334 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Sur la motion d’un membre, la Convention a décrété que les cartes et plans relatifs au système général de navigation seront exposés dans le salon de la Liberté, à mesure qu’ils seront faits (49). 14 La Convention nationale, sur la pétition de la citoyenne veuve Touchard, appuyée d’un certificat d’indigence, réclamant une pension dont elle n’a pu, en l’état, justifier suffisamment, attendu la perte du livre où cette pension étoit inscrite, Renvoie au comité des Finances ; et sur la demande d’un membre, surseoit à toute déchéance que ladite veuve Touchard pourroit encourir dans l’intervalle du rapport du comité des Finances (50). 15 SALLENGROS fait rendre le décret suivant (51) : La Convention nationale, après avoir entendu son comité des Secours publics, sur la pétition du conseil d’administration du second bataillon de la Meurthe, par laquelle il résulte que le citoyen Jean-Baptiste Charlemont, lieutenant-colonel du bataillon, âgé de 60 ans ou environ, n’a craint ni les dangers ni les fatigues de la guerre que la liberté soutient contre la tyrannie, ni de perdre le fruit de vingt années de service dans les troupes du tyran d’Autriche, pour raison desquelles il jouis-soit d’une pension de 1 200 L, sa seule fortune ; que depuis la formation du bataillon, le 17 août 1791, il n’a pas quitté son drapeau un instant; que le bataillon s’honore en publiant que la conduite civique, les ta-lens militaires, le zèle, le courage, l’audace et l’intrépidité de Charlemont ont été utiles au bataillon et à la patrie; qu’à la tranchée, sur la rive droite de la Meuse, devant Maastricht, où il commandoit son bataillon, il se comporta de manière à mériter les témoignages d’estime et de re-connoissance du général-commandant; que dans le mouvement pour quitter ce poste, que le cinquième bataillon des Vosges relevoit, un boulet tiré de la place assiégée lui emporta la main gauche dans l’articulation avec l’avant-bras, qui de plus lui fractura le quatrième doigt de la main droite et mutila grièvement les autres; (49) Mess. Soir, n” 795. (50) P.-V., XLVIII, 4. C 322, pl. 1363, p. 3, minute de la main de Boissieu, rapporteur. (51) Débats, n” 759, 446. Décrète que la Trésorerie nationale fera passer sans délai au citoyen Jean-Baptiste Charlemont, lieutenant-colonel du second bataillon de la Meurthe, la somme de 600 L de secours provisoire. Renvoie la pétition du conseil d’administration du bataillon, pour régler et déterminer promptement la pension du brave Charlemont. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (52). 16 Un membre [LEQUINIO], au nom du citoyen Gamas, fait hommage à la Convention, d’une pièce de théâtre intitulée Cange ou le Commissionnaire de Saint-Lazare , dans laquelle ce littérateur célèbre cette action de désintéressement de ce sans-culotte vertueux, qui s’est privé de son nécessaire pour alimenter un prisonnier et sa famille indigente. La Convention décrète mention honorable du zèle de l’auteur, et le renvoi de sa pièce au comité d’instruction publique (53). 17 On lit deux lettres, l’une de Saint-Prix et l’autre de Ribéreau, mis en arrestation, qui demandent à être transférés dans leur domicile pour rétablir leur santé. - Accordé (54). PÉNIÈRES : Quatre décrets ont ordonné le rapport sur nos collègues détenus ; celui d’avant-hier ordonnait l’impression de l’acte qui a servi de base à leur arrestation; cet acte ne se trouve point aujourd’hui dans la distribution ; aucun de vos décrets à cet égard n’est exécuté. Il me semble aujourd’hui que nous devons aborder la question (55). [Pénières saisit cette occasion pour rappeler que les décrets avoient ordonné qu’il seroit fait un rapport sur les députés détenus. Il expose que c’est avec étonnement qu’un grand nombre des membres de l’Assemblée n’ont pas vu dans la distribution du jour la pièce qui a servi de motif à la détention de divers de leurs collègues. Il pense qu’aucune loi ne défendoit et ne pou-(52) P.-V., XLVIII, 4-5. C 322, pl. 1363, p. 4. Décret attribué à Sallengros, par C* II 21, p. 15. Bull., 1er brum. (suppl.); Débats, n° 759, 446-447. (53) P.-V., XLVIII, 5-6. Décret de renvoi attribué à Lejeune, par C* II 21, p. 15. Moniteur, XXII, 302-303; Débats, n” 759, 448; F. de la Républ., n“ 32; M. U., XLV, 23. (54) Débats, n° 760, 453 ; Moniteur, XXII, 303 ; M. U., XLV, 23; J. Mont., n° 9. (55) Moniteur, XXII, 303. Pour ce débat, nous suivons le texte du Moniteur. Les variantes sont indiquées entre crochets. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 335 voit défendre aux représentans détenus le droit d’exprimer leur opinion sur un événement qui a partagé les sentimens : il soutient que leur déclaration contient de grandes et importantes vérités.] (56) Je ne jetterai point mes regards sur le passé ; je demanderai seulement : Nos collègues, comme députés, comme citoyens, ont-ils eu le droit d’émettre leur opinion sur un événement quelconque? Certes, si tous ceux des représentants du peuple qui ont pensé comme eux eussent dû être jetés dans les fers, il en existerait peu parmi nous ; mais j’ai dit que je ne voulais point rappeler le passé. [ Murmures et vifs ap-plaudissemens .] (57) Je ne demanderai point l’ouverture du registre qui est entre les mains de Guyton ; je n’interpellerai point Cambon sur les aveux qu’il a faits à cette tribune : non, je veux attendre un temps plus tranquille pour dévoiler à l’histoire des vérités qui ne passeront pas sans doute. A la place de mes collègues, je demanderais un rapport; mais la