704 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]5 juillet 1790.] pa3 de loi sur ce fait, et qu’il prononce, son jugement est une loi. M. Bouchotte. J’adopte cet amendement. On ne saurait trop répéter aux juges qu’ils ne sont que les organes de la loi, et quMs doivent se taire quand elle n’a pas parlé. Quant à la demande de la suppression du mot représentation , les juges ne peuvent arrêter l’effet de la loi, leurs représentations n’auraient rien de dangereux ; bien loin de redouter l’exercice de cette faculté, on doit désirer que souvent ils en fassent usage. Les législateurs, qui n’ont d’autre but que de faire le bonheur du peuple par de bonnes lois, doivent, pour ainsi dire, aller au devant des observations, parce qu’ils peuvent tomber dans des erreurs préjudiciables aux droits de quelques citoyens ou à la félicité publique. M. Garat l'aîné. Les représentations accordées aux anciens tribunaux étaient dangereuses, parce qu’elles avaient l’effet de suspendre la loi. Les articles que vous venez de décréter défendent cette suspension. Où est l’inconvénient de ce mot représentation ? C’est un mot très modéré, très soumis. Quant à l’amendement de M. Prieur, il suppose une perfection complète dans notre législation; cette perfection lui manque, et manquera sans doute aux lois que nous ferons ; si vous voulez qu’on ne juge absolument que les cas prévus par la loi, vous paralyserez la justice. M. Thouret. L’article du comité a été rédigé dans le sens exprimé par M. Barnave ; il n’y a de difficulté que sur la rédaction. Gomme le mot représentation a donné à beaucoup de bons esprits des craintes inspirées par le souvenir de l’ancien régime, il faut le supprimer. J’adopte la rédaction présentée par M. Barnave, à moins qu’on ne trouve plus convenable de dire simplement : « mais ils s' adresseront au Corps législatif, etc. » M. Fréteau. Il y aura des inconvénients à défendre sans aucune restriction toute espèce d’interprétation aux juges. Une loi de François Ier, rendue en 1534, étend la peine de la roue aux voleurs, dans certains cas, et même aux femmes, en les condamnant ainsi à des douleurs au-dessus des forces de leur sexe: aucun édit, aucune ordonnance n’a modifié ou expliqué cette loi. Les juges, en l’interprétant,, ont dû s’en écarter, et l’on fait. Il y a un grand nombre de lois qui donnent lieu à de semblables interprétations. Si les tribunaux ne sont point autorisés à ne pas observer strictement ces lois, ils ne sauront comment statuer. Les accusés resteront longtemps dans les prisons, et il sera nécessaire de remanier les deux tiers de notre Code criminel. M. Thouret. Cette observation, quelque fondée qu’elle soit, ne peut pas faire l’objet d’un article où il s'agit uniquement de la division des pouvoirs. L’intention du comité a été d’écarter tous les actes qui auraient intérieurement ou extérieurement la forme d’un acte du Corps législatif. Plusieurs membres demandent la clôture de la discussion. La clôture est prononcée. L’article 12 amendé est adopté ainsi qu’il suit : Art. 12. « Us ne pourront faire de règlements; mais ils s’adresseront au Corps législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle. » M. Thouret, rapporteur , lit l’article 13 qui est adopté sans discussion, dans les termes du projet ainsi qu’il suit : Art. 13. « Les fonctions judiciaires, sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives; les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ». M. Thouret donne lecture de l’article 14 en ces termes : Art. 14. « En toute matière civile ou criminelle, les plaidoyers, rapports et jugements seront publics ; et tout citoyen aura le droit de défendre lui-même sa cause soit verbalement, soit par écrit. » M. Garat l'aîné. Je voudrais que l’article renfermât encore la publicité des opinions. Voulez-vous des juges éclairés? voulez-vous que les places ne soient pas sollicitées par des ignorants? ordonnez la publicité des opinions. Si tout ce qui se passe dans les délibérations clandestines était dévoilé, nous rougirions de honte. Ce secret est la cause principale des prévarications et des injustices dont nous avons souvent gémi. L’homme méchant, l’homme improbe, sent ces vices dans le secret de son cœur ; il y renoncerait, si la publicité de ses actions ou de ses opinions était assurée. Voulez-vous que le peuple fasse de bons choix ? il faut qu’il connaisse ses juges, puisqu’il peut les conserver : établissez donc la publicité des opinions. M. d’André. Cette publicité pourrait être dangereuse pour les juges, et, dès lors, la crainte pourrait les empêcher de dire leur sentiment avec franchise. Cet inconvénient est sans doute très grand, mais il ne peut balancer les raisons exposées par le préopinant, ûussé-je porter malheur à son amendement, je l’adopte. J’ajoute à ses raisons votre propre exemple. La publicité de vos séances a fait votre force et assuré la bonté de vos lois. Je demande donc la publicité des opinions et le jugement motivé. M. Drévon. Vous avez ordonné, en matière criminelle, que les opinions seraient prises dans la chambre du conseil. Vous ne pouvez décréter une disposition contraire. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer, ou que, du moins, il faut ajourner ce qui, dans l’arlicle, concerne les affaires criminelles. M. lioys. La publicité des opinions en gênerait la liberté ..... En général, le choix du peuple sera assez éclairé pour porter sur d’honnêtes gens, les gens honnêtes n’auront pas toujours la facilité de s’exprimer. M. Pison. Je ne vois pas de raison qui puisse faire balancer entre le secret dés opinions et le danger d’en détruire la liberté. Les ignorants opineront par oui et par non. Le peuple, presque toujours mauvais juge, ne saura apprécier telle ou telle opinion, quoiqu’elle ait été hautement motivée. M. Prieur. Pour attaquer l’amendement de M. Garat, je me bornerai à rappeler ce qui s’est passé à Versailles, lorsque vous avez discuté une opinion semblable, au sujet de la réforme de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 juillet 1790.] 