés des colonies de l’Assemblée nationale et les réclamations du commerce aient fait retirer ce décret fatal; je désire qu’au moins l’Assemblée nationale daigne l’interpréter ; car en supposant (ce qui est comme impossible) une soumission stricte des blancs, il peut donner lieu à une foule toujours renaissante de prétentions capables de mettre les armes à la main aux deux partis. « Il prononce uniquement l’admission des gens de couleur aux assemblées, et les blancs s’en tiendront à ce droit; mais les gens de couleur en tireront la conséquence qu’ils sont admissibles à tous les emplois; et, véritablement, cette assimilation parfaite de gens dont les frères peuvent encore être esclaves peut détruire la colonie, en rompant tous les liens de la subordination. J’ai cru devoir, Monsieur, vous rendre compte de cette première impression; je serai exact dans la suite journalière de ma correspondance. Je ferai mes efforts pour entretenir la paix, ou plutôt pour empêcher l’effusion du sang; mais la position de la colonie vous annonce combien mes moyens seront faibles, surtout après la réunion inévitable de tous les blancs en un seul parti, qui ne sera pas celui de l’Assemblée nationale. « En un mot, Monsieur, j’ai tout lieu de craindre que ce décret, s’il n’est au moins modifié, ne soit l’arrêt de mort de, plusieurs milliers d’hommes, et ne devienne également funeste au petit nombre de ceux-là mêmes qu’il a pour objet de favoriser. à « Je suis, etc. « Signé : BLANCHELANDE. » M. Lanjuinaig. Les navires qui arrivent des colonies nous apprennent sans cesse que la cocarde blanche y est ouvertement arborée par les troupes, que les officiers y soutiennent ouvertement le parti contraire à la Révolution. D’après cela, je dis, Messieurs, que cette lettre doit vous être suspecte; d’autre part, j’observe, qu’il y a 5 mois que vous avez décrété l’envoi des commissaires à Saint-Domingue et que ces commissaires ne sont pas encore partis. Je demande que l’Assemblée se fasse rendre compte de ce qui regarde le départ des commissaires et qu’ils soient envoyés le plus promptement possible. M. Lavie. Il vient de vous être dit par M. Lan-juinais que la cocarde blanche était arborée dans les colonies ; je nie le fait hautement, et je somme l’opinant de déclarer d’où il tient le fait Su’il vient d’avancer. Je le nie, moi. Je reçois es lettres des colonies. Nous sommes 150 dans l’Assemblée qui recevons des letires, qui avons quelques propriétés là, pas un de nous pourrait, comme M. Lanjuii ais, attester la vérité de ce fait que je nie. Le militaire qui vous écrit est un homme connu par son patriotisme, et je soutiens qu’il serait infiniment criminel s’il n’avait averti la nation qu’il y avait une insurrection de toutes les troupes de ce pays-là ; par conséquent, Monsieur, je veus prie de mettre sur le bureau les pièces qui constatent le fait que vous venez d’avancer, et dont je fais la dénégation publique. M. Lanjninais. Ce fait que j’ai déclaré est connu de plusieurs membres du comité de la marine. Il m’a été écrit de Lorient, et voici un dernier fait bien plus grave. Vous connaissez les troubles de Lorient dont on vous a parlé il y a quelques jours; eh bien I ces troubles ont eu heu à cause du débarquement d’officiers qui sont descendus avec la cocarde blanche ; ils ont trouvé leurs anciens soldats... (Murmures.) M. Lavte. Déposez votre pièce. M. Ijanjuinais. Je demande que le comité de la marine vous rende compte incessamment de ce qui a pu retarder, pendant cinq mois, l’envoi des commissaires, et qu’il soit ordonné par l’Assemblée que leur départ ne pourra être retardé sous aucun prétexte. Il y a un mois que les commissaires sont nommés et ne sont pas encore partis. M. La vie. Vous calomniez les colonies. M. lianjuinaig. Non. Je parle des officiers de l’armée aux colonies, qui ont arboré la cocarde blanche. M. Iiegrand. Je demande que M. Lanjuinais dépose sa lettre. M. Moreau-Saint-Méry. Je demande la parole. A l'extrême gauche : A l’ordre du jour î [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [22 août 1791.] M. Martineau (s’adressant à l’extrême gauche). Je vous iuterpelle de dire pourquoi vous demandez l’ordre du jour? Un membre à l'extrême gauche .