Convention n’en a pas besoin. [Dans ce moment, une pareille demande se-roit peut-être impolitique, et il n’est personne de nous qui ne doive faire les plus chers sacrifices à l’intérêt de la patrie. Mais quand tous les citoyens obtiennent justice, il faut aussi que nos collègues l’obtiennent. On ne doit plus souffrir que près de cent représentans gémissent dans les fers, quand tous ceux qui ne les ont pas plus mérité qu’eux sont en liberté.] (58) La Convention, d’après la liberté dont elle jouit depuis le 9 thermidor, doit-elle souffrir que près de cent de nos collègues soient détenus dans les fers lorsqu’ils n’ont dit que la vérité? Quand on rend justice à tout le monde, seront-ils les seuls qui ne puissent l’obtenir? Si quelqu’un a des faits à articuler, qu’il monte à la tribune, et je lui répondrai. Je demande que nos collègues soient rendus sur-le-champ à la liberté, que le rapport soit fait dans quatre jours. MERLIN (de Thionville) : J’annonce, au nom du comité de Sûreté générale, que la protestation de nos collègues (car c’est une protestation) lui a été remise hier à minuit ; on la copie ; elle sera demain dans la distribution. Si la Convention veut conserver la liberté qu’elle a recouvrée, elle ne doit pas aller selon la tête de certaines personnes; elle doit marcher à son but sans dévier; elle doit entendre un rapport, puisqu’elle l’a ordonné. Sans doute elle ne verra, dans la démarche de nos collègues, qu’un effet de l’erreur ; mais la France verra peut-être que ces hommes, qui réclament leur liberté avec tant de chaleur, ont calomnié la révolution du 31 mai, que toute la France a unanimement applaudie. Pour rendre justice à nos collègues, il ne faut pas aller chercher des millions de coupables. (56) Débats, n” 760, 453. (57) Ann. R.F., n” 31. (58) Débats, n° 760, 454. [Il faut donc attendre, avant de prendre aucune détermination, que vos comités vous ayent fait, à cette tribune, le rapport que vous leur avez demandé : vous verrez peut-être des hommes qui n’ont été qu’égarés ; mais toute la République vous dira que dans le temps ces hommes seroient tombés, peut-être, sur ceux à qui aujourd’hui ils demandent justice. Cette affaire, d’ailleurs, est d’une haute importance : c’est le 31 mai que vous allez juger; c’est cette journée qui a sauvé la République (On applaudit). Je conclus donc à ce qu’on attende le rapport.] (59) GUYOMAR : Je pense avec Merlin qu’il faut attendre le rapport; gardez-vous de l’enthousiasme pour mettre en liberté comme pour mettre en arrestation (On applaudit ). Gardons-nous surtout de l’impétuosité française, qui fait l’honneur de nos armées, mais qui ne convient pas à des législateurs. Pour que vos décrets soient respectés, imposez-vous la loi de n’en jamais rendre que dans le calme des passions. [Je suis de l’avis de Merlin ; attendons le rapport ; nos collègues, j’en suis certain, seroient du même avis, car c’est justice qu’ils demandent (On applaudit ). Ne prononcez jamais ni arrestation ni liberté sans un examen approfondi; défiez-vous de toute détermination précipitée ; si quelques fois vous avez d’enthousiasme décrété de bonnes choses, combien de fois aussi n’avez-vous pas été obligés de rapporter des décrets ainsi rendus ! Il n’y a de bonnes lois que les lois sages et réfléchies (On applaudit). Attendons donc le rapport : je me plais à croire que, s’il n’est pas fait encore, c’est que cela n’a pas été au pouvoir de vos comités, et qu’ils le feront incessamment.] (60) THURIOT : La question sur laquelle on veut enlever une décision précipitée est la plus grande qu’ait à traiter la Convention ; nous ne devons pas seulement l’envisager sous le rapport des individus, mais sous le rapport politique. C’est la question de savoir si nous ferons le procès à la révolution du 31 mai. Il est des hommes qui auront toujours à se reprocher d’avoir quitté la ligne du patriotisme, de n’avoir rien fait pour la révolution, d’avoir, pour ainsi dire, ouvert les portes de Paris aux ennemis de la liberté; il ne faut pas se persuader que s’il y a des motifs puissants pour que ces détenus restent en arrestation, un excès de complaisance nous arrachera leur élargissement. Il y avait longtemps que nous étions comprimés lorsque la révolution du 31 mai a sauvé la France. Nous verrons si les hommes qui écrivaient qu’on avait tiré à boulets rouges sur la Convention étaient des hommes de bien. Qui est-ce qui avait établi à Marseille ce tribunal qui sacrifiait les patriotes au fédéralisme? Qui avait créé à Bordeaux ces commissions populaires qui faisaient frémir les amis de la liberté, qui tentaient de fédéraliser partout la Répu-(59) Débats, n” 760, 454. (60) Débats, n" 760, 454. 336 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE blique, lorsque la mort était prononcée contre quiconque attentait à son unité? Et nous, qui aimons la liberté, ne craindrons-nous pas de nous ranger du bord d’hommes qui l’ont toujours détestée? Nous sommes comptables aux citoyens qui sont venus jurer à la barre qu’ils mourraient plutôt que de laisser opprimer la Convention. Eh ! ne viendraient-ils pas vous reprocher d’avoir sacrifié la liberté publique à la liberté de quelques individus? [La question sur laquelle on voudroit vous enlever une discussion précipitée, est la plus importante que la Convention puisse traiter; c’est la grande question de savoir si vous ferez, oui ou non, le procès de la révolution ( Applaudi) .] (61) [Je vois dans la question qu’on agite une des plus grandes causes qui aient occupé la Convention nationale. C’est sous son rapport politique qu’elle mérite principalement notre attention. Que ceux qui la rappellent sans cesse, pensent un peu plus sérieusement aux maux qu’ont faits à leur patrie ceux pour lesquels ils invoquent votre justice. Sont-ils patriotes, les hommes qui ont favorisé l’arrivée des ennemis jusqu’aux portes de Paris?] (62) [Gardons-nous d’oublier les maux de la France, il est des hommes qui auront continuellement à se reprocher d’avoir corrompu l’opinion publique, d’avoir facilité l’approche des portes de Paris aux cohortes étrangères. Il ne faut pas se persuader que s’il y a des motifs puissans pour que nos collègues ne rentrent pas dans notre sein, on se déterminera, par complaisance, à les y faire revenir. Il ne faut pas croire qu’on parviendra, en envoyant des émissaires dans les boutiques et dans les cafés, à persuader Paris que ce qu’il a fait pour la République, il l’a fait par des mouvemens perfides et contre-révolutionnaires. Je soutiens, moi, que sans la journée du 31 mai, la République étoit perdue ( Applaudi ).] (63) [Qu’ils ne croyent pas qu’on sacrifiera le bonheur du peuple à l’intérêt qu’on peut prendre à leur sort; que s’il y a des raisons pour qu’ils restent en prison, ou pour qu’ils ne rentrent pas dans la Convention, on immolera ces raisons par complaisance ou à des combinaisons secrètes. Sans le 31 mai, il n’y auroit point de liberté en France (On applaudit). Nous verrons si ceux qui osoient écrire et imprimer qu’on ti-roit à boulets rouges sur la Convention, étoient des gens de bien; nous examinerons la correspondance qu’ils ont entretenue avec ceux qui vouloient fédéraliser la République, qui contre toutes les lois osèrent établir un tribunal populaire à Marseille, une commission militaire à Bordeaux. Et dans quel temps entretenoient-ils cette correspondance? Dans un temps où la loi avoit déjà prononcé la peine de mort contre ceux qui s’opposeroient à l’unité de la République. Quand, après deux ans de dangers et de peines, nous avons établi enfin la Répu-(61) Ann. R.F., n” 31. (62) J. Paris, n° 32. (63) Ann. R.F., n° 31. blique, nous rangerons-nous du bord de ceux qui l’ont toujours abhorrée? N’oublions pas qu’il a existé un parti puissant qui vouloit incendier la République : nous sommes comptables de la détermination que nous prendrons à la République toute entière ; aux citoyens sans nombre qui ont juré à la barre de périr plutôt que de laisser porter atteinte à l’unité de la République, qui ont fait poser les armes à ces hordes de scélérats. Ils nous reprocheront de sacrifier la République à des hommes qui jamais n’ont voulu l’égalité; qui ont tenté de fédéraliser, d’anarchiser la France; qui ne vouloient la liberté qu’en calcul ; qui ont essayé de diriger une force armée contre la Convention. Voilà ce que vous aurez à examiner, et nous verrons qui doit l’emporter du crime ou de la République.] (64) [Il existoit une faction qui avoit juré de raser Paris, d’anéantir la liberté et l’égalité ; nous devons compte à la République de ce qui s’est passé alors. Loin de nous l’idée de rétablir un système contraire à la justice; mais loin de nous ce grand système d’impunité qui formeroit encore deux partis dans la République.] (65) Ne donnons plus de prise aux déchirements. La Convention, dans l’état où elle est, veut faire le bien; rejettons tout système qui tendrait à lui enlever son harmonie. Est-ce qu’on ne s’aperçoit pas que l’on met un levier terrible dans la main de ceux qui ne veulent pas cette harmonie dans la représentation nationale ? La France était satisfaite ; vous aviez proclamé les grands principes ; pourquoi faire revenir dans votre sein des hommes qui se sont toujours opposés à ceux qui défendaient ces principes? La Convention nationale, ou au moins une partie, en votant la mort du tyran, a renversé la monarchie. [Loin de nous l’affreuse idée de verser un sang innocent ! mais loin de nous aussi le système de l’impunité, qui nous replongeroit dans un gouffre affreux de maux. Trop longtemps deux partis n’ont cessé de causer des déchire-mens dans la Convention, il n’en faut qu’un (Vifs applaudissemens). Il ne faut plus d’hommes à passions.] (66) [Est-ce le moment de demander la liberté des détenus qui faisant revenir dans le sein de la Convention le germe de toutes les divisions, ar-rêteroient le cours de nos travaux, et peut-être les heureux effets de notre union. Quel compte ne vous demanderoit pas le peuple de votre imprudence, si cette mesure devenoit funeste à la liberté. Un grand contrat a été formé entre lui et nous, ce contrat a été ratifié par la nation entière; ceux qui n’ont pas voté la mort du tyran ont pu se tromper ; mais ne courant aucun risque avec la tyrannie, peuvent-ils donner quelque garantie. Ce sont ceux qui ont tout mis dans ce contrat qui ont tout à risquer. Eh bien ! ceux qui demandent la mise en liberté sans examen ont-ils voté cette mort?] (67) (64) Débats, n” 760, 455. (65) Ann. R.F., n“ 31; J. Perlet, n° 759. (66) Débats, n° 760, 455. (67) J. Paris, n° 32. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 337 [Oui, j’ai voté contre le tyran, s’écrie Pé-nières.] (68) [La Convention a voté la mort du tyran et l’abolition de la royauté. C’est par erreur sans doute que ceux qui ne l’ont pas votée... ( Des murmures interrompent l’orateur ).] (69) [A ces mots une partie de l’Assemblée se lève avec emportement. Je l’ai votée, s’écrient plusieurs voix. Le tumulte augmente ; une partie de l’Assemblée fait à l’autre des gestes menaçants ; des injures personnelles sont lancées; enfin quelques membres crient vive la République ! et ce cri est universellement répété.] (70) Plusieurs voix : Nous avons tous voté la destruction de la monarchie. (Vive la République! s’écrient tous les membres en se levant simultanément et agitant leurs chapeaux). THURIOT : [Ceux qui n’ont pas voté la mort du tyran et ceux qui ont voté l’appel au peuple doivent être confondus. J’allois dire, à l’instant où l’on m’a interrompu mal à propos, que j’ai-mois à croire qu’ils n’avoient été égarés; que depuis ils ont rendu hommage aux principes; qu’ils ne dévoient plus faire qu’un avec la Convention ; qu’un seul et même sentiment de-voit nous animer tous, celui du bien public (on applaudit ).] (71) THURIOT : Citoyens, je disais à la Convention qu’en votant la mort du tyran nous avions contracté un grand acte, que ceux qui avaient tout mis dans ce contrat avaient tout à risquer, et que ceux qui n’y avaient rien mis ne risquaient rien. Je n’examinerai pas si ceux qui ont voté la mort du tyran avec la restriction de l’appel au peuple doivent être confondus; ce n’est pas là la question. J’aime à penser que tous ceux qui n’ont pas fait de protestation sont revenus, et ne doivent faire qu’un avec la représentation nationale. Mais, en résultat, quel sera l’effet de la rentrée des soixante et onze? y avez-vous bien réfléchi, vous qui avez parlé? avez-vous pensé à l’intérêt politique, à votre propre intérêt? Pouvez-vous savoir, si ces hommes n’ont pas changé de système, jusqu’où se portera le délire? et alors quel sera le sort de la République? Est-ce que vous croyez que si l’intérêt de la patrie demandait que trente de nous ne fussent plus dans le sein de la Convention, il ne faudrait pas qu’ils partissent sur-le-champ? La Convention ne doit-elle pas présenter le tableau de l’union? Je suis sûr que, si l’on eût consulté ceux pour qui l’on parle, ils eussent dit à ces défenseurs si zélés : « Vous êtes nos plus grands ennemis. » Je pense donc qu’il faut attendre un rapport, et l’impression de la protestation et de la correspondance. Il faut examiner l’intérêt politique; et qu’on ne pense pas que nous laisserons prévaloir sur lui l’intérêt léger ou criminel d’une faction. [Le salut public n’est-il pas la suprême loi? ne savez-vous pas que s’il exigeoit que 30 ou 40 de nous ne * restassent point dans cette enceinte, ils devroient en sortir? L’intérêt de la France exige que nous ne précipitions rien, et que notre décision ne soit que le fruit de la sagesse et le résultat d’un examen approfondi. Je demande que les comités examinent non seulement la protestation, mais encore la correspondance de ces députés avec les départemens, qu’on passe à l’ordre du jour sur la motion de Pénières, et qu’enfin on s’en rapporte à la sagesse des comités.] (72) Je demande que la Convention, s’en rapportant à la sagesse de ses comités, passe simplement à l’ordre du jour. PELET : Je croyais que le 9 thermidor avait éteint parmi nous toutes les passions. La Convention s’est conduite d’après les principes lorsqu’elle a ordonné qu’il fut fait un rapport sur ces détenus. Voilà la marche qui lui convient, c’est la seule qu’elle puisse tenir. Je suis affligé qu’on ait voulu entamer la discussion avant ce rapport : il est de l’intérêt des détenus, il est de l’intérêt de la chose publique que cette affaire soit traitée avec calme. J’ai demandé la parole pour combattre quelques idées de Thuriot ; il a dit : « Tout est bien, il faut rester dans l’état où nous sommes, de peur que le peuple vienne nous reprocher...» [Depuis le 9 thermidor l’Assemblée a suivi une marche grande et digne d’elle, c’est cette marche qu’elle doit suivre encore. Elle a fait ce qu’elle devoit faire quand elle a ordonné qu’il lui seroit fait un rapport; il faut attendre ce rapport, il nous éclairera, et ensuite nous nous livrerons à la discussion avec tranquillité, avec cette majesté qui convient à la Convention. Si donc j’ai demandé la parole, c’est pour relever quelques opinions de Thuriot qui me paroissent dangereuses. Tout est bien, a-t-il dit ; et il faut nous tenir comme nous sommes, de crainte de n’être pas aussi bien à l’avenir.] (73) THURIOT : Je n’ai pas dit cela ; j’ai proposé d’examiner la question. PELET : Thuriot est venu vous alarmer sur la manière dont tel ou tel représentant a voté. Souvenez-vous que c’est avec cette tactique qu’on a plongé le poignard dans le sein de la patrie (On applaudit). Thuriot a raison lorsqu’il prétend que la question est liée ; mais j’ai été fâché de voir qu’il se soit si longtemps appuyé sur les passions qui ont divisé la Convention, lui qui a été si souvent le conciliateur des représentants du peuple. Je demande que nous attendions dans le calme le rapport que les comités sont chargés de faire. La discussion est fermée. [Je m’étonne que Thuriot qui a été plusieurs fois ici conciliateur aigrit ici les esprits. Il jouit d’une certaine influence (Murmures subits). Per-(68) Rép., n" 33; Débats, n" 760, 456. (69) Débats, n° 760, 456. (70) Ann. R.F., n° 31. (72) Rép., n 33. (71) Débats, n° 760, 456. (73) Débats, n” 760, 456-457. 