354 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1790.] cessent et que, depuis les nouvelles élections, le calme se rétablit de lui-même. Adresse de l’assemblée administrative du département de la Creuse qui a voté une députation composée de deux membres du scindes administrations des quatre-vingt-trois départements� royaume et chargée de porter aux pieds de l’Assemblée nationale et du roi, les hommages d’un peuple libre, mais soumiset respectueux. Elle supplie l’Assemblée d’indiquer pur un décret le jour précis de la réunion de tous les députes à Paris. Lettre du procureur général syndic du département de Versailles, par laquelle il annonce que la nomination de l’évêque du département de Seine-et-Oise vient d’être terminée, et que M. le curé de Gomecourt, district de Mantes, a été élu à la majorité absolue des suffrages. Adresses des .juges du tribunal du district de Montiort, département d'Ille-et-Vilaine, de celui du district de Vezeiise, et de celui du district de Besançon, qui commencent leurs fonctions par 'présenter à l’Assemblée nationale le tribut de leur admiration et de leur dévouement. Adresse des officiers municipaux de la ville de Lorient, par laquelle ils applaudissent à la nouvelle nomination des ministres du roi, demandent que la garde de Sa Majesté ne soit confiée qu’à des soldats français devenus citoyens par la Constitution, conjomicmentavec des citoyens français, devenus soldats pour le maintien de la Constitution ; enfin, ils demandent que les séances des assemblées administratives soient rendues publiques. Adresse du sieur Lezau, citoyen d’Abbeville, qui fait hommage à l’Assemblé de la écouverie d’une pompe sans secret ni piston, propre à évacuer les eaux de quelque profondeur que ce soit. Adresse du sieur Avelin, maître vitrier , qui réclame de l’Assemblée qu’elle lasse bientôt liquider une creance qu’il a sur la nation, pour des fournitures et travaux faits pour la maison des PP. Auguslins de la place des Victoires ; il expose son état de détresse el implore la bienveillance de l’Assemblée. L’Assemblée nationale renvoie au comité des finances une pétition du département de l’Aude, relative aux dommages qui ont été causés par l’effet des troubles survenus relativement à la libre circulation des grains. Sont ensuite admises à la barre : Une députation des ouvriers de la ville de Paris qui demandent qu’il soit établi dans la capitale, une caisse municipale où les capitalistes puissent placer sûrement leurs fonds, et les porteurs de billets les escompter à un taux modéré. Une autre députation des amis des arts et des sciences, qui supplient i’Assemblee nationale de prendre les moyens de conserver les chefs-d’œuvre du génie et les monuments intéressants pour l’Uistoire, placés dans les abbayes, monastères et autres lieux devenus domaines nationaux. M. Aubin Louis Mîllln, orateur de cette dé - putation , dit : Messieurs, vous avez ordonné la vente des domaines nationaux, et le succès de cette vente assure pour jamais la prospérité de cet Empire régénéré par vos sages décrets. Mais les amis des lettres et des arts et les citoyens jaloux de la gloire de la nation ne peuvent voir sans peine la destruction de chefs-d’œuvre du génie ou de monuments intéressants pour l’histoire; nous avons aussi gémi de l’oubli dans lequel ces monuments allaient être plongés, et nous avons tenté de les lui arracher. Nous venons vous offrir les premiers fruits de notre vaste, pénible et dispendieuse entreprise. Nous vous présentons la première livraison d’un ouvrage intitulé : Antiquités nationales ou Recueil de monuments , pour servir à l’histoire générale et particulière de l’Empire français, tels que tombeaux, inscriptions, statues, vitraux, fresques, etc., tirés des abbayes, ! monastères, châteaux, et autres lieux devenus I domaines nationaux. 