-Parce que la lettre qui vous a été lue est la répétition de toutes les diatribes qui ont été débitées ici par les colons qui paraissent s’entendre pour faire rétracter le décret. M. Rewbell. La contre-révolution était dans les îles ; elle y était déjà fomentée par ceux qui ont fait écrire cette lettre infernale. M. Cigongne. Je suis porteur d’un fait contraire. (Murmures.) M. Rewbell. Il est affreux qu’on vous ait fait lecture de cette pièce, tandis qu’on en cache tant d’autres. M. le Président. L’Assemblée fera ce qu’elle jugera convenable, ruais il est du devoir du président d’expliquer les convenances des choses. M. Lanjuinuis a fait une proposition; M. Moreau demande à lui répondre et à informer l’Assemblée de faits importants ; je ne puis lui refuser la parole. M. Cfoupilleau. Il est constant, Messieurs, que l’Assemblée ne pourra prendre de parti sur la lettre qui vient d’être lue, que lorsqu’elle aura un rapport du comité colonial. Or, les renseignements que M. Moreau a à donner peuvent être portés à ce comité qui en fera l’usage qu’il jugera convenable. Je demande donc le renvoi, et qu’on passe à l’ordre du jour. M. Moreau-Saint-Méry. Je demande à répondre aux calomnies répandues dans l’Assemblée. M. le Président. Je consulte l’Assemblée. Plusieurs membres : Oui 1 oui ! M. Martineau. Je demande à entendre M. de Saint-Méry. M. de Tracy. Le décret qui nous occupe doit être l’objet d’un simple renvoi et de l’ordre du jour; mais je pense qu’il faut en même temps charger le comité de rendre compte à l’Asstm-blée des mesures efficaces qui ont dû être prises pour assurer l'exécution de ses volontés, telle qu’elle les a exprimées dans son décret du 15 mai; parce que s’il se trouvç qu’on n’en ait prise aucune ..... M. le Président. Monsieur, vous n’avez pas la parole, elle est àM. Moreau. M. de Tracy... et que malheureusement cette négligence ait des suites fâcheuses, il faudra bien qu’il y ait inculpation contre ceux qui n’auront pas fait ce qu’ils devaient faire pour les éviter. M. Rewbell. Je demande que M. Blanchelande soit mandé à la barre, parce qu’il annonce formellement qu’il ne défendra point les décrets. (Bruit.) Plusieurs membres : Aux voix le renvoi au comité et l’ordre du jour! lre Série. T. XXIX. 625 (L’Assemblée consultée ordonne le renvoi au comité et passe à l’ordre du jour.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angèly). II y a une autre iettre dans les bureaux qui annonce la convocation de l’assemblée coloniale; je demande pourquoi on ne nous la communique pas. M. Rœderer. Mais encore faut-il s’expliquer. A quel comité a-t-on entendu renvoyer cette lettre?.. A V extrême gauche : Au comité des recherches. M. Rœderer. . . Est-ce au comité colonial influencé par le parti des colons blancs? M. de Tracy. Monsieur le Président, tous ceux qui m’entourent me demandent de continuer mon opinion; vous n’avez pas le droit d’interrompre un opinant. M. le Président. Vous n’avez pas la parole. M. Rœderer. Il sera nécessaire d’adjoindre au comité des colonies 6 personnes. M. Rewbell. Nous sommes trahis. (Une grande agitation règne dans l’Assemblée.) M. le Président se couvre. M. de Tracy insiste pour avoir la parole. (Le calme se rétablit peu à peu.) M. le Président se découvre et dit : Je prie l'Assemblée de se mettre à l’ordre, je vais lui représenter la circonstance telle qu’elle se passe. Après la lecture de la lettre qui vous a été envoyée par M. le ministre de la marine, M. Lan-juinais a pris la parole. M. Moreau l’a ensuite obtenue. . . M. Merlin. C’est M. de Tracy qui l’avait. M. le Président. Lorsqu’il est monté à la tribune, on a fait la motion, plusieurs fois répétée, de renvoyer au comité colonial et de passer à IVdre du jour. J’ai rais cette proposition aux voix, elle a été décrétée. Dans cet intervalle, M. de Tracy a pris la parole ; il ne l’avait pas. M. Merlin. Si! si! Monsieur. (Bruit.) M. le Président. J’ai fait ce que j’ai pu pour que M. de Suint-Méry l’eût; il m’a été impossible de la lui conserver. Depuis, M. Rewbell, pour des inculpations de plusieurs genres, a désiré avoir la parole, et malgré mes observations, a dit vouloir la parole, et qu’il l’aurait malgré votre président. J’ai cru devoir vous rendre compte de ma conduite. Maintenant je suis aux ordres de l’Assem-b!ée. Si elle veut entendre la discussion, il est indispensable que M. Moreau-Saint-Méry, qui avait le premier la parole, soit entendu; M. de Tr acv le sera ensuite. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély). Je demande la parole pour dire à i’ Assemblée qu’on la trompe. Plusieurs membres : A l’ordre du jour! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) 40