338 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sonne ici n’a d’influence, s’écrient à la fois tous les membres. Applaudissemens ).] (74) [Mais j’ai été fâché de voir Thuriot revenir sur le passé, de le voir entamer la discussion avant le rapport, en reprochant à certains membres l’opinion qu’ils ont émise dans le temps; n’a-t-il pas craint de nous replonger dans la servitude où nous avons gémi si longtemps? Sans la liberté des opinions dans la Convention, il n’y aura jamais de liberté en France (Vifs applaudissemens)-, pourquoi donc l’attaquer tout en la prêchant? C’est avec peine que j’ai vu Thuriot quitter ce caractère de conciliation qui lui a fait tant d’amis, et appuyer sur des passions qui peuvent ranimer la division. Je ne puis croire que tout va bien, parce que Thuriot exerce une sorte d’influence qui, d’ailleurs, est bien méritée, parce qu’un individu a plus ou moins de crédit. Je pense aussi qu’il faut faire toute espèce de sacrifice au bien public ; mais il faut une égale justice pour tous. Ne revenons donc pas sur le passé et attendons le rapport (On applaudit ). LEVASSEUR : Toute la République a applaudi au 31 mai (On applaudit ).] (75) [La discussion se ferme, aussitôt le président veut mettre aux voix les propositions, il se fait du bruit.] (76) MERLIN (de Thionville) : L’ordre du jour, motivé sur le décret. L’ordre du jour est ainsi décrété. PÉNIÈRES : Je demande que le rapport soit fait dans la décade. ISORÉ : L’ordre du jour pur et simple ! Plusieurs voix : L’appel nominal! [L’ordre du jour est mis aux voix ; une première épreuve est douteuse.] (77) La Convention nationale, sur la proposition de mettre provisoirement en liberté les représentans du peuple détenus, et sur la nouvelle demande d’impression de la pièce pour laquelle ils ont été arrêtés, passe à l’ordre du jour, motivé sur ses pré-cédens décrets, qui ordonnent un rapport préalable, et l’impression de la susdite pièce (78). GUYOMAR : Les décrets rendus avaient fixé le délai à aujourd’hui ; vous ne pouvez changer de marche; il ne faut pas que d’une affaire de justice on fasse autre chose. [Un premier décret fixoit au premier brumaire, à aujourd’hui, le rapport à faire sur nos collègues : cette détermination de la Convention ne peut être changée que par les motifs allégués par l’opinant, et auxquels on ne m’a pas permis de répondre. Il ne peut donc être en ce moment question que de savoir si la Conven-(74) Ann. R.F., n" 32. (75) Débats, n” 760, 457. (76) Rép., n” 33. (77) Débats, n” 760, 457. (78) P.-V., XLVIII, 6. C 322, pl. 1363, p. 6. Décret attribué à Guyomar, par C* II 21, p. 15. tion veut maintenir ses premiers décrets, ou si elle veut me permettre de répondre. Citoyens, il ne faut pas qu’une affaire de justice devienne une affaire de parti (On applaudit)-, il est possible que quelques-uns de nos collègues aient erré en prinicipes ; mais je déclare, moi, que j’en connois parmi eux de parfaitement honnêtes. Citoyens, la révolution du 9 thermidor nous a tous réunis, pourquoi nous diviserions-nous? Demeurons unis comme nous l’étions quand il fut question de renverser le trône de Robespierre (On applaudit). On a parlé de la différence d’opinions qui, pendant quelques temps, exista entre nous; on a même cherché à lui trouver un prétexte. Citoyens, nous avons tous déclaré que Capet étoit traître à la patrie, croyez-vous qu’une telle déclaration soit une lettre de recommandation auprès des puissances? Non, sans doute. Il y eut divergence d’opinions, il est vrai, sur les autres questions, mais la majorité de la Convention s’étant prononcée, aucun de nous a-t-il réclamé? Citoyens, j’oserai vous dire que, si tous les membres ne votèrent pas la mort, c’est que quelques-uns craignirent de voir s’élever un tyran à la place de celui que l’on jugeoit (On murmure). Citoyens, laissez-moi dire ce que je pense, ou dic-tez-moi ce que je dois penser et dire.] (79) [Nous avons tous été d’accord lorsqu’il s’est agi du jugement de Louis Capet; nous avons tous été d’accord qu’il étoit traître envers sa patrie, et certes ce n’étoit pas là une lettre de grâce auprès des tyrans. Ils n’ont pas voté sa mort parce qu’ils craignoient Orléans qui se te-noit à l’écart. On ne doit pas leur faire un crime sur la journée du 31 mai.] (80) Nous nous sommes réunis dans la journée du 9 thermidor; pourquoi nous diviser aujourd’hui? Nous ne voulons point de tyran; je ne veux pas qu’on fasse le procès à la révolution du 31 mai; mais je ne veux pas non plus que l’on confonde avec cette époque la protestation de nos collègues. Le délai de trois jours me paraît suffisant : d’après le rapport que nous feront les comités, nous serons en état d’ouvrir une discussion; mais il ne faut pas faire présumer que ceux qui voudraient faire quelque chose en faveur de nos collègues veulent faire le procès à la révolution du 31 mai. Je demande donc le délai fixé à trois jours. [Je viens au sujet de la question. Chacun de nous veut enfin s’éclairer sur les motifs de l’arrestation de nos 71 collègues; chacun de nous désire voir imprimées les pièces justificatives du rapport qui doit vous être fait; chacun de nous brûle d’entendre ce rapport qui doit enfin fixer l’opinion de la France entière sur une portion de la représentation nationale. Eh bien! citoyens, accordez aux comités le délai qu’ils vous demandent; quand le rapport vous aura été fait, la discussion s’ouvrira. Mais, de grâce, point de prévention injuste, et ne jugez pas d’avance que ceux qui parlent en faveur des détenus aient l’intention de faire le procès à la (79) Débats, n° 760, 457. (80) J. Mont. , n" 9; Rép., n' 33. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 339 révolution du 31 mai. N’oubliez pas que le 9 thermidor nous a tous ralliés autour des principes, et que nous avons la chose publique à sauver {On applaudit ).] (81) GIROT-POUZOL (82) : Je vois avec douleur qu’une réclamation de nos collègues qui demandent justice ait jeté la division dans cette Assemblée : vous avez rétabli les grands principes de cette justice; certes vous ne les repousserez pas lorsqu’ils les invoquent dans cette enceinte; le sort de la République demande, comme ces principes, que les coupables dont les crimes sont connus soient punis : voilà ce que demandent aussi nos collègues. L’ordre du jour pur et simple serait contraire à ces principes. Nous sommes bien, sans doute ; mais nos collègues, s’ils ont commis des crimes, ne sont pas assez punis ; si au contraire ils sont innocents, ils ont trop souffert! Nous ne pouvons donc rester comme nous sommes {On applaudit). J’ai vu avec douleur qu’après avoir réclamé la liberté des opinions on l’ait attaquée aujourd’hui. La Convention ne souffrira point de dominateurs; les différences d’opinion ne peuvent empêcher l’action de la justice. Toutes les divisions ont cessé ; l’oppression commune a pesé longtemps sur nos têtes. C’est le 9 thermidor que, d’un commun accord, nous avons renversé le dernier tyran {On applaudit). Certes je n’aurais pas été d’avis de faire rentrer nos collègues sans examen; eux-mêmes ne voudraient pas rentrer sans cette justification. [J’ai vu avec douleur la liberté des opinions attaquée dans une cause qui n’y a aucun rapport. Pourquoi vous a-t-on parlé du procès fameux qui a si longtems divisé l’Assemblée? Si tous n’ont pas voté la mort du tyran, tous ont voté la République. Quel motif a pu suggérer cette distinction qui a été faite entre les partis divers de la Convention? N’a-t-on pas vu parmi nos collègues qui ont voté la mort de Capet des hommes condamnés à mort pour des conspirations atroces?] (83) [C’est avec la même douleur que j’ai vu s’élever une classe de dominateurs des opinions ici, lorsque vous avez proclamé hautement la liberté de penser et d’écrire. Citoyens, nous avons tous été d’accord quand il s’est agi d’abolir la royauté, de proclamer la République une et indivisible, la souveraineté du peuple, la liberté et l’égalité. Une seule fois nous fûmes divisés : quelques-uns de nous craignirent que, tant qu’il existerait un rejeton de la famille des Capets, les malveillans ne s’en fissent un point de ralliement, et qu’un tyran nouveau ne s’emparât du pouvoir suprême à la mort de celui que la France nous ordonnoit de juger. Citoyens, cet événement n’étoit point sans exemple. Ne vit-on pas quelques-uns des collègues de Cromwell, qui l’avoient aidé à renverser Charles premier, réunir ensuite leurs efforts pour placer l’usurpateur sur le trône de ce tyran? {On applau-(81) Débats, n° 760, 457-458. (82) J. Paris, n° 33. (83) J. Paris, n“ 33. dit). Je ne vous rappellerai point ici des temps d’oppression et de terreur, mais je vous dirai qu’il n’y a plus de représentation libre là où quelques membres peuvent faire un crime à leurs collègues de leurs opinions {On applaudit, ).] (84) Je demande que le rapport soit fait au commencement de la décade prochaine. Je suis bien loin de vouloir jeter dans la Convention aucun germe de division; au contraire, je veux qu’on cherche à rallier, non seulement tous les représentants, mais tous les citoyens qui nous entendent, pour retrouver cette justice, cette humanité qui fait le caractère des Français ; il faut connaître les faits, il ne faut pas laisser flotter sans cesse dans cette incertitude désespérante le sort de nos collègues. Si je croyais que leur présence pût amener la division dans cette Assemblée, je me garderais bien de la demander; haine éternelle aux perturbateurs comme aux assassins. Je me résume, et je dis qu’il n’est pas possible que vous ne fixiez pas un délai (85). [Cette proposition est appuyée par un autre membre ; il pense qu’il ne faut pas laisser plus longtemps l’opinion flotter incertaine sur le compte des détenus, et qu’il est instant surtout d’éclairer la France sur les griefs qu’on leur reproche; il appuie la prompte impression des pièces, et, comme l’opinant, consent au délai demandé.] (86) ROUX (de la Haute-Marne) : Il me semble qu’on s’est étrangement écarté de la véritable question. Pénières, en montant à la tribune, a élevé une discussion qui n’était point à l’ordre du jour. Avec deux mots Merlin avait mis fin à tous débats. Puisque les comités n’ont reçu que cette nuit les pièces qui doivent baser le rapport, il ne devait pas y avoir de discussion ; mais puisqu’elle a eu Heu, il s’ensuit qu’il existe, outre la pièce qui basera le rapport, des correspondances déposées au comité de Sûreté générale, qui feront connaître les sentiments de ceux dont on réclame la liberté. Il y a eu dans la discussion des idées vraies faussement appliquées ; on a parlé de ces époques qui, dans le temps, ont produit des déchirements. Tout le monde se dit aujourd’hui répubUcain, parce que la chose est aisée, parce que nos armées sont victorieuses. [Tout le monde se dit républicain actuellement ; c’est chose aisée : la République est établie, les principes sont triomphans, et vos armées sont victorieuses. Mais en est-il moins vrai qu’il fut un temps très difficile, et où il fallut du courage pour fonder la République ; et si quelques orateurs ont été obligés de convenir que l’on craignit un instant l’ombre seule de la tyrannie, ne fallut-il pas de l’énergie pour la combattre, quand elle s’organisoit chaque jour avec force? {On applaudit ).] (87) (84) Débats, n° 760, 458-459; J. Mont., n° 9. (85) Moniteur, XXII, 303-304; M. U., XLV, 24-26. (86) Débats, n° 760, 459; Ann. R.F., n° 32. (87) Débats, n“ 760, 459. 340 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Nous sommes loin de vouloir faire le procès à ceux qui craignaient des tyrans qui n’existaient pas, et que la Convention a fait rentrer dans la poussière lorsqu’ils ont osé lever la tête ; mais il ne faut pas en inférer qu’il y a eu plus de mérite, dans le temps, à garder un coupable silence qu’à défendre les vrais principes. Il n’est pas question de savoir si l’on doit rendre justice à nos collègues détenus; la Convention ne pourrait trouver cette question non résolue que parmi les Autrichiens, les Prussiens et les ennemis de la liberté. [Vous avez proclamé solemnellement le règne de la justice universelle ; vous ne la refuserez certainement pas à vos collègues qui la réclament (On applaudit ). Je ne vous rappellerai pas ici les maux que causa le fédéralisme; je ne vous peindrai pas la guerre civile organisée dans le Midi et à l’Ouest ; je ne vous entretiendrai pas de ces dé-chiremens affreux causés par la correspondance de quelques hommes égarés, j’aime à le croire, mais coupables sans doute des maux qu’ils pré-paroient à leur patrie, maux affreux que toute votre sagesse et l’énergie des citoyens eurent peine à guérir. Je consens à jeter un voile sur le passé ; je respecte autant que personne la liberté d’opinion ; je ne vois que celle de la majorité. Mais, citoyens, vous avez vous et toute la France applaudi à la révolution du 31 mai ; un décret a créé une fête annuelle et cette révolution est solemnisée. Ce seroit faire le procès à la Convention, au peuple français lui-même, que de faire le procès à cette journée mémorable (On applaudit ).] (88) Ne citons point ici les faits particuliers qui, dans les temps, ont occasionné tant de discussion ; mais j’en citerai un dont j’ai eu la preuve dans le département de la Haute-Marne : c’est que la relation du 31 mai empêcha les fédéralistes du département de la Côte-d’Or de marcher contre Paris. Lorsque cette relation parut, les commissaires de ce département se retirèrent ; quel funeste effet n’eussent pas eu les re-lations opposées ! Je demande que la Convention s’en tienne au décret qu’elle a rendu; laissez à vos comités le temps nécessaire pour préparer ce rapport; ils ne demandent pas mieux que de le faire. [Que vous reste-t-il à faire? Ordonner que le comité fera tout ce qui est en son pouvoir pour présenter son rapport dans le plus court délai. Quel terme pouvez-vous fixer? lorsque vous ne savez ni la nature des pièces qui doivent être rassemblées, ni l’examen qui sera nécessaire pour en tirer des résultats utiles. L’ordre du jour est donc la seule proposition à laquelle il faille s’arrêter; mais nous ne devons pas nous le dissimuler, c’est moins la liberté de nos collègues qu’on demande, qu’un procès qu’on veut faire à la journée du 31 mai; mais que personne ne s’aveugle dans cette coupable espérance, la journée du 31 mai est la journée de tout le peuple de Paris, de la Convention nationale, et de la nation toute entière. Cette jour-(88) Débats, n° 760, 459-460. née a été aussi grande que nécessaire ; dans son principe, elle a eu pour motif la compression d’une faction qui enchaînoit la Convention nationale dans ses travaux et dans ses effets ; elle a donné naissance à la Constitution républicaine acceptée par le peuple françois. Qui de nous auroit la lâcheté de laisser avilir une journée qui sert d’époque à nos travaux les plus glorieux? quel représentant auroit la bassesse de laisser flétrir par la moindre tache, un jour consacré parmi les fêtes de la République, et dont nos braves frères d’armes dans les dépar-temens ont scellé la gloire par leur sang. Non, qu’on n’attende pas de nous cette transaction honteuse, la Convention nationale en est incapable. Je demande l’ordre du jour pur et simple.] (89) CHAUDRON-ROUSSAU : Je demande la parole pour un fait. A l’époque du 31 mai, je me rendis de Bayonne à Toulouse pour arrêter le fédéralisme; je saisis une correspondance de Bordeaux qui me fit connaître le plan de division de la République en neuf régions. Je me convainquis de l’approbation donnée par quelques-uns de nos collègues envoyés dans le Midi au plan de Bordeaux et au projet d’élever le petit Capet sur le trône ( Plusieurs voix : L’impression!). J’ai envoyé ces pièces au comité de Sûreté générale. MERLIN (de Thionville) : Je demande à notre collègue si ces pièces concernent nos collègues arrêtés, ou ceux qui sont morts? Un grand nombre de voix : L’impression, l’impression ! THURIOT : La lettre a été lue en pleine assemblée ; elle était écrite par Rouyer, et la Convention l’a décrété d’arrestation (Il s’élève des murmures. - On observe que la Convention a passé à l’ordre du jour). [Thuriot est interrompu; on lui dit que ce n’est pas cela. On demande de toutes parts l’impression de la correspondance.] (90) Thuriot insiste pour avoir la parole. — Le tumulte l’empêche pour quelques temps de l’obtenir. - On insiste pour passer à l’ordre du jour. [Thuriot veut parler : tu n’as pas la parole, lui crie-t-on; il insiste. Un membre : Si Thuriot s’obstine à parler, je demande la parole pour citer un fait contre lui. Le président annonce à l’assemblée qu’il doute si la parole est à Thuriot ou à Tallien, qui la demande aussi. L’Assemblée consultée décide, que la parole est à Thuriot.] (91) [Thuriot demande la parole pour un fait; il dit que, d’abord il demande qu’on ne laisse point flotter de soupçon vague; quant à lui, on n’a qu’à consulter le recueil imprimé des opinions, on verra qu’il n’a jamais varié.] (92) (89) J. Paris, n° 33. (90) Débats, n° 760, 460. (91) Ann. R.F., n° 31. (92) Débats, n” 760, 460. SÉANCE DU 1er BRUMAIRE AN III (22 OCTOBRE 1794) - N° 17 341 THURIOT : C’est pour un fait; c’est pour empêcher le soupçon de planer, que j’ai dit que la lettre avait été écrite par Rouyer; elle se trouvait dans le paquet adressé par Chaudron-Roussau au comité de Salut public. Il n’est pas douteux qu’elle ne tendît au fédéralisme. Je n’en tirerai aucune induction contre nos collègues, car moi aussi je veux la justice. [Moi aussi, je veux la justice : je n’ai pas craint de la réclamer dans un temps où beaucoup de gens qui font du bruit aujourd’hui, gar-doient le silence ; s’ils eussent osé me seconder ; s’ils eussent eu alors le courage du bien, comme ils disent l’avoir aujourd’hui, nous aurions peut-être évité bien des maux.] (93) Il faut que les pièces soient imprimées; toutes ne sont pas encore arrivées : quand l’impression sera faite, il faudra encore quelques jours pour les examiner. Si vous voulez l’intérêt de la justice, au lieu de demander une décade, deux décades ( Plusieurs voix : Non, encore un an !), je crois qu’il serait infiniment plus sage d’accorder le délai suffisant. Je ne veux point occasionner de choc, je ne demanderai point de peines afflictives {On murmuré). Les mêmes voix : Point de tactique ! au fait ! LE TOURNEUR (de la Manche) : Je demande à vérifier une erreur de fait avancée par Thuriot. THURIOT : Qu’on relève ce fait, il n’en est pas moins constant qu’une lettre écrite par Rouyer a motivé son arrestation. Je me borne, au surplus, à demander le délai de deux décades {Plusieurs voix : Eh bien, aux voix ce délai!). LE TOURNEUR : Chaudron-Roussau vient de déclarer un fait extrêmement important. Il a dit qu’étant en mission à Toulouse il avait saisi la correspondance de plusieurs fédéralistes, qui ne tendait pas à moins qu’à rétablir le petit Capet sur le trône. Pourquoi Thuriot a-t-il rejeté sur un collègue mort une inculpation qui doit s’appliquer encore à un autre de nos collègues? car Brunei a aussi signé cette lettre. Je déclare que je la connais, et qu’il n’y a pas un mot de ce qui a été dit par Thuriot ; j’en demande l’impression. La Convention nationale décrète que les pièces envoyées des départemens du Midi par un de ses membres, déposées au comité de Salut public, et relatives aux mou-vemens fédéralistes, seront imprimées et distribuées (94). TALLIEN : Les faits énoncés par Chaudron-Roussau et par Thuriot ont sans doute quelque importance ; et c’est sous ce rapport que la Convention a eu raison de demander l’impression. Alors on se convaincra que les faits se rapportent ou à des hommes morts, ou à des émigrés, et non à nos collègues qui sont déte-(93) Débats, n° 760, 460. (94) P.-V., XLVIII, 6. C 322, pl. 1363, p. 7. Décret attribué à Guyomar, par C* II 21, p. 15. nus [Applaudissemens (95)]. J’ai été aussi envoyé dans le Midi : j’aurai aussi des renseignements à donner au comité. Je ne viens plaider la cause de personne ; je défendrai celle de la justice. \On applaudit (96)]. [Je ne viens pas plaider la cause des individus; je sais que la représentation nationale n’appartient pas à quelques individus. La journée du 31 mai a sauvé la République; et cette question ne doit point être mise en problème. C’est faire insulte que de demander que la liberté soit rendue à nos collègues sans rapport. Le rapport doit être fait, mais dans le plus bref délai. Certes, nous ne sommes point au tems où nous avons vu des hommes avec des rapports astucieux, qui venoient demander la mort de leurs collègues et la tête d’un homme, pour avoir dit de grandes vérités sur une des plaies de la république, la guerre de Vendée.] (97) Je dis que la représentation nationale n’appartient pas à quelques individus, à quelque faction, mais à la totalité du peuple français {Vifs applaudissements). Je sais qu’aujourd’hui ces principes sont généralement reconnus ; mais ils n’ont pas toujours été sentis. Je sais qu’on venait souvent avec des rapports demander les têtes qu’il plaisent aux dominateurs de désigner. Nous avons vu le temps où l’on proscrivit celle de l’homme qui avait dit la vérité sur une des plaies les plus sanglantes de la république, sur la guerre de la Vendée {Plusieurs voix : Phi-lippeaux ! - On applaudit à plusieurs reprises). J’étais alors au fauteuil; j’ai vu un représentant du peuple insulter une femme qui demandait les causes de l’arrestation de son mari ; je l’ai entendu dire qu’il fallait qu’elle fut admise à la séance pour entendre la condamnation de celui en faveur duquel elle venait réclamer. [Je me rappelle la scène, j’étois au fauteuil. J’ai entendu un député insulter la femme du représentant dont je viens de parler, et qui étoit venue réclamer justice pour son mari : j’ai entendu proposer qu’elle fut introduite pour être présente à la condamnation de son mari. Mais la justice est rentrée dans l’Assemblée avec la dignité qui lui convient {Vifs applaudissemens ).] (98) [Nous devons, en nous éloignant d’une route, tracée par le sang des innocens, faire voir que nous sommes dignes de donner à la France la paix et la tranquillité, que nous sommes dignes d’en imposer aux puissances coalisées, par des loix sages et fixes, comme nos soldats par leurs valeureuses bayonnettes, prouvent que la Convention n’appartient plus à quelques hommes, à quelques factions, à quelques comités {Applaudi)] (99) Nous devons à la France, nous devons à l’Europe de prouver que nous sommes dignes de donner au peuple français la paix et la justice, (95) C. Eg„ n” 795. (96) Débats, n“ 760, 461. (97) M. U., XLV, 26. (98) Débats, n 760, 461; M. U., XLV, 26. (99) C. Eg., n' 795.