1 Nous ne sollicitons ni privilège, ni secours j d’aucune espèce; nous vous demandons seulement, si noire ouvrage vous paraît le mériter, de nous accorder la permission de vérifier tous les lieux claustraux, toutes les maisons nationales, d’y pénétrer sans difficulté, et de nous y livrer sans obstacle à l’objet de nos recherches. (Ou applaudit. M. Ic Président. L’entreprise que vous avez formée est grande et utile. Sauver des ravages du temps, qui consume tout, ces antiques et précieux monuments du génie, c’est foire des conquêtes à l’empire de la raison. G’est en marquant ainsi tous les pas que l’homme fait dans les routes qu’il parcourt, c’est en fixant ses pensées fugitives et en conservant ses fragiles ouvrages, que l’esprit humain s’avance insensiblement, vers la perfection. Il a sous les yeux le tableau vivant des vérités et des erreurs de tous les siècles; il évite les unes, il embrasse les autres ; ses connaissances s’étendent, s’agrandissent, et U en recule sans cesse les bornes. L’Assemblée nationale se fera toujours un devoir de favoriser les progrès des sciences et des arts, tout ce qui peut illustrer ies Empires, et surtout conduire ies hommes vers le bonheur; elle est trop convaincue que l’ignorance est la source de leurs maux. C’est vous dire assez l’accueil qu’elle fait à l’ouvrage que vous lui présentez; elle vous accorde les honneurs de la séance. L’Assemblée ordonne ensuite le renvoi de la pétition des ouvriers de Paris, au comité de mendicité : celle des amis des arts et des sciences est renvoyée au comité d’aliénation.) M. de Nie i nu, au nom du comité dé aliénation, propose et lait, adopter le décret suivant : « L’Assemblée nationale déclare vendre, à la municipalité de Bourges, les biens nationaux mentionnés au procès-verbal d’estimation, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai, pour le prix de 618,266 livres 17 sous 11 deniers, payable de la manière déterminée par le même décret. » M. le fPréskleaat. L’ordre du jour est un rapport du comité des domaines sur la restitution des biens des religionnaires fugitifs et autres , dont les biens ont été confisqués pour cause de religion. Le projet de décret présenté par le comité des domaines est imprimé et a été précédemment distribué (1). M. SBerlrandl Oarrère, député de Bigorre, rapporteur (2). Messieurs, je viens, après cent ans d’une législation impoiitique et cruelle, porter aux représentants d’une nation juste et libre, les réclamations (1) Voyez plus haut ce projet de décret, séance du 1er décembre 1790, p. 177. (2) Le rapport est incomplet au Moniteur, [9 décembre 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 355 d’un grand nombre de familles malheureuses. Depuis longtemps l’opinion publique réclamait du gouvernement français, en faveur des protestants, un grand acte de justice; mais l’avariceclla dui\ié du despotisme, l’ont toujours retardé ; il a donc fallu attendre le moment solennel de la justice nationale, pour restituer aux descendants infortunés des protestants tous les biens qu’avaient usurpés sur ces familles les erreurs politiques et l’intolérauce religieuse. Vous avez décrété, le 10 juillet dernier, « Que les biens des non-catholiques, qui se trouvent encore aujourd’hui entre les mains des régisseurs, leur seront rendus, ainsi qu’à leurs héritiers, à la charge par eux, d’en justifier aux termes et selon les formes que l’Assemblée nationale aura décrétés, après avoir entendu l’avis de son comité des domaines. ■> C’est eu exécution de ce décret juste, qui a retenti dans toute l’Europe, que le comité des domaines vient vous rappeler aujourd’hui quelques faits, et vous présenter les moyens de restitution de ces biens aux victimes infortunées du fanatisme et de la fiscalité. Je ne vous retracerai pas le tableau honteux de ces lois absurdes et tyranniques, qui ont déshonoré les derniers temps de notre histoire. Je ne vous retracerai pas les persécutions qui ont été la suite déplorable de ces erreurs. C’est à l’inexorable histoire qu’appartiennent les détails de ce règne brillant et désastreux que les lettres et les arts ont trop flatté : une simple esquisse de ces persécutions suffira pour vous montrer la justice du décret que vous 'allez rendre; je vous en développerai ensuite les dispositions. PREMIÈRE PARTIE. La première émigration, qui a produit la régie que vous allez détruire, a commencé en 161)6. Colbert en a arrêté les funestes effets, en faisant rendre aux protestants les droits dont on voulait alors les dépouiller. Mais après son ministère, les lois tyranniques reprennent leur empire. L’émigration se renouvelle en 1681 ; des colons laborieux, des artistes intelligents, des commerçants actifs, portent dans les royaumes étrangers, leurs talents, leurs fortunes et leurs ressentiments. Elle est un instant suspendue par les disgrâces de Marillac. Ici se présente une opération devenue malheureusement trop célèbre par les désastres et tes scandales qu’elle a produits, opération qui fait encore horreur à l’Europe, et qui a rempli les pays étrangers de nos frères maudissant le gouvernement français. La révocation de l’édit de Nantes et les dragonnades mettent le comble à cette grande désertion, qui affaiblit à la fois nos armées et notre marine, qui dépeuple nos manufactures, qui ruine notre commerce, nos finances et nos arts. Alors des jurisconsultes barbares et des ministres cruels, traitant de crime de lèse-nation le droit d'émigrer qui appartient à l’homme partout où il ne se trouve pas heureux et tranquille, pensèrent que tous les biens des fugitifs devaient être confisqués au prolit du roi ; et la loi de 1689 fut publiée. Cette loi réunissait au domaine les biens des fugitifs, par une confiscation monstrueuse. Bientôt le législateur rougit de la rapacité de la loi. Un zèle de religion lui parut un prétexte honteux de s’approprier la dépouille des protestants ; et pour se faire pardonner cette iniquité, il se dessaisit de sa proie pour l’employer à des œuvres pieuses. A ce titre, une partie des biens fut donnée à de nouveaux convertis, pour animer, disait-on, leur ferveur; une autre partie enrichit des protégés secrets (abus inévitable dans la corruption des cours); ce qui restait fut mis entre les mains des fermiers et des régisseurs, en attendant que le gouvernement déterminât l’emploi qu’en ferait la pi( use intention des ministres. Le nombre des fugitifs augmentant chaque jour en raison de la rigueur des lois, le fisc se trouva, dès l’année 1689, possesseur des héritages de plus de cent mille citoyens. Une simple dénonciation sans jugement avait suffi pour envahir tant de fortunes particulières. Il fut un instant où l’on vit le conseil adoucir ses maximes, et rendre les biens à certains héritiers légitimes; mais la loi imparfaite de 1698 trompa l’attente des protestants, et conservant, dans la tolérance même, un esprit de persécution, détermina la fuite de ceux que l’espérance et l’amour de leur pays avaient retenus jusqu’alors. Une émigration semblable suivit l’horrible loi de 1715, qui contraignit aux actes de notre foi, ceux mêmes qui s’étaient refusés à une abjuration. De simples régisseurs de leurs biens s’érigèrent en inquisiteurs de la foi, et la cupidité fiscale surpassa cette fois la lvaine fanatique. « On eût dit, s’écrie un de nos historiens (1), que ces malheureux n’étaient échappés des mains des dragons et des moines, que pour retomber dans celles des traitants. Us veillaient sur la communion pascale; ils avaient fait de toute pratique de calvinisme une espèce de contrebande. Ils s’intitulaient, par une perfide équivoque : commis à la séquestration des biens des religion-naires fugitifs et de ceux qui ne font pas leur devoir de la religion catholique. A la faveur du double sens renfermé dans ce titre qu’ils se donnaient, l’arbitraire s’établit dans les décisions, à un tel point, que les intendantsurpassèrent, dans l’exécution, la rigueur des édits, et mirent souvent leur avis personnel à la place de la loi. » Nous finirons le tableau de ces horreurs politiques et fiscales qui ont eu malheureusement la durée d’un siècle entier, en rapportant un trait odieux d’avidité des horribles régies dont je viens de parler; c’est le même historien qui nous l’apprend : « Dans un grand nombre de familles, on craignait de se conformer aux règles prescrites pour l’enregistrement desdécès. Les parents des morts les enterraient en secret, et pendant la nuit, dans leurs propres maisons, sans faire inscrire les décès sur aucun registre public. » Aussitôt les régisseurs et les fermiers, aussi avides de la dépouille des morts que de celle des fugitifs, firent saisir les biens de tous ceux qui avaient ainsi disparu, prétendant qu’ils avaient fui, et s’emparèrent, sous ce prétexte, des successions, que n’osait leur disputer une famille embarrassée de sa propre défense. 11 est vrai que le gouvernement, instruit de ce nouveau genre de persécution, donna les ordres les plus sages pour en imposer à la voracité des régisseurs, et qu’il établit sur ce point une tolérance beaucoup plus étendue que celle des édits. Le commencement du règne de Louis XV pré-(1) M. Rulliére, dans ses éclaircissements sur les causes de la révocation de ledit de Nantes. 356 (Assemblée nationale.) sente des vexations d’un autre genre : elles vinrent des traitants attentifs à grossir le produit de leurs baux. Ils imaginèrent cette fausse interprétation de nos lois sur les mariages, qui augmenta le nombre des familles malheureuses. Les fermiers cherchèrent à joindre aux biens qu’ils administraient, ceux que, dans leur langage, ils appelaient des biens de nouvelles découvertes ; ils élevèrent des contestations au sujet de la légitimité des successions en ligne directe, et par conséquent de la légitimité des mariages. « La première question de ce genre, dit M. Rullière, fut présentée au conseil du roi, dix-huit mois après la mort de Louis X1Y, le 16 février 1717, pour une succession demandée comme vacante à titre de déshérence, parce que, disait le fermier, celle qui se prétend héritière, n’étant point née d’un mariage légitime et célébré dans le? formes, est incapable de succession dans le royaume. » Pour cette fois, le conseil du roi rejeta cette demande, révoqua la confiscation de l’héritage précédemment accordée par surprise, et déclara que toutes les lettres patentes nécessaires à l’héritière, née d’un pareil mariage, lui seraient expédiées, pour être remise en possession de sa fortune. Mais bientôt parut cette compilation législative de 1724, encore plus absurde que tyrannique, qui ordonna des contraintes sacrilèges et ses épreuves superstitieuses. Enfin l’on vit cette dernière persécution, dans laquelle les tribunaux, le gouvernement et des ministres de l’église se réunirent pour faire exécuter des lois inexécutables. Des citoyens, pour les avoir transgressées, furent envoyés aux galères, et leurs biens confisqués... A ces vexations judiciaires se joignirent les persécutions dévorantes du fisc. Heureusement Louis XV, sur la fin de son règne, introduisit une jurisprudence douce et raisonnable ; rappela par de nombreuses mainlevées des familles expatriées ; et fit perdre à la régie cette manie fiscale de conquêtes, ou plutôt d’usurpations, qui l’avait trop longtemps déshonorée... 11 existe aujourd’hui des biens de cette régie produisant environ 110,000 livres de revenu. Vous devez, Messieurs, effacer les traces du régime désastreux qui a formé et entretenu cette régie. Jetons donc un voile sur les funestes erreurs de la politique, sur les noirs projets du fanatisme, sur les règlements absurdes qui ont prostitué pendant cent ans le nom sacré des lois : ne nous occupons aujourd’hui que de bienfaisance et de justice envers les héritiers et les descendants de ces Français trop longtemps malheureux. SECONDE PARTIE. 11 est facile de saisir les motifs qui ont dirigé le comité dans la rédaction des dispositions principales du projet de décret soumis à votre délibération. D’abord, en appelant les descendants des protestants à recueillir les biens de leurs pères, vous avez dû borner ce bienfait aux parents, aux héritiers légitimes et naturels : leurs créanciers, leurs ayants cause ne doivent pas partager ce bienfait, ou plutôt participer à cet acte de justice, parce qu’ils viendraient bientôt empoisonner la société par des procès nombreux et des contestations vexatoires. Vous devez aux religionnaires et à leurs parents, à quelque degré que ce soit, la restitution de leurs 19 décembre 1790.] biens. Là finit votre devoir ; là doit s’arrêter l’acquittement d’une dette sacrée... Vous devez la même justice à ceux qui, demeurés en France. et enfermés, pour ainsi dire, dans ses frontières, n’ont pu, ni fuir une patrie avare, ni échapper aux peines prononcées par une politique superstitieuse et par une législation féroce, ni sauver le patrimoine de leurs familles de l’injustice des confiscations... Mais seront-ce les corps administratifs ; seront-ce les tribunaux devant lesquels s’agiteront toutes les questions relatives à la restitution des biens des protestants? Tout prouve que c’est aux corps judiciaires à connaître de ces contestations. L’administration publique était, il est vrai, chargée de ces biens ; le conseil des dépêches était i’unique juge des demandes en mainlevée; mais ces corps, pour avoir violé toutes les formes et tous les principes d’équité, devraient être dépouillés de cette espèce de juridiction, quand même elle �appartiendrait pas aux juges de district par les principes de la Constitution, et par la nature des objets contentieux. Peut-être les directoires de département auraient pu remplir ces fonctions avec plus de promptitude, et à moins de frais que les tribunaux. Mais les mainlevées appartiennent évidemment au pouvoir de juger. Les formalités d’envoi en possession, la discussion des généalogies/de la qualité des preuves écrites ou testimoniales, les questions d’état qui peuvent s’y mêler, sont autant du ressort de l’ordre judiciaire qu’elles le sont peu de l’ordre administratif. Cependant comme il peut se présenter, dans les tribunaux, des personnes dénuées de titres ; comme des hommes étrangers aux familles peuvent, par une ressemblance gratuite de nom, ou par une communication frauduleuse de titres, induire les tribunaux en erreur,-; il est nécessaire de leur donner un surveillant déplus, un second contradicteur public, dont l’institution spéciale soit de déjouer l’artifice de ces usurpateurs, qui, déguisés sous le masque d’héritiers, avaient si souvent trompé la justice des tribunaux et la surveillance du ministère public. Sans doute, le commissaire du roi sera entendu dans chacune des demandes formées en restitution de biens ; mais l’administration nationale ayant dans son ressort les biens des Français fugitifs et fis biens confisqués, surveillant, par une protection particulière, les tristes débris de leur patrimoine, c’est au ministre actif de cette administration, à les défendre contre des prétentions insidieuses ..... Quant au genre de preuves, nous avons pensé que l’insuffisance des titres écrits pouvait être suppléée par des preuves testimoniales, même de commune renommée. Et s’il s’élevait des doutes sur celte disposition, je vous dirais, Messieurs, reportez-vous un instant vers ces temps malheureux où des lois superstitieuses et sanguinaires tyrannisaient les consciences, flétrissaient des familles entières, érigeaient en crime le droit imprescriptible et naturel d’émigration, etadjugeaient à des délateurs, à des fanatiques, les biens et jusqu'aux vêtements même des émigrants surpris ou arrêtés dans leur fuite (1). (1) Ordonnance du roi , du 26 avril 1686, contre les religionnaires fugitifs. « Sa Majesté étant informée qu’au préjudice des défenses qu’elle a faites, par les dix articles de son édit du mois d’octobre dernier, à tous ses sujets de la reli - ARCHIVES PARLEMENTAIRES [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1790.] Quels titres ont pu emporter ces malheureux ? Et quelles preuves, quels papiers de famille pouvaient accompagner ces êtres qui ne cherchaient qu'à échapper à des lois de proscription? Quelles précautions pouvez-vous supposer à des hommes qui ne pouvaient ni naître, ni se marier, ni vivre, ni mourir sous les formes prescrites par les lois? Sans profession vile, quoique citoyens; sans épouses, quoique mariés; sans héritiers, quoique pères, comment se seraient-ils occupés à recueillir, a conserver ces pactes d’union, ces titres héréditaires, ces transactions sociales, que conservent à peine des familles heureuses? Non, Messieurs, ces fugitifs infortunés n’ont laissé aucune trace sur les sables brûlants d’une patrie qui dévorait ses enfants; et le temps est venu ajouter ses ravages à ceux des persécutions religieuses... Vous détruisez d’ailleurs les dangers d’une trop grande latitude donnée aux preuves, en enchaînant, pendant cinq années, les biens restitués, dans les mains des demandeurs, et en les chargeant pendant ce temps de s’en dessaisir ou de les partager, s’il se présentait des parents plus proches, des parents à égal degré, ou des familles dont les titres démasqueraient l’imposteur qui aurait trompé les tribunaux et l’administration publique... En s’occupant des héritages des religionnaires fugitifs, le législateur ne doit point perdre de vue l’intérêt des citoyens qui ont amélioré leur patrimoine, et qui ont traité sur ce point, avec l’ancien gouvernement, sous le nom de baillistes. Nous avons cru qu’il était juste de maintenir, quant à eux, l’effet des baux, pour ce qui touche aux réparations et améliorations des biens à restituer... Une autre classe d’hommes doit attirer les regards de l’Assemblée ; ce sont les tiers-acquéreurs. Ici la société se présente devant le législateur, et réclame la sauvegarde de la loi, pour le repos des familles, pour la foi des contrats, pour la tranquillité sociale, pour la sûreté de l’échelle des conventions. . . Mais en conservant la propriété des acquéreurs légitimes, vous dépouillerez ces vils dénonciateurs qui se sont partagés une partie des dépouilles des fugitifs, sous l’infâme titre d’espionnage et de dénonciation. Ces hommes qui n'ont pas entendu la voix, je ne dis pas de l’humanité, mais celle de l’honneur, qui a formé nos mœurs dans les siècles les plus barbares, et qui a si gion prétendue réformée, de sortir de son royaume, pays et terres de son obéissance, sous les peines y contenues, plusieurs desdits de la religion prétendue reformée et meme de nouveaux convertis, no laissent pas de se retirer dans les pays étrangers : et voulant empêcher la suite de cette désobéissance et favorablement traiter ceux qui les arrêteront; Sa Majesté a ordonné et ordonne que lorsque lesdils religionnaires et nouveaux convertis seront arrêtés par les corps do garde qui sont établis, par ordre de Sa Majesté, le long des côtes du royaume, les hardes et effets qui se trouveront sur eux et à leur suite, soient distribués à ceux qui composeront lesdits corps-de-garde, et que lorsqu’ils seront arrêtés par d’autres, le tiers desdites hardes et effets soit adjugé à ceux qui auront fait la capture : veut pareillement, Sa Majesté, qu’il soit adjugé un pareil tiers dcsdiis hardes et effets à ceux qui donneront avis aux commandants desdits corps-de-garde de la fuite desdits religionnaires et nouveaux convertis, et qui donneront les moyens do les arrêter dans leur évasion ; auquel cas les deux tiers seulement appartiendront à ceux qui composeront lesdits corps do garde ........ Fait à Versailles, etc. 357 justement flétri l’esprit de délation comme une lâcheté, ne méritent de vous aucun égard. II ne faut pas qu’il existe parmi nous des traces d’une loi aussi honteuse (1), et vous ferez cesser, par votre décret, ces jouissances scandaleuses. Ce n’est pas le seul abus qui soit né de cette source impure de la confiscation des biens des protestants, du moins l’ancien gouvernement n’avait donné pour prix de la délation qu’un usufruit très court; mais les ministres avaient autrement abusé de ces biens. C’est la propriété même qu’ils ont transportée sur la tête de quelques intrigants, de quelques hommes favorisés, et étrangers aux familles. Le comité a pensé que de pareils dons devaient être révoqués, sans que les brevetaires ou donataires pussent se prévaloir de la prescription, parce qu’on ne peut jamais prescrira une possession originairement vicieuse, et dont le titre abusif est connu ou représenté. Le gouvernement, par ces donations illégales, avait commis une sorte de sacrilège politique, dont Jes donataires sont encore aujourd’hui les complices. Le gouvernement, qui était le dépositaire et le conservateur de ces biens, a violé son dépôt en faveur du brevetaire qui n’avait dû ni pu le demander ni recevoir; et loin que le temps ait consacré cette inique possession, elle est odieuse en proportion de sa durée. Tant que la cause de la détention subsiste, elle est un témoin continuel qui s’élève contre l’infidélité du gouvernement prodiuue et du brevetaire usurpateur; c’est une voix éclatante, qui interrompt sans cesse ie cours de la prescription. Ici le législateur se trouve placé entre deux devoirs également rigoureux: celui d’écarter les anciens prétextes de retenir les biens des fugitifs, et celui de respecter les droits des possesseurs, quand, pour les dépouiller, il faudrait livrer la société à d’odieuses recherches, ouvrir un vaste champ aux contestations judiciaires et se jouer de ia foi des contrats : c’est alors que le législateur doit sacrifier, à la faveur de la prescription, les droits des anciens propriétaires, depuis longtemps dépouillés. Non le vice de la possession ne passe ni à l’héritier ni au tiers acquéreur, quand il ne l’est devenu que par le vice de ta loi. Quelle doit être alors la marche de la législation? C’est d’abolir la mauvaise loi pour l’avenir ; c’est aussi en gémissant sur les maux passés qui seraient irréparables, autrement que par de plus (1) Peut-être croira-t-on difficilement qu’il a existé en France deux lois aussi étranges : La première est une déclaration du roi, du 20 août 1685, portant : « Si aucuns de la religion prétendue réformée, qui viennent à sortir du royaume sans notre permission, et en dérobent la connaissance aux juges ordinaires des lieux, ceux qui les découvriront et dénonceront auxdits juges, seront nus en possession do la moitié dos fonds qu’ils auront dénoncés dans le pays où la confiscation a lieu, et où elle n’a pas lieu, que la moitié des fruits et revenus des biens découverts leur soient donnés, leur en faisant don dès à présent, nonobstant ce qui pourrait être opposé au contraire de la part des parents et héritiers. » La deuxième est un édit du mois de janvier 1688, portant ces paroles : « Voulons que ceux qui découvriront dans six mois, du jour de l’édit, des biens des consistoires, ceux des ministres et des fugitifs, cachés ou recélés, tant en meubles qu'immeubles, il soit donné moitié de la valeur des meubles , et à l’égard des immeubles, ils jouiront , pendant dix années, de la moitié des revenus d'iceux, pleinement et paisiblement. » 338 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 décembre 1790.] grands maux, de faire cesser ceux qui peuvent finir sans injustice, sans désordre et sans secousse politique. Nous n’avons parlé, jusqu’à présent, que des dons, des concessions, des brevets consentis en faveur d’étrangers, II en est de moins odieux, de moins défavorables ; ce sont ceux qui ont été accordés à des parents quelconques des fugitifs, à la charge de rendre à des parents plus proches, s’il s’en présentait : pour ceux-là, nous avons crU qu’ayant une raison de posséder, ils ne doivent être' assujettis qu’à la réclamation dans les cinq ans, du jour du décret, à moins qu’ils ne pussent opposer la force de la chose jugée qui, comme la prescription, est le terme que tous les légisialeurs opposent aux contestations et aux actions civiles. Enfin, le comité a prévu que les suites inévitables des persécutions d’un siècle entier, les malheurs, les chagrins, attachés à une expatriation forcée, avaient pu anéantir plusieurs familles, ou en disperser les malheureux rejetons dans des climats lointains. D’après cette idée affligeante, il a dû jeter encore dans l’avenir ses regards inquiets, et conserver pour ces Français expatriés ou méconnus, le prix des biens qui, dans le cours de trois années, ne trouveront pas de maître légitime. Car la nation ne peut jamais prescrire la propriété de ces biens, elle ne peut jamais s’approprier sans crime des patrimoines couverts de deuil et de larmes. Je sais que dans l’idiome des domanistes, des jurisconsultes fiscaux et des bureaux ministériels, la confiscation produit l’union au domaine, et que la confiscation prononcée pat* les déclarations des mois d’août 1669, juillet, 1681 et août 1685, fut suivie de l’édit de janvi-r 1688, qui déclare les biens des religion naires prétendus réformés, qui sont sortis et qui sortiront du royaume, au préjudice des édits et déclarations, réunis au domaine, pour être administrés et régis en la même forme que les autres domaines. Mais comment le législateur provisoire pouvait-il prononcer une confiscation des biens par le fait seul? comment pouvait-il faire exécuter des peines sans des jugements qui déclarent des coupables? ou plutôt comment osait-il punir pour des opinions religieuses? et comment osait-il déclarer des coupables pour s’emparer de leurs dépouilles? Cependant il faut l’avouer, le gouvernement fut effrayé de l’injustice de ses propres lois; il chercha d’abord à y jeter un voile religieux, en les consacrant à l’entretien des nouveaux convertis. Bientôt après il démentit les termes de la déclaration de 1688, et fit mettre en régie particulière les biens des religionnaires fugitifs. Ils furent séparés de l’administrai iun des domaines dont ils n’ont jamais pu ni dû faire partie. Ainsi, en aliénant,, pour faire cesser une régie dispendieuse, le peu de biens qui restera à l’expiration des trois années, c’est prendre une précaution sage et économique; la nation deviendra le dépositaire du prix de ces biens, comme elle l’était des biens eux-mêmes. En terminant ce rapport, je ne puis me défendre, Messieurs, du désir de faire passer dans vos coeurs le sentiment profond que m’ont fait éprouver les témoignages donnés par les descendants des fugitifs, de rattachement qu’ils ont conservé pour la France. Depuis que votre décret du 10 juillet a retenti dans les diverses contrées de l’Europe, il est venu de tontes parts à votre comité et à plusieurs membres de l’Assemblée. mille assurances touchantes de la reconnaissance de ces Français envers des législateurs qui_ allaient les rendre à une patrie vers laquelle ils n’avaient jamais cessé de tendre les bras. J’ai dit de ces étrangers malheureux, que ce sont des Français, et c’est leur véritable nom. Oui, Messieurs, ils n’ont jamais cessé de l’être; votre comité vous propose un article aussi juste que politique, qui doit assurer à ces descendants des religionnaires fugitifs, le titre de citoyens français. Encore s’il s’agissait de ces cosmopolites, qui, étrangers dans tous les pays, ne méritent de trouver nulle part une cité ; s’il s’agissait de ces hommes pusillanimes ou orgueilleux, qui fuient la patrie quand elle est en danger, ou quand elle traite ses enfants avec égalité, elle serait moins odieuse l’erreur qui prononcerait des déchéances et des privations civiques. Mais lorsque des lois tyranniques ont méconnu les premiers droits de l’homme, la liberté des opinions et le droit d’émigrer; lorsqu’un prince absolu fait garder, par des troupes, les frontières, comme les "portes d’une prison; ou fait servir sur les galères, avec des scélérats, des hommes qui ont une croyance différente de la sienne-, certes alors la loi naturelle reprend son empire sur la loi politique, les citoyens dispersés sur des terres étrangères ne cessent pas un instant, aux yeux delà loi, d’appartenir à la patrie qu’ils ont quittée. Celte maxime d’équité honora la législation romaine, et doit immortaliser la vôtre. Qu’ils viennent donc au milieu de leurs concitoyens, ces êtres malheureux qui gémissent sur un sol étranger refuge de leurs pères ! la patrie n’a jamais cessé de tourner vers eux ses regards affligés, elle a toujours conservé leurs droits ; qu’ils se rassurent donc: il est déchiré ce code absurde et sanguinaire, que le fanatisme et la cupidité avaient suggéré à des tyrans ; et les législateurs de la France apprennent enfin à l’Europe toute la latitude qu’il faut donner également à la liberté des opinions religieuses et à l’état civil de ceux qui les professent..... M. lîftrrcre, rapporteur, donne ensuite lecture des articles du projet de décret du comité des domaines. (Les articles 1 à 15 sont adoptés sans discussion tels que les propose le ranporteur qui a modifié la rédaction de l’article 12.) M. de Slarsannc présente quelques observations sur l’article 16 et s’oppose à ce que la prescription de trente ans puisse être invoquée par les héritiers de ceux qui ont obtenu des concessions de biens de religionnaires : il dit que ce serait sanctionner une première injustice. M. Barrcre, rapporteur , déclare que le comité des domaines a fait tout ce qu’il a cru praticable, mais qu’il a voulu, en même temps, éviter, par une prescription suffisamment longue, des procès qui seraient interminables et parfois insolubles. (L’amendement de M. de Marsanne est rejeté.) M. de Marsanne observe que le projet du comité n’est pas complet, parce qu’il ne tranche pas u’une manière suffisamment précise ce qui concerne les dons et concessions faits en faveur des parents des religionnaires.