705 quelques parties de la jurisprudence criminelle. On a rappelé l’usage des tribunaux ; chacun opine à son tour ; on profite mutuellement des lumières les uns des autres ; les erreurs de fait ou de droit sont réciproquement relevées, et alors le jugement se forme. Si les opinions sont publiques, un juge n’osera pas revenir de celles qu’il aurait d’abord ambrassées. Le public assistant à l’audience prend un parti dans l’affaire. Pour se concilier son suffrage, ou ne pas s’exposer à son mécontentement, n’arriverait-il pas que tel ou tel juge se décidât en faveur de l’opinion des auditeurs ? M. Lucas, député de Gannat. L’article porte que tout citoyen aura le droit de défendre lui-même sa cause. Je demande qu’on ajoute « pourvu qu’il soit domicilié dans le lieu de l'instruction ». M. Thonret. Cette question est très délicate ; elle présente des inconvénients des deux côtés. On peut soupçonner que le secret des opinions donnera lieu â de mauvais jugements ; mais il est certain que la publicité en fera rendre de mauvais. Le comité s’est conduit par ce principe : que quand il s’agit de choses et de lois générales la sûreté des opinions est dans leur publicité ; quand il s’agit des individus la sûreté des opinions est dans le secret. (Les différents amendements sont écartés par la question préalable, et l’article 14 est adopté tel qu’il a été présenté.) M. Thouret. Voici la teneur de l’art. 15 : « La procédure par jurés aura lieu en matière criminelle, et l’instruction sera faite publiquement. » M. Pison. Vous ne pouvez prononcer en masse la publicité de l’instruction ; peut-être croirez-vous, en formant le règlement de la procédure par jurés, devoir décréter que quelque partie sera secrète. Dans l’état actuel, on ne peut se refuser au secret de l’instruction qui précède le décret. M. Frétean. Je demande l'ajournement de l’article. M. Thonret. Il suffit d’ajouter à l’article que la publicité aura lieu sur le mode déterminé par le règlement sur la procédure par jurés. M. Tronehet. L’addition est suffisante et ne préjuge point les décisions que l’Assemblée pourra prendre dans la suite. L’article modifié est mis aux voix et décrété en ces termes : « Art. 15. La procédure par jurés aura lieu en matière criminelle; l’instruction sera faite publiquement et aura la publicité qui sera déterminée. » L’article 16 du projet proposé par le comité est lu, mis aux voix et adopté, sans discussion, ainsi qu’il suit : « Art. 16. Tout privilège en matière de juridiction est aboli ; tous les citoyens, sans distinction, plaideront en la même forme, et devant les mêmes juges, dans les mêmes cas. » M. Thouret, rapporteur, lit l’article. 17. « L’ordre constitutionnel des juridictions ne pourra être troublé, ni les justiciables distraits de leurs juges naturels par commissions, attributions ou évocations arbitraires. » lre Série. T. XVI. M. Pison. Je demande la suppression du mot arbitraires puisqu'il ne peut y avoir de commissions légales. M. Pellerin de La Buxière. Je demande à M. le rapporteur si la soumission faite dans les contrats à certaines juridictions est emportée par l’article. M. Thouret. Le comité ne s’est pas occupé de cet objet de législation. L’article amendé est mis aux voix et adopté en ces termes : « Art. 17. L’ordre constitutionnel des juridictions ne pourra être troublé, ni les justiciables distraits de leurs juges naturels par aucunes commissions, ni par d’autres attributions ou évocations que celles déterminées par la loi. L’article 18 est mis aux voix et décrété sans discussion, dans les termes du projet, ainsi qu’il suit : « Art. 18. Tous les citoyens étant égaux devant la loi, et toute préférence pour le rang et le tour d’être jugé étant une injustice, toutes les affaires, une fois instruites, seront jugées dans l’ordre selon lequel le jugement en aura été requis ». M. Thonret, rapporteur, donne lecture de l’article suivant : « Art. 19. Les lois civiles seront revues et réformées par les législatures, et il sera fait un code général de lois simples, claires et appropriées à la Constitution. » M. Cliabroud. Dans la série de questions que vous aviez adoptées pour être mises à la discussion, celle-ci était comprise : « Sera-t-il nommé des commissaires pour travailler à la réforme des lois civiles, de la procédure civile et du code pénal 7 » Je demande que ces commissaires soient nommés. Cet ouvrage ne sera pas fini dans cette session ; mais il sera remis tel qu’il se trouvera à la législature qui vous succédera. L'Assemblée s’en occupera dans ses loisirs... {On demande à passer à l'ordre du jour.) M. de La Rochefoucauld. Il est certain que l’Assemblée nationale ne peut pas réformer le code civil et le code criminel ; mais la réforme de certaines parties des lois est nécessaire pour l’exécution de vos décrets sur l’ordre judiciaire : il serait d’ailleurs utile que vous fixassiez les bases d’après lesquelles les législatures suivantes travailleront pour établir un système complet de législation. M. Réguler. Si l’on fait un travail partiel, il est possible que les différentes parties ne s’accordent pas entre elles; l’Assemblée nationale actuelle a assez d’objets majeurs pour employer tous ses moyens dans le cours de cette session. Il est infiniment important que les mêmes hommes s’occupent de la réformation du code. Vous avez le droit exclusif de faire la législation. Pouvez-vous tracer aux législatures futures les bases de leur travail ? {Une grande partie de la salle applaudit.) M. Bouche. Je ne connais pas de constitution complète sans les lois sur l’état des personnes; il n'y a point de liberté, si la liberté domestique n’est assurée. M . le Président met aux voix l’article 19. Il est adopté sans changement. 45