SÉANCE DU 7 BRUMAIRE AN III (28 OCTOBRE 1794) - Nos 27-30 151 années de fers, décrète qu'elle passe à l'ordre du jour (61). 27 Le citoyen Melin fils expose que l'administration du département de Seine-et-Marne a voulu vendre des biens qui lui ont été donnés en dot suivant acte authentique suivi de possession, sous le prétexte du séquestre mis sur les biens de son père, compris dans la conspiration des prisons. La Convention nationale décrète le renvoi au comité des Finances et le sursis à la vente (62). 28 Après la lecture d'une adresse de la municipalité d'Aix, dans le département des Bouches-du-Rhône, dont la mention honorable et l'insertion au bulletin ont été décrétées, un membre [DURAND-MAILLANE], député de ce département, a demandé la parole pour observer à la Convention que l'administration du département et le tribunal criminel ayant été transférés de force à Marseille il y a plus de deux ans, contre la disposition et l'autorité même de la loi, comme aussi au grand dommage des administrés, demande le rétablissement de ces deux établisse-mens là où ils doivent être; et il a ajouté que, quoique sa demande pût être suivie dans ce moment même d'un décrêt conforme de la Convention, il se borne à demander que sa réclamation, qui est celle de toutes les communes de son département, soit renvoyée au comité de Division, pour, sur son rapport, être rendu par la Convention le décret le plus convenable et le plus juste ; ce qui a été décrété (63). 29 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [PEPIN, au nom de] son comité de Législation sur la pétition de Jacques-François Bourgon, tendante à obtenir la nullité et cassation d'un jugement du tribunal criminel du département (61) P.-V., XL VIII, 89-90. C 322, pl. 1365, p. 10, minute de la main de Pépin, rapporteur selon C* II 21, p. 18. (62) P.-V., XL VIII, 90. C 322, pl. 1365, p. 11, minute de la main de Guyomar. Décret anonyme selon C* II 21, p. 18. J. Fr., n° 764; M. U., XLV, 136. (63) P.-V., XL VIII, 90. C 322, pl. 1365, p. 12, minute de la main de Durand-Maillane, rapporteur selon C*II 21, p. 18. J. Fr., n° 764; M. U., XLV, 136-137. de Paris, du 7 floréal dernier, qui le condamne à la peine des fers pendant quatre années, décrète qu'elle passe à l'ordre du jour (64). La séance est levée (65). Signé, PRIEUR (de la Marne), président, Pierre GUYOMAR, ESCHASSERIAUX jeune, BOISSY [d’ANGLAS], GUIMBERTEAU, GOUJON, secrétaires. En vertu de la loi du 7 floréal, Pan troisième de la République française une et indivisible. Signé, GUILLEMARDET, J.-J. SERRES, BALMAIN, C.A.A. BLAD, secrétaires (66). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 30 Lakanal, au nom du comité d’instruction publique, fait le rapport suivant (67) : Citoyens représentans. Ce n'est pas assez d'avoir assuré le triomphe de la liberté publique par l'énergie de votre courage et l'ascendant de vos lumières : vous voulez transmettre cette importante conquête à vos enfans : mais ce seroit leur léguer un stérile bienfait que de ne pas chercher à leur en garantir la durée ; de là nait pour vous les besoins de les préparer, par des lumières, à conserver cette liberté, fruit de longs efforts et des sublimes travaux de leurs pères ; de là la nécessité de l'instruction. Un peuple éclairé doit se maintenir libre : et comment pourroit-il avoir la foiblesse de traîner des fers, s'il peut se faire une juste idée de l'homme? s’il voit un tyran avec toute l'horreur qu'il inspire? L'ordre social est fondé sur les lois; les lois s'appuient sur les moeurs ; les moeurs s'épurent et se conservent par l'éducation; l'instruction et l'éducation doivent donc marcher ensemble et se prêter un appui mutuel ; car comme a dit un philosophe célèbre, on ne forme pas l'homme en deux temps. (64) P.-V, XL VIII, 90-91. C 322, pl. 1365, p. 13, minute de la main de Pépