[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] M. l’abbé Ülaurrytlescénd de Ta tribune ( Applaudissements ironiques à gauche .) M. le Président, s'adressant aux commissaires-médiateurs : Messieurs, l’Assemblée nationale a entendu avec intérêt le compte détaillé que vous venez de lui rendre de votre mission; elle est satisfaite de votre zèle, et vous accorde les honneurs de sa séance. MM. Le Scène des Maisons et Verninac-Sairit-Maur sont introduits dans l’enceinte de la salle et sont accueillis par les applaudissements les plus vifs du côté gauche et des tribunes. L’ordre du jour est un rapport du comité de Constitution sur les principes et l’organisation de l’instruction publique. M. Talleyrand-Périgord, ancien évêque d’Autun , rapporteur, commence la lecture de son rapport dont la suite est renvoyée à la séance de demain (Voir ci-après ce document aux annexes de la séauce, page 447). M. le Président invite les membres de l’Assemblée à se réunir dans leurs bureaux respectifs pour y procéder à Y élection du président et de trois secrétaires. La séance est levée à deux heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE OU SAMEDI 10 SEPTEMBRE 1791, AU MATIN. Rapport sur l’instruction publique, fait, au nom du comité de Constitution , par M. Tal-leyrand-Périgord, ancien évêque d'Autun, administrateur du département de Paris (1). — (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Les pouvoirs publics sont organisés : la liberté, l’égalité existent sous la garde toute-puissante des lois; la propriété a retrouvé ses véritables hases; et pourtant la Constitution pourrait sembler incomplète, si l’on n’y attachait enfin, comme partie conservatrice et vivifiante, l’instruction publique, que sans doute on aurait le droit d’appeler un pouvoir , puisqu’elle embrasse un ordre de fonctions distinctes qui doivent agir sans relâche sur le perfectionnement du corps politique et sur la prospérité générale. Nous ne chercherons pas ici à faire ressortir la nullité ou les vices innombrables de ce qu’on a nommé jusqu’à ce jour instruction. Même sous 4r* l’ancien ordre de choses, on ne pouvait arrêter sa pensée sur la barbarie de nos institutions, sans être effrayé de cette pHVation totale de lumières, qui s’étendait sur la grande majorité des hommes; sans être révolté ensuite et des opinions déplorables que l’on jetait dans l'esprit de ceux qui n’étaient pas,Jout à fait dévoués à l’ignorance, et des préjugés de tous les genres dont ' on les nourrissait, et de la discordance ou plutôt de l’opposition absolue qui existait entre ce qu’un (1) Voir ci-dessus, même séance, page Ml. enfant était contraint d’apprendre, et ôe qu’un homme était tenu de faire; enfin, de cette défé-rence aveugle et persévérante pour des usages dès longtemps surannés, qui, nous replaçant sans cesse à l’époque où tout le savoir était concentré dans les cloîtres, semblait encore, après plus de 10 siècles, destiner l’universalité des citoyens à habiter des monastères. Toutefois ces choquantes contradictions, et de plus grandes encore, n’auraient pas dû surprendre; elles devaient naturellement exister là où Constitutionnellement tout était hors de sa place; où tant d’intérêts se réunissaient pour tromper, pour dégrader l’espèce humaine; où la nature du gouvernement repoussait les principes dans tout ce qui n’était pas destiné à flatter ses erreurs ; où tout semblait faire une nécessité d’apprendre aux hommes, dès l’enfance, à composer avec des préjugés au milieu desquels ils étaient appelés à vivre et à mourir; où il fallait les accoutumer à contraindre leur pensée, puisque la loi elle-même leur disait avec menace qu’ils n'en étaient pas les maîtres; et où enfin une prudence pusillanime, qui osait se nommer vertu, s’était fait un devoir de distraire leur esprit de ce qui pouvait un jour leur rappeler des droits qu’il ne leur élait pas permis d’invoquer; et telle avait été, sous ces rapports, l’influence de l’opinion publique elle-même, qu’on était parvenu à pouvoir présenter à la jeunesse l’histoire dés anciens peuples libres, à échauffer son imagination par le récit de leurs héroïques vertus, à la faire vivre, en un mot, au milieu de Sparte et de Rome, sans que le pouvoir le plus absolu eût rien à redouter de l’impression que devaient produire ces grands et mémorables exemples. Aimons pourtant à rappeler que, même alors, il s’est trouvé des hommes dont les courageuses leçons semblaient appartenir aux plus beaux jours de la liberté; et, sans insulter à de trop excusables erreurs, jouissons avec reconnaissance des bienfaits de l’esprit humain qui, dans toutes les époques, a su préparer, à l’insu du despotisme, la Révolution qui vient de s’accomplir. Or si, à ces diverses époques dont chaque jour nous sépare par de si grands-intervalles, la simple raison, la saine philosophie ont pu réclamer, non seulement avec justice, mais souvent avec quelque espoir de succès, des chang'émentsdudis-pensables dans l’instruction publique; si, dans tous les temps, il a été permis d’être choqué de ce qu’elle n’était absolument en rapport avec rien, combien plus fortement doit-on éprouver le besoin d’une réforme totale, dans un moment où elle est sollicitée à la fois, et par la raison de tous les pays, et par la Constitution particulière du nôtre. Il est impossible, en effet, de s’être pénétré de l’esprit de cette Constitution, sans y reconnaître que tous les principes invoquent les secoués d’une instruction nouvelle. Forts de la toute-puissance nationale, vous êtes parvenus à séparer, dans le corps politique, la volouté commune ou la faculté de faire des lois, de l’action publique ou des divers moyens d’en assurer l’exécution ; et c’est là qu’existera éternellement le fondement de la liberté politique. Mais pour le complément d’an tel système, il faut sans doute que cette volonté se maintienne toujours droite, toujours éclairée, et que les moyens d’action soient invariablement dirigés vers leur but; or, ce double objet est évidemment sous l’influence directe et immédiate de 1’iastruction. La loi, rappelée enfin à son origine, est rede- 448 [Assemblée nationale.] venue ce qu’elle n’eût jamais dû cesser d’être, l’expr> ssion de la volonté commune. Mais pour que cette volonté, qui doit se trouver toute dans les représentants de la nation, chargés par elle d’étre ses organes, ne soit pas à la merci des volontés éparses ou tumultueuses de la multitude souvent égarée ; pour que ceux de qui tout pouvoir dérive ne soient pas tentés, ni quant à l’émission de la loi, ni quant à son exécution, de reprendre inconsidérément ce qu’ils ont donné, il faut que la raison publique, armée de toute la puissance de l’instruction et des lumières, prévienne ou réprime sans cesse ces usurpations individuelles, destructives de tout principe, afin que le parti le plus fort soit aussi, et pour toujours, le parti le plus juste. v Les hommes sont déclarés libres; mais ne sait-v on pas que l’instruction agrandit sans c sse la spiière de la libe rté civile, et, seule, peut maintenir la liberté politique contre toutes les espèces de despotisme? Ne saii-on pas que, même sous Ja Constitution la plus libre, l’homme ignorant est à la merci du charlatan, et beaucoup trop dépendant de l’homme instruit ; et qu’une instruction générale, bien distribuée, peut seule empêcher, non pas la supériorité des esprits qui est nécessaire, et qui même concourt au bien de tous, mais le trop grand empire que cette supériorité donnerait, si l’on condamnait à l'ignorance une classe quelconque de la société? Celui qui ne sait ni lire ni compter dépend ne tout ce qui l’environne; celui qui connaît les premiers éléments du calcul ne dépendrait pas du génie de Newton, et pourrait même profiter de ses decouvertes. Les hommes sont reconnus égaux; et pourtant combien cette égalité de droits serait peu sentie, serait peu réelle, au milieu de tant d’inégalités de fait, si l’instruction ne faisait sans cesse effort puur rétablir le niveau, et pour affaiblir du moins les funestes disparités qu’elle ne peut détruire I Enfin, et pour tout dire, la Constitution existerait-elle véritablement, si elle n’existait que dans notre code; si de là elle ne jetait ses racines dans l’âme de tous les citoyens; si elle n’y im-primait à jamais de nouveaux sentiments, de �nouvelles mœurs, de nouvelles habitudes? Et n’est-ce pas à l’action journalière et toujours croissante de l’instruction, que ces grands changements sont réservés. Tout proclame donc l’instante nécessité d’organiser l’instruction : tout nous démontre que le nouvel état des choses, élevé sur les ruines de tant d’abus, nécessiie une création en ce �enre ; et la décadence rapide et presque spontanée des établissements actuels qui, dans toutes les parties du royaume, dépérissent comme des plantes sur un terrain nouveau qui les rejette, annonce clairement que le moment est venu d’entreprendre ce grand ouvrage. En nous livrant au travail qu’il demande, nous n’avous pu nous dissimuler un instant les difficultés dont il est entouré. Il en est de réelles, et qui tiennent à la nature d’un tel sujet. L’instruction est en effet un pouvoir d’une nature particulière. Il nVst donné à aucun homme d’en mesurer l’étendue; et la puissance nationale ne peut elle-même lui tracer des limites. Son objet est immeuse, indéfini : que n’embrasse-t-il pas! Depuis les éléments les plus simples des arts jusqu’aux principes les plus élevés du droit public et de la morale; depuis les jeux de l’enfance jusqu’aux représentations théâtrales et aux fêtes les [10 septembre 1791.] plus imposantes de la nation : tout ce qui, agissant sur l’âme, peut y faire naître et y graver d’utiles ou de funestes impressions, est essentiellement de son ressort. Srs moyens qui vont toujours en se perfectionnant, doivent être diversement appliqués suivant les lieux, le temps, les hommes, les besoins. Plusieurs sciences sont encore à naître; d’autres n’existe it déjà plus : les méthodes ne sont point fixées; les principes des sciences ne peuvent l’être, les opinions moins encore; et, sous aucun de ces rapports, il ne nous appartient d’imposer des lois â la postérité. Tel est, néanmoins, le pouvoir qu’il faut organiser. A côté de ces difficultés réelles, il en est d’autres plus embarrassantes peut-être, par la raison que ce n’est pas avec des principes qu’on parvient à les vaincre, et qu’il faut en quelque sorte composer avec elles. Celles-ci naissem d’une sorte de frayeur qu’éprouv» ni souvent les hommes les mieux intentionnés à la vue d’une grande nouveauté : tonte perfection leur semble idéale; ils la redoutent presque à l’égal d’un système erroné, et souvent ils parviennent à la rendre impraticable, à force de répéter qu’elle l’esf. C’est à travers ces dilfieuités qu’il nous a fallu marcher; mais nous croyons avoir, écarté les plus fortes, en réduisant extrêmement les principes, et en nous bornant à ouvrir toutes les routes de l’instruction, sans prétendre fixer aucune limite à l’esprit humain, aux progrès duquel on ne peut assigner aucun terme. Quant aux autres difficultés, ceux qu’un trop grand changement elfraye ne tarderont pus à voir que, si nous avons tracé-un plan pour chaque partie de ITnsiru< tion, c’est que dans la chose la plus pratique il fallait se tenir en garde contre Je-inconvénients des principes purement spéculatifs; qu’il ne suffisait pas de marquer le but, qu’il fallait aussi ouvrir les routes : mais en même temps nous avons pensé qu’il était nécessaire de laisser aux divers départements qui connaîtront et ce qu’exigent les besoins et ce que permettent les moyens de chaque lieu, à déterminer le moment où tel point en particulier pourra être réalisé avec avantage, comme aussi à la modifier dans quelques détails; car nous voulons que le passage de l’ancienne instruction à la nouvelle se fasse sans convulsion, et surtout sans injustice individuelle. Pour nous tracer quelque ordre dans un sujet aussi vaste, nous avons considéré l’instruction sous les divers rapports qu’elle nous a paru présenter à l’esprit. L’instruction en général a pour but de perfectionner l’homme dans tous les âges, et de faire servir sans cesse à l’avantage de chacun et au profit de l’association entière les lumières, l’expérience, et jusqa’aux erreurs des générations précédentes. Un des caractères les plus frappants dans l’homme est la perfectibilité ; et ce caractère, sensible dans l’individu, l’est bien plus encore dans l’espèce : car peut-être n'est-il pas impossible de dire de tel homme en particulier, qu’il est parvenu au point où il pouvait atteindre, et il le sera éternellement de l’affirmer de l’espèce entière, dont la richesœ intellectuelle et morale s'accroît sans interruptiun de tous les produits des siècles antérieurs. Les hommes arrivent sur la terre avec des facultés diverses, qui sont à la fois les instruments de leur bien-être et les moyens d’accomplir la destinée à laquelle la société les appelle; mais ces facultés, d’abord inactives, ont besoin ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] et du temps, et des choses, et des hommes pour recevoir leur entier développement, pour acquérir toute leur énergie : mais chaque individu entre dans la vie avec une ignorance profonde sur ce qu’il peut et doit être un jour; c’est à l’instruction à le lui montrer; c’est à elle à fortifier, à accroître ses moyens naturels de tous ceux que l’association fait naître, et que le temps accumule. Elle est l’art plus ou moins perfectionné de mettre les hommes en toute valeur, � tant pour eux que pour leurs semblables; de .) leur apprendre à jouir pleinement de leurs droits, à respecter et remplir facilement tous leurs devoirs; en un mot, à vivre heureux et à vivre utiles ; et de préparer ainsi la solution du problème, le plus difficile peut-être des sociétés, qui consiste dans la meilleure distribution des Ai hommes. Af On doit considérer en effet la société comme un vaste atelier. Il ne suffit pas que tous y travaillent; il faut que tous y soient à leur place, sans quoi il y a opposiiion de forces, au lieu du concours qui les multiplie. Qui me sait qu’un petit nombre, distribué avec intelligence, doit faire plus ou mieux qu’un plus grand, doué des •JA mêmes moyens, mais différemment placé? La plus grande de toutes les économies, puisque c’est l’économie des hommes, consiste donc à les mettre dans leur véritable position : or, il est incontestable qu’un boa système d’instruction A. est le premier des moyens pour y parvenir. Gomment le former' ce système? Il sera sans doute, sous beaucoup de rapports, l’ouvrage du temps épuré par l’expérience; mais ii est essentiel d’en accélérer l’époque. Il faut donc en indiquer les bases, et reconnaître les principes dont il doit être le développement progressif. L’instruction peut être considérée comme un produit de la société, comme une sourcede biens pour la société, comme une source également féconde de biens pour les individus. Et d’abord, il est impossible de concevoir une réunion d’hommes, un assemblage d’êtres intelligents, sans y apercevoir aussitôt des moyens d’instruction. Ces moyens naissent de la fibre communication des idées, comme aussi de l’action réciproque des intérêts. C’est alors surtout qu’il est vrai de dire que les hommes sont disciples de tout ce qui les entoure : mais ces éléments d’instruction, ainsi universellement répandus, ont besoin d’être réunis, combinés et dirigés, pour qu’il en résulte un art, c’est-à-dire un moyen prompt et facile de faire arriver à chacun, par des routes sûres, la part d’instruction qui lui est nécessaire. Dans une heureuse combinaison de ces moyens réside le vrai sys-lème d’instruction. Sous ce premier point de vue, l’instruction réclame les principes suivants : , 1° Elle doit exister pour tous : car, puisqu’elle est un des résultats, aussi bien qu’un des avantages de l’association, on doit conclure qu’elle est un droit commun des associés : nul ne peut donc en être légitimement exclu; et celui-là, qui a le moins de propriétés privées, semble même avoir un droit de plus pour participer à cette propriété commune. 2° Ce principe se lie à un autre. Si chacun a A le droit de recevoir les bienfaits de l’instruction, chacun a réciproquement le droit de concourir à les répandre : car c’est du concours et de la rivalité des efforts individuels que naîtra toujours le plus grand bien. La confiance doit seule déterminer les choix pour les fonctions instructives ; mais l'e Série. T. XXX. tous les talents sont appelés de droit à disputer ce prix de l’estime publique. Tout privilège est, par sa nature, odieux; un privilège, eu matière d’instruction, serait plus odieux et plus absurde encore. 3° L’instruction, quant à son objet, doit être \ universelle : car c’est alors qu’elle est véritablement un bien commun, dans lequel chacun peut s’approprier la part qui lui convient. Les diverses connaissances qu’elle embrasse peuvent ne pas paraître également utiles ; mais il n’en est aucune qui ne le soit véritablement, qui ne puisse le devenir davantage, et qui par conséquent doive être rejetée ou négligée. Il existe d’ailleurs entre elles une éternelle alliance, une dépendance réciproque; car elles ont toutes, dans la raison de l’homme, un point commun de réunion, de telle sorte que nécessairement l’une s’enrichit et se fortifie par l’autre. De là il résulte que, dans une société bien organisée, quoique personne ne puisse parvenir à tout savoir, il faut néanmoins qu’il soit possible de tout apprendre. 4° L’instruction doit exister pour l’un et l’autre )f sexe ; cela est trop évident : car, puisqu’elle est un bien commun, sur quel principe l’un des deux pourrait-il en être déshérité par la société protectrice des droits de tous? 5° Enfin elle doit exister pour tous les âges. C’est )(< un préjugé de l’habitude de ne voir toujours eu elle que l’institution de la jeunesse. L’instruction doit conserver et perfectionner ceux qu’elle a déjà formés ; elle est d’ailleurs un bienfait social et universel; elle doit donc naturellement s’appliquer à tous les âges, si tous les âges en sont susceptibles : or, qui ne voit qu’il n’eu est aucun où les facultés humaines ne puissent être utilement exercées, où l’homme ne puisse être af-fi-rmi dans d’heureuses habitudes, encouragé à faire le bien, éclairé sur les moyens de l’opérer : et qu’est-ce que tous ces secours, si ce n’est des émanations du pouvoir instructif? De ces principes qui ne sont, à proprement parler, que desconséquences du premier, naissent des conséquences ultérieures et déjà clairement indiquées. Puisque l’instruction doit exister pour tous, il faut donc qu’il existe des établissements qui la propagent dans chaque partie de l’Empire, eu raison de ses besoins, du nombre de ses habitant, et de ses rapports dans l’association politique. Puisque chacun a le droit de concourir à la répandre, il faut donc que tout privilège exclusif sur l’instruction soit aboli sans retour. Puisqu’elle doit être universelle, il faut donc que la société encourage, facilite tous les genres d’enseignement, et en même temps qu’elle protège spécialement ceux dont l’utilité actuelle et immédiate serale plus généralement reconnue et le plus appropriée à la Constitution et aux mœurs nationales. Puisque l’instructiou doit exister pour chaque sexe, il faut donc créer promptement des écoles, et pour l’un et pour l’autre; mais il faut aussi créer pour elles des principes d’instruction : car ce ne sont pas les écoles, mais les principes qui les dirigent, qu’il faut regarder comme les véritables propagateurs de l’instruction. Enfin, puisqu’elle doit exister pour tous les âges, il faut ne pas s’occuper exclusivement, comme ou l’a fait jusqu’à ce jour parmi nous, d’établissements pour la jeunesse; il faut aussi créer, organiser des institutions d’un autre ordre qui soient pour les hommes de tout âge, de tout 29 450 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.) état, et dans les diverses positions de la vie, des sources fécondes d’instruction et de bonheur. L’instruction, considérée dans ses rapports avec l’avantage de la société, exige, comme principe fondamental, qu’il soit enseigné à tous les hommes : v i° A connaître la Constitution de cette société; 2° à la défendre; 3° à la perfectionner, 4° et, avant tout, à se pénétrer des principes de la morale, qui est antérieur à toute Constitution, et � qui, plus qu’elle encore, est la sauvegarde et la caution du bonheur public. De là diverses conséquences relatives à la Constitution française. Il faut apprendre à connaître la Constitution; il faut donc que la déclaration des droits et les principes constitutionnels composent à l’avenir X un nouveau catéchisme pour l’enfance, qui sera enseigné jusque dans les plus petites écoles du royaume. Vainement on a voulu calomnier cette déclaration; c’est dans les droits de tous que se trouveront éternellement les devoirs de chacun. Il faut apprendre à défendre la Constitution ; il faut donc que partout la jeunesse se forme, dans cet esprit, aux exercices militaires, et que par conséquent il existe un grand nombre d’écoles générales, où toutes les parties de cette science soient complètement enseignées : car le moyen de faire rarement usage de la force est de bien connaître l’art de l’employer. Il faut apprendre à perfectionner la Constitution. En faisant serment de la défendre, nous n’avons pu renoncer, ni pour nos descendants, ni pour nous-mêmes, au droit et à l’espoir de l’améliorer. Il importerait donc que toutes les branches de l’art social puissent être cultivées dans la nouvelle instruction : mais cette idée, dans toute l’étendue qu’elle présente à l’esprit, serait d’une exécution difficile au moment où la science commence à peine à naître. Toutefois, il n’est pas permis de t'abandonner, et il faut pu moins encourager tous ses essais, tous les établissements partiels en ce genre, afin que le plus noble, le plus utile des arts ne soit pas privé de tout enseignement. Il faut apprendre à se pénétrer de la morale, qui est le premier besoin de toutes les Constitutions; il faut donc, non seulement qu’on la grave dans tous les cœurs par la voie du sentiment et de la conscience, mais aussi qu’on l’enseigne comme une science véritable, dont les principes seront démontrés à la raison de tous les hommes, à celle de tous les âges : c’est par là seulement qu’elle résistera à toutes les épreuves. On a gémi longtemps de voir les hommes de toutes les nations, de toutes tes religions, la faire dépendre exclusivement de cette multitude d’opinions qui les divisent. Il en est résulté de grands maux; car en la livrant à l'incertitude, souvent à l’absurdité, ou l’a nécessairement compromise, on Ta rendue versatile et chancelante. Il est temps de l’asseoir sur ses propres bases; il est temps de montrer aux hommes, que si de funestes divisions tes séparent, il est du moins dans la morale un rendez-vous commun où ils doivent tous se réfugier et se réunir. Il faut donc, en quelque sorte, la détacher de tout ce qui n’est pas elle, pour la rattacher ensuite à ce qui mérite notre assentiment et notre hommage, à ce qui doit lui prêter son appui. Ce changement est simple, il ne blesse rien; surtout il est possible. Comment ne pas voir, en effet, qu’abstrac-tion faite de tout système, de toute opinion, et en ne considérant dans les hommes que leurs rapports avec les autres hommes, on peut leur enseigner ce qui est bon, ce qui est juste, le leur faire aimer, leur faire trouver du bonheur dans les actions honnêtes, du tourment dans celles qui ne le sont pas, former, enfin, de bonne heure, leur esprit et leur conscience, et les rendre l’un et l’autre sensibles à la moindre impression de tout ce qui est mal. La nature a pour cela fait de grandes avances; elle a doué l’homme de la raison et de la compassion. Par la première, il est éclairé sur ce qui est juste; parla seconde, il est attiré vers ce qui est bon : voilà le double principe de toute morale. Mais cette nouvelle partie de l'instruction, pour être bien enseignée, exige un ouvrage élémentaire, simple, à la fois clair et profond. Il est digne de l’Assemblée nationale d’appeler sur un tel objet les veilles et les méditations de tous les vrais philo-opbes. L’instn ction, comme source d’avantages pour les individus, demande que toutes les facultés de l’homme soient exercées; car c’est à leur exercice bien réglé qu’est attaché son bonheur; et c’est en les avertissant toutes, qu’on est sûr de décider la faculté distinctive de chaque homme. v,- Ainsi, l’instruction doit s’étendre sur toutes tes d'acuités, physiques , intellectuelles , morales. Physiques. C’est une étrange bizarrerie de la plupart de nos éducations modernes, de ne destiner au corps que des délassements. Il faut travailler à conserver sa sanié, à augmenter la force, à lui donner de l’adresse, de l’agilité; car ce sont là de véritables avantages pour l’individu. Ce n’est pas tout; ces qualités sont le principe de l’industrie, et l’industrie de chacun crée sans cesse des jouissances pour les autres. Enfin, la raison découvre dans les différents exercices de la gymnastique, si cultivée parmi les anciens, si négligée parmi nous, d’autres rapports encore qui intéressent particulièrement la morale et la société. Il importe doue, sous tous les points de vue, d’en faire un objet capital de l’instruction. V Intellectuelles. Elles ont été divisées en trois classes : l'imagination, la mémoire et la raison. A la première ont para appartenir tes beaux-arts et les belles-lettres; à la seconde, l’histoire, les langues; à ta troisième, les sciences exactes. Mais cette division, déjà ancienne, et les classifications qui en dépendent, sont loin d’être irrévocablement fixées : déjà même elles sont regardées comme incomplètes et absolument arbitraires par ceux qui en ont soumis le principe à une analyse réfléchie. Toutefois, il n’y a nul inconvénient à les employer encore comme formant la dernière carte des connaissances humaines. L’essentiel est que, dans tous les établissements complets, l’instruction s’étende sur les objets qu’elle renferme, sans exclure aucun de ceux qui pourraient n’y être pas indiqués. G’est au temps à faire le reste. Morales. On ne les a, jusqu'à ce jour, ni classées, ni définies, ni analysées ; et peut-être une telle entreprise serait-elle hors des moyens de l’esprit humain ; mais on sait qu’il est un sens interne, un sentiment prompt, indépendant de toute réflexion, qui appartient à l’homme, et paraît n’appartenir qu’à l’homme seul. Sans lui, ainsi qu’il a été déjà dit, on peut connaître le bien ; par lui seul on l’affectionne, et Ton contracte l’habitude de le pratiquer sans efforts. Il est donc essentiel, d’avertir, de cultiver, et surtout de diriger de bonne heure une telle faculté, puisqu’elle est, en quelque sorte, le complément des moyens de vertu et de bonheur. En rapprochant les divers points de vue sous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 451 lesquels nous avons considéré l'instruction, nous en avons déduit les règles suivantes sur la répar-tition de l’enseignement. � 11 doit exister pour tous les hommes une première instruction commune à tous. Il doit exister pour un grand nombre une instruction qui tende à donner un plus grand développement aux fa-cultés, et éclairer chaque élève sur sa destina-/ tion particulière. Il doit exister pour un certain nombre une instruction spéciale et approfondie, * nécessaire à divers états, dont la société doit re-� tirer de grands avantages. La première instruction serait placée dans chaque canton, ou, plus exactement, dans chaque division qui renferme une assemblée primaire; la seconde, dans chaque district; la troisième répondrait à chaque département, afin que par là-chacun pût trouver, ou chez soi, ou autour de soi, tout ce qu’il lui importe de connaître. De là une distribution graduelle, une hiérarchie instructive correspondant à la hiérarchie de l’administration. Cette distribution ne doit pas, au reste, être purement topographique; il faut que l’instruction s’allie le plus possible au nouvel état des choses, et qu’elle présente, dans ces diverses gradations, des rapports avec la nouvelle Constitution. Voici l’idée que nous nous en sommes faite. Près des assemblées primaires, qui sont les unités du corps politique, les premiers éléments nationaux, se place naturellement la première école, l’école élémentaire. Cette école est pour l’enfance, et ne doit comprendre que des docu--Ji.ments généraux, applicables à toutes les conditions. C’est au moment où les facultés intellectuelles annoncent l’être qui sera doué de la raison, que la société doit, en quelque sorte, introduire un enfant dans la vie social, et lui apprendre à la fois ce qu’il faut pour être un jour un bon citoyen, et pour vivre heureux. On ne sait encore quelle place il occupera' dans cette société ; mais on sait qu’il a le droit d’y être bien, et d’aspirer à en être un jour un membre utile : il faut donc lui faire connaître ce qui est néces-A saire et pour l’un, et pour l’autre. Au-dessus des assemblées primaires s’élèvent dans la hiérarchie administrative celles de district, dont les fonctions sont presque toutes préparatoires, et dont les membres se composent d’un petit nombre pris dans ces assemblées primaires : de même aussi au delà des premières écoles seront établies, dans chaque district, des écoles moyennes ouvertes à tout le monde, mais destinées néanmoins, par la nature des choses, à un petit nombre seulement d’entre les élèves des \f écoles primaires. On sent en effet qu’au sortir de la première instruction, qui est la portion commune du patrimoine que la société répartit à tous, le grand nombre, entraîné par la loi du besoin, doit prendre la direction ve*s un état promptement productif; que ceux qui sont appelés par la nature à des professions mécaniques, s’empresseront (sauf quelques exceptions) à re-„ tourner dans la maison paternelle, ou à se for-mer dans des ateliers, et que ce serait une véritable folie, une sorte de bienfaisance cruelle, de vouloir faire parcourir à tous les divers degrés d’une instruction mutile, et par conséquent nuisible au plus grand nombre. Cette seconde instruction sera donc pour ceux qui n’étant appelés ni par goût, ni par besoin, à des occupat ons mécaniques, ou aux fonctions de l’agriculture, aspirent à d’autres professions ou cherchent uniquement à cultiver, à orner leur raison, et à donner à leurs facultés un plus grand développement. /S Là n’est donc pas encore la dernière instruction; car le choix d’un état n’est point fait. Il s’agit seulement de s’y disposer ; il s’agit de reconnaître dans le développement prompt de celle des facultés qui semble distinguer chaque individu, l’indication du vœu de la nature pour le choix d’un éiat préférablement à tout autre : d’où il suit que cette instruction doit présenter un grand nombre d’objets, et néanmoins qu’aucun de ces objets ne doit être trop approfondi, puisque ce n’est encore là qu’un enseignement préparatoire. Enfin, dans l’échelle administrative se trouve placée au sommet l’administration de département, et à ce degré d’administr.ition doit correspondre le dernier degré de l’instruction, qui est l’instruction nécessaire aux divers états de la société. Ces états sont en grand nombre; mais on doit ici les réduire beaucoup ; car il ne faut un établissement national que pour ceux dont la pratique exige une longue théorie, et dans> l’exercice desquels les erreurs seraient funestes à la société. L’état de ministre de la religion, celui ér d'homme de loi, celui de médecin, qui comprend l’état de chirurgien, enfin, celui de militaire : voilà les étais qui présentent ce caractère. Ce dernier même semblerait d’abord pouvoir ne pas y être compris, par la raison que, dans plusieurs de ses parties, il peut être utilement exercé dès le jour même qu’on s’y destine; mais, comme il y en a de très multipliées qui demandent une instruction profonde; comme il importe au salut de tous que, dans l’art difficile d’employer et de diriger la force publique, nous ne soyons inférieurs à aucune autre puissance ; comme enfin, d’après nos principes constitutionnels, chacun est appelé à remplir des fonctions militaires, il nous a semblé qu’il était nécessaire de le prendre aussi dans la classe des états auxquels la société destinera des établissements particuliers. Par là répondront aux divers degrés de la hiérarchie administrative Jes différentes gradations de l’instruction publique ; et de même qu’au delà de toutes les administrations se trouve placé le premier organe de la nation, le Corps législatif, investi de toute la force de la volonté publique; � ainsi, tant pour le complément de l’instruction, que pour le rapide avancement de la science, il existera dans le chef-lieu de l'Empire* et commo au faîte de toutes les instructions, une école plus � particulièrement nationale, un institut universel qui, s’enrichissant des lumières de toutes ies parties de la France, présentera sans cesse la réunion des moyens les plus heureusement combinés pour renseignement des connaissances humaines et leur accroissement indéfini. Cet ins-/\ titut, placé dans la capitale, celte patrie naturelle des arts, au milieu des grands modèles de tous les genres qui honorent la nation, nous a paru correspondre, sous plus d’uu rapport dans la hiérarchie instructive, au Corps législatif lui-même, non qu’il puisse jamais s’arroger le droit d’imposer des lois ou d’en surveiller rexéeution, mais parce que se trouvant naturellement Je centre d’une correspondance toujours renouvelée avec tous les départements, il est destiné, par la force des choses, à exercer une sorte d’empire, celui que donne une confiance toujours libre et toujours méritée, que, réunissant des moyens dont l’ensemble ne peut se trouver que là, il deviendra, par le privilège légitime de la supériorité, le propagateur des principes, et le véritable législateur des méthodes; qu’à l’instar du Corp3 [10 septembre 1791.] 452 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. législatif, ses membres seront aussi l’élite des hommes instruits de toutes les parties de la France, et que les élèves eux-mêmes, dont la première éducation, distinguée par des succès, méritera d’être perfectionnée pour le plus grand bien de la nation, étant choisis dans chaque département pour être envoyés à cette école, ainsi qu’il sera expliqué ci-après, seront, en vertu d’un tel choix, comme les jeunes députés, sinon encore de la confiance, au moins de l’espérance nationale. Cette hiérarchie ainsi exposée, il paraîtrait naturel de passer à l’indication des objets et des moyens d’instruction, pour chacun des degrés que nous venons de marquer; mais auparavant, il est une quesiion à résoudre, et sur laquelle les bons esprits eux-mêmes sont partagés : c’est celle qui regarde la gratuité de l’instruction. il doit exister une instruction gratuite : le principe est incontestable; mais jusqu’à quel point doit-elle être gratuite? sur quels objets seulement doit-elle l’êtie? quelles sont, en un mot, les limites de ce grand bienfait de la société envers ses membres? Quelque difficulté semble d’abord obscurcir cette question, ü’une part, lorsqu’on réfléchit sur l’organisation sociale et sur la nature des dépenses publiques, on ne se fait pas tout de suite à l’idée qu’une nation puisse donner gratuitement à ses membres, puisque n’existant que par eux, elle n’a rien qu’elle ne tienne d’eux. D’autre part, le Trésor national ne se composant que des contributions dont le prélèvement est toujours douloureux aux individus, on se sent naturellement porté à vouloir en restreindre l’emploi, et l’on regarde comme une conquête tout ce qu’on s’abstient de payer au nom de la société. Des réflexions simples fixeront sur ce point les idées. Qu’on ne perde pas de vue qu’une société quelconque, par cela même qu’elle existe, est soumise à des dépenses générales, ne fût-ce que pour les frais indispensables de toute association : de là résulte la nécessité de former un fonds à l’aide des contributions particulières. De l’emploi de ce fonds naissent, dans une société bien ordonnée, par un effet de la distribution et de la séparation des travaux publics, d’incalculables avantages pour chaque individu, acquis à peu de frais par chacun d’eux. Ou plutôt la contribution, qui semble d’abord être une atteinte à la propriété, est, sous un bon/ régime, un principe réel d’accroissement pour toutes les propriétés individuelles. Car chacun reçoit en retour le bienfait inestimable de la protection sociale qui multiplie pour lui les moyens, et par conséquent les propriétés: et de plus, délivré d’une foule de travaux auxquels il n’aurait pu se soustraire, il acquiert la� faculté de se livrer, autant qu’il le désire, à ceux qu’il s’impose lui-même, et par là de les rendre aussi productifs qu’ils peuvent l’être. C’est donc à juste titre que la société est dite accorder gratuitement un bienfait, lorsque, par le secours de contributions justement établies et impartialement réparties, elle en fait jouir tous ses membres, sans qu’ils soieut tenus d’aucune dépense nouvelle. Reste à déterminer seulement dans quel cas et sur quel principe elle doit appliquer ainsi une partie des contributions; car, sans approfondir la théorie de l’impôt, on sent qu’il doit y avoir un terme, passé lequel les contributions seraient un fardeau dont aucun emploi ne pourrait ni justifier, ni compenser l’économie. On sent aussi que la société, considérée en corps, ne peut ni tout faire, ni tout ordonner, ni tout payer, puisque, s’étant formée principalement pour assurer et étendre la liberté individuelle, elle doit habituellement laisser agir plutôt que de faire elle-même. Il est certain qu’elle doit d’abord payer ce qui est nécessaire pour la défendre et la gouverner, puisqu’avant tout, elle doit pourvoir à son existence. 11 ne l’est pas moins qu’elle doit payer ce qu’exigent les diverses fins pour lesquelles elle existe, par conséquent ce qui est nécessaire pour assurer à chacun sa liberté et sa propriété ; pour écarter des associés une foule de maux auxquels ils seraient sans cesse exposés hors de l’état de société ; enfin, pour les faire jouir des biens publics qui doivent naître d’une bonne association : car voilà les trois tins pour lesquelles toute société s’est formée : et comme il est évident que l’instruction tiendra toujours un des premiers rangs parmi ces biens, il faut conclure que la société doit aussi payer tout ce qui est nécessaire pour que l’instruction parvienne à chacun de ses membres. Mais s’ensuit-il de là que toute espèce d’instruction doive être accordée gratuitement à chaque individu ? Non. La seule que la société doive avec la plus entière gratuité, est celle qui est essentiellement commune à tous, parce qu’elle est nécessaire à tous. Le simple énoncé de cette proposition en renferme la preuve : car il est évident que c’est dans le trésor commun que doit être prise la dépense nécessaire pour un bien commun ; or, l’instruction primaire est absolument et rigoureusement commune à tous, puisqu’elle doit comprendre les éléments de ce qui est indispensable, quelque état que l’on embrasse. D’ailleurs, son but principal est d’apprendre aux enfants à devenir un jour des citoyens. Elle les initie en quelque sorte dans la société, en leur montrant les principales lois qui la gouvernent, les premiers moyens pour y exister : or, n’est-il pas juste qu’on fasse connaître à tous gratuitement ce que l’on doit regarder comme les conditions mêmes de l’association dans laquelle on les invite d’entrer ? Cette première instruction nous a donc paru une dette rigoureuse de la société envers tous, il faut qu’elle l’acquitte sans aucune vresti iction. j Quant aux diverses parties d’instruction qui seront enseignées dans les écoles de district et de département, ou dans l’institut, comme elles ne sont point en ce sens communes àtous, quoiqu’elles soient accessibles à tous, la société n’en doit nullement l’application gratuite à ceux qui �librement voudront les apprendre. Il est bien vrai que, puisqu’il doit en résulter un grand avantage pour la société, elle doit pourvoir à ce qu'elles existent. Elle doit par conséquent se charger, envers les instituteurs, de la part rigoureusement nécessaire de leur traitement, en sorte que, dans aucun cas, leur existence et le sort de l’établissement ne puissent être compromis : elle doit organisation, protection, même /secours à ces divers établissements ; elle doit J faire, en un mot, tout ce qui sera nécessaire pour que l’enseignement y soit bon, qu’il s’y perpétue et qu’il s’y perfectionne : mais, comme ceux qui fréquenteront ces écoles, en recueilleront aussi un avantage très réel, il est parfaitement juste qu’ils supportent une partie des frais, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] et que ce soit eux qui ajoutent à l’existence de leurs instituteurs les moyens d’aisance qui allégeront leurs travaux, et qui s’accroîtront par A la confiance qu’ils auront inspirée. Il ne con-viendrait sous aucun rapport, que la société s’imposât la loi de donner pour rien les moyens de parvenir à des états qui, en proportion du succès, doivent être très productifs pour celui qui les - v embrasse. \/ A ces motifs de raison et de justice, s’unissent de grands motifs de convenance. On a pu mille \ fois remarquer que, parmi la foule d’élèves que � J la vanité des parents jetait inconsidérément dans «fp'nos anciennes écoles ouvertes gratuitement à "T tout le monde, un grand nombre, parvenus à la fin des études qu’on y cultivait, n’en étaient pas plus propres aux divers états dont elles étaient préliminaires, et qu’ils n’y avaient gagné qu’un dégoût insurmontable pour les professions honorables et dédaignées auxquelles la nature les avait appelés ; de telle sorte qu’ils devenaient des êtres très embarrassants dans la société. Maintenant qu’il y aura une rétribution quelconque à donner, qui stimulera à la fois le professeur et l’élève, il est clair que les parents ne seront plus tentés d'être les victimes d’une vanité mal entendue, et que par là l’agriculture et les métiers, dont un sot orgueil éloignait sans cesse, reprendront et conserveront tous ceux qui sont � véritablement destinés à les cultiver. ! > Mais si la nation n’est point obligée, si même elle n’a pas le droit de s’imposer de telles avances, il est une exception honorable qu’elle est tenue de consacrer : c’est celle que la nature elle-même semble avoir faite, en accordant le talent. Destiné à être un jour le bienfaiteur de la société, il faut que, par une reconnaissance anticipée, il soit encouragé par elle ; qu’elle le soigne, qu’elle écarte d’autour de lui tout ce qui pourrait arrêter ou retarder sa marche ; il faut que, quelque part qu’il existe, il puis?e librement parcourir tous les degrés de l’instruction ; que l’élève des écoles primaires, qui a manifesté des dispositions précieuses qui l’appellent à l’école supérieure, y parvienne aux dépens de la société, s’il est pauvre; que de l’école de district, lorsqu’il s’y distinguera, il puisse s’élever sans obstacle, et encore à titre de récompense, à l’école plus savante du département, et ainsi de degré en degré, et par un choix toujours plus sévère, jusqu’à l 'Institut national. Par là aucun talent véritable ne se trouvera perdu ni négligé, et la société aura entièrement acquitté sa dette. Mais on sent qu’un tel bienfait ne doit pas être prodigué, soit parce qu’il est pris sur la fortune publique dont on doit se mon-J\ trer avare, soit aussi parce qu’il est dangereux ""de trop encourager les demi-talents. Ainsi, la gratuité de l’instruction s’étendra jusqu’où elle doit s’étendre ; elle aura pourtant encore des bornes; mais ces bornes sont indiquées par la raison ; il était nécessaire de les poser. Toute la question sur l’instruction gratuite se résume donc eu fort peu de mots. Il est une instruction absolument nécessaire à tous. La société la doit à tous : non seulement elle en doit les moyens, elle doit aussi l’application de ces moyens. Il est une instruction qui, sans être nécessaire à tous, est pourtant nécessaire dans la société en même temps qu’elle est utile à ceux qui la possèdent. La société doit en assurer les moyens; mais c’est aussi aux individus qui en profitent, 453 à prendre sur eux une partie des frais de l’application. Il est enfin une instruction qui, étant néces saire dans la société, paraît lui devoir être beaucoup plus profitable, si elle parvient à certains individus qui annoncent des dispositions particulières. La société, pour son intérêt autant que pour sa gloire, doit donc à ces individus, non pas seulement l’existence des moyens d’instruction, mais encore tout ce qu’il faut pour qu’ils puissent en faire usage. Ces principes une fois posés, leur vérité sentie, leur nécessité reconnue, il faut passer à l’application, et organiser ces institutions diverses que nous n’avons fait qu’indiquer. Cette organisation doit comprendre à la fois et les objets et les moyens d’instruction pour chacune d’elles; ce qui est nécessaire pour qu’elles existent, pour qu’elles soient utiles, pour qu’elles se perpétuent, pour qu’elles s’améliorent. Avant d’entrer dans l’organisation des établissements d’instruction, j’observe qu’il ne serait point nécessaire, que peiit-être même, à raison de l’insuffisance des moypns dans quelques départements, il sera dangereux que cette organisation, prise dans son ensemble, s’établît tout à coup dans tout le royaume; car c’est surtout en matière d’inslructinn qu’il faut nue chaque établissement soit provoqué, par le besoin, par l’opinion, par la confiance. Il faut que tout arrive, mais que tout arrive à temps. J’observe aussi que des inégalités inévitables entre les départements doivent rompre, dans quelques points, cette uniformité de plan que nous avons tracée ; ainsi, lorsqu’au jugement de l’administration supérieure du lieu, on ne pourra dans un département, dans un district, et même dans un canton, réunir le nombre d’instituteurs nécessaires, ou que d’autres localités présenteront des obstacles à la formation d’un établissement d’instruction, il faudra, pour que tout marche, pour que surtout il n’y ait point de lacune dans l’instruction publique, que chacune de ces sections puisse s’associer à une section correspondante pour le genre d’ens« ignement qui lui est attribué. De là résulteront de nouveaux liens entre tous les départements du royaume et entre toutes les subdivisions de chaque département. Ce que nous présentons ici aux différents départements est donc moins ce qu’ils sont tenus de faire aujourd’hui, que ce qu’ils doivent préparer, que ce qu’ils doivent commencer aussitôt qu’ils en auront rassemblé les moyens. Nous nous sommes assurés que Paris était en état, avait même besoin de recevoir toutes ces institutions nouvelles ; il est instant de les y établir, afin que toutes les parties du royaume voient promptement en activité un modèle dont chacun, suivant sa localité, pourra se rapprocher. En vous présentant un plan général d’organisation, il a donc été naturel, presque nécessaire, que nous en fissions l’applicatioD directe à ce département. Ces observations par lesquelles nous nous sommes interrompus, en quelque sorte, nous-mêmes, mais qu’il était put-être indispensable de faire, nous ramènent avec plus de sécurité au développement de nos idées. ÉCOLES PRIMAIRES. Jusqu’à l’âge de 6 à 7 ans, l’instruction pnbli que ne peut guère atteindre l’enfance: ses facul- 454 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] tés sont trop faibles, trop peu développées; elles demandent des soins trop particuliers, trop exclusifs. Jusqu’alors il a fallu la nourrir, la soigner, la fortifier, la rendre heureuse: c’est le devoir des mères. L’Assemblée nationale, loin de contrarier en cela le vœu de la nature, le respectera, au point de s’interdire toute loi à cet égard : elle pensera qu’il suffit de les rappeler à ces fonctions touchantes par le sentiment même de leur bonheur, et de consacrer, par le plus éclatant X' suffrage les immortelles leçons que leur a don-nées l’auteur d 'Emile. Mais à peu près vers l'âge de sept ans, un enfant pourra être admis aux écoles primaires. Nous disons admis pour écarter toute idée decon-» , trainte. La nation offre à tous le grand bienfait � de l’instruction; mais elle ne l’impose à personne. Elle sait que chaque famille est aussi une école primaire, dont le père est le chef; que ses instructions, si elles sont moins énergiques, sont aussi plus persuasives, plus pénétrantes ; qu’une tendresse active peut souvent suppléer à des moyens dont l’ensemble n’existe que dans une instruction commune; elle pense, elle espère que les vrais principes pénétreront insensiblement, de ces nombreuses institutions, dans le sein des familles, et en banniront les préjugés de tout genre qui corrompent l’éducation domestique : elle respectera donc ces éternelles convenances de la nature, qni mettant sous la sauvegarde de la tendresse paternelle le bonheur des enfants, laisse au père le soin de prononcer sur ce qui leur importe davantage jusqu’au moment où, soumis à des devoirs personnels, ils ont le droit de se décider eux-mêmes. Elle se défendra des erreurs de cette République austère qui, pour établir une éducation strictement nationale, osa d’abord ravir le titre de citoyen à la majorité de ses habitants, qu’elle réduisit à la plus monstrueuse servitude, et se vit ensuite obligée de briser tous les liens des familles, tous les droits de la paternité, par des lois contre les-uelles s’est soulevée dans tous les temps la voix e la nature; elle saura atteindre au même but, mais par des voies légitimes ; elle apprendra, elle inculquera de bonne heure aux enfants qu’ils ne sont pas destinés à vivre uniquement pour eux ; que bientôt ils vont faire partie intégrante d’un tout auquel ils doivent leurs sentiments et souvent leurs volontés ; et qu’un intérêt qui n’est qu’individuel, par là même qu’il isole l’homme, le dégrade et détruit pour lui tout droit aux avantages que dispense la société ; enfin elle se contentera d’inviter les parents, au nom de l’intérêt public, à envoyer leurs enfants à l’instruction r commune, comme à la source des pures leçons! et au véritable apprentissage de la vie sociale, i Cette instruction première, nous l’avons djt,j est la dette véritable de la société envers spsL membres; elle doit donc comprendre des documents, nécessaires à tous, et dont l’ensemble puisse être regardé comme l’introduction de l’enfance dans la société. Ce caractère nous a paru désigner les objets suivants : > 1° Les principes de la langue nationale, soit /parlée, soit écrite : carie premier besoin social est la communication des idées et des senti-/ ments. Les règles élémentaires du calcul seront � placées presque en même rang, puisque le calcul est aussi une langue abrégée dont les rapports inévitables de la société rendent à tous l’usage nécessaire. Il faut joindre celles du toisé qui est l’application du calcul à la mesure des héritages et des bâtiments, objets de l’intérêt journalier des citoyens, et par rapport auxquels des lumières générales peuvent prévenir ou terminer la plupart des contestations qui les divisent. \ 2° Les éléments de la religion : car si c’est un malheur de l’ignorer, c’en est un plus grand peut-être de le mal connaître. , 3° Les principes de la morale: car elle est à la fois, et pour tous, le bonheur de l’âme, le supplément nécessaire des lois, et la caution véri-ble des hommes réunis par le besoin, et trop souvent divisés par l’intérêt. Y 4° Les principes de la Constitution: car on ne peut trop tôt faire connaître et trop tôt faire apprécier cette Constitution sous laquelle on doit vivre, et que bientôt on doit jurer de défendre au péril de sa vie. 6° Ce que demandent à cet âge les facultés physiques, intellectuelles et morales. \f Physiques , c’est-à-dire des leçons ou plutôt des exercices propres à conserver, à fortifier, à développer le corps, et à le disposer pour l’avenir à quelque travail mécanique. Il faut, de bonne heure, leur apprendre quelques principes du dessin, de l’arpentage ; leur donner le coup d’œil juste, la main sûre, les habitudes promptes : car ce sont là des éléments pour tous les métiers, et des moyens d’économiser le temps: tout cela est fdonc nécessaire, tout cela l’est pour tous, et l’on ne peut trop faire sentir aux enfants, quels qu’ils soient, que le travail est le principe de toute chose; que nul n’est tenu de travailler pour un autre, et qn’on n’est complètement libre, qu’au-tant qu’on ne dépend pas d’autrui pour subsister. \ Intellectuelles. Nous avons vu plus haut qu’on les avait divisées en trois : la raison, la mémoire , l’ imagination . Ce n’est pas encore le moment d’exercer cette dernière faculté, car elle est presque nulle dans l’enfance ; elle tient à une sensibilité qui n’est pas de cet âge, et elle a besoin, pour exister, d’une réunion d’idées, de sensations, de souvenirs qui supposent quelque expérience dans la vie; mais il est nécessaire d’offrir à leur raison , non les hautes sciences qui la fatigueraient sans l’éclairer, mais la clef de toutes les sciences, c’est-à-dire une logique pour leur âge, car il en est une. Leur raison n’est pas forte, mais elle est pure, mais elle est libre ; ils ne voient pas loin, mais ils voient communément juste ; ils voient du moins ce qui est, en attendant qu'on leur montre ce qui doit être, et l’on est souvent étonné de tout Je raisonnement qu’ils mettent dans ce qui les intéresse. La logique est bien plus à leur portée que la métaphysique des langues que néanmoins on se tourmente à leur faire entendre; et en (in il est parfaitement constitutionnel de leur apprendre de bonne heure qu’ils sont destinés à obéir à la raison, à la loi, mais à n’obéir qu’à elles. Il faut offrir à leur mémoire la partie des connaissances élémentaires, soit géographiques, soit historiques, soit boianiques, qui leur feront aimer davantage la patrie, et chérir le lieu qui les as vus naître, il en est d’autres qui, sans doute, orneraient leur mémoire, mais qu’on doit regarder comme une sorte de luxe pour le grand nombre ; et il faut ici se renfermer dans le strict nécessaire: or, quoi de plus nécessaire aux yeux de la société, que les connaissances qui a'tachent de plus en plus à cette société! Il est d’ailleurs indispensable de cultiver cette faculté des enfants, et parce que c’est celle qui amasse des matériaux pour la raison, et parce qu’elle ne peut être exercée avec succès que dans cet âge. Facultés morales. On ne peut ici rien déter- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 455 miner, mais on sent que c’est avec un soin particulier, avec une attention délicate et continue, qu’on doit éveiller et entretenir, particulièrement dans l’enfance et dans tous les instants, ce sens précieux qui fait trouver un charme au bien que l’on fait, à celui que l’on voit faire, et qui imprime l’honnêteté dans l’âme par l’attrait même du plaisir. v Tels sont les divers points d’instruction qui seront enseignés dans les écoles primaires. Que si le grand nombre des élèves est tenu de s’arrêter à cette première instruction; si les travaux de l’agriculture et des arts appellent tel individu à d'autres leçons, du moins il aura appris ce qu’il lui sera éternellement nécessaire de savoir ; son corps se sera utilement préparé au travail; son esprit aura acquis des idées saines, des connaissances premières, dont la trace ne s’effacera pas; son âme aura reçu, avec le germe des sentiments honnêtes, des actions vertueuses, ce qui doit servir à le développer; enfin, il sera désormais en état de s’approprier, par la réflexion, les inépuisables leçons qui vont découler de la seule existence du nouvel ordre des choses, comme aussi de tourner à son profit les institutions publiques dont il sera parlé bientôt, et qui seront /V. le grand complément de l’instruction nationale. ÉCOLES DE DISTRICT. Les écoles de district sont placées comme intermédiaires entre celles dont l’objet est nécessaire à tous, et les écoles dont l’enseignement complet regarde uniquement ceux qui sont destinés à un des quatre étals auxquels la société consacre des établissements particuliers. Le but de ces écoles est de donner aux facultés individuelles un plus grand développement, et de disposer de loin à toutes les fonctions utiles de la société. Or, ce double objet, qui intéresse si directement le bien particulier et l’avantage commun, se trouvera rempli par une instruction ordonnée de telle sorte qu’elle ne sera que la suite et comme la progression naturelle de l’instruction des écoles primaires. Ainsi, aux principes de la langue nationale succéderont, dans les écoles de district, une théorie plus approfondie de l’art d’écrire et la connaissance de celles des langues anciennes qui conservent le plus de richesses pour l’esprit humain. On ajoutera, dans plusieurs de ces écoles, l’enseignement d’une des langues vivantes que les relations locales ou nationales sembleront recommander davantage. Aux simples éléments de la religion, on joindra l’histoire de cette religion et l’exposé des titres d’après lesquels elle commande la croyance. Aux principes de la morale, dont l’application est si bornée dans le premier âge de la vie, le développement de la morale dans ses applications privées et publiques. Aux principes de la Constitution, qui ne peuvent être qu’indiqués à des enfants, une exposition développée de la Déclaration des droits et de l’organisation des divers pouvoirs. Quant à ce qui concerne plus directement encore les facultés, un plus parfait développement leur sera donné de la manière suivante : Facultés physiques. Au lieii des exercices de l’enfance, qui ne sont pour la plupart que des jeux, des exercices qui supposent et donnent à la fois de la force et de l’agilité, tels que la natation, l’escrime, l’équitation et même la danse. Intellectuelles. Au lieu d’une logique élémentaire et accommodée aux forces de l’esprit du premier âge, l’art du raisonnement dans toutes ses parties, avec l’indication des principales sources de nos erreurs. On offrira aussi à la raison des élèves les éléments des mathématiques dont la méthode est le plus parfait modèle de l’art de raisonner ; ceux de la physique qui, dans plusieurs de ses parties, est si étroitement liée aux mathématiques, et les premiers éléments de la chimie, qui sont reconnus maintenant pour être les véritables principes de la physique. On offrira à leur mémoire l’histoire des peuples libres, l’histoire de France, ou plutôt des Français, quand il en existera une, et des modèles de tout genre, soit parmi les anciens, soit parmi les modernes ; mais en l’exerçant, en l’enrichissant, on se gardera de la fatiguer ; car, à son tour, elle fatiguerait l’esprit et pourrait nuire au développement naturel des idées. On offrira à leur imagination les règles et surtout les beautés de l’éloquence et de la poésie ; les éléments de la musique et de la peinture, en un mol, le principe de ce qui l’émeut avec le plus de charme et de puissance. Morales. Il est clair que ces facultés seront bien plus utilement exercées, bien plus facilement développées à l’âge où les sentiments commencent à se raisonner; car c’est à cette époque surtout, que tous les moyens d’imprimer l’honnêteté ont une action forte sur l’homme. Mais il faudra que, par d’utiles institutions, cet exercice soit pratiqué entre les élèves ; de telle sorte que les rapports qui constituent la morale deviennent des rapports réels qui s’étendent à leurs yeux, et s’agrandissent chaque jour davantage. Ces divers points d’instruction vont se réaliser par un enseignement dont ie plan s’écartera nécessairement de l’ancien. Un des changements principaux dans la distribution consistera à diviser en cours ce qui était divisé en classes; car la division par classe ne répond à rien, morcelle l’enseignement, asservit, tous les ans et pour le même objet, à des méthodes disparates, et par là jette de la confusion dans la têle des jeunes gens. La division par cours est naturelle; elle sépare ce qui doit être séparé; elle circonscrit chacune des parties de l’enseignement ; elle attache davantage le maître à son élève, et établit une force de responsabilité qui devient le garant du zèle des instituteurs. Nous graduerons, nous ordonnerons ces cours en raison de l’âge, et nous nous appliquerons à suivre dans leur distribution le progrès naturel des idées et des sensations de l’enfance. C’est cet ordre nécessaire que nous avons lâché d’indiquer. Cette indication annonce suffisamment que l’instruction des districts, dès qu’elle sera organisée, atteindra le but auquel elle est destinée, celui de parler à toutes les facultés, et d’éclairer de bonne heure toutes les routes de la vie, de telle sorte que chaque élève reconnaisse d’une manière sûre à quelle fin la nature l’appelle; car, s’il n’est aucun de ces documents généraux qu’on puisse dire étranger à un état quelconque, si même quelques-uns d’entre eux sont nécessaires à tous, il n’est pas moins sensible à la réflexion que chacun d’eux dispose plus naturellement à un état qu’à un autre, et qu’ensemble ils doivent être regardés comme le premier apprentissage de tous les divers états. Jusqu’à présent, nous n’avons présenté qu’un 456 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] simple aperçu sur les deux premières écoles. L’ordre de notre travail nous amènera bientôt au développement pratique des moyens dont la plupart sont applicables à toutes. Auparavant il faut connaître la division des objets qui formeront l’enseignement de la troisième. ÉCOLES DE DÉPARTEMENT. Chaque chef-lieu de département contiendra d’abord l’école de district, puisqu’il offrira le même enseignement; mais il comprendra de plus, quoique avec des différences sensibles, les écoles nommées écoles de département, pour les états auxquels la société réserve des moyens particuliers d’instruction. Nous annonçons des différences, parce qu’il est impossible, comme je l’ai déjà observé, que partout, et surtout dans les commencements, l’enseignement suit également complet, et que le bien public exigera qu’à l’égard de certains états, plusieurs départements s’associent pour un même enseignement; mais alors même la hiérarchie sera conservée, et chacun des départements concourra du moins à former des écoles pour le dernier degré de l’instruction. ÉCOLES POUR LES MINISTRES DE LA RELIGION. L’état de ministre de la religion est un de ceux auxquels la nation destine des établissements partii uliers. Celui où les élèves trouveront l’instruction qui leur est nécessaire, sera placé, ainsi que vous l’avez ordonné, près de l’église cathédrale, et sous les yeux de l’évêque. Nous n’en déterminons pas le nombre. Chaque département aura le droit de se réunir en tout temps pour cette partie d’instruction à un département voisin. Quant à l’enseignement, il convient qu’il soit divisé de la manière suivante : 1° Les litres fondamentaux de la religion catholique, qu’on sera tenu de puiser dans leur source. 2° L’exposition raisonnée des divers articles que doit comprendre explicitement la croyance de chaque fidèle. 3° Le développement de la morale de l’Évangile. 4° Les lois particulières aux ministres du culte catholique. 5° Les principes ainsi que les objets habituels de la prédication. 6° Les détails qui appartiennent à un ministère de consolation et de paix, soit dans l’administration des sacrements, soit dans le gouvernement des paroisses. En circonscrivant ainsi cet enseignement, vous usez d’un droit incontestable, celui de renfermer tous les genres de pouvoirs dans leurs véritables limites. Je vais parcourir ces divers points d’instruction. Qu’on ne s’étonne pas de trouver ici un langage qui ne peut être familier; c’est avec la sévérité et l’exactitude de ses propres expressions, qu’un tel sujet doit être traité. 1° C’est un principe ca'holique que la croyance est un don de Dieu; mais ce serait étrangement abuser de ce principe, que d’en conclure que la raison doit se regarder comme étrangère à l’étude delà religion; car elle estaussi un présent de la divinité, et le premier guide qui nous a été accordé par elle pour nous conduire dans nos recherches ; et c’est à vous surtout qu’il appartient de la rétablir dans ses droits. Or, si, suivant les principes de la religion catholique, la raison individuelle n’a pas le droit de se constituer juge de chaque article isolé de la foi, et surtout de pénétrer ses incompréhensibles mystères, il est non moins incontestable que c’est à la raison qu’il appartient de reconnaîre les litres primordiaux de la religion, les caractères distinctifs de l’Eglise : mais ces titres, ces caractères doivent nécessairement se trouver et dans le code de la révélation, et dans les monuments des premiers siècles de la religion. La raison doit donc les chercher là comme à leur source. Que si chaque fidèle, pour être en état de rendre à la religion cet hommage raisonnable qui seul est digne d’elle, doit examiner attentivement les titres de sa croyance, combien plus y est obligé le ministre de la religion, qui doit toujours être prêt à les opposer au douie ou à l’erreur ? Cette partie de la théologie, qui en est en quelque sorte la partie philosophique, doit donc être complètement enseignée dans les écoles où se formeront les élèves du sacerdoce, en même temps queles bons esprits travailleront à la perfectionner et à l'épurer par une grande sévérité dans le choix des preuves : car, on l'a dit souvent, les mauvaises preuves en faveur de la religion ont plus nui à la croyance publique, que les fortes objections par lesquelles on s’est efforcé de la combattre. 2° Dès que les titres de la religion sont reconnus, que le fondement de la foi catholique repose sur une révélation divine, et qu’il est de principe que les points révélés nous sont transmis par une autorité toujours visible, il devient plus qu’inutile de se rengager dans des discussions interminables, qui étaient l’aliment de l’ancienne théologie, et qui semblent renu ttre sans cesse en problème ce qui est déjà décidé. Il ne s’agit plus que de bien connaître ces objets révélés, pour les présenter aux peuples de la manière la plus propre à être saisie parleur intelligence. Une exposition raisonnée est donc tout ce qu’il faut pour le grand nombre des ministres chargés de cette fonction. Peut-être même serait-elle plus qu'il ne faut, si elle embrassait l’universalité des points décidés; car si l’Eglise catholique, dépositaire de la tradition, a dû s’élever, à diverses époques, contre toute altération du dogme ou de la morale évangélique; si ses décisions se sont multipliées avec les erreurs, il n’est pas moins vrai que le dépôt de la révélation n’a pas dû se grossir en traversant les siècles, et que les fidèles de nos jours ne sont pas tenus de croire davantage que ceux de l’Eglise des premiers siècles. L’exposition des points révélés, qui doit être enseignée à tout élève du sacerdoce, pour qu’il l’enseigne à son tour, peut donc être réduite à ce qu’il était nécessaire à tout chrétien de croire et de professer avant la naissance des hérésies; c’est-à-dire à ce qui constitue la pratique journalière de la religion. Chacun pourra sans doute, à son gré, étendre plus loin et ses recherches et ses études particulières; il lui sera libre de parcourir, s’il le veut, tous les canaux de la tradition, de charger son esprit ou sa mémoire des longs débats de la ihéologie, et de s’armer contre les plus anciennes erreurs de tous les arguments employés pour les combattre; mais aussi la nation, qui retrouve à chaque page de son histoire la trace profonde des maux qu’ont enfantés tant de querelles religieuses, ale droit non moins incontestable de chercher à s’en défendre, en écartant de 457 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] l'enseignement public, qu’elle protège, tout ce qui n’est pas indispensable à un ministre de la religion. La théologie, d'ailleurs, ne doit point être regardée comme une science; les sciences sont susceptibles de progrès, d’expériences, de découvertes. La théologie, qui ne peut être que la connaissance de la religion, est étrangère à tout cela; immuable comme elle, elle est, comme elle, ennemie de toute innovation; il faut qu’elle soit aujourd’hui ce qu’elle était d’abord. On doit donc s’occuper, non pas à l’étendre, mais à la fixer, mais à la renfermer dans ses limites, que trop souvent d’ambitieuses subtilités s’efforcent de lui faire franchir dans des siècles d’ignorance. L’Assemblée nationale, en même terrn s qu’elle encourage les progrès des sciences et les inventions de l’esprit humain, doit donc, par le même. principe, s’opposera toute extension de la théologie, à toute invasion des théologiens : car, puisque la religion commande à la pensée, c’est-à-dire à ce qu’il y a de plus libre en nous, il est du devoir des fondateurs de la liberté publique de retirer de l’enseignement religieux et tout ce qu’il est permis de ne pas croire, et tout ce qu’on a le droit d’ignorer. Concluons que l’Assemblée nationale doit enjoindre à tous les évêques, comme étant les premiers surveillants de la doctrine religieuse, de travailler avec le r conseil à réduire les objets dogmatiques, qui entreront dorénavant dans renseignement public des ministres du culte, aux seuls points indispensables à l’instruction des fidèles, par conséquent à en bannir et les vaines opinions qui divisent les esprits, et les discussions oiseuses sur des articles dès longtemps décidés, et même aussi un développement trop étendu de ceux de ces articles qui ne font point partie essentielle de l’instruction des peuples; de telle sorte que du concours de ces travaux épuratoires, résulte enfin un enseignement complet, uniforme et réduit à ses véritables bornes. 3° La morale évangélique est le plus beau présent que la nation française s’honore de lui rendre. On ne peut donc trop pénétrer de ses bienfaisantes maximes les ministres de la religion, pour qu’ils en nourrissent les peuples qui leur seront confiés. Les principes de la morale naturelle leur auront été développés dans les écoles précédentes, ils en seront d’autant plus disposés à en goûter la perfection dans l’Evangile ; car c’est là qu’elle existe avec toute la force d’une sanction qui lui donne sur les âmes une puissance surnaturelle. L’Assemblée nationale ne dictera point ici les règles d’un tel enseignement, quoiqu’elle ait le droit de s’affliger des vices des anciennes méthodes, gu l’onction évangélique disparaissait sous la sécheresse des discussions ; elle se borne à recommander cette réforme au nouveau clergé qui s’élève de toutes parts. Cependant, comme il lui appartient de reconnaître ce qui importe le plus au bien général de la nation, elle peut, et sans doute aussi elle doit ordonner, que l’on s’attache surtout à enseigner aux élèves du sacerdoce la partie de la morale évangélique, qui consacre en termes si énergiques la parfaite égalité des hommes, et cette indulgence religieuse, que les philosophes eux-mêmes n’osaient appeler que tolérance, mais qui d it être un sentiment bien plus pur, bien plus fraternel, bien plus respectueux pour le malheur. 4° Les lois sur l’organisation du clergé forment tout le droit canonique; c’est là que tout minisire de la religion doit s’instruire de ses droits, d’une partie de ses devoirs et de ses rapports avec la nouvelle organisation sociale. Ces lois nouvelles doivent donc faire partie essentielle des études ecclésiastiques. 5° La prédication est une des fonctions ecclésiastiques qui appelle le plus l’attention des législateurs; il faut que, ramenée à son but, qui est de rendre les hommes meilleurs par les motifs que la religion consacre, elle devienne ce qu’elle doit être; mais il faut aussi qu’elle ne puisse pas abuser de son influence, et que d’invincibles barrières s’opposent à ses écarts. Le premier objet sera le fruit de l'instruction; le second doit être l’ouvrage des lois. Jusqu’à ce jour, les écoles les plus célèbres n’étaient que des arènes dogmatiques; on y apprenait longuement à devenir de vains et dangereux dispu-teurs ; on dédaignait d’y apprendre à être d’utiles propagateurs de la morale de l’Evangile. Gela ne doit plus subsister. Les nouveaux instituteurs des écoles ecclésiastiques seront obligés de montrer à leurs élèves les principes, les somees, les modèles, les objets, comme aussi l’extrême importance de la prédication; ils auront aussi le courage d’enseigner avec persévérance ce qui est bon, ce qui est utile, et de n’enseigner que cela. Mais l’Assemblée nationale ne peut borner là sa sollicitude; elle sait que la prédication est un des grands moyens que le fanatisme de tous les temps employa pour égarer les peuples; elle la regarde comme une sorte de puissance toujours redoutable, lorsqu’elle n’est pas bienfaisante, et dont, par conséquent, il importe de régler et de circonscrire l’action. Cet objet sera rempli autant qu’il peut l'être, lorsque l’Assemblée nationale aura déclaré que toute atteinte portée au respect dû à la loi dans l’exercice de cette fonction, sera mise au rang des plus graves délits : et cela doit être; car quoi de plus criminel aux yeux d’une nation, qu’un fonctionnaire qui se sert de ce qu’il y a de plus saint pour exciter les peuples à désobéir à ses lois? 6° Dans le régime journalier des paroisses, dans l’administration des sacrements, il est une foule de détails qui échappent à l’indifférence, mais qui sont précieux à la piété. C’est par eux surtout que les pasteurs se concilient cette tendre vénération, qui est la plus douce récompense de leur ministère. Il faut que rien de ce qui est propre à adoucir les souffrances, à consoler les malheureux, à prévenir les dissensions, à calmer les haines, soit étranger à un ministre de la religion; car ce sont des fonctions bien dignes d’elle. Ainsi, les règles de l’arpentage et du toisé, plus développées que dans les écoles primaires; la connaissance des simples, quelques principes d’hygiène, et quelques-uns de droit, etc., nous paraissent devoir faire dorénavant partie de l’instruction ecclésiastique. Il faut que la religion, que les peuples confondent si facilement avec ses interprètes, se montre toujours à eux ce qu’elle est véritablement, l’ouvrage sublime de la bonté divine; et en la voyant toujours attentive à leur bonheur, toujours consolatrice dans leurs peines, ils aimeront à en bénir l’auteur, et à l’honorer par l’hommage et la pratique de toutes les vertus. ÉCOLE DE MÉDECINE. La médecine vous demande aussi un établissement particulier. C’est après avoir combiné ensemble les rapports de cette belle partie delà physique avec l’homme, et les vices des anciennes méthodes 458 [Assemblée nationale.] d’enseignement, et les vues particulières qui nous ont été communiquées par des hommes célèbres, que nous vous proposons avec confiance de régler l’enseignement decette science, d'après les principes suivants : D’abord, les écoles seront partout organisées de la même manière : dans toutes, on enseignera les mêmes objets ; on communiquera les mêmes pouvoirs ; on imposera les mêmes épreuves : car c’est manquer essentiellement à l’homme que de requérir plus de savoir pour un lieu que pour un autre, pour les cités que pour les campagnes. Jusqu'à ce jour, on a divisé cet art en trois : la médecine, la chirurgie, la pharmacie; et il en est résulté un désaccord funeste et à l’art et aux hommes. Il est clair que ce sont les parties d’un même tout : elles doivent donc être réunies dans les mêmes écoles. Cet art doit sa naissance aux Grecs ; jamais chez eux la pharmacie et la chirurgie ne furent séparées de la médecine. Tout collège de médecine, pour être complet, comprendra désormais dans son enseignement: 1° la physique, connue sous le nom de médicale, c’est-à-dire appliquée dans toutes ses parties à l’art de guérir ; car c’est en elle que résident tous les principes sur lesquels peut se fonder cet article ; 2° l’analyse ou la connaissance exacte de toutes les substances que les trois règnes de la nature lui fournissent ; 3° l’étude du corps humain dans l’état de santé; 4° celle des maladies, quant à leurs symptômes, à leur traitement, au mode de les observer et d’en recueillir l’histoire ; 5° les connaissances requises pour être en état d’éclairer, dans des circonstances difficiles, le jugement ae ceux qui doivent prononcer sur la vie et l’honneur des citoyens; 6° enfin, car c’est là que tout doit aboutir, l’enseignement de la médecine pratique. Pour faciliter toutes ces parties d’un même enseignement, vous jugerez que les écoles doivent être établies dans l’enceinte même des hôpitaux; car on ne peut trop rapprocher les institutions de ceux pour qui elles sont le plus nécessaires. C’est là que le bien des malades est toujours d’accord avec les progrès de l’instruction ; que la théorie ne marche point au hasard, et que souvent un seul jour rassemble tous les bienfaits de l’expérience d’un siècle : c’est là que les élèves commenceront par soigner les malades pour être mieux en état de les traiter un jour, qu’ils apprendront presque en même temps à ordonner, à préparer, à appliquer les remèdes, et que par-là ceux qui se destineront particulièrement à une des branches de l’art, se trouveront pourtant suffisamment instruits sur toutes. Tel sera l’enseignement. Il serait sans doute à désirer que tout département eût son école; mais cette convenance doit ici fléchir devant la nécessité. Il est clair que des écoles de médecine, trop multipliées, ne pourraient se soutenir, soit parce qu’on manquerait de professeurs, soit parce qu’on manquerait d’élèves. En matière d’enseignement, c’est, avant tout, la médiocrité qu’il faut qu’on éloigne : elle naît de plusieurs manières, et parce qu’elle n’apprend pas, et parce qu’elle apprend mai, et parce qu’elle ne communique point aux élèves ce zèle, cet enthousiasme créateur que les grands talents peuvent seuls inspirer. Quatre collèges complets ont paru suffire au besoin de tout le royaume. Cependant, pour rapprocher le plus possible l’instruction de chaque lieu, ou a pensé que tout [10 septembre 1191.] corps administratif pourrait utilement établir, dans son arrondissement, une espèce d’école secondaire qui serait placée dans l’hôpital le mieux organisé du département. Là, tous les jeunes gens peu favorisés de la fortune, mais annonçant des dispositions particulières pour l’état de médecin, seraient nourris et logés à peu de frais, rendraient des services à la maison, et ils recevraient en retour les premiers éléments de l’art, et par de bons livres élémentaires, et par des leçons pratiques de tous les jours. Leur éducation médicale ainsi commencée, quelquefois même terminée, ils n’auraieut plus qu’à se transporter au collège de médecine le plus prochain pour y subir les examens requis, et y être, bientôt après, proclamés médecins. La nécessité de ces examens doit être rigoureusement maintenue; car il faut ici surtout défendre la crédule confiance du peuple contre les séductions du charlatanisme. Il faut doue donner une caution publique à la profession de cet état; mais en même temps vous voudrez que les anciennes lois coercitives, qui fixaient l’ordre et le temps des études, soient abolies. Vous ne souffrirez pas qu’aucune école s’érige en jurande : ainsi ce ne sera plus le temps, mais le savoir qu’il faudra examiner: ou ne demandera point de certificats, on exigera des preuves; on pourra n’avoir fréquenté aucune école et être reçu médecin; on pourra les avoir parcourues toutes, et ne pas être admis : par cette double disposition, on accordera parfaitement, et dans cette juste mesure qui est à désirer en tout, ce qu’exige la justice, ce que demande la liberté, et ce que réclame la sûreté publique. Nota. Il reste à pourvoir aux progrès de la science médicale, par le moyen des correspondances et par des travaux concertés, ainsi que font aujourd’hui les sociétés savantes et les corps académiques. Get objet fera partie du grand institut où il doit être traité dans la section des sciences. ÉCOLES DE DROIT. Ce n’est qu’à dater de la Constitution que la science du droit peut devenir une et complète. Jusqu’à cette époque, le droit public, qui eu fait partie essentielle, aété nécessairement une science occulte, livrée à un petit nombre d’augures qui la travestissaient à leur gré; ou plutôt c’était une science mensongère qu’il était impossible d’apprendre, parce qu’elle n’avait pas de réalité. Le droit privé était plus réel, plus constaté dans son existence; mais son immensité, mais la multitude de ses éléments hétérogènes, accumulés par le temps et le hasard, devaient effrayer l’esprit le plus vaste, la raison la plus forte. Comment, au milieu de ce chaos, retenir toujours le fil des principes, ou comment consentir à s’en passer? Ce n’ôtail pas la vice de la science, encore moins celui de l’enseignement; c’était celui de son objet. On a fait pourtant de justes reproches à l’enseignement, ou plutôt à quelques abus du corps enseignant : c’est celui qui portait sur la facilité scandaleuse des épreuves. 11 serait impossible, il serait coupable de chercher ici à la justifier : car elle tendait à avilir la science; mais elle tenait à une cause qu’ou ne peut imputer qn’au gouvernement. Les facultés de droit étaient presque partout uniquement payées par les élèves : de là la tentation de n’en refuser aucun, et d’en attirer ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 459 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] beaucoup. Encore si cet abus, pour exister, avait eu besoin de l’assentiment du plus grand nombre des facultés, l’amour du bien public, le respect pour la science, et une sorte de décence l'auraient sans doute repoussé; mais il suffisait qu’il existât une seule faculté dans le royaume qui eût acquis cette déplorable renommée; il suffisait même de la seule existence d’une faculté étrangère (celle d’Avignon) à laquelle il était libre de recourir, pour corrompre, sous ce rapport, l’enseignement général : car les facultés les plus attachées à leurs devoirs, après avoir lutté quelque temps pour le maintien de la règle, se sont vues contraintes à faire du moins fléchir un peu la rigueur des principes pour retenir des élèves qui presque tous leur auraient inévitablement échappé, Cet abus est facile à prévenir. Quant à l’enseignement, il présente plusieurs difficultés. Le droit n’est pas une science spéculative; c’est la science de ce qui est, non de ce qui doit être, et ce sera aussi quelque temps encore la science de ce qui ne sera plus : car malheureusement les mauvaises lois régnent après leur mort. Ainsi l’enseignement est condamné à se ressentir pendant plusieurs années des vices de nos anciennes lois qu’il faudra savoir, qu'il faudra accorder entre elles à l’époque où l’on se disposera à les détruire, ou même après qu’elles auront été détruites. C’est un état pénible pour la science, mais uu état inévitable, et qui exigera pendant quelques années des précautions dans renseignement. Un temps viendra où toutes les parties de cette science s’éclaireront du jour de la raison : c’est lorsque les législatures auront porté ce même jour sur le code entier de la législation, et présenteront enfin un système de lois pures et con-cordanti's, ramené à un petit nombre de principes. En attendant, l’enseignement doit profiter de ce qui est fait, en même temps qu’il souffrira de tout ce qui reste à faire. Le premier objet que désormais il doit offrir, est la Constitution, ou le droit public national, dont il puisera les principes dans le texte même de l’acte constitutionnel et dans les lois qui en contiennent le principal développement. Les maîtres trouveront des élèves préparés à cette instruction : les enfants en auront reçu la première leçon de la bouche de leur père ; ils auront grandi en répétant ces titres désormais imperdables, confiés de bonne heure à leur mémoire, et dont l’amour croîtra et se développera avec eux. Malheur aux maîtres qui auront à traiter de si nobles sujets, s’ils restaient froids au milieu de ces élèves bouillants de jeunesse et de courage ; c’est à ces coeurs neufs et purs qu’il est facile de communiquer le saint enthousiasme du patriotisme et de la liberté. Combien de récits touchants pourront animer ces leçons, y répandre du charme et de l’intérêt! Comme l’histoire de la patrie est utilement liée à l’enseignement de sa Constitution! Comme cette histoire parle à l’âme dans un pays libre! Quelles douces larmes elle fait répandre ! Après la Constitution, sera placée la théorie des délits et des peines, et celle des formes employées par la société pour l’application des lois pénales : car il est juste de faire connaître à ceux qui étudient le droit aussitôt qu’ils ont appris la Constitution, le code pénal qui en est l’appui, tant parce qu’il définit d’une manière exacte en quoi un citoyen peut offenser la Constitution, que parce qu’il déclare la peine qui doit suivre cette offense. D’ailleurs, rien ne touche de plus près au pacte social que la connaissance des peines auxquelles est soumis un membre de la société, quand il en a violé les lois. Il serait utile que tous les citoyens connussent la forme des jugements en matière criminelle. C’est une épreuve que l’homme le plus vertueux n’est pas sûr de ne jamais subir; et il lui importe de savoir, avec beaucoup d’exactitude, la marche que l’on doit suivre à sou égard, comme aussi les droits qu’il est autorisé à réclamer pour mettre sou innocence dans tout son jour, et ne perdre aucun de ses avantages par ignorance ou par faiblesse. La connaissance des formes de la procédure criminelle ne saurait être trop généralement répandue dans un pays qui a le bonheur de posséder l’institution du juré. La fonction solennelle de juger un accusé et de prononcer la vérité sur un fait d’où peut dépendre l’honneur ou la vie d’un homme, n’exige pas à la vérité de3 connaissances judiciaires ; mais il est à désirer que ceux qui ont cette belle fonction à remplir, n’y soient pas tellement étrangers, qu’ils ignorent complètement en quoi elle consiste. Lorsqu’ils y seront initiés d’avance, ils s’en formeront une idée plus juste, et ils pourront la remplir avec une plus parfaite exactitude. La science du droit criminel aura donc peu de choses à enseigner aux adeptes, qui ne soit presque également nécessaire aux citoyens de toutes les professions ; et la perfection de cette science consistera à devenir assez claire pour qu’elle ne puisse jamais flatter l’ amour-propre d’un savant, mais pour qu’elle puisse facilement éclairer la conscience de tous ceux qui auront besoin d’y recourir. IL* est permis de désirer sans doute; mais il est plus difficile d’espérer que le droit civil particulier puisse atteindre le même degré de simplicité. On se persuade aisément, quand on y a peu réfléchi, que cette partie du droit n’est qu’un traité de morale naturelle ; et la morale est la science que tous les hommes croient posséder, sans s’être cru obligés de l’acquérir par l’étude. Cependant, si l’on veut songer à l’immense variété des transactions qui doivent nécessairement avoir lieu dans une nombreuse société d’hommes entre qui les propriétés sont si inégalement réparties ; à la quantité de pièges que la ruse tend sans cesse à la bonne foi trop confiante ; à la multiplicité des formes décevantes sous lesquelles l’astuce peut se reproduire, on s’étonnera moins qu’il ait fallu réduire en art la bonne foi elle-même, et fortifier, par des règles fixes, la sûreté des contrats, qui devraient n'en avoir d’autres que l’intérêt réciproque et la loyauté des parties contractantes. C’est principalement dans cette partie de leurs lois que les Romains avaient porté cet esprit de sagesse et de justice, et cette méthode pure d’analyse, qui leur a mérité la gloire de perpétuer la durée de leur législation bien au delà de celle de leur Empire. Le Digeste , retrouvé vers le milieu du xnr siècle, frappa les esprits de tous les peuples qui le connurent, par ce degré d’évidence et de supériorité qui n’appartient qu’à la raison universelle. C’était un juste hommage : il n’y fallait pas ajouter un culte superstitieux. Des parties de législation trop favorables au pouvoir arbitraire, d’autres ridiculement contrastantes avec le reste de nos institutions, ne s’établirent pas moins impérieusement que les titres les plus raisonnables; et la féodalité seule disputa aux lois ro- 460 [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] maines le sceptre de notre législation. Ainsi la France fut partagée eu deux grandes divisions. La section la plus méridionale de l'Empire accueillit le droit romain comme la loi unique ou dominante du pays ; les autres provinces, en admettant le droit romain comme raison écrite, continuèrent d’être régies par leurs usages, qui se conservèrent longtemps par la tradition, avant d’être fixés par l’écriture, et réduits en corps de coutume, tels que nous les voyons aujourd’hui; mais, dans tous les lieux, on emprunta du droit romain les notions générales de justice et d’équité, et principalement celles qui concernent la théorie des contrats, qui retrouve son application chez tous les peuples et dans tous les siècles, parce qu’elle tient aux premiers besoins des hommes. Cette partie du droit romain mérite donc d’être enseignée partout, comme la raison écrite, et connue la meilleure analyse des principales transactions que produit la société. Ce serait un ouvrage vraiment utile, et digne d’un siècle éclairé, que d’extraire de cette vaste collection de lois et de décisions qui forment le corps du droit romain, les titres qui sont empreints de ce caractère éternel de sagesse qui convient à tous les temps. Un tel livre servirait de base à la réforme des lois, et rendrait aussi l’enseignement plus simple, plus clair et plus complet. Reste le droit coutumier qui régit la moitié de l’Empire. Il faudra encore quelque temps enseigner partout et l’esprit général des coutumes, et, dans chaque département, la coutume du lieu. Ce sera aussi pour les maîtres un devoir d’ouvrir, sous les yeux de leurs élèves, nos principales et plus célèbres ordonnances, celles de Moulins, d’Orléans, de Blois, etc., de leur faire remarquer par quel progrès ces lois s’acheminaient insensiblement vers une sagesse supérieure, accumulant, avec trop peu de méthode, des articles dont la plupart ne subsistent plus, mais dont plusieurs aussi règlent encore quelques-uns des objets les plus importants de l’ordre social. Les ordonnances des testaments et des donations lrouv> raient ici leur place. Je suppose celle des substitutions abrogée. Cet enseignement devra se terminer par des leçons sur les formes de la procédure civile : car, c’est peu de connaître les lois, si l’on ne connaît aussi les moyens d’y avoir recours et d’invoquer la puissance de la justice, soit pour obtenir la réparation des torts qu’on a soufferts, soit pour défendre sa propriété contre les agressions judiciaires auxquelles on est exposé. Je ne dirai rien du droit canonique, dont on prenait dans nos anciennes écoles quelques notions superficielles. Le petit nombre de vérités comprises dans cette science appartient à ia théologie, dont nous avons fait un chapitre séparé. Jusqu’à ce jour, on a exigé que les élèves parcourussent tous les degrés et tous les temps de l’instruction; la loi était inflexible à cet égard autant que minutieuse. Le temps des inscriptions, le passage d’une classe à une autre, l’époque où chaque formalité devait s’accomplir, l’apparence même de l’assiduité étaient prescrites avec une importance qui n’admettait pas d’exceptions. Ainsi l’on exigeait tout, hors la science : car on peut feindre l’assiduité, éluder les précautions, remplir extérieurement de vaines formes; mais la science seule ne se contrefait pas, et c’est elle seule qu’on doit demander aux élèves. Une mesure uniforme de temps d’études est injuste à imposer, quand la nature a départi aux hommes une mesure inégale d’attention et de mé-mémoire. Offrez les secours de la méthode et les avantages de l’assiduité aux esprits dont ce double bienfait rendra la marche plus directe et plus sûre. Mais ne les commandez pas aux esprits dont l’ardeur n’y verrait qu’un assujettissement pénible, et le souffrirait avec impatience. Craignez que le dégoût d’une route uniforme et lente ne produise chez eux celui de la science elle-même. Offrez à tous un fil conducteur. Ne donnez des chaînes à personne, et n’admettez que ceux qui iarviendront au but, c’est-à-dire qui seront véritablement instruits. Ne leur demandez pas quel temps ils ont mis à se former, mais s’ils ont acquis beaucoup de connaissances; ne les interrogez pas sur leur âge, mais sur leur capacité; non sur leur assiduité aux leçons, mais sur le fruit qu’ils en ont tiré. Qu’un exan en long et approfondi réponde de la capacité des aspirants ; mais que cet exameu ne soit pas illusoire, que ce ne soit pas une vaine formalité. On a trop longtemps bercé les hommes avec des paroles; il est temps d’obtenir des réalités: qu’elles soient garanties par des moyens infaillibles. La présence du public avant tout; car l’œil du public écarte l’ineptie par la honte, et rend impossibles les fraudes et lus préférences. Il existe dans l’émulation des élèves un ressort puissant dont la main du légistateur habile doit aussi s’emparer. Laissez-le; joignez-y celui de leur intérêt personnel, et vous aurez la meilleure garantie de la réalité et de l’efficacité des examens. Je propose donc que chaque élève subisse un examen, dans lequel, interrogé, pressé par ses collègues, il ait à répondre sur toutes les parties du droit dont se compose un cours complet d’enseignement. Quecet examen dure assez longtemps pour que l’é preuve ne puisse pas être superficielle, et qu’il n’y ait aucun moyen d’éviter la honte d’ignorer à ceux qui n’auraient pas pris la peine de s’instruire. Qu’à la fin de chaque cours, les élèves et les maîtres se réunissent pour désigner l’ordre des places, à raison du degré d’instruction dont chaque élève aurait fait preuve dans son examen, et que cette liste soit rendue publique par l’impression. On sent assez quelle serait la puissance de ce moyen sur des âmes toutes neuves encore pour le désir de la gloire et les faveurs de l'opinion publique. On sent combien un tel examen commanderait de préparations au récipiendaire, et comme il ranimerait l'ardeur de ses collègues, obligés d’être ses compétiteurs. Ainsi le mérite s’ouvrirait à lui-même les chemins de la fortune : car celui qui aurait été montré au public par ses propres rivaux comme le plus capable, jouirait bientôt de tous les avantages de sa confiance. Mais chaque département aura-t-il un établissement d’instruction pour l’enseignement du droit? Plusieurs motifs doivent ici se combiner: celui de rapprocher les sources de la science des hommes qui auront intérêt d’y puiser; celui d’augmenter l’émulation des élèves, en appelant à un même foyer plus de concurrence, afin de créer une lutte plus active entre les talents rivaux; celui d’augmenter l’émulation des maîtres, en leur offrant un plus grand concours de disciples, et de réserver les chaires de Renseignement à des professeurs d’un mérite plus éprouvé; enfin un grand intérêt politique vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 46 1 portent à réunir, par des institutions communes, ces portions d’un même tout, qui ne doivent former de circonscriptions que sous des rapports administratifs, mais non toutes les fois qu’on les considère sous des rapports nationaux. La meilleure distribution des établissements de droit sera celle qui aura concilié le plus de ces avantages, et il paraît que 10 établissements de ce genre tiennent un juste milieu entre tous les partis qui ont été proposés. Alors il n’y aurait ni des écoles désertes à force d’être multipliées, ni des centres d’instruction trop éloignés des points qui doivent y aboutir. ÉCOLES MILITAIRES. La partie de l’instruction publique relative aux éléments de l’art militaire, et à l’éducation de ceux qui se destinent à celte utile profession, a des rapports nécessaires et des bases communes avec le système militaire de tout le royaume. La France est partagée en 23 divisions militaires. On se trouve naturellement conduit à placer dans chacune de ces divisions une école militaire, qui s’appellera école de division, et sera commune à tous les départements dont se compose la même division. C’est là que les jeunes gens destinés au métier des armes, et auxquels le suppose l’instruction qu’on peut acquérir dans les écoles primaires et dans celles de district, trouveront les moyens d’étendre les connaissances que leur destination leur rend plus nécessaires. Ils ne seront admis dans ces écoles de division, ni avant l’âge de 14 ans, ni après l’âge de 16 ans. Ce qui fait une loi de cette double règle, c’est la nécessité de ne prendre les élèves qu’au moment où ils auront pu déjà parcourir les premiers degrés de notre échelle d’instruction, et l’avantage incontestable de les introduire dans la carrière militaire assez jeunes pour qu’ils puissent parvenir à tous les grades encore dans la force de l’âge, pour qu’ils ne soient pus atteints par la vieillesse dans ces postes où il faut, une jeune ardeur, et où ils languiraient sans gloire pour eux, sans utilité pour leur pays. Il est bon d’observer que ces différences d’âge et d’avancement qui condamnaient les uns à une torpeur décourageante, tandis que les caprices de la faveur et de la naissance assuraient aux autres une marche rapide et privilégiée, étaient précisément un de ces vices invétérés de l’ancienne administration, dont vous devez le plus soigneusement préserver à l’avenir cette profession. Le cours des études et exercices militaires sera de 4 années, dont 2 dans les écoles de division. On enseignera, par un mélange combiné de travaux sérieux et de distractions instructives, les premières connaissances militaires, le maniement des armes, les langues anglaise et allemande, le dessin, les éléments de mathématiques appliqués à l’art de la guerre, surtout la géographie et l’histoire. II est inutile de dire que ces jeunes citoyens devant diriger leur premier intérêt vers le pays qui les a vus naître, on leur donnera une idée plus ou moins développée des productions et des gouvernements des différentes parties du monde, suivant la nature des relations qu'elles ont avec nous; que la description géographique de la France sera l’objet particulier de leurs études sur cette matière, comme on placera antérieurement à tout des notions plus approfondies de notre Constitution, qui confirmeront et agrandiront celles qu’ils auront déjà pu recueillir dans les écoles primaires et de district. C’est à ce dernier genre d’instruction qu'il faut rapporter l’explication d’un catéchisme de morale sociale et politique, dans lequel seront exposés les droits et les devoirs de l’homme en société, ce qu’il doit à l’Etat, ce qu’il doit à ses semblables. De ces principes qui sont les bases fondamentales de la Constitution française, et de la nécessité de conserver l’action de tous les ressorts de la machine sociale, on déduira de nouveaux rapports, ceux des chefs est des subordonnés, rapports dérivant de la nature même des choses qui, loin de nuire à la liberté, à l’égalité, sont indispensables pour le maintien de l’une et de l’autre. Le véritable in-t;tuteur a toujours un but moral, une idée souveraine vers laquelle se dirigent toutes ses intentions. Celle qui ne doit jamais l’abandonner dans l'apprentissage de l’art militaire, c’est l’idée de la subordination, cette compagne naturelle de l’amour réfléchi de la liberté, cette première vertu du guerrier, sans laquelle un Etat n’aura jamais une armée protectrice. Il fera donc sortir de toutes les leçons de l’histoire et de tous les résultats de la réflexion, il rendra sensible à ses élèves, par les exemples comme par les raisonnements et par l’impression de l’habitude, la nécessité de cette subordination. Il les armera contre cet étrange abus du raisonnement, qui voudrai! présenter l’obéissance militaire comme en contradiction avec les principes de l’égalité ; comme si là spécialement où tous sont égaux, où tous ont concouru à la formation de la loi, tous ne devaient pas également obéir à ceux que la loi autorise à commander. Enfin, nos écoles militaires élèveront à la fois des citoyens libres, des soldats subordonnés, et par conséquent de bons chefs. Outre ces écoles de division, il y aura 6 grandes écoles militaires pratiques, qui seront placées aux frontières du royaume, dans les villes les plus considérables et les places de guerre les plus importantes, à Lille, Metz, Strasbourg, Besançon, Grenoble et Perpignan. Gomme ces grandes écoles ont un autre objet que les écoles de division, leur organisation sera nécessairement différente. Elles sont spécialement destinées à réaliser, par une pratique journalière, un genre d’instruction que la seule théorie laisse toujours imparfait, et à transporter parmi les habitudes de la première jeunesse les exercices et évolutions auxquelles elle est singulièrement propre, et tous les détails d’un régime actif et sévère, étranger aux arts d’agrément. Elles seront donc instituées sur le pied militaire, et, pour mieux remplir leur principal objet, qui est de former de bons officiers, elles serviront aussi à élever des soldats. Il sera entretenu dans chacune de ces 6 grandes écoles, des jeunes gens sains et bien constitués, de l’âge de 12 à 15 ans, qui seront nommés par départements en proportion de ce que chacun d’eux fournit communément de soldats à l’armée, et choisis de préférence parmi les enfants d’anciens soldats et les pauvres orphelins. C’est pour cette classe un établissement de bienfaisance, en même temps qu’un moyen d’insiruction plus parfaite pour ceux qui sont destinés au commandement. 11 sera de plus attaché à chaque grande école un certain nombre d’élèves tirés des écoles de division par la voie d’un concours, dont les formes seront prescrites; et à l’aide de cette épreuve, on fera sortir de ces grandes écoles [10 septembre 1191.} 462 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tous les sous-lieutenants de l’armée. Déjà l’on aperçoit la base sur laquelle s’élèvera tout le système de l’avancement militaire, qui n’appartient plus à mon travail; mats que j’ai dû vous montrer épuré, dans la source, de tous les anciens abus, et assurant l’exécution de ce grand acte de raison et de justice par lequel vous avez déclaré tous les citoyens admissibles à toutes les places et emplois. Je ne m’arrêterai point à tous les détails de ces établissements qui, par leur nature, se rapportent souvent à un autre ordre de choses, et doivent être renvoyés au système de l’organisation militaire. Je me bornerai à vous présenter quelques résultats, dont vous trouverez facilement les motifs dans vos principes, ou dans une utilité reconnue. Les grandes écoles seront établies dans un corps de caserne isolé, qui n’ait point de communication immédiate avec aucun autre. Le service intérieur s’y fera comme dans une place de guerre. Chaque école formera un régiment d’infanterie où les grades supérieurs offriront d’honorables retraites aux anciens officiers de troupes de ligne, en même temps que d’utiles exemples aux jeunes gens, et où ceux-ci seront distribués dans les différentes compagnies, soit comme élèves officiers, soit comme élèves soldats ; mais de manière que tous aient commencé leur apprentissage comme soldats, et aient passé successivement par tous les grades. Les élèves officiers et les élèves soldats recevront une instruction particulière et une instruction commune. On expliquera aux élèves officiers un traité de fortifications, les éléments de l’artillerie, toutes les parties du service et de l’administration militaire, et on perfectionnera en eux les différentes connaissances qu’ils auront pu acquérir aux écoles de division. On donnera aux élèves soldats la même instruction qui est prescrite pour les écoles primaire-. Tous les élèves, soit officiers, soit soldats, seront habituellement environnés et fortement pé-né'rés des idées simples de la morale, que les é.oles de division m’ont donné occasion d’indiquer, et qui recevront pour chacun un développement proportionné à son intelligence et à sa destination. Il en résultera que le premier apprentissage de l’art militaire, transporté à sa véritable place, dans le ressort de l’instruction publique, ne se fera plus comme autrefois dans les régiments qui ont droit d’exiger de ceux qu’ils reçoivent, �des connaissances préliminaires, et un service ( "réel et actif. Et notre système complet sera tel i dans son ensemble et dans ses différentes bran-! elles, que les citoyens verront la carrière des / places militaires ouverte à tous également ; que i les officiers, comme les soldats, apprendront leurs ] devoirs de citoyens, en même temps que leurs | devoirs de guerriers; et qu’enfin la société en-j tière, en s’acquittant envers ses membres de la | dette sacrée d’une bonne éducation, multipliera \ tout à la fois ses moyens de défense contre ses { ennemis, et ses motifs d’une juste confiance en V,ses défenseurs. INSTITUT NATIONAL. Lorsque les écoles primaires des cantons et les collèges des districts et des départements seront organisés, on aura préparé 1 instruction de l’enfance, de la jeunesse, et même celle d’une partie des fonctionnaires publics; mais il faudra pourvoir encore aux progrès des lettres, d s sciences et des arts. Il faudra terminer Fédueation de ceux qui se destinent spécialement à leur culture. Nous proposons dans cette vue l’établissement d’un institut national, où se trouve tout ce que la raison comprend, tout ce que l'imagination sait embellir, tout ce que le géuie peut éteindre ; qui puisse être considéré, soit comme f un tribunal où le bon goût préside, soit comme \ un foyer où les vérités se rassemblent; qui lie, s-par des rapports utiles, les départements à la capitale et la capitale aux départements; qui, par un commerce non interrompu d’essais et de recherches, donne et reçoive, répande et recueille toujours ; qui, fort du concert de tant de volontés, „ riche de tant de découvertes et d’applications nouvelles, offre à toutes les parties des sciences et des lettres, de l’économie et des arts, des perfectionnements journaliers; qui, réunissant tous les hommes d’un talent supérieur en une seule et respectable famille par des correspondances multipliées, par des dépendances bien entendues, attache tous les établissements littéraires, tous les laboratoires, toutes les bibliothèques publiques, toutes les collections, soit des merveilles de la nature, soit des chefs-d'œuvre de l’art, soit des monuments de l’histoire, à un point central, et qui de tant de matériaux épars, de tant d’édifices isolés, forme un ensemble imposant, unique, propre à faire connaître au monde et ce que la philosophie peut pour la liberté, et ce que la liberté reconnaissante rend d’hommages à la philosophie. Pour que ce projet ait son entière exécution, l’Institut doit embrasser tous les genres de connaissances et de savoir. Jugeons, par ce que l’esprit humain a fait, de ce qu’il est capable de faire encore; examinons ce qu'il est, ce qu’il peut être, et que ses facultés nous apprennent à satisfaire à ses besoins. Programme des sciences philosophiques , des belles-lettres et des beaux-arts. L’homme sent, il pense, il juge, il raisonne, il invente; il communique ses idées par des gestes, par des sons, par des discours écrits ou prononcés; il communique ses affections par l’harmonie des vers, des sons, des formes et des couleurs; il les consacre paF des monuments; il recherche quelle est la nature des être3, ce qu’il est lui-même, ce qu’il doit, ce qu’on lui doit, ce qu’il peut et ce qu’il fut. Programme des sciences mathématiques et physiques et des arts mécaniques. Vu sous d’autres rapports, l’homme sait calculer les nombres et mesurer l’étendue. Quatre grands moyens lui ont dévoilé la connaissance des corps; l’observation qui suffît à leur histoire, l’expérience qui en a découvert le mécanisme, l’analyse et la synthèse qu’il invoque pour en approfondir la composition intime. A l’aide de ces moyeos, il considère dans la matière ses propriétés générales, ses états divers, le mouvement et le repos; dans l’atmosphère, son poids, sa température, ses balancements et ses météores ; dans les sons, leur intensité, leur vitesse, leur mé- 463 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES < [10 septembre 1791.] lange et leur harmonie; dans la chaleur, sa communication et ses degrés; dans l’électricité, ses courants, son équilibre, ses chocs et ses orages; dans la lumière, sa propagation et ses couleurs; dans l’aimant, son attraction et ses pôles; dans le ciel, les astres dont les phénomènes lui sont connus; sur la terre, les minéraux qu’il recueille, les métaux qu’il prépare, les végétaux qu’il classe, dont il examine les organes et les produits; les animaux dont il étudie les formes, les mœurs, la structure, les éléments, la vie et la mort, la santé et les maladies; les champs qu’il cultive, les chemins qu’il ouvre, les canaux qu’il creuse, les villes qu’il élève et qu’il fortifie, les vaisseaux dont il se sert pour communiquer avec les deux mondrs, les forces combinées qu’il oppose à ses ennemis, et les arts nombreux qu'il inventa pour plier la nature à ses besoins. Celui qui se place au milieu de cette immensité ne sait où reposer sa vue. Partout ce sont des foyers de lumière, et l’œil s’étonne également de ce qu’il voit en masse et de ce qu’il aperçoit en détail. Ce sont ces trésors de la plus haute instruction qu’il importe de ranger dans le meilleur ordre, et que la nation doit ouvrir à tous ceux qui sont en état d’y puiser. Quoiqu’il n’existe pas de tableau aussi complet des connaissances humaines, nous sommes bien loin, en vous proposant d’adopter ce travail, de vouloir mettre des bornes au génie des découvertes, en traçant autour de lui le cercle compressif de la loi. Nous avons voulu seulement disposer avec ordre toutes nos richesses, et imiter les naturalistes qui, pour aider notre faible mémoire, ont classé tous les trésors de la nature, sans prétendre ni la borner, ni l’asservir. Ainsi, notre travail est composé de deux parties ; l’histoire de l’homme moral y contraste avec celle de l’bômme physique; les sciences purement philosophiques marchent à côté des scieuces d’observation ; les beaux-arts terminent la première série, comme les arts mécaniques se trouvent à la fin de la seconde. Partout les masses principales se correspondent dans ces deux grandes divisions : dans la première, tout est rationnel, philosophique, littéraire; dans la seconde, tout est soumis à la précision de l’expérience. Dans l’une comme dans l’autre, la raison a besoin d’être forte. La mémoire, aidée d’une bonne méthode, classera des objets nombreux, et l’imagination trouvera, soit dans les inspirations de l’éloquence, soit dans la haute théorie du calcul, soit dans les découvertes de la physique, soit dans les inventions des arts , cet aliment qui lu nourrit et la dispose aux grandes conceptions. Avant notre époque, les établissements relatifs aux progrès des lettres, des sciences et des arts, n’étaient point d’accord entre eux; ils n’avaient point été disposés pour s’aider mutuellement, pour se correspondre; les préjugés y dominaient, la naissance osait remplacer le savoir et le talent. Maintenant que toute illusion a cessé, il faut briser les formes discordantes de ces établissements divers, et les fondre en un seul où rien ne blesse les droits de l’égalité et de la liberté, auquel nous puissions ajouter ce qui manque aux premières institutions, et d’où ce qui ne tient qu’à un vain luxe, soit scrupuleusement banni. Dans un moment où tant de débris dispersés d’abord, changés bientôt en matériaux, étonnent par la place qu’ils occupent dans des constructions jusqu’à présent inconnues parmi nous, dans un moment où tant de ressorts se meuvent pour la première fois, au milieu de toutes les inquiétudes qui agitent les esprits, serait-il prudent d’abandonner au hasard des circonstances le sort des sciences, des lettres et des arts? N’est-ce pas lorsque tant d’idées, tant de lois, tant de fonctions sollicitent des expressions nouvelles, lesquelles demandent toutes à être inscrites dans le vocabulaire de la langue française, qu’il faut l’enrichir sans cependant le surcharger? N’est-ce pas lorsque, sur nos théâtres, la scène s’étend à tous les états, à toutes les situations de la vie, et lorsqu’on se prêtant ainsi à toutes les formes, il est à craindre quelle ne dégénère par cela même qui doit contribuer à l’agrandir? N’est-ce pas lorsque les orateurs de nos tribunes nationales doivent réfléchir longtemps encore sur le genre d’éloquence qui convient à leurs discours, lorsque la chaire elle-même offre un champ nouveau, et que, dans les tribunaux comme ailleurs, ce n’est plus l’ancien langage qui peut être entendu ; n’est-ce pas alors que les hommes les plus exercés dans la connaissance du beau, que ceux dont le goût est le plus sûr, doivent se réunir pour traiter de ces nouvelles convenances, et pour diriger dans toutes ces routes la jeunesse impatiente de les parcourir ? N’est-ce pas lorsque, pour la première fois, on va enseigner la morale et la science du gouvernement, que les maîtres les plus habiles doivent unir leurs efforts? Et ne convient-il pas que ces premières écoles soient dirigées, non par un seul, mais par tous ceux qui excellent dans cette belle application des vérités dont la philosophie a fait présent au genre humain ? N’est-ce pas, lorsque l’histoire va être lue et surtout écrite dans un nouvel esprit; lorsque les beaux-arts, naturellement imitateurs, doivent s’embellir de l’éclat de leur patrie; lorsque les sciences vont être invoquées de toutes parts ; lorsque le charlalanisme qui, dans les Etats libres, est toujours plus entreorenant, aura besoin d’être fortement reprimé; lorsqu’il importe à l’accroissement du commerce et de la richesse nationale, que les arts se perfectionnent; n’est-ce pas alors que tous ies citoyens connus par leurs talents dans ces divers genres, doivent être invités à réunir leurs efforts pour remplir ces vues utiles et pour achever cette partie de la régénération de l’Etat? En France, on désire, on recherche, on honore même les lumières ; mais on ne peut disconvenir qu’elles ne sont pas encore assez répandues pour qu’on puisse confier à la liberté seule le soin de leur avancement. Il est du devoir de la nation d’y veiller elle-même; il faut donc, par un établissement nouveau, ramener toutes nos connaissances et tous les arts à un centre commun de perfectionnement; il faut y rappeler de toutes les parties de l’Empire le talent réel et bien éprouvé; il faut que de chaque département, et aux frais de la nation, une quantité d’élèves choisis, et ne devant leur choix qu’à la seule supériorité reconnue de leur talent, viennent y compléter leur instruction. Nous sommes bien loin toutefois de nous opposer aux associations littéraires et aux autres établissements de ce genre, ni d’astreindre aucun individu à suivre telle route dans son éducation privée ou ses méthodes d’enseignement. Le talent s’indigne quelquefois de la marche didactique et réglementaire qu’on voudrait lui imposer; et vous donnerez une preuve de plus de votre amour pour la liberté, en la respectant jusque dans ses bizarreries et ses caprices. En s’occupant de la formation de l’institut national, on se demande d’abord s’il sera divisé en un grand nombre de sections distinctes et sépa- 464 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] rées. L’existence d’une des plus illustres académies nous parait répondre complètement à cette question. U Académie des sciences embrasse toutes les branches de l’histoire naturelle et de la physique, avec l’astronomie, et ce que les mathématiques ont ne plus transcendant; et l’expérience de plus d’un siècle a prouvé que tant de parties différentes peuvent non seulement être traitées ensemble et dans les mêmes assemblées, mais qu’il y a dans cette réunion un grand avantage, en ce que l’esprit de calcul et de méthode s’étant communiqué à toutes les classes de l’Académie, chacun se trouve forcé d’être exact dans ses recherches, clair dans ses énoncés et serré dans ses raisonnements : qualités sans lesquelles on ne peut ni faire une expérience, ni déduire des résultats des observations qu’on a recueillies. On peut répondre aussi à ceux qui demanderaient que l’instiiut lût divisé en un grand nombre de sections, que les sciences s’enchaînent toutes, qu’elles se prêtent un mutuel appui, et qu’on les voit chaque jour s’identifier en quelque sorte en se perfectionnant. Loin de nous donc cetie manie de diviser, qui détruit les liaisons, les rapports, qui coupe, qui isole, qui anéantit tout. \j Un tableau présentera les sciences physiques et les aris rangés dans une seule section en 10 classes, qui comprennent : 1° les mathématiques et la mécanique; 2° la physique; 3° l’astronomie ; 4° la chimie et la minéralogie; 5° la zoologie et l’anatomie, 6° la botanique; 7° l’agriculture; 8° la médecine, la chirurgie et la pharmacie ; 9a l’architecture sous le rapport de la construction; 10° les arts. Les objets dont les  4 dernières classes doivent s’occuper, étant très étendus et ayant besoin d'une longue suite d’essais d’un genre qui leur est propre, il nous a semblé que chacune d’elles devait se réunir en particulier, en admettant à ses séances seulement celles des autres classes qui ont des rapports immédiats avec ses travaux. Par exemple, la classe de médecine et de chirurgie appellera à ses assemblées les anatomistes, les chimistes et les botanistes qui sont distribués dans les premières classes de la secion des sciences physiques. Les botanistes seront encore appelés par la classe d’agriculture; les géomètres le seront parcelle de construction, et les mécaniciens par celle des arts. Ces classes surajoutées suffiront pour communiquer à celles qui s’assembleront séparément, l’esprit qui animera les premières, et cependant, celles-ci continueront de marcher ensemble, parce qu’il est impossible de rien changer, sous ce rapport, dans leur combinaison qu’on doit regarder comme un modèle. Quoique séparées dans leurs séances ordinaires, les 4 dernières classes suivraient les mêmes usages que les premières; elles obéiraient aux mêmes règlements et aux mêmes lois; les résultats de leurs recherches seraient réciproquement communiques entre elles, et leurs assemblées publiques se tiendraient en commun. Gomme il ne doit y avoir qu’une seule section pour les sciences physiques et les arts, il ne doit y en avoir qu’une aussi pour les sciences morales et philosophiques, pour les belles-lettres et pour les beaux-arts. L’histoire ne peut être séparée ni de la morale, ni la science du gouvernement. El pourquoi rangerait-on à part les belles-lettres qui se mêlent avec tant de charme aux discussions les plus sérieuses? C’est elles qui donnent aux écrits des philosophes cet intérêt de style sans lequel on a difficilement des lecteurs, et elles trouveront elles-mêmes, soit dans les annales de l’histoire, soit dans les ouvrages des législateurs, des rapprochements inattendus, des vues hardies, une instruction solide, dont l’éloquence peut faire l’usage le plus noble et le plus utile. Certes, la science de la grammaire, qui ne doit être étrangère à aucun homme de lettres, et les préceptes de l’éloquence sont moins éloignés de l’étude de l’histoire et de la morale, ou, si l’on veut, de la science du gouvernement, que la chimie ne l’est de l’astronomie, ou que l’étude des plantes ne l’est de celle des mathématiques. Les personnes qui cultivent les sciences philosophiques et les belles-lettres peuvent donc être rassemblées dans les mêmes séances; et puisque cette réunion est possible, il faut qu’elle ait lieu ; car, c’est en séparant les hommes en de petites associations, qu’on voit leurs prétentions s’accroître, et l’esprit de corps, si opposé à l’esprit public, créer pour eux des intérêts différents de ceux que le bien général indique. \i La section des sciences philosophiques, desbelles-lettres et des beaux-arts, qui compose l’autre division de notre tableau, est, comme celle des sciences physiques et des arts, divisée en 10 classes, qui comprennent: 1° la morale; 2° la science du gouvernement; 3° l’histoire ancienne et les antiquités ; 4° l’histoire et les langues modernes ; 5° la grammaire; 6° l’éloquence et la poésie; 7° la peinture et la sculpture; 8° l’architecture, sous le rapport de la décoration et des beaux-arts; 19° la musique; 10° l’art de la déclamation. » Les 6 premières classes, dans cette section, comme dans celle des sciences physiques, tiendront des séances communes, et les 4 dernières se réuniront chacune séparément, en admettant à leurs assemblées celles des autres classes dont les recherches seront analogues à leurs travaux. Ainsi, les peintres trouveront à s’instruire dans le commerce des poètes, des historiens et dans celui des amateurs de l’antiquité. Les élèves dans l’art de la déclamation recevront des conseils utiles de la part des auteurs dramatiques les plus exercés. Cette réciprocité de service pourra même s’étendre de la section des sciences physiques à celle des belles-lettres. Les peintres, par exemple, auront besoin des lumières des anatomistes qui appartiennent à la cinquième classe de la seconde section. L’institut, renfermant tous les genres de savoir, oifrira aussi tous les genres de secours à ceux qui viendront les invoquer. Jusqu’ici nous avons présenté l’institut comme divisé en deux grandes sections; mais, sous un autre aspect, ces deux sections réunies formeront un grand corps représenté par un comité central , auquel chacune des 20 classes enverra un député qui stipulera pour les intérêts de tous. Ce comité surveillera l’exécution des lois de l’institut, et s’occupera principalement de ce qui Concerne son administration. j On se tromperait si l’on regardait l’institut national comme devant être concentré dans Paris. Ses nombreuses dépendances se répandront dans les départements; les différentes branches des sciences physiques, qui comprennent la géographie, la navigation, l'art militaire, l’architecture, itinéraire et hydraulique, la métallurgie, l’agriculture et le cummerce, auront leur foyer principal dans les ports, dans les places, dans les villes de guerre, près des mines, soit en France, soit même dans les pays étrangers, sur les sols me diverse nature, et dans les ateliers des arts. Ainsi la classe de peinture et de sculpture continuera d’avoir un collège à Rome. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] , 465 Ainsi la classe des antiquités orientales pourrait en avoir un à Marseille. Ainsi des voyageurs français, choisis par les - différentes classes parcourront le globe, soit pour le mesurer, soit pour en connaître la composition et la structure, pour en étudier les productions, pour en observer les habitants et rassembler les connaissances qui peuvent être utiles aux hommes. \J Le véritable but de l’institut national étant le perfectionnement des sciences, des lettres et des arts, par la méditation, par l'observation et par l’expérience, il ne saurait s’établir trop de com-munications entre le public et les différentes classes qui le composent. L’institut correspondrait avec les départements pour tout ce qui serait relatif à l’éducation, à l'enseignement et aux nombreux travaux sur lesquels des savants de divers genres peuvent être consultés. Les assemblées des différentes classes de l’institut seraient ouvertes à ceux qui désireraient y lire des mémoires, y présenter des ouvrages, et demander des conseils pour se diriger dans leurs recherches. L’institut communiquerait encore avec le public par les ouvrages qu’il ferait paraître, et par les essais de divers genres qu’il multiplierait sous ses yeux. V Enfin rinstitut serait enseignant. Il est une classe maintenant très nombreuse d’hommes entièrement voués à l’étude des lettres, des sciences et des arts, qui, après être sortis des collèges, ont besoin de l’entretien et des conseils des grands maîtres: ils demandent qu’on leur enseigne ce que la philosophie a de plus abstrait, ce que les mathématiques offrent de plus savant, ce que l’expérience a de plus difficile, ce que le goût a de plus délicat ; c’est dans le sein de l’institut qu’on doit trouver naturellement de telles leçons. L’institut doit donc être enseignant ; et ce nouveau rapport d’utilité publique formera l’un de ses principaux caractères. Cette fonction ne nuira point à celles que déjà nous lui avons attribuées. Les séances tenues par l’institut seront essentiellement séparées de l’enseignement dont il s’agit; et cet enseignement lui-même, quoique très distinct des assemblées, n’en sera pourtant en quelque sorte qu’une extension ; car les professeurs élus en nombre suffisant par U s classes feront connaître, dans leurs leçons, non la partie élémentaire de la science ou de l’art, mais ce qui tiendra de plus près au progrès, au perfectionnement de l’une ou de l’autre ; ce qui pourra servir en un mot de complément à l’instruction, de sorte que, pour ce genre d’enseignement, ce ne serait peut-être pas, comme pour l’enseignement élémentaire, celui qui s’exprimerait avec le plus de netteté sur la science, mais celui qui aurait le plus fait pour elle et qui laisserait le plus à penser aux élèves, qu’il faudrait choisir. Jusqu’à ce jour, ud assez grand nombre de chaires établies à Paris, soit au collège royal, soit au jardin des plantes, soit au collège de Navarre et des Quatre-Nations, soit au Louvre, étaient destinées à l’enseignement des sciences naturelles et philosophiques et à celui de quelques-unes des parties des belles-lettres et des beaux-arts; mais il n’y avait entre ces différentes chaires, non plus qu’entre les divers corps académiques, ni liaison, ni harmonie. Différentes autorités, quelquefois très opposées entre elles, dirigeaient ces établissements, et nulle part on lr* Série. T. XXX. n’avait senti que cette sorte d’enseignement dût s’exercer, non sur les premiers principes, mais sur les difficultés à vaincre : or, cependant, il n’est presque aucune des principales divisions des connaissances humaines qui ne doive être enseignée dans les collèges de district ou de département. Il ne faut donc pas que les professeurs de l’institut répètent ce qui aura été dit longuement ailleurs. Ils n’oublieront jamais que c’est à l’avancement de la science qu’ils seront destinés, ainsi que l’institut dont ils feront partie. Toutes les chaires fondées au collège royal, au jardin des plantes, etc., doivent donc disparaître, parce que, telles qu’elles sont, la plupart n’entreraient point dans le plan de l’institut où ces chaires se retrouveront sous une autre forme. Mais, pour que l’institut fasse tout le bien que la nation doit en attendre, il faut que chacune des classes qui le composent, possède les moyens de donner à ses travaux toute la perfection dont ils sont susceptibles. Les unes auront besoin d’un laboratoire, d’une collection d’instruments, de machines, de modèles; aux autres il faudra un jardin, un champ, une ménagerie, un troupeau: toutes réclameront les secours des grandes bibliothèques et une imprimerie riche en caractères de tous les genres : toutes désireront qu’une correspondance active leur apprenne quel est dans les pays étrangers l’état des sciences, des lettres et des arts; que tous les ouvrages curieux, que les instruments, que les machines nouvelles qui les intéressent leur soient communiqués, après qu’ils auront été inscrits sur le catalogue de la collection à laquelle ils devront appartenir, et qu’un nombre suffisant d’interprètes soit chargé de traduire ceux de ces écrits dont on croira que les connaissances seraient les plus utiles à répandre. Ainsi organisées, les classes de l’institut auront des rapports avec les divers établissements qui seront analogues à leurs travaux. Le jardin des plantes dépendra des classes de botanique et d’agriculture; le Muséum , de celle d’histoire naturelle et d’anatomie; les collections de machines, de celle de mécanique et des arts; le cabinet de physique appartiendrait à la classe de physique expérimentale; l’école des mines serait dirigée conformément aux vues de la classe de chimie; les collections d’antiques et de médailles le seraient par celle d’histoire, et les galeries de tableaux, de statues, de bustes et l’école gratuite de dessin le seraient par les classes des beanx-arts; les bibliothèques seraient une dépendance commune à toutes les classes de l’institut qui, formé de cette manière, présenterait une sorte d’encyclopédie toujours étudiante et toujours enseignante ; et Paris verrait dans ses murs le monument le plus complet et le plus magnifique qui jamais ait été élevé aux sciences. Pour s’assurer que le choix des membres et des professeurs de l’institut serait toujours déterminé par la justice, il serait ordonné aux classes qui auraient fait ou proposé ces élections, d’en rendre publics les motifs, en les adressant à ta législature. Encore quelques réflexions pour répondre à toutes les questions qui pourraient être faites. 1° Lorsque nous avons dit que les professeurs de l’institut national n’enseigneraient pas les éléments des sciences et des arts, mais ce que leur étude offre de plus difficile et de plus élevé, nous avons établi un principe général qui souffre quelques exceptions dans notre plan. Ges exceptions ont lieu lorsqu’il s’agit d’une science ou d’un art qui n’est enseigné ni dans les écoles pri-30 466 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1*791.1 maires, ni dans celles de district, ni dans celles de departement ; et lorsqu’il importe que cet enseignement se fasse d’une manière complète dans une école qui, étant unique, nous a paru devoir être annexée à l’institut. Telles sont les classes des beaux-arts, et celle d’architecture considérée sous le rapport de la construction. 2° L’architecture décorative est essentiellement liée aux beaux-arts, parmi lesquels ou la trouvera rangée dans notre tableau. Mais la réunion des moyens qui peuvent donner aux constructions de la stabilité, de la durée, et les rendre propres à remplir l’objet de leur destination, tient surtout aux sciences mathématiques et physiques. Il s’agit en effet dans ces divers travaux, ou de la science des formes, ou de celle de l’équilibre et du mouvement. La science des formes comprend toutes les recherches géométriques au moyen desquelles on considère des corps, des surfaces et des lignes dans l’espace. La plupart de ces dimensions n’étant point susceptibles d’être tracées sur une surface plane, il faut les représenter d’une manière artificielle, c’est-à-dire, parleur projection, et pouvoir, lorsqu’on les exécute, revenir des projections à la courbe réelle. Les personnes de l’art les plus instruites conviennent qu’il n’existe point d’ouvrage complet sur cette maiière tout à fait géométrique. Il est donc à désirer qu’elle devienne l'objet d’une étude suivie et celui d’un enseignement qui lui soit particulièrement destiné. La science du mouvement et de l’équilibre, prise dans l’aecepiion la plus étendue, peut être considérée comme la collection d’autant de sciences particulières qu’il y a d’objets principaux auxquels elle peut être appliquée. L'enseignement de la partie de la mécanique qui est relative à la construction ne peut donc pas être confondu avec renseignement abstrait et indéterminé de la mécanique en général, et il faut que l’application en soit confiée à un homme très versé dans ces 2 genres d’étude. Il sera facile aux élèves de réunir les leçons sur la partie décorative à celles dont la classe de construction sera spécialement occupée. Ainsi l’espèce de séparation qu’oflre notre tableau à l’article de l’architecture, ne peut avoir aucun inconvénient réel, puisque, dans le fait, les étudiants peuvent ta regarder comme n’existant pas, et se coiiuuire en conséquence. 3° D( ux chaires nous ont paru devoir suffire, vu l’état actuel des connaissances, pour l’enseignement de l’agriculture : l’une comprendra tout ce qui a rapport aux eaux, aux terres, à leurs produits et aux animaux ; l’autre, ce qui est relatif aux bâtiments et aux instruments aratoires. Ces chaires nous ont semblé devoir être établies dans les villes, soit parce que l’agriculture ne peut faire de grands progrès sans le secours des autres sciences que l’on y cultive également, soit parce que les auditeurs que l’on peut espérer d’y avoir seront plus en état d’entendre ces sortes de leçons et d’en profiter. Ces auditeurs seront principalement des propriétaires aisés et instruits, dont le nombre va augmenter par le nouvel ordre de choses, et ceux qui se destinent aux fonciious curiales, qui, parla nature de leur ministère, peuvent mieux que tous autres propager des vérités agricoles. Deux chaires d'économie rurale et domestique pourraient d’abord être établies au jardin des plantes. Une partie de ce jardin serait destinée à la formation d’uneécole de botanique économique, en même temps qu’un terrain, situé près de Paris, et qui dépendrait du jardin des plantes, servirait aux travaux combinés des classes de botanique et d’agriculture. Le professeur ferait connaître les divers produits qu’on retire des végétaux que le laboureur cultive. Il aurait à sa disposition un local où seraient élevés des animaux domestiques ; et les instruments agraires seraient confiés à sa garde. Il paraîtrait prudent de sonder d’abord ces deux chaires à Paris, et l’on jugerait, par leur succès, s’il serait convenable d’en établir de pareilles dans les principales villes du royaume. Le département de la Corse, dont le sol varié offre la réunion de tous les sites et de tous les climats, pourra former divers jardins d’essai pour la culture des végétaux qu’il serait utile d’acclimater en France. 4° La huitième classe de la section des sciences réunira les objets dont la société de médecine et l’académie de chirurgie ont fait jusqu’ici leur principale étude. Dorénavant ces deux établissements n’en formeront qu’un. La classe qui résultera de leur réunion, aura besoin d’un hôpital où se feront les observations, et qui sera desservi, pour le traitement des malades, par les membres mêmes de la classe dont il s’agit. Les nouvelles méthodes y seront tentées avec toute la prudence nécessaire ; et les résultats des expériences qui auront été faites seront toujours mis sous les yeux du public. Les trois chaires que nous avons annexées à la classe de médecine diffèrent de celles qui font partie -des collèges. Deux de ces chaires sont relatives aux soins que demandent les hommes atteints d’épidémie, et les animaux attaqués d’épizootie. Le but de la troisième chaire est d’instruire dans l’art de secourir les hommes dont la vie est menacée par quelque danger pressant et imprévu. Telles sont les personnes noyées et asphyxiées, celles dont les membres sont gelés, celles qu’un animal enragé a mordues, etc. A cet article se rapporteront les nombreux objets de salubrité publique, qui, considérés d’une manière expérimentale, doivent tous faire partie de cet enseignement. Nous proposons encore que ce professeur soit chargé de faire chaque année un cours sur les maladies des artisans, comme celles auxquelles sont sujets les doreurs, chapeliers peintres, mineurs, etc. Ce que la classe de médecine fera encore de très utile sera de correspondre avec les directoires sur tout ce qui concerne la santé du peuple, de recueillir l’bisloire médicale des armées et celle des maladies populaires, de faire connaître leur origine, leur accroissement, leur communication, leur nature, leurs changements, leur fin, leur retour, et la manière dont elles se succèdent. Ces annales seront un des plus beaux et des plus utiles ouvrages qu’aient exécuté les hommes ; 5° Que la médecine et la chirurgie des animaux doivent être réunies à la médecine humaine, c’est une proposition qui n’a besoin que d’être énoncée pour qu’ou ea reconnaisse la vérité. Les grands principes de l’art de guérir ne changent point; leur application seule varie. Il faut donc qu’il n’y ait qu’uu genre d’école, et qu’après y avoir établi les bases de la science, on cherche, par des travaux divers, à eu perfectionner toutes les parties. Ainsi, la classe de médecine s’occupera aussi du progrès de l’art vétérinaire, et les établissements qui auront cet 467 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] avancement pour objet seront dirigés de manière qu'il lui soit facile de multiplier les essais qui tendront à ce but désirable; 6° La botanique a été jusqu’ici en France la seule partie de l’histoire naturelle pour laquelle on ait fondé des chaires, et ordonné des voyages. La connaissance des animaux est cependant plus près de nous que celle des plantes. Les chaires que nous proposons d’annexer à la classe de zoologie et d’anatomie sont d’une création tout à fait nouvelle. Nulle part on n’a encore démontré méthodiquement la structure tant extérieure qu’intérieure des nombreux individus qui composent le règne animal. Ces leçons ne seraient pas seule-lement curieuses ; les produits d’un grand nombre d’animaux servent à la médecine et aux arts. Plusieurs sont venimeux, et les parties qui préparent ou qui communiquent le poison, sont importantes à connaître. Enfin, la comparaison des organes doit fournir des résultats nouveaux, des découvertes dont la physique animale saura faire son profit. 7° Ce ne seront pas seulement les chaires nouvelles qui rendront l’institut recommandab'e, ce seront encore celles qui, sans avoir tout à fait le mérite de la nouveauté, par des mesures bien concertées, deviendront infiniment plus utiles qu’elles ne l’étaient auparavant. Jusqu’à ce jour, nulle surveillance réelle n’a répondu de l’exactitude des professeurs : dans notre plan, chaque classe sera chargée du choix et de l'inspection des maîtres qui lui appartiendront : et lorsque plusieurs enseigneront la même partie, comme les mathématiques, par exemple, ils se concerteront tellement entre eux, qu’en alternant, l’un commence lorsque l’autre finira. Ainsi les élèves trouveront chaque année un cours ouvert, et ils ne seront jamais retardés dans leurs études. En réunissant ces chaires éparses à un point central, en y en ajoutant de nouvelles qui ne laissent sans enseignement aucune partie deslettr< s, des sciences ei des arts, en faisant ainsi servir l’éducation publique à l’institut national dont les leçons fourniront le complément, on fera tout ce qu’il est possible de faire pour le développement de l’esprit et le progrès des connaissances, et l’on rend a inébranlables les bases sur lesquelles se fonde et se perpétue la liberté publique. Nous ajouterons que les dépenses nécessaires pour mouvoir celte immense machine, surpasse-rontà peinecellesque le gouvernement a destinées jusqu’ici à l’entretien des divers établissements auxquels l’institut doit réunir tant de créations , nouvelles. Des tableaux joints à ce rapport présentent la suite de nos idées sur l’enchaînement des connaissances humaines, et sur les attributions que nous croyons devoir être faites aux sections et aux classes de l’institut. Voici l’ordre des tableaux annexés à ce rapport : 1° Programme des sciences philosophiques, des belles-lettres et des beaux-arts ; 2° Programme des sciences mathématiques et physiques et des arts; 3° Section première de l’institut national, comprenant les sciences philosophiques, les belles-lettres et les beaux-arts, divisée en 10 classes. On y trouve le développement de tout ce qui est relatif aux 6 premières classes qui doivent tenir des séances communes; 4° Tableau de la 7e classe de la section première, comprenant la peinture ; 5° Tableau de la 8e classe de la section première, comprenant l’architecture décorative; 6° Section seconde de l’institut national, comprenant les sciences mathématiques et physiques, et b s arts mécaniques, divisés en 10 cla-ses. On y trouve le développement de tout ce qui est relatif aux 6 premières classes qui doivent tenir des séanc‘ s communes; 7° Tableau de la septième clause de la section seconde, comprenant 1’aariculture ; 8° Tableau de la huitième classe de la section seconde, comprenant la médecine, la chirurgie et la pharmacie ; 9° Tableau de la neuvième classe de la section seconde, comprenant l’architecture sous le rapport de la construction. Nota. -—Nous n’avons point présenté le tableau de plusieurs classes nouvelles, parce que ces classes n’étant que des dépendances de quelques-unes des sections de l’institut, elles ne pourront être organisées qu’après qu’on aura pris connaissance des plans qui seront fournis par ses sections. C’est ainsi que la classe des arts ne sera formée qu’après avoir consulté la seconde section de l’institut. MOYENS D’INSTRUCTION. Nous venons de parcourir les divers objets qui composeront l’instruction publique, et déjà bon a dû voir qu’ils ne peuvent tous être placés sur la même ligne; que plusieurs tiennent aux premières lois de la nature, applicables à toute société qui marche vers sa perfection; que d’autres sont une conséquence immédiate de la Constitution que la France vient de se donner ; que d’autres enfin sont relatifs à l’état actuel, mais véritable, des progrès et des besoins de l'esprit humain : d’où il résulte qu’ils ne doiyeut pas être indistinctement énoncés dans vos décrets, avec ce caractère d’immutabilité qui n’appartient qu’à un petit nombre. Dans cette distribution d’objets on retrouve l’empreinte d’une institution vraiment natio-v nale, soit parce qu’ils seront déterminés et coordonnés conformément au vœu de la naiion, soit surtout parce qu’il n’en est aucun qui ne tende directement au véritable bui d’une nation libre, le bien commun né du perfectionnement accéléré de tous les individus ; mais c'est particulièrement dans les moyens qui vont être mis en activité, que ce caractère national doit plus fortement s’exprimer. A la tête de ces moyens doivent incontestablement être placés les ministres de l'instruction. Nous nous garderons de chercher à les venger ici de ce dédain superbe et protecteur dont ils furent si longtemps outragés; une semblable réparation serait elle-même un outrage, et certes il faudrait que l’esprit public fût étrangement resté en arrière, si nous étions encore réduits à une telle nécessité. Sans doute, ceux qui dévouent à la fois et leur temps et leurs facultés au difficile emploi de former des hommes utiles, des citoyens vertueux, ont des droits au respect et à la reconnaissance de la nation; mais, pour qu’ils soient ce qu’ils doivent être, il faut qu’ils parvi nnent à ces f motions par un choix libre et sévère. Il convient donc qu’ils soient nommés par ceux-là mêmes à qui le peuple a remis la surveihance de ses intérêts domestiques les plus chers, et que leurs relations journalières mettent plus à portée de connaître et d’apprécier les hommes dans leurs mœurs et dans leurs talents. Il faut que ce choix ne puisse jamais s’éga- 468 [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791. \ rer : il importe donc qu’il soit dirigé d’avance Far des règles qui, en circonscrivant le champ de éligibilité, rendront l’élection toujours bonne, toujours rassurante, et presque inévitablement la meilleure. Il faut, pour qu’ils se montrent toujours dignes de leurs places, qu’ils soient retenus par le danger de la perdre; il importe donc qu’elle ne soit pas déclarée inamovible. Mais il faut aussi, pour qu’ils s’y disposent courageusement par d’utiles travaux, qu’ils aient le droit de la regarder comme telle : il est donc nécessaire que leur déplacement soit soumis à des formalités qui ne soient jamais redoutables pour le mérite. Enfin, il faut que la considération, l’aisance et un repos honorable soient le prix et le terme de tels services : il est donc indispensable que la nation leur prépare, leur assure ces avantages, dont la perspective doit les soutenir et les encourager dans cette noble, mais pénible carrière. L’institution des maîtres de l’enseignement, réglée suivant ces principes, offre la plus forte inhabilité qu’il s’ensuivra une multitude de ons choix ; et cette probabilité ira de jour en jour en croissant : car, si les instituteurs sont destinés à propager l’instruction, il est clair que l’instruction, à son tour, doit créer et multiplier les bons instituteurs. Ce premier objet se trouverait incomplet, si vous ne le réunissez, dans votre surveillance, à ce qui concerne les ouvrages que le temps nous a transmis, et qu’on doit aussi regarder comme les instituteurs du genre humain. Comment, pour le bien de l’instruction, rendre plus facilement et plus utilement communicatives toutes les richesses qu’ils renferment? Cette question appartient essentiellement à notre sujet; et, sous ce point de vue, l’organisation des bibliothèques nous a paru devoir être placée dans l’ordre de notre travail, à côté des maîtres de l’enseignement. Vous venez de recouvrer ces vastes dépôts des connaissances humaines. Cetle multitude de livres perdus dans tant de monastères, mais, nous devons le dire, si savamment employés daus quelque-uns, ne sera point entre vos mains une conquête stérile ; pour cela, non seulement vous faciliterez l’accès des bons ouvrages, non seulement vous abrégerez les recherches à ceux pour qui le temps est le seul patrimoine, mais vous hâterez aussi l’anéantissement si désirable de cette fausse et funeste opulence sous laquelle finirait par succomber l’esprit humain. Une foule d’ouvrages, miéressants lorsqu’ils parurent, ne doivent être regardés maintenant que comme les efforts, les tâtonnements de l’esprit de 1 homme se débattant dans la recherche de la solution d’un problème : par une dernière combinaison, le problème se résout ; la solution seule reste ; et dès lors toutes les fausses combinaisons antérieures doivent disparaître : ce sont les ratures nombreuses d’un ouvrage qui ne doivent plus importuner les yeux quand l’ouvrage est fini. Donc chaque découverte, chaque vérité reconnue, chaque méthode nouvelle devrait naturellement réduire le nombre des livres. C’est pour remplir cette vue, et aussi pour rendre utilement accessibles les bons ouvrages à ceux qui veulent s’instruire, que doivent être ordonnés la distribution des bibliothèques, leur correspondance et les travaux analytiques de ceux par qui elles seront dirigées. Ainsi chacun des 83 départements possédera dans son sein une bibliothèque. Chacun d’eux, héritier naturel des bibliothèques monastiques, trouvera, dans la collection de ces livres, un premier fonds qu’il épurera, et qui s’enrichira chaque année tant par ses pertes que par ses acquisitions. Une distribution nouvelle rendra ces richesses utilement disponible. Paris offrira surtout le modèle d’une organisation complète. Les plus savants bibliographes ont presque pensé que l’immense collection des livres que renferme Paris pourrait être, pour le plus grand avantage de ceux qui cultivent l’étude, divisée en cinq classes ; que chaque classe formerait une bibliothèque nationale; que chacune de ces sections, sans manquer toutefois des livres élémentaires, des livres principaux sur toutes les sciences qui doivent se trouver partout, serait spécialement affectée à une science, à une faculté en particulier ; que, par là, le service de la bibliothèque nationale deviendrait plus prompt, plus commode ; que chacun des préposés aux sections, particulièrement attaché à une partie, la connaîtrait mieux, serait plus ené at de laclasser, de la perfectionner, de l’analyser, de l’enrichir de tout ce qui lui manque, et surtout de diriger dans leurs études tous ceux qui auraient à faire des recherches particulières dans la faculté dominante de sa section. Ainsi, bibliothèque mieux fournie, bibliothécaire plus instruit, par conséquent secours plus nombreux et plus expéditifs. Mais on a pensé, en même temps, que cette distribution ne devait se faire que sur les livres que nous fournissent les communautés du département de Paris; que la bibliothèque du roi, regardée de tout temps comme nationale, étant déjà toute formée, tout organisée, devait rester ce qu’elle est, et ne peut disperser ses richesses dans les diverses sections de la nouvelle bibliothèque; que même il était naturel qu’elle acquît ce qui lui manque dans les bibliothèques ecclésiastiques supprimées, ainsi que la bibliothèque de la municipalité de Paris, qui, enrichie et complétée par ce moyen, pourrait servir de bibliothèque de département. La bibliothèque du roi est le premier des dépôts. U faut chercher à le perfectionner; il serait déraisonnable de le dénaturer et de le détruire. Quant aux bibliothèques des départements, chacune d’elles sera divisée, mais dans le même local, en cinq classes, pour correspondre plus facilement aux sections de la bibliothèque nationale existant à Paris. Cette correspondance fournira les premiers matériaux à un journal d’un genre nouveau, que vous devez encourager. Cet ouvrage, qui ne devra point être assujetti à une périodicité funeste à toutes les productions, aura un but philosophique et très moral. Destiné d’abord à faire connaître le nombre, la nature des livres ou manuscrits de chaque département, à perfectionner leurs classifications, leurs sous-divisions, et à fixer les recherches inquiètes des savants, il offrira bientôt des notices analytiques sur tout ce que le temps commande d’abréger, des choix heureux, des simplifications savantes, qui réduiront insensiblement à un petit nombre de volumps nécessaires ce que les travaux de chaque siècle ont produit de plus intéressant; il disposera les matériaux de ce qui est incomplet, préparera les méthodes, apprendra ce qui est fait, ce qu’on ne doit point chercher, nous dira combien chaque vérité, chaque découverte rend inutiles d’ouvrages, de portions d’ouvrages, et surtout hâtera [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 469 leur anéantissement réel, d’abord en réduisant au plus petit nombre possible, c’est-à-dire, si l’on peut parler ain-i, à des individus uniques, cette foule d’ouvrages superflus, multipliés avec tant de profusion, et en livrant ensuite à la bienfaisante rigueur du temps le soin de détruire absolument l’espèce entière condamnée à ne plus se reproduire. Peut-être même un tel journal pressera-t il l’opinion publique au point qu’on regardera, non comme courageux, mais comme simple et raisonnable, de détruire tout à fait, d’époques en époques, une prodigieuse quantité d’ouvrages qui nmliriront plus rien, même à la curiosité, et qu’il serait puérile de vouloir encore conserver. L’esçrit se soulage par l’espoir que celte multitude immense de productions tant de fois répétées par l’art, et qui n’aurait jamais dû exister, du moins n’existera pas toujours; qu’enfin, les livres qui ont fait tant de bien aux hommes, ne sont pas destinés à leur faire un jour la guerre, et au physique, et au moral. Or, c’est évidemment du sein des bibliothèques que doit sortir le moyen d’en accélérer la destruction. Avant de terminer cet article, vous désirez sans doute savoir par approximation, à quoi s’élève sur cet objet la nouvelle richesse nationale. Les relevés faits sur les inventaires des établissements ecclésiastiques et religieux, au nombre de quatre mille cinq cents maisons, ou à peu près, annoncent quatre millions cent quatre-vingt quatorze mille cent douze volumes, dontprèsde vingt-six mille manuscrits. Sur ce nombre, la Ville de Paris fournit huit cent huit mille cent vingt volumes. On a remarqué qu’environ un cinquième était dépareillé, ou de nulle valeur. On évalue donc en général le nombre des volumes qui forme des ouvrages complets, à trois millions deux cent mille , sur lesquels environ six cent quarante mille à Parts. Il est vrai aussi que certains livres y sont répétés trois, six et neuf mille fois, et qu’il n’y a qu’environ cent mille articles différents. Enfin, dans ce nombre de trois millions deux cent mille se trouvent à peu près deux millions de volumes de théologie. Les deux premiers moyens d’instruction que nous venons de parcourir, se fortifieront de ceux qui doivent naître des encouragements , des récompenses , et surtout des méthodes nouvelles. Les encouragements , connus sous le nom de bourses, offrent quelques points de discussion. Tout ce qui les concerne se trouve renfermé dans les questions suivantes, qu’il est indispensable de résoudre : Quel doit être l’emploi des nombreuses fondations de ce genre qui existent particulièrement à Paris? Au profit de qui et par qui doivent-elles être employées? Faut-il en établir, et à l’aide de quels moyens, dans les lieux où il n’y en a pas? Enfin, quelles règles observer dans leur distribution? Les principes sur les fondations sont connus. Ce qui a été donné pour un établissement public, a été remis à la nation, qui en est devenue la vraie dispensatrice, la vraie propriétaire, sous la condition d’accorder en tout temps l’intention du donateur avec l’utilité générale. L’Assemblée nationale peut donc, en se soumettant à ce principe, disposer du domaine de l’instruction, comme aussi des fonds de la charité publique. Mais, dans un objet de cette importance, il ne faut point d’opération hasardeuse. L’espoir du mieux ne permet de rien compromettre ; on doit uniquement s’occuper ici de conserver et d’appliquer. 11 faut donc garder soigneusement à l’instruction tout ce qui lui fut primitivement consacré; car c’est au moment où elle s’agrandit que les secours lui deviennent plus nécessaires. Il faut que les bourses existant à Paris, soient appliquées à Paris, non seulement parce que c’est le vœu des fondateurs, mais parce que les fonds sur lesquels sont établies ces bourses, existent presque tous dans la ville même de Paris, et parce que c’est aussi le seul moyen d’en faire jouir complètement et plus utilement, même tous lesdépartements du royaume. Cette dernière raison résout la seconde question sur les bourses. Au profit de qui et par qui doivent-elles être accordées ? La plupart ont été fondées pour des provinces qui n’existent plus, pour des classes privilégiées qui n’existent pas davantage ; cette intention littérale ne peut donc être remplie ; mais elles l’ont été toutes pour l’encouragement du talent, pour le soulagement de l’infortune, et en dernier résultat, pour le plus grand bien public. Or, cette intention, la seule qui doit survivre à tout, sera parfaitement acquittée, lorsqu’il aura été décidé qu’elles seront réparties proportionnellement entre tous les départements, et que chacun d’entre eux aura le droit de nommer et d’envoyer à Paris, pour jouir de ce bienfait, le nombre de sujets qui lui seront désignés par ce partage. Mais doit-on, et par quels moyens, établir ce genre d’encouragement dans les lieux où il n’existe pas ? Il est clair que les moyens gratuits d’instruction ne doivent pas être concentrés exclusivement dans la capitale ; que la justice et toutes les convenances demandent que, dans chaque département, l’instruction soit aussi complète. Cependant, comment y faire parcourir tous les degrés d’instruction à ceux que leur détresse met dans l’impossibilité d’en acquitter les frais, tandis que leurs dispositions les y appellent? Au moment de la révision de notre code constitutionnel, vous avez fortement exprimé votre vœu à cet égard ; vous avez pensé qu’il était du devoir de l’Assemblée d’acquitter cetie dette de la nation. Nous vous proposerons donc d’établir, de fixer dans chaque département un certain nombre de bourses qui Feront acquittées et appliquées là, et dont la distribution, dans les différentes écoles, sera confiée aux diverses administrations. Ce moyen ne tardera pas à s’étendre, à s’agrandir ; il se fortifiera surtout, nous n’en doutons point, par de nombreuses souscriptions volontaires; ces mouvements spontanés des peu� pies libres, qui, associant l’homme à tout ce qui s’élève d’utile autour de lui, vont le porter vers cette multitude d’établissements nouveaux, où tous les vœux d’une bienfaisance éclairée trouveront à se satisfaire. Quant aux règles de la distribution, elles sont simples. Chaque administration municipale, surveillant les écoles de son arrondissement, puisera dans chacune d’elles, par une communication fréquente, des notious précises sur les titres effectifs de tous ceux qui aspireront à ce bienfait. Ces notions seront transmises par les municipalités aux districts, par les districts aux départements, nui, les réunissant toutes, et combinant ensemble les dispositions, la conduite et les moyens de fortune, pourront discerner ceux qui mériteront la préférence, ou, dans le cas presque chimérique d’un doute absolu, or- 470 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. donneront une dernière épreuve entre les concurrents. Cette méthode que l’expérience perfectionnera, nous a paru préférable à un concours qui serait, toujours et exclusivement décis f, à cette épreuve incertaine où la timidité a fait souvent échouer des talents véritables, où la médiocrité hardie a obtenu tant d’avantages. Ce dernier moyen, qui appelle toute l’attention des juges sur un seul instant, sur un seul ouvrage, peut être conservé dans la carrière des arts, et pour la solution des grands problèmes des sciences : car ici, tout le talent que l’on veut récompenser peut se montrer dans une seule composition. Mais, lorsqu’il est moins question de talents que de dispositions, lorsqu’on a moins à récompenser ce qui est fait, qu’à encourager ce qui peut se faire ; lorsque les dispositions sont encore vagues et n’ont pu se fixer sur un seul objet, il est parfaitement raisonnable de ne pas s’arrêter à un moment, à une production qui peut n’être qu’ün heureux hasard, et il faut alors se déterminer sur les indications de toute une année, qui rarement Seront trompeuses. Si la société doit ce genre d’encouragement aux simples espérances que donnent des dispositions marquées, elle semble devoir davantage à ce que le talent produit de réel et d’utile, à tous les succès par lesquels il se distingue. C’est dans le trésor de l’opinion que résident surtout les moyens précieux d’acquitter cette dette. On fait ce que, dans tous les temps, les récompenses, connues sous le nom de prix, ont produit chez les peuples libres : quelle ne sera pas leur puissance chez une nation vive, enthousiaste, avide de toutes les sortes de gloire ? Ils seront offerts à tous les âges; tous doivent les ambitionner : le premier âge, parce qu’il est Ïilus sensible à la louange, qu’heureusement elle ’éténne, et qu’elle ne corrompt pas encore ses actions; l’âge de raison, parce qu’il sent plus rofondén eut les outrages de l’envie, et qu’il a esoin de trouver, hors de lui et dans un témoignage irrécusable, un réparateur des injustices individuelles. Longtemps le mot de prix et toutes les idées qu’il réveille, ont été relégués dans le Dictionnaire de l'enfance , et ont paru y prendre une force de caractère de puérilité; ce préjugé achèvera de se dissiper à votre voix. C’est elle, c’est la voix de la uation qui, invoquant et fixant l’opinion, provoquera les efforts, se servira de l’amour-propre et de l’imagination de l’homme pour le conduire à la véritable gloire par les routes du Lien public, tantôt désignant le but aux recherches du talent, tantôt le livrant à lui-même, et se confiant a sa marche, toujours montrant la récompense inséparable du succès. Depuis l’élève des écoles primaires, jusqu’au philosophe destiné à agrandir le domaine de la raison, quiconque, dans les productions recommandées à son talent, aura dépassé ses rivaux, aura atteint le but, aura osé quelquefois le franchir, recevra, dans un témoignage éclatant, la juste récompense de ses efforts. Il faut que tout ce qui est mieux, que tout ce qui est plus utile, soit désormais à l’abri de l’indifférence et de l’oubli; mais cette première récompense du talent doit être simule, pure, modeste comme lui : Une branche , une inscription, une médaille, tout ce qui annonce qu’on n'a pas cru le payer, tout ce qui, respectant sa délicatesse dans le choix même du prix, semble laisser à l’estime et à la confiance individuelle le droit et le devoir d’acquitter chaque jour davan-[10 septembre 1791.] tage la dette de la nation : voilà ce qu’il convient d’offrir d'abord au talent. C’est sur ce principe que doivent être distribués les prix dans toutes les parties du royaume. Chaque lieu choisira le moment le plus solennel pour honorer le triomphe du talent; ce jour sera partout un jour de fête, et tous ceux que le choix du peuple aura revêtus d’une fonction, devront y assister, comme étant les organes les plus immédiats de la reconnaissance publique. On ne peut parcourir les moyens d’instruction sans s’arrêter particulièrement aux méthodes, ces véritables instruments des sciences, qui sont pour les instituteurs eux-mêmes ce que ceux-ci sont pour les élèves. C’est à elles en effet à les conduire dans les véritables routes, à aplanir pour eux, à abréger le chemin de l’instruction. Non seulement elles sont nécessaires aux esprits communs; le génie plus créateur lui-même en reçoit d’incalculables secours, et leur a dû souvent ses plus Uautes conceptions : car elles l'aident à franchir tous les intervalles; et, en le conduisant rapidement aux limites de ce qui est connu, elles lui laissent toute sa force pour s’élancer au delà. Enfin, pour apprécier d’un mot les méthodes, il suffira de dire que la science la plus hardie, la plus vaste dans ses applications, l 'algèbre n’est elle-même qu’une méthode inventée parle génie pour économiser le temps et les forces de l’esprit humain. Il est donc essentiel de présenter quelques vues sur ce grand moyen d’instruction. Sans cloute que l’infatigable activité des esprits supérieurs, encouragée et fortement secondée par la libre circulation des idées, se portera d’elle-même vers cet objet, où tant de découvertes sont encore à faire; mais il faut, autant qu’il est en nous, épargner d’inutiles efforts; il faut nous aider en ce moment de tout ce que le genie de Ja philosophie a pu nous transmettre, afin de presser et d’assurer la marche de l’esprit humain. En un mot, nous avons marqué le but de l’instruction; il nous reste à marquer, à indiquer du moins les principales routes, et à fermer sans retour celles qui, si longtemps, n’ont servi qu’à égarer les hommes. Pour ne point se perdre dans cet immense sujet, nos méditations se sont portées bien moins sur les sciences en particulier, que sur le principe et la fin de toutes les sciences; car c’est là surtout qu’il faut appeler en ce moment les efforts du talent, et les idées créatrices de tous les propagateurs de la vérité.. . , L’homme est un être raisonnable, -du plus exactement peut-être, il est destiné à le devenir; il faut lui apprendre à penser : il est un être social ; il faut lui apprendre à communiquer sa pènsëe ; il est tin être moral, il faut lui apprendre à faire le bien. Gomment l’aider à remplir cette triple destinée? Par quels moyens parviendra-t-on à étendre et perfectionner la raison, à faciliter la communication des idées, à aplanir les difficultés de la morale? De telles recherches sont dignes de notre époque. Voici quelques aperçus, peut-être quelques résultats que nous confions à l’attention publique. La raison , cette partie essentielle de l’homme, qui le dis ingue de tout ce qui n’est pas lui, est néanmoins dans une telle dépendance de son or-ganbation et des impressions qu’il reçoit, qu’elle paraît presque tenir du dehois son exisience en même temps que son développement. Il faut doue surveiller ses impressions premières, auxquelles sont comme attachées et la nature et la dignité réelle de l’homme. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1191.] 471 Et d’abord, qu’il soit prescrit de bannir du nouvel enseignement tout ce qui, jadis, n’était visiblement propre qu’à corrompre, qu’à enchaîner cette première faculté, et les superstitions de tout genre dont on l’effrayait, et qui exerçaient sur elle et contre elle un si terrible empire, longtemps encore après que la réflexion les avait dissipées, et toutes ces nomenclatures stériles qui, n’étant jamais l'expression d’une idée sentie, étaient à la fois une surcharge pour la mémoire, une entrave pour la raison ; et ce mode bizarre d’enseignement où les connaissances étant classées, étant prises dans un rapport inverse avec leur utilité réelle, servaient bien plus à dérouter, à tromper la raison qu’à l’éclairer; et ces méthodes gothiques, qui, convertissant en obstacles jusqu’aux règles destinées à accélérer sa marche, la faisaient presque toujours rétrograder. Il est te mps de briser toutes ces chaînes; il est temps que l’on rende à la raison son courage, son activité, sa native énergie, afin que, libre de tant d’obstacles, elle puisse, rapidement et sans détour, avancer dans la carrière qui s’ouvre et s’agrandit sans cesse pour elle. C’est par vous qu’elle retrouvera sa liberté; c’est par les méthodes qu’elle en recueillera promptement les avantages. Sans doute qu’il existera toujours des différences entre la raison d’un homme et celle d’un autre homme; ainsi l’a voulu la nature : mais la raison de chacun sera tout ce qu’elle peut être; ainsi le veut la société. Cependant comment tracer des méthodes à la raison? Comment ouvrir une route commune à tant de raisons diverses? Comment faire parvenir à chacune de ces raisons la part des richesses intellectuelles à laquelle chacune peut et doit prétendre? De tels objets réunis échapperaient peut-être à des méthodes générales. Je veux en ce moment me borner à ce qui importe le plus à la perfectibilité de l’homme, c’est-à-dire aux moyens de donnera la raison de chaque individu toute la force et toute la rectitude dont elle est susceptible. La force de la raison dépend particulièrement de la mesure d’attention qu’on est en état d’appliquer à l’objet dont on s’occupe; peut-être môme n’est-elle que cela; car c’est par elle que la raison d'un homme se montre toujours supérieure à celle d’un autre homme. L’attention est une disposition acquise par laquelle l’âme parvient à échapper aux écarts de l’imagination, à se soustraire aux importunités de Ja mémoire, et enfin à se commander à elle-même pour recueillir à son gré toutes ses forces. C’est alors que l’intelligence peut s’élever jusqu’à son plus haut degré d’énergie, que la pensée crée d’autres pensées, et que des idées fugitives et comme inaperçues se réunissent et deviennent tout à coup productives. Mais l’attention n’est une marque d’étendue et de supériorité qu’autant que l’esprit peut, en quelque sorte, la prendre à sa volonté, et la transporter tout entière d’un objet à un autre. Tel est donc le but auquel il faut tendre dans l’instruction destinée à la jeunesse : il faut, par tout ce qui peut influer sur ses habitudes, l’accoutumer à maîtriser sa pensée, à retenir ou rappeler à son gré ce regard si mobile de l’âme; lui montrer dans cet effort sur soi, dans cette réfrénation intérieure, le principe de tous les genres de succès, la source des plus belles jouissances de l’esprit. Il faut enfin faire sortir de son intérêt présent, de ses affections même les plus impétueuses, le désir persévérant de se commander en quelque sorte pour en devenir plus libre. Cet aperçu indiquerait peut-être la théorie qu’exige cette partie de l’enseignement : mais le problème reste encore pour nous tout entier à résoudre. Quelle est l'indication précise et complète des moyens propres à apprendre à tous les hommes à se rendre maîtres de leur attention? Un tel problème mérite d’être recommandé à tous ceux qui sont dignes de concourir à l’avancement de la raison humaine. La rectitude de la raison tient à d’autres causes; et néanmoins l’atteDtion qui est Je principe de sa force , est un grand acheminement vers cette rectitude : car la disposition de l’âme qui permet d’observer longtemps un objet, doit être nécessairement un des premiers moyens pour apprendre à le bien voir. Mais il faut aider ce moyen; il faut, par des procédés bien éprouvés, assurer à la raison et lui conserver cette habitude de voir sans effort ce qui est, et cette constante direction vers la vérité qui alors devient la passion dominante et souvent exclusive de l’âme. En nous élevant jusqu’à la hauteur des méthodes les plus générales, il nous a semblé que, pour atteindre à ce but, il importait souverainement d’intéresser en quelque sorte la conscience des élèves à la recherche de tout ce qui est vrai (la vérité est en effet la morale de l’esprit, comme la justice est la morale du cœur). Il importe non moins vivement d’intéresser leur curiosité, leur ardente émulation, en les faisant comme assister à la création de diverses connaissances dont ou veut les enrichir, et en les aidant à partager sur chacune d’elles la gloire même des inventeurs : car ce qui est du domaine de la raison universelle ne doit pas être uniquement offert à la mémoire; c’est à la raison de chaque individu à s'en emparer : il est mille fuis prouvé qu’on ne sait réellement, qu’on ne voit clairement que ce qu’on découvre, ce qu’on invente en quelque sone soi-même. Hors de là, l’idée qui nous arrive peut être en nous; mais elle n’est pas à nous, mais elle ne fait pas partie de nous : c’est nue plante étrangère, qui ne peut jamais prendre racine. Que faut-il donc? Recommander par-dessus tout l’usage de l’analyse qui réduit un objet quelconque à ses véritables éléments, et de la synthèse qui le recompose ensuite avec eux. Par celte double' opération qui recèle peut-être tout le secret de l’esprit humain, à qui nous devons les plus savantes combinaisons de la métaphysique, et par là les principes de toutes les sciences, on parvient à voir tout ce qui est dans un objet, et à ne voir que ce qui y est : on ne reçoit point une idée; on l’acquiert : on ne voit jamais trouble; on voit juste, ou l’on ne voit rien. Que faut-il encore? L’application fréquente et presque habituelle de la méthode rigide des mathématiciens, de cette méthode qui, écartant tout ce qui ne sert qu’à distraire l’esprit, marche droit et rapidement à son but, s’appuie sur ce qui est parfaitement connu pour arriver sûrement à ce qui ne l’est pas, ne dédaigne aucun obstacle, ne franchit aucun intervalle, s’arrête à ce qui ne peut être entendu, consent à ignorer, jamais à savoir mal; et présente le moyen, sinon du découvrir toujours la vérité d’un principe, du moins d’arriver avec certitude jusqu’à ses dernières conséquences. Cette méthode est. applicable à plus d'objets qu’on ne pense, et c’est un grand service à rendre à l’esprit humain que de l’étendre sur tous ceux qui en sont sus- 472 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ceplibles. Ainsi, nouveau problème à résoudre. Comment appliquer l'esprit d'analyse et la méthode rigoureuse des mathématiciens aux divers objets des connaissances humaines ? C’est encore ici à la nation à interroger, et c’est au temps à nous montrer celui qui sera digne d’apporter la réponse à cette question. Au don de penser succède rapidement le don de communiquer ce qu’on pense ; ou plutôt l’un est tellement enchaîné à l’autre, qu’on ne peut les concevoir séparés que par abstraction. De cette vérité rendue particulièrement sensible de nos jours, il suit que tout ce qui augmente les produits de la pensée agit simultanément sur le signe qui Paccomi agne, comme aussi que le signe perfectionné accroît, enrichit et féconde à sou tour la pensée ; mais cette conséquence incontestable et purement intellectuelle ne doit pas nous suffire ; et ici s’offrent à l’esprit d’intéressantes questions à discuter. Une singularité frappante de l’état dont nous nous sommes affranchis est sans doute que la langue nationale, qui chaque jour étendait ses conquêtes au delà des limites de la France, soit restée au milieu de nous comme inaccessible à un si grand nombre de ses habitants, et que le premier lien de communication ait pu paraître, pour plusieurs de nos contrées, une barrière insurmontable. Une telle bizarrerie doit, il est vrai, son existence à diverses causes agissant fortuitement et sans dessein ; mais c’est avec réflexion, c’est avec suite que les effets en ont été tournés contre le peuple. Les écoles primaires vont mettre fin à cette étrange inégalité : la langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous; et celte foule de dialectes corrompus, derniers restes de la féodalité, sera contrainte de disparaître ; la force des choses le commande. Pour parvenir à ce but, à peine est-il besoin d’indiquer des méthodes ; la. meilleure de toutes pour enseigner une langue dans le premier âge de la raison, doit en effet se rapprocher de celle qu’un instinct universel a suggérée pour montrer à l’enfance de tous les pays le premier langage qu’elle emploie ; elle doit n’être qu’une espèce de routine, raisonnée, il est vrai, et éclairée par degrés, mais nullement précédée des règles de la grammaire ; car ces règles, qui sont des résultats démontrés pour celui qui saitdéjà les langues et qui les a méditées, ne peuvent en aucune manière être des moyens de les savoir pour celui qui les ignore ; elles sont des conséquences ; on ne peut, sans faire violence à la raison, les lui présenter comme des principes. Mais, si l’on peut laisser au cours naturel des idées le soin de rendre universelle parmi nous une langue dont chaque instant rappellera le besoin, on ne doit pas confier au hasard le moyen de la perfectionner. La langue française, comme toutes les autres, a subi d’innombrables variations auxquelles le caprice et des rencontres irréfléchies ont eu bien plus de part que la raison ; elle a acquis, elle a perdu, elle a retrouvé une foule de mots. D’abord stérile et incomplète, elle s’est chargée successivement d’abstractions, de composés, de dérivés, de débris poétiques. Pour bien apprécier les richesses qu’elle possède et celles qui lui manquent, il faut avant tout se taire une idée juste de son état actuel, il faut montrer à celui dont on veut éclairer la raison par le langage, quel a été le sens primitif de chaque mot, comment il s’est altéré, par quelle succession d’idées on est parvenu à détacher d’un sujet ses qualités pour en former un [10 septembre 1791.] mot abstrait qui ne doit son existence qu’à une hardiesse de l’esprit ; il faut rappeler le figuré à son sens propre, le composé au simple, le dérivé à son primitif ; par là tout est clair ; il règne un accord parfait entre l’idée et son signe, et chaque mot devient une image pure et fidèle de la pensée. Ici commence le perfectionnement de la langue. Et d’abord la Révolution a valu à notre idiome une multitude de créations qui subsisteront à jamais, puisqu’elles expriment ou réveillent des idées d’un intérêt qui ne peut périr ; et la langue politique existera enfin parmi nous : mais, plus les idées sont grandes et fortes, plus il imporie que l’on attache un sens précis et uniforme aux sign s destinés à les transmettre; car de funestes erreurs peuvent naître d’une simple équivoque. Il est donc digne des bons citoyens, autant que des bons esprits, de ceux qui s’intéressent à la fois au règne de la paix et au progrès de la raison, de concourir par leurs efforts à écarter des mots de la langue française ces significations vagues et indéterminées, si commodes pour l’ignorance et la mauvaise foi, et qui semblent recéler des armes toutes prêtes pour la malveillance et l’injustice. Ce problème très philosophique, et qu'il faut généraliser le plus possible, demande du temps, une forte analyse et l’appui de l’opinion publique pour être complètement résolu. Il n’est pas indigne de l’Assemblée nationale d’en encourager la solution. Un tel problème, auquel la création et le danger accidentel de quelques mots nous ont naturellement conduits, s’est lié dans notre esprit à une autre vue. Si la langue française a conquis de nouveaux signes, et s’il importe que le sens en soit bien déterminé, il faut en même temps qu’elle se délivre de cette surcharge de mots qui l’appauvrissaient et souvent la dégradaient. La vraie richesse d’une langue consiste à pouvoir exprimer tout avec force, avec clarté, mais avec peu de signes, il faut donc que les anciennes formes obséquieuses, ces précautions timides de la faiblesse, ces souplesses d’un langage détourné qui semblait craindre que la vérité ne se montrât tout entière, tout ce luxe imposteur et servile qui accusait notre misère, se perdent dans un langage simple, fier et rapide; car là où la pensée est libre, la langue doit devenir prompte et franche, et la pudeur seule a le droit d’y conserver ses voiles. Qu’on ne ne nous accuse pas toutefois de vouloir ici calomnier une langue qui, dans son état actuel, s’est immortalisée par des chefs-d’œuvre. Sans doute que partout les hommes de génie ont subjugué les idiomes les plus rebelles, ou plutôt partout ils ont su se créer un idiome à part ; mais il a fallu tout le courage, toute l’audace de leur talent, et la langue usuelle n’en a pas moins conservé parmi nous l’empreinte de notre faiblesse et de nos préjugés. Il est juste, il est constitutionnel que ce ne soit plus désormais le privilège de quelques hommes extraordinaires de la parler dignement; que la raison la plus commune ait aussi le droit et la facilité de s’énoncer avec noblesse; que la langue française s’épure à tel point, qu’on ne puisse plus désormais prétendre à l’eloquence sans idées, comme il ne sera plus permis d’aspirer à une place sans talents; qu’en un mot, elle reçoive pour tous un nouveau caractère et se retrempe en quelque sorte dans la liberté et dans l’égalité. C’est vers ce but non moins philosophique que national que doit se 473 [Assemblée nationale.] porter une partie des travaux des nouveaux instituteurs. Un ministre immortel dans les annales du despotisme ne jugea pas indifférent à sa gloire, et surtout à ses vue?, de réserver une partie de ses soins au progrès et à re qu’il nommait le perfectionnement de la langue française : en cela il voyait profondément et juste. L’Assemblée nationale, qui certes connaît et connaît bien autrement la puissance de la parole, qui sait combien les signes ont d’empire, ou plutôt d’action sur les idées et par elles sur les habitudes qu’elle veut faire naître ou affermir, et qui désire que la raison publique trouve sans cesse dans la langue nationale un instrument vigoureux qui la seconde et ne la contrarie jamais, sentira sans doute aussi, mais dans des vues bien différentes, combien un tel objet importe à l’intérêt et à la gloire de la nation. Ainsi : Notre langue a perdu un grand nombre de mots énergiques, qu'un goût , plutôt faible que délicat , a proscrits ; il faut les lui rendre : les langues anciennes et quelques-unes d’entre les modernes sont riches d'expressions fortes , de tournures har-" dies qui conviennent parfaitement à nos nouvelles mœurs; il faut s'en emparer : la langue française est embarrassée de mots louches et synonymiques, de constructions timides et traînantes , de locutions oiseuses et serviles ; il faut l'en affranchir. Voilà le problème complet à résoudre. Si la langue nationale est le premier des moyens de communication qu’il importe de cultiver, renseignement simultané des autres langues, de celles surtout qui nous ont transmis des modèles immortels, est un moyen auxiliaire et puissant qu’il serait coupable de négliger : car, sans parler des beautés qu’elles nous apportent et qui expirent dans les traductions, on ne doit pas perdre de vue que, par leur seul rapprochement, les langues s’éclairent et s’enrichissent; que, surveillées en quelque sorte l’une par l’autre, elles s’avertissent de leurs défauts, se prêtent mutuellement des images; qu’elles fortifient, par leur contraste, par leur opposition même, les facultés intellectuelles de celui qui les réunit. L’idée, qui nous appartient sous divers signes, est en effet bien plus profondément en nous, bien plus intimement à nous : c’est une propriété dont à peine nous soupçonnions d’abord l’existence, et qui reçoit une nouvelle garantie et comme un nouveau titre de chacun des témoins nouveaux qui la constatent. Cette action mutuelle des langues qui, s’épurant ainsi l’une par l’autre, concourent par leur influence réciproque à imprimer à la pensée un nouveau degré de force et de clarté, a dû insensiblement élever l’esprit jusqu’à l’idée d’une langue commune et universelle, qui, née en partie du débris des autres, trouverait, soit en elles, soit hors d’elles, les éléments les plus analogues avec toutes nos sensations, et par là deviendrait nécessairement la langue humaine. Il paraît que cette idée, ou plutôt une idée semblable, a occupé quelque temps un des plus grands philosophes du dernier siècle : il semblait à Leibnitz que, pour hâter les progrès de la raison, on devait chercher, non à vaincre successivement, mais à briser à la fois tous les obstacles qui empêchent ou retardent la libre communication des esprits; que, dans l’impossibilité d’apprendre cette multitude d’idiomes disparates qui les séparent, il fallait en former ou en adopter un qui fût en quelque sorte le point central, le rendez-vous commun de toutes les idées, en un mot, qui devînt pour [10 septembre 1791.] la pensée ce que l’algèbre est pour les calculs. Une telle vue a dû étonner par sa hardiesse, et l’on n’a pas tardé à la ranger dans la classe des chimères : il faudrait en effet que les nouveaux signes universellement adoptés tussent une image sensible de nos idées, qu’attiré ou ramené vers eux comme par enchantement, le genre humain s’étonnât d’en avoir, jusqu’à ce jour, adopté d’autres, qu’ils fussent en un mot presque aussi clairement représentatifs de la pensée que l’or et l’argent le sont de la richesse. Or, de tels signes sont-ils dans la nature? peuvent-ils exister pour toutes les idées ? Gardons-nous pourtant de fixer trop précipitamment le terme où doivent s’arrêter sur de semblables questions les recherches de l’esprit humain : car, si dans toute l’étendue que présente ce problème, on est en droit de le regarder comme insoluble, il est cependant permis de penser que les efforts, même impuissants pour le résoudre, ne seraient pas tout à fait perdus, et que chaque pas que l’on ferait dans cette recherche, dût le terme se reculer sans cesse, chaque découverte, dans cette région presque idéale, apporterait quelques richesses à la langue, quelques moyens nouveaux à la raison. Déjà des hommes inspirés par le génie de l’hu-mamté ont presque atteint la solution de ce hardi problème. On les a vus, pour consoler les êtres affligés que la nature a déshérités d’un sens, inventer de nos jours et perfectionner rapidement cette langue des signes qui est l’image vivante de la pensée, dont tous les éléments sensibles à l’œil ne laissent apercevoir rien d’arbitraire, par qui les idées même les plus abstraites deviennent presque visibles, et qui, dans sa décomposition, simple à la fois et savante, présente la véritable grammaire, non des mots, mais des idées. Une telle langue remplirait toutes les conditions du problème, si par elle, comme par la parole écrite, on parvenait à transmettre lapenséeàdesdistancesindéfinies;maisjus-qu’àprésenton n’a pu que la parler, et non l’écrire et ceux qui la possèdent le mieux sont réduits, pour se faire entendre de loin, à la traduire en l’une des langues usuelles. Jusqu’à ce qu’on ait trouvé le moyen de la transcrire, au lieu de la traduire, elle restera donc à la vérité une des lus belles, une des plus utiles inventions des ommes; elle sera peut-être la première des méthodes pour rendre l’esprit parfaitement analytique, pour le prémunir contre une multitude d’erreurs qu’il doit à l’imperfection de nos signes, pour corriger enfin les vices innombrables de nos grammaires. Sous ces points de vue, elle ne pourra être ni trop méditée, ni trop fortement encouragée ; mais elle ne sera point encore une langue universelle. Ces réflexions sur les langues, les divers points de vue sous lesquels nous avons considéré ce sujet fécond, et enfin les problèmes proposés ou indiqués, nous paraissent devoir remplir l’objet de cet article, celui de préparer et d’assurer un jour à la raison tous les moyens de communication qu’elle peut désirer. Ce n’est pas assez d’apprendre à penser à l’être raisonnable, d’apprendre à communiquer sa pensée à l'être social, il faut particulièrement apprendre à faire le bien à l’être moral. Faire le bien, le faire chaque jour mieux par un plus grand nombre de motifs et avec moins d’efforts, c’est là que tout doit tendre dans une association quelconque. Hors de là, rien n’est à sa place, rien ne marche à son but. Ainsi les ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 474 [Assemblée nationale.] méthodes pour apprendre à communiquer ce qu’on pense, ne doivent elles-mêmes être réputées oue des moyens indirects pour atteindre jusqu’à la morale, qui est le dernier résultat de tonte société; car les désordres ne sont bien souvent que des erreurs de la pensée, et souvent aussi les habitudes vertueuses, que le résultat naturel de la communication des esprits. Mais ces moyens éloignés réclament l’appui des méthodes particulières et directes. Avant de les présenter défendons-nous de séparer ici, comme tant de fois on a osé le faire, la morale publique de la morale privée. Cette charlatanerie de la corruption est une insulte aux mœurs ; quoiqu’il soit vrai que les rapports changent avec les personnes et les événements, il est incontestable que le principe moral reste toujours le même, sans quoi il n’existerait point. On peut bien, on doit même appliquer diversement les règles de la justice ; mais il n’y a point deux manières d’être juste; mais il est absurde de penser qu’il puisse' y avoir deux justices... Pour arriver à l’exacte définition de la morale, il faut la chercher dans le rapprochement des idées que le commun des hommes, livrés ou ren lus à eux-mêmes, ont constamment attachées à ce mot. Celle qui paraît les comprendre toutes, et qui indique un instinct général autant que la raisen, présente à l’esprit Part de faire le plus de bien possible à ceux avec, qui l’on est en relation, sans blesser les droits de personne. Si les relations sont peu étendues, la morale réveille l’idée des vertus domestiques et privées ; elle prend le nom de patriotisme, lorsque ces relations s’étendent sur la société entière dont on fait partie; enfin elle s’élève jusqu’à l’humanité, à la philanthropie, lorsqu’elles embrassent le genre humain. Dans tous les cas, elle comprend la justice qui sent, respecte, chérit les droits de tous; la bonté qui s’unit par un sentiment vrai au bien ou au mal d’autrui ; le courage qui donne la force d’exécuter constamment ce qu’inspirent la bonté et la justice ; enfin ce degré d’instruction qui, éclairant les premiers mouvements de l’âme, nous montre à chaque instant en quoi consistent et ce qu’exigent réellement et la justice, et la bonté, et le courage. Tels sont les éléments de la morale. De là résultent deux vérités : la première, qu’elle est inséparable d’un bien produit ou à produire; que par conséquent l’effort le plus hardi qui n’aboutit point là, lui est absolument étranger. Ce n’egt point de l'étonnement, c’est de la reconnaissance qu’elle doit inspirer. La seconde, qu’elle ne peut se trouver que dans les relations qui nous unissent à nos semblab es; car elle suppose dns droits, des devoirs, des affections réciproques, et particulièrement ce sentiment expansif qui, nous faisant vivre en autrui, devient par la réflexion le garant de la justice, comme il est naturellement le principe de la bonté. Il faut donc ici identité de nature. Sans doute queles rapports de l’homme avec Dieu, avec soi, et même avec les êtres inférieurs à iui, ne sont pas étrangers à la morale; mais si la raison y découvre des motifs souvent très puissants pour la pratiquer, si, sous ce point de vue, ils doivent être cultivés, ils doivent être respectés, il est sensible, à la simple réflexion, qu’ils ne pavent faire eux-mêmes partie de cette morale science dont il est question. On doit seulement les considérer comme moyens, tandis que les rapport-sociaux sont ici à la fois et le principe et ie but. La morale ainsi analysée, ainsi circonscrite, quelles méthodes doit mettre en usage une grande société pour en pénétrer fortement les membres qui la composant? Trois principales s’offrent à l’esprit et embrassent les moyens d’instruction pour la vie entière : la première est de faire faire à l’enfance un apprentissage véritable de ce premier des ans et comme un premier essai des vertus que la société lui demandera un jour, en organisant cette petite société naissante d’après les principes de la grande organisation sociale ; la seconde, de multiplier sans cesse autour de tous les individus, et en raison de leurs affections, les motifs les plus déterminants pour faire le bien ; la troisième est de frapper d’impressions vertueuses et profondes les sens, les facultés de l’âme, de telle sorte que la morale, qui pourrait d’abord ne paraître qu’un produit abstrait de la raison, ou un résultat vague de la sensibilité, devienne un sentiment, un bonheur, et par conséquent une forte habitude. La gloire d’un individu est défaire des actions utiles lorsqu’elles demandent du courage. Le devoir de la société est de les convertir tellement en habitude, que rarement l’emploi du courage soit nécessaire : ce principe est incontestable. C’est donc dans l’enfance qu’il faut jeter les premières semences de la morale, puisqu’il est si bien reconnu que les impressions qui datent de ce premier âge de la vie, sont les seules que le temps n’efface jamais. Là s’appliqueront sans effort, et dans la juste mesure que demandent la faiblesse et l’inexpérience, les moyens ordinaires d’instruction ; mais un moyen particulier et d’un effet sûr paraît devoir être ajouté partout où des élèves sont constamment réunis sous les yeux de leurs instituteurs. Ce moyen, dont on retrouve quelques traces dans les anciennes iosiitutions des Perses, ainsi que dans quelques cantons suisses, consiste à organiser ces jeunes sociétés, quelque temps avant la fin de l’éducation, de te le sorte que l’exercice anticipé detuuies les vertus sociales y soit un besoin universellement senti : car, qui doute qu’en toute ch�se et surtout en morale, la première de toutes les leçons ne soit la pratique et que la pratique ne soit complètement assurée, quand chaque instant en rappelle la nécessité. Toute réunion qui a un but, est une véritable association; et une association quelconque, déterminée par un intérêt commun, entraîne la nécessité d’un gouvernement. Cette vérité ne peut être mise en doute. Or, dans le gouvernement le plus fractionnaire, le plus subordonné à la loi et à l’action générale, on retrouve les éléments des divers pouvoirs qui constituent la grande société, c’est-à-dire des volontés individuelles qui cherchant à se réunir, et des moyens d’exécution qui demandent à être dirigés ; et l’on est porté à combiner ces éléments sur le modèle qu’on a sous les yeux. C’est ainsi que, dans l’ancien état des choses, le régime intérieur de chaque école semblait s’être formé sur le régime tyrannique sous lequel la France était opprimée. Une foule de règlements incohérents, éludés par la faveur, changés par le caprice; des volontés arbitraires prenant sans cesse la place de la loi; des punitions qui ne tendaient qu’à flétrir Pâme; des distinctions humiliantes qui insultaient au principe sacré de l’égalité; une soumission toujours aveugle; enfin nul rapport de confiance entre les gouvernants et les gouvernés.; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] 415 telles étaient les maisons d’instruction : telle était la France entière. Aujourd’hui que le gouvernement représentatif a pris naissance parmi nous, cVst-à-dire le gouvernement le plus parfait qu’ri soit donné à l’homme de concevoir, pourrait-on ne pas chercher à en reproduire l’image dans l’enceinte des sociétés instructives lorsque rien ne s’y oppose, que la raison le demande, et surtout que la morale doit y trouver infailliblement le moyen de s’étendre et de s’affermir dans les âmes? Développons cette idée. Toute association , a dit un philosophe, dont les membres ne peuvent pas vaquer tous à toute l'administration commune , est obligée de choisir entre des représentants et des maîtres , entre le despotisme et un gouvernement légitime. Cette idée simple et féconde trouve ici une application directe. Mais une observation se présente tout à coup pour suspendre la rapidité de la conséquence qu’on pourrait en déduire. Le principe n’est complètement vrai que lorsque l’association est formée d’hommes parfaitement égaux, et qui arrivent là avec la plénitude de leurs droits. Or, une maison d’instruction étant composée d’instituteurs et d’élèves, d’hommes dont la volonté et la raison sont formées, et de jeunes gens en qui l’une et l’autre sont incomplètes, enfin d’individus revêtus d’une autorité, et d’individus qui doivent s’y soumettre, il est clair qu’on ne peut presser ici le principe de l'égalité. Et pourtant si la raison, si la nature des choses demandent que celui qui instruit soit constamment au-dessus de celui qui est instruit; si, sous ce rapport, son autorité doit même être pleine et indépendante, et si l’amour-propre le plus rebelle ne peut en être plus irrité que ne l’est celui d’un enfant lorsqu'il est porté par un homme fort, il est également vrai que, hors de là et en ce qui concerne surtout le régime des écoles, cette autorité ne doit pas être également illimitée, ou plutôt qu’il faut la placer en d’autres m dns pour qu’ici, comme dans le corps social, la séparation des pouvoirs garantisse de tout despotisme. Qu’on ne perde pas de vue que, dans les individus les plus enchaînés par les institutions sociales, il est une portion de volonté disponible qui peut être utilement et doit par conséquent être toujours mise en commun, dès l’instant qu’il se forme entre eux une association quelconque. La volonté des jeunes gens, toute imparfaite qu’elle est, se porte facilement vers ce qui est vrai et juste, parce qu’elle est libre de préjugés. Or, ptut-on ne pas sentir qu’il importe aux élèves et aux instituteurs que ces jeunes volontés, transmises en quelque sorte par des élections souvent renouvelées, jusqu’à un petit nombre d’entre eux qui deviendront les représentants de tous, se réunissent dans l’exercice des diverses fonctions administratives et judiciaires que réclame le maintien de toute société? C’est alors que les instituteurs bornés à l’objet qui leur appartient exclusivement, l’instruction ; n’exerçant sur tout le reste qu’une surveillance directive très générale, conserveront aisément cette confiance si nécessaire à leurs travaux, et qu’aucune vengeance particulière, aucun reproche personnel n’essaiera plus d’affaiblir. Les élèves, de leur côté, à la fois libres et soumis, supportant sans peine un joug dont ils sentiront la nécessité, mais ne supportant que celui-là; à l’abri désormais de ces nombreuses injustices qui les révoltent, et dont le ressentiment se conserve toute la vie; appelés par des choix toujours purs à participer à l’administration commune, à dev> nir des juges, des jurés, des arbitres, des censeurs; toujours comptables envers leurs égaux, chargés tour à tour de prévenir les délits, de les juger, de les faire punir, de distribuer le blâme et la louange, d’apaiser les dissensions; jaloux, dans l’exercice de ces intéressantes fonctions, de mériter l’éstime de tous, sans chercher à plaire à personne, apprendront de bonne heure à traiter avec les hommes et leurs passions, à concilier l’exercice de la justice avec une indulgence raisonnée, s’exerceront à toutes les vertus domestiques et publiques, au respect pour la loi, pour les mœurs, pour l’ordre général, sentiront s’élever leur âme au sein de Légalité, de la liberté, et sauront enfla ce qu’on ne peut savoir trop tôt, et ce qu’ils eussent ignoré longtemps, que l’homme, à quelque âge que ce soit, doit plier sous la loi, sous la nécessité, sous la raison, jamais sous une volonté particulière. N’est-ce pas là le véritable apprentissage de la vie sociale, et par conséquent le cours de morale le plus complet, le plus efficacement instructif? Un règlement facile réalisera les bases de cette constitution particulière, si parfaitement analogue à là Constitution générale de l’Empire. Il est un second devoir de la société pour assurer l’empire de la morale, c’est de rassembler et de fortifier les motifs qui peuvent porter l’homme à faire le bien dans les divers âges de la vie. La société doit exciter l’homme par l'intérêt, en lui montrant dans le bien qu’il fait aux autres, le garant de celui qu’il recevra de tous, en lui montrant même que, dans cet échange réciproque, il recevra bien plus qu’il ne donne. Elle doit i’exeiler par l’honneur , en rattachant à la morale ce mobile des âmes ardentes que le préjugé en avait détaché. Elle doit l’exciter par la conscience , en le rappelant souvent, par l’organe de ses agents et de ses instituteurs publics, à ce sens interne qui, exercé, éclairé de bonne heure, et consulté fréquemment, devient un inspirateur prompt et sûr, un moniteur incorruptible, et rend inséparable la vertu et le bonheur, le crime et les remords. Elle doit surtout l’exciter par la raison , car il faut, avant tout et après tout, s’adresser à cette première faculté de l’homme, puisque tous le3 autres mobiles doivent tôt ou tard subir son jugement et sa révision : il faut montrer à ceux qui se déterminent par réflexion plug que par sentiment, par conviction plus que par intérêt, que tes vérités dans l’ordre moi al sont fondées sur des bases indestructibles, qu’on ne peut les méconnaître sans renoncer à toute raison; qu’en un mot, la morale J a plus sublime n’est presque jamais que du bon sens. Elle doit enfin exciter l’homme par l’exemple : et ce moyen puissant, c’est à l'histoire qu’elle doit le demander, car l’orgueil de 'l’homme se défendra toujours de le devoir à ses contemporains. Quelle histoire sera digne de remplir cette vue morale? Aucune, sans doute, de celles qui existent: ce qui nous resie de celle des anciens nous offre des fragments précieux pour la liberté, mais ce ne son t que des fragments ; ils sont trop désunis, trop loin de nous; aucun intérêt national ne les anime, et notre long asservisse- 476 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791. J ment nous a trop accoutumés à les ranger parmi les fables. La nôtre, telle qu’elle a été tracée, n’est presque partout qu’un servile hommage décerné à des abus; c’est l’ouvrage de la faiblesse écrivant sous les yeux, souvent sous la dictée de la tyrannie; mais cette même histoire, telle qu’elle devrait être, telle qu’on la conçoit en ce moment, peut devenir un fonds inépuisable des plus hautes instructions morales. Que désormais s’élevant à la dignité qui lui convient, elle devienne l’histoire des peuples, et non plus celle d’un petit nombre de chefs; qu’inspirée par l’amour des hommes, par un sentiment profond pour leurs droits, par un saint respect pour leur malheur, elle dénonce tous les crimes qu’elle raconte; que loin de se dégrader par la flatterie, loin de se rendre complice par une vaine crainte, elle insulte jusqu’à la gloire, toutes tes fois que la gloire n’est point la vertu; que par elle une reconnaissance impérissable soit assurée à ceux qui ont servi l’humanité avec courage, et une honte éternelle à quiconque n’a usé de sa Juissance que pour nuire ; que dans la multitude e faits qu’elle parcourt, elle se garde de chercher les droits de l’homme, qui certes ne sont point là, mais qu’elle y cherche, mais qu’elle y découvre les moyens de les défendre que toujours on peut y trouver ; que pour cela sacrifiant ce que le temps doit dévorer, ce qui ne laisse point de trace après soi, tout ce qui est nul aux yeux de la raison, elle se borne à marquer tous les pas, tous les efforts vers le bien, vers le perfectionnement social, qui ont signalé un si petit nombre d’époques, et à faire ressortir les nombreuses conspirations de tous les genres, dirigées contre l’humanité avec tant de suite, conçues avec tant de profondeur et exécutées avec un succès si révoltant; qu’en un mot le récit de ce qui fut, se mêle sans cesse au sentiment énergique de ce qui devait être : par là, l’histoire s’abrège et s’agrandit; elle n’est plus une compilation stérile, elle devient un système moral, le passé s’enchaîne à l’avenir, et en apprenant à vivre dans ceux qui ont vécu, on met à profit pour le bonheur des hommes jusqu’à la longue expérience des erreurs et des crimes. C’est par tous ces moyens, c’est par tous ces motifs intérieurs que (amorale s’imprimera dans l’homme. 11 reste à lui en faire parvenir les impressions par les moyens extérieurs qui sont au pouvoir de la société; et ici se présentent à l’esprit les spectacles , les fêtes , les arts , etc. Un moyen fécond d’instruction sera éternellement attaché à la représentation des grands événements, à la peinture énergique des grandes passions. S’il est vrai que l’influence de l’art qui les reproduit sur la scène s’est fait sentir sous le despotisme, s’il*a déposé dans l’âme des Français des germes qui, avec te temps, se sont développés contre le despotisme lui-même, quels effets ne peut-il pas produire pour la liberté? Cet art qui, chez les Grecs, appelait la haine sur les tyrans, qui offrait l’image de la gloire, du bonheur d’un peuple libre, et celle de l’avilissement et de l’infortune des peuples esclaves, ne prépare-t-il pas aux Français des tableaux dignes de rallumer et de perfectionner sans cesse leur patriotisme? Sans doute, c’est là le but vers lequel il va diriger toute sa puissance. Une vue également morale se manifestera dans les productions d’un autre genre, ouvrage de ce même art qui change de nom en changeant ses pinceaux, et qui alors, moins imposant sans être moins utile, trace la peinture de nos mœurs habituelles dans les conditions privées. Combien de préjugés nés de la servitude, s’obsiinant à exister quami rien de ce qui les souienait ne subsiste ; combien dont la crédulité , moins odieuse qu’amusante, ne peut se résoudre à douter encore de leur extrême importance ; combien enfin qui, terrassés par la loi, mille fois vaincus par la raison, ont besoin d’être finis par le ridicule, et de se trouver en quelque sorte témoins de leur propre défaite? C’est sous ce rapport que la scène française deviendra une des puissances auxiliaires de la Révolution; que des talents voués à l’instructiom, mais jusqu’à ce jour plus employés à polir la surface des mœurs qu’à en corriger le fond, serviront et la morale et la patrie; que la régénération politique, amenant avec elle le renouvellement des pensées de l’homme, étendra la carrière de celui des arts, qui, par l’illusion, exerce le plus puissant des empires. Alors la scène française se rajeunira, se purifiera, elle se montrera digne des respects de l’homme le plus sévère, digne de la présence de tous les états, de tous les citoyens qui, ayant fui les indiscrétions de la licence, viendront avec confiance chercher les leçons de la raison. Ainsi la morale arrive* à l’homme en s’emparant de son intelligence, de ses sens, de ses facultés, de toutes les puissances de son être. C’est elle qui va bientôt ordonner, qui va animer ces fêtes que le peuple espère, qu’il désire, et que d’avance il appelle fêtes nationales. Ici, l’esprit se porte avec charme vers ces fêtes antiques, où, au milieu des jeux, des luttes, de toutes les émotions d’une allégresse universelle, l’amour de la patrie, cette morale, presque unique, des anciens peuples libres, s’exaltait jusqu’à ren-thousiasme, et se préparait à des prodiges. Vous ne voudrez pas priver la morale d’un tel ressort : vous voudrez aussi conduire les hommes au bien par la route du plaisir. Vous ordonnerez donc des fêtes. Mais vos fêtes auront un caractère plus moral; car elles porteront l’empreinte de cette bienveillance universelle qui embrasse le genre humain, tandis que le sentiment qui animait celles des anciens, confondait sans cesse l’amour de la cité et la haine pour le reste des hommes. Vos fêtes ne seront point toutes religieuses; non que la religion les proscrive ou les repousse, elle-même s’est parée de leur pompe: mais, lorsqu’elle n’en est point l’objet principal, lorsque les impressions qu’elle porte à l’âme ne doivent point y dominer, il ne convient pas qu’elle y paraisse; il est plus religieux de l’en écarter. Parmi les nouvelles fêtes, son culte réclamera toujours celles de la douleur pour y porter ses consolations. Le culte de la liberté vous demande toutes les fêtes de l’allégresse. Elles ne seront point périodiques : j’en excepte pourtant l’anniversaire du jour où, les armes à la main, la nation entière a juré la sainte alliance de la liberté et de l’obéissance à la loi, et celui du jour mémorable où l’égalité sembla naître tout à coup de la chute de tous les privilèges. Ges fêtes auront un tel caractère de grandeur, elles réveilleront tant de sentiments à la fois, qu’il n’est pas à craindre que l’intérêt qu elles doivent inspirer, s’affaiblisse par des retours marqués; mais les autres fêtes doivent, dans chaque lieu, varier avec les événements ; elles doivent donc conserver ce caractère d’irrégularité qui convient si bien aux mouvements de l’âme : il ne faut pas qu’on les prévoie de trop loin, qu’on les pressente avec trop de certitude; il ne faut pas 477 [Assemblé© nationale».] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] qu’elles soient trop commandées, car la joie comme la douleur ne sont plus aux ordres de personne. Elles rie seront pas uniformes, car bientôt la monotonie en aurait détruit le charme. Elles seront tour à tour nationales, locales, privées. Vous voudrez que chaque département rende solennelle l’époque où, arrêtant la liste de ses nouveaux citoyens, il montre avec orgueil à la patrie ses jeunes défenseurs, ses nouvelles richesses, et vous verrez avec intérêt chaque famille s’empresser de célébrer encore, par des fêtes intérieures, et ces mêmes époques publiques, et toutes les époques particulières de ses événements domestiques. Enfin, toutes ces fêtes auront pour objet direct les événements anciens ou nouveaux, publics ou privés, les plus chers à un peuple libre ; pour accessoires, tous les symboles qui parlent de la liberté, et rappellent avec plus de force à cette égalité précieuse, dont l’oubli a produit tous les maux des sociétés ; et pour moyens, ce que les beaux-arts, la musique, les spectacles, les combats, les prix réservés pour ces jours brillants, offriront dans chaque lieu de plus propre à reu-dre heureux et meilleurs les vieillards, par des souvenirs ; les jeunes gens, par des triomphes ; les enfants, par des espérances (1). Qu’on ne s’étonne pas d’entendre invoquer ici les arts comme appuis de la morale. Conserver des souvenirs précieux, éterniser des actions dignes de mémoire, immortaliser les grands exemples, c’est là sans doute enseigner la vertu. Qui ignore que l’imagination, qui s’enflamme à la vue d’un chef-d’œuvre, confond, dans le même enthousiasme, l’imitation parfaite qui l’enchante, et le irait sublime qui la ravit, et que c’est particulièrement dans la première jeunesse que cette alliance des sensations et des idées, cette influence des impressions physiques sur les affectious de l’âme, produit les effets les plus vifs et les plus durables? Les arts n’ont que trop souvent été prostitués aux intérêts de la tyrannie : elle les employait à détremper le caractère des peuples, à leur inspirer les molles affections qui les préparent à recevoir ou à souffrir la servitude : mais les arts eux-mêmes étaient esclaves lorsqu’on corrompait ainsi la noblesse de leur destination ; les arts aussi doivent rompre leurs fers chez un peuple qui devient libre. Il est vrai que, même sous l’empire des maîtres les plus absolus, on les a vus créèr des chefs-d’œuvre ; mais c’est qu’alors, trompant la tyrannie, ils savaient se réfugier dans une terre étrangère ; ils se transportaient, ils s’élançaient à Athènes, à Rome, jusque dans l’Olympe, et c’est là qu’ils trouvaient cette liberté et ce courage de conception dont ils ont conservé l’empreinte. Les arts sont la langue commune des peuples et des siècles. Il en est un surtout particulièrement consacré à l’immortalité; il confie au marbre et à l’airain, avec les traits des grands hommes, la reconnaissance de la patrie, qui s’honore en s’acquittant envers eux, et ajoute à son lustre en perpétuant leur renommée. Quelle autre récompense peut entrer en parallèle avec un tel triomphe, qui se perpétue à travers les siècles? Qu’il (1) La longueur, ainsi que la sévérité de notre travail nous interdisent sur ce sujet des détails auxquels il eût été agréable de se livrer. Ceux qui désireront des développements pleins d’intérêt pourront lire MM. Barthélemi, Paw et Cabanis. est beau pour les arts qui ne vivent que de gloire, d’associer ainsi leurs ouvrages à des noms impérissables 1 Et aussi, quelle leçon de morale que la statue d’un grand homme, élevée au milieu de ses concitoyens! Son exemple s’éternise par le monument qui lui est consacré; et s’il se trouvait une stérile époque où des modèles vivants ne pussent s’offrir à l’ambition de la jeunesse, i’histoire, ainsi animée, ainsi vivante, suffirait dans tous les temps à son enthousiasme. La nation, loin de redouter l’influence des arts, voudra donc se couvrir de leur gloire; elle les encouragera, elle les honorera, elle leur confiera ses intérêts; enfin, elle les placera dans l’éducation, comme un moyen de plus pour faire chérir la morale. Sparte n’avait pas banni de ses institutions l’exercice de la lyre; elle en avait seulement retranché quelques cordes, dont le son trop attendrissant était capable d’énerver l’âme et d’efféminer les mœurs. C’est par l’action combinée de tous ces moyens que, sous l’empire d’une Constitution favorable à tous les développements, l’homme social verra s’accroître ses richesses intellectuelles et morales : mais, pour réaliser ces espérances qui s’ouvre devant nous, pour que tant de moyens indiqués ne restent point de vains projets de l’esprit, il faut qu’ils se produisent et se manifestent dans l’ordre que sollicitent les besoins de l’homme, et sous un jour qui l’éclaire par degré; il faut que le talent, s’emparant des découvertes du génie, les rendre accessibles à tous, qu’il aspire, non à détruire toutes difficultés, car l’esprit humain a besoin de vaincre pour s’instruire, mds à ne laisser subsister que celles qui demandent de l’attention pour être vaincues; il faut, en un mot, que des livres élémentaires , clairs, précis, méthodiques, répandus avec profusion, rendent universellement familières toutes les vérités, et épargnent d’inutiles efforts pour les apprendre. De tels livres sont de grands bienfaits : la nation ne peut ni trop les encourager, ni trop les récompenser. En appelant l’intérêt national sur ce genre de secours, appliqué aux grands objets que nous venons de parcourir, nous nous reprocherions de ne pas l’arrêter un instant sur d’autres objets d’une utilité moins importante, mais plus directe, mais plus adaptée aux besoins journaliers et individuels, en un mot, sur ce qui intéresse particulièrement la culture et les arts mécaniques.- Comment ne pas former des vœux pour qu’à l’aide des méthodes et des livres élémentaires, la théorie de l’utile s’allie enfin à la pratique dans toutes les parties de l’agriculture; pour qu’on voie cesser cette étrange séparation qui semblait faire deux parts distinctes de nos facultés dans l’art qui demande le plus la réunion de toutes, et qui offrait le spectacle affligeant de la force et de l’activité sans lumières, de l’intelligence et des lumières sans action? Qui pourra dire tout ce qu’une telle discordance, fruit de nos vices et de nos institutions, a causé de ravages dans nos campagnes? Partout on y trouve la trace profonde de l’erreur : le dépérissement des forêis, ces produits tardifs de la terre; la perte de nos bestiaux; l’éducation abandonnée de ces utiles compagnons de nos travaux ; le défaut de pâturage: l’usage multiplié des jachères, ce long sommeil de nos champs condamnés à la stérilité, tout annonce l’art encore dans l'enfance, ou plutôt couvert de nos préjugés. Que serait-ce si nous analysions tout ce que produit de maux à la fin de chaque année l’i- 4*78 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [iO septembre 1791.] gnorance des premiers principes de la végétation, de la floraison, de la théorie de la greffe, de la nature desengrais, de l’influence des saisons, etc.? N’est-il pas évident que, pour des hommes qui, condamnés par le besoin de chaque jour, ne peuvent accorder que des moments à l’étude de leur art, c’est à des livres très élémentaires, �écrits avec clarte'tdrnVecThlérét, qu’ildoit être spécialement réservé de répandre sur tous ces objets les lumières les plus nécessaires? \ L’effet de ce moyen se fortifiera par la révolution qui va s’opérer dans nos mœurs. Dans le temps où il fallait occuper un état auquel un des préjugés régnants attachât de l’honneur, où d’ailleurs on naissait magistrat et guerrier comme on naît de tel sexe, où par conséquent laprufetsion était plutôt le produit de l’espèce que celui du choix, il était presque érigé en principe qu’uu propriétaire enrichi devait fuir la source de sa richesse. Travailler son champ était une peine ; l’habiter était un exil ; et dès lors, parmi les hommes à talent, on ne voyaitguère dans nos fertiles campagnes que ceux dont l’ambition trompée allait y ensevelir ses regrets. Désormais on sentira que, dans un pays agricole, tout doit naître cultivateur. On sera momentanément magistrat, guerrier, législateur; mais les travaux champêtres feront l’occupation habituelle de l’homme, et chacun y trouvera le délassement ou même la récompense de ses fonctions de citoyen : or, un tel changement de mœurs, multipliant dans nos campagnes les expériences utiles, contribuera nécessairement à y accréditer les bonnes méthodes et à y faire fructifier les principes que les livres élémentaires auront déjà pu introduire. Et quant aux arts mécaniques, de combien de méthodes ils demandent aussi le secours I Qui n’a pas souffert, qui ne souffre pas encore de voir un si grand nombre de nos ouvriers livrés à une routine qu’aucun principe ne dirige ou ne rectifie; contraints à faire venir de dehois les instruments même de leur profession quand ils aspirent à perfectionner leurs ouvrages; entièrement étrangers à la science du trait si nécessaire et si peu connue, à l’art de prendre une hauleur, de mesurer un angle, d'en acquérir le sentiment à un demi-degré près; aux principes raisonnés de l’équilibre, des leviers, de la romaine, de la balance; ignorant les propriétés les plus générales de l’air, tous les procédés, toutes les découvertes applicables aux arts et aux manufactures, dont la chimie a enrichi de nos jours l’esprit humain ; ne sachant quels sont les corps que l’humidité allonge, quels sont ceux quelle resserre; en un mot, ne connaissant de fart que la mécanique la plus grossière et presque jamais la théorie qui le simplifie etequi l’agrandit? Et n’e.vt-ce pas encore ici par (des livres méthodi-, ques, réunissant le double suffrage des théori-cîëïïS habiles et des praticiens consommés, que les vrais principes sur tous ces objets pénétreront dans nos ateliers, et qu’ils y élèveront l’industrie" nationale à ce degré de perfection et de splendeur auquel la France a montré, même dans son état d’imperfection, qu’elle était digne de prétendre? Nous avons annoncé au commencement de notre travail des principes d’instruction pour les femmes : ces principes nous paraissent très simples. On ne peut d’abord séparer ici les questions relatives à leur éducation de l’examen de leurs droits politiques; car, en les élevant, il faut bien savoir à quoi elles sont destinées. Si nous leur reconnaissons les mêmes droits qu’aux hommes, il faut leur donner les mêmes moyens d’en faire usage. Si nous pensons que leur part doive être uniquement le bonheur domestique et les devoirs de la vie intérieure, il faut les former de bonne heure pour remplir cette destination. Une moitié du genre humain exclue par l’autre de toute participation au gouvernement, des personnes indigènes par le fait et étrangères par la loi sur le sol qui les a cependant vues n titre, des propriétaires sans influence directe et sans représentation, ce sont làdesphénomènes politiques, qu’en princi pe abstrait , il paraît im possible d’expliquer : mais il est un ordre d’idée dans lequel la question change et peut se résoudre facilement. Le but de toutes les institutions doit être le bonheur du plus grand nombre. Tout ce qui s’en écarte est une erreur; tout c«j qui y conduit, une vérité. Si l'exclusion des emplois publics prononcée contre les femmes est pour les deux sexes un moyen d’augmenter la somme de leur bonheur mutuel, c’est dès lors une loi que toutes les sociétés ont dû reconnaître et consacrer. Toute autre ambition serait un renversement des destinations premières; et les femmes n’auront jamais intérêt à changer la délégation qu’elles ont reçue. Or, il nous semble incontestable que le bonheur commun, surtout celui des femmes, demande qu’elles n’aspirent point à i’exercice des droits et des fonctions politiques. Qu’on cherche ici leur intérêt dans le vœu de la nature. N’est-il pas sensible que leur constitution délicate, leurs inclinations paisibles, les devoirs nombreux de la maternité, les éloignent constamment des habitudes fortes, des devoirs pénibles, et les appellent à des occupations douces, à des soins intérieurs? Et comment ne pas voir que le principe conservateur des sociétés, qui a placé l’harmonie dans la division des pouvoirs, a été exprimé et comme révélé par la nature lorsqu’elle a ainsi distribué aux deux sexes des fonctions si évidemment distinctes? Tenons-nous-en là, et n’invoquons pas des principes inapplicables à cette question. Ne faites pas des rivaux des compagnes de votre vie : laissez, laissez dans ce monde subsister une union qu’aucun intérêt, qu’aucune rivalité ne puisse rompre. Croyez que le bien de tous vous le demande. Loin du tumulte des affaires, ah! sans doute il reste aux femmes un beau partage dans la viei Le titre de mère, ce sentiment que personne ne s’est encore flatté d’avoir exprimé, est une jouissance solitaire dont les soins publics pourraient distraire : et conserver aux femmes cette puissance d’amour que les autres passions affaiblissent, n’esi-ce pas surtout penser à la félicité de leur vie ? On dit que, dans de grandes circonstances, les femmes ont fortifié le caractère des hommes ; mais c’est qu’alors elles étaient hors de la carrière. Si elles avaient poursuivi la même gloire, elles auraient perdu le droit d’en distribuer les couronnes. Oïl a dit encore que quelques-unes avaient porté le sceptre avec gloire; mais que sont un petit nombre d’exceptions brillantes ? Autorisent-elles à déraDger le plan général de la nature? S’il était encore quelques femmes que le ha.-ard de leur éducation ou de leurs talents parût appeler à l’existence d’un homme, elles doivent en faire le sacrifice au bonheur du grand nombre, se montrer au-dessus de leur sexe en le jugeant, en lut marquant sa véritable place, et ne pas demander qu’en livrant les femmes aux mêmes 479 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. études que nous, on les sacrifie toutes pour avoir peut-être dans uu siècle quelques hommes de plus. Qu’on ne cherche donc plus la solution d’un problème suffisamment résolu; élevons les femmes, non pour aspirer à des avantages que la Constitution leur refuse, mais pour connaître et apprécier ceux qu’elle leur garantit : au lieu de leur faire dédaigner la portion de bien-être que la société leur réserve en échange des services importants qu’elle leur demande, apprenons-leur quelle est la véritable mesure de leurs devoirs et de leurs droits. Qu’elles trouvent, non de chimériques espérances, mais des biens réels sous l’empire de la liberté; que, moins elles concourent à la formation de la loi, plus aussi elles en reçoivent de protection et de force; et surtout qu’au moment où elles renoncent à tout droit politique, ebes acquièrent la certitude de voir leurs droits civils s’affermir et même s’accroître. Assurées d’une telle existence par le système des lois, il faut les y préparer par l’éducation ; mais développons leurs facultés sans les dénaturer ; et que l’apprentissage de la vie soit à la fois pour elles une école de bonheur et de vertu. Les hommes sont destinés à vivre sur le théâtre du monde. L’éducation publique leur convient : elle place de bonne heure sous leurs yeux toutes les scènes de la vie : les proportions seules sont différentes. La maison paternelle vaut mieux à l’éducation des femmes ; elles ont moins besoin d’apprendre à traiter avec les intérêts d’autrui, que de s’accoutumer à la vie calme et retirée. Destinées aux soins intérieurs, c’est au sein de leur famille qu’elles doivent en recevoir les premières leçons et les premiers exemples. Les pères et mères, avertis de ce devoir sacié, sentiront l’étendue des obligations qu’il impose : la présence d’une jeune tille purifie le lieu qu’elle habite, et l’innocence commande, à ce qui l’entoure, le repentir ou la vertu. Que toutes vos institutions tendent donc à concentrer l’éducation des femmes dans cet asile domestique: il n’en est pas qui convienne mieux à la pudeur, et qui lui prépare de plus douces habitudes. Mais la prévoyance de la loi, après avoir recommandé l'institution la plus parfaite, doit encore préparer des ressources pour les exceptions et des remèdes pour le malheur. La patrie aussi doit être une mère tendre et vigilante. Avant la destruction des vœux monastiques, une foule de maisons religieuses, destinées à cet objet, attiraient les jeunes personnes du sexe vers l’éducation publique. Gette direction générale n'était pas bonne; car ces établissements n’étaient nulle-meut propres à former des épouses et des mères : mais au moins iis offraient un asile à l’innocence, et cet avantage est indispensable à remplacer. Oa n’aura point à regretter l’éducation des couvents; mais on regretterait avec raison leur impénétrable demeure, si d’autres maisons non moins rassurantes et mieux dirigées ne suppléaient à leur destruction. Chaque département devra donc s’occuper d’établir un nombre suffisant de ces maisons, et d’y placer des institutrices dont la vertu soit le garant de la confiance publique. Les femmes qui se consacreront à des devoirs si délicats ne prononceront pas de vœux; mais elles preudront envers la société des engagements d’autant plus sacrés, qu’ils seront plus libres, et qui produiront le même effet pour la sécurité des familles. [10 septembre 1791.} Dans ces maisons, les jeunes personnes doivent trouver toutes les ressources nécessaires à leur instruction, et surtout l’apprentissage des métiers différents qui peuvent assurer leur existence. Jusqu’à l’âge de 8 ans elles pourraient, sans inconvénient, fréquenter les écoles primaires, et y puiser les éléments des connaissances qui doivent être communes aux deux sexes ; mais, avant de quitter l’enfance, elles doivent s’en retirer, et se renfermer dans la maison paternelle, dont il ne faut pas oublier que les maisons de retraite sont un remplacement imparfait. C’est alors qu’il faudra leur procurer d’autres secours pour s’instruire dans les arts utiles, et leur donner les moyens de subsister indépendants, par le produit de leur travail (l). Ainsi, prenant pour règle les termes de la Constitution, nous recommanderons, pour les femmes, l’éducation domestique, comme la plus propre à les préparer aux venus qu’il leur im porte d’acquérir. A défaut de cet avantage, nous leur assurerons des maisons retirées sous l’inspection des départements, et nous leur faciliterons i’ap-prentissage des métiers qui conviennent à leur sexe. Résumé. Je vais ressaisir l’ensemble du plan que je viens de tracer. En attachant l’instruction publique à la Constitution, nous l’avons considérée dans sa source , dans son objet , dans ses rapports, dans son organisation, dans ses moyens . Dans sa source : elle est un produit naturel de toute société; donc elle appartient à tous, à tous les âges, à tous les sexes. Dans son objet : elle embrasse tout ce qui peut perfectionner l'homme naturel et social ; donc elle réclame des établissements vastes et des principes libres. Dans ses rapports : elle en a d’intimes et avec la société et avec les individus. Avec la société : elle doit apprendre à connaître, à défendre, à améliorer sans cesse sa Constitution, et surtout à ia vivifier par la morale, qui est l’âme de tout. Avec les individus : elle doit les rendre meilleurs, plus heureux, plus utiles; donc elle doit exercer, développer, fortifier toutes leurs facultés physiques, intellectuelles, morales, et ouvrir toutes les routes pour qu’ils arrivent sûrement au but auquel ils sont appelés. Dans son organisation : elle doit se combiner avec celle du royaume; de là écoles primaires , de district , de département, et enfin institut national ; mais elle doit se combiner avec liberté ; car sts rapports ne peuvent s’identifier en tout avec ceux de l’administration; de là aussi fies différences locales, déterminées par l’intérêt de la science et par le bien public. Les écoles primaires introduiront, en quelque sorte, l’enfance dans la société. Les écoles de district prépareront utilement la jeuuesse à tous les état? de la société. Les écoles de département formeront particulièrement l’adolescence à certains états de la société. (1) On peut offrir aux départements comme un modèle de ce genre d’établissements, un mémoire adressé à l’Assemblee nationale par une artiste ingénieuse (Mm* Guyard), qui, dans cet ouvrage, a su ennoblir les arts en les associant au commerce, et les appliquer aux progrès de l’industrie. 480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1791.] Dans ces écoles, on enseignera la théologie , la médecine, le droit , Y art militaire. ~~ Mais la théologie, il a fallu la circonscrire ; la médecine, il a fallu la compléter; le droit, il a fallu l’épurer-, l’art militaire, il a fallu le faciliter à tous. L 'institut national réunit tout, perfectionne tout : donc il était nécessaire d’en assortir toutes les parties, de leur montrer un but, jamais un terme, et de leur imprimer, au milieu de tant de mouvements divers, une direction ferme et rapide. Les moyens d’instruction se sont bientôt offerts à nous : car c’est en eux et par eux que l’instruction vit et se perpétue. Nous avons parlé des instituteurs qu’il faut savoir choisir, honorer, récompenser; des immenses productions de l'esprit humain qu’on doit distribuer, classer, compléter, purifier pour l’avantage des sciences, pour le bien de la raison ; des encouragements dus aux promesses du talent; desprix dus encore plus à ses services. De là nous sommes arrivés aux méthodes , ces premiers instruments de nos facultés; nous avons osé en chercher pour la raison elle-même, afin d’accroître sa force, afin de lui assurer cette rectitude qui doit faire son principal caractère ; nous en avons cherché pour la communication des idées, ce grand besoin de l’homme social. Là, nous avons accusé l’imperfection des langues, et en nous plaçant à la source du mal, peut-être n’avons-nous pas été loin d’indiquer le remède. Neus avons voulu aussi des méthodes pour apprendre la morale; nous les avons cherchées dans la raison qui la démontre; dans le sentiment qui l’anime; dans la conscience qui la garde; dans l’intérêt même qui la conseille; dans l’histoire qui la célèbre; dans les premières habitudes qui l’impriment, etc. : nous les avons demandées à tout ce qui nous entoure, aux spectacles, aux fêtes, aux beaux-arts, à ce qui nous émeut, à ce qui nous enchante ; et partout nous avons vu que la société réunissait les moyens les plus féconds pour rendre les hommes meilleurs en les rendant plus heureux. Quittant ces méthodes générales, nous nous sommes reposés un insiant sur les méthodes usuePes que sollicitent l’agriculture et les arts mécaniques ; nous avons du moins formé des vœux pour leur perfectionnement, et nous avons taché de leur obtenir cette portion d’intérêt public qu’elles méritent. A Enfin, nous avons traité à part l’éducation des femmes. Ici, nous avons cherché les principes dans leurs droits, leurs droits dans leur destinée, leur destinée dans leur bonheur. PROJET DE DÉCRET sur L’INSTRUCTION PUBLIQUE (1). ÉCOLES PRIMAIRES. L’objet des écoles primaires est d’enseigner à tous les enfants leurs premiers et indispensables (t) Il a déjà été décrété constitutionnellement sur l’instruction : 1° Qu’il sera créé et organisé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à regard des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes, et dont les établissements seront distribués graduellement dans un rapport combiné avec la division du royaume ; 2* Qu’il sera établi des fêtes nationales. devoirs; de les pénétrer des principes qui doivent diriger leurs actions ; et d’en faire, en les préservant des dangers de l’ignorance , des j/hommes plus heureux et des citoyens plus utiles. Art. 1er. Chaque administration de département déterminera le nombre des écoles primaires de son arrondissement, sur la demande des municipalités, présentée par les directoires des districts. Il sera établi à Paris une école primaire par section. Art. 2. Les écoles primaires seront gratuites et ouvertes aux enfants de tous les citoyens sans distinction. Art. 3. Nul n’y sera admis avant l’âge de 6 ans accomplis. Art. 4. ! Développement des facultés intellectuelles . — Qn y enseignera aux enfants : 1° à lire tant <|ans les livres imprimés que dans les manuscrits; 2° à écrire, et les exemples d’écriture rappelleront leurs droits et leurs devoirs; 3° les premiers éléments de la langue française, soit parlée, •oit écrite; 4° les règles de l’arithmétique simple; 5° les éléments du toisé ; 6° les noms des villages du canton; ceux des cantons, des districts et des villes du département; ceux des villes hors du département, avec lesquelles leur pays a des relations plus habituelles. Art. 5. ! Morales. — On y enseignera : 1° les principes kie la religion ; 2° les premiers éléments de la morale, en s’attachant surtout à faire connaître Iles rapports de l’homme avec ses semblables; 3° des instructions simples et courtes sur les devoirs communs à tous les citoyens et sur les j lois qu’il est indispensable à tous de connaître; 4° des exemples d’actions vertueuses qui les ; toucheront de plus près, et avec le nom du i citoyen vertueux, on citera celui du pays qui l'a vu naître. Art. 6. '( Physiques. — Dans les villes et bourgs au-des-; Sus de 1,000 âmes, on enseignera aux enfants les principes du dessin géométral. 1 1 Pendant les récréations, on les exercera à des Vjeux propres à fortifier et à développer le corps. Art. 7. Deux notables de la commune seront chargés de surveiller l'école primaire et de distribuer des prix tous les ans. Art. 8. Chaque département, sur la demande des municipalités, présentée par le directoire du district , fixera, dans son arrondissement, le nom-bré des maîtres et celui des écoles primaires. Art. 9. Il sera ouvert un concours pour le meilleur ouvrage nécessaire aux écoles primaires. Les auteurs qui voudront concourir, adresseront leur ouvrage aux commissaires de l’instruction publique, qui le feront passer à l’institut national. D’après le jugement motivé de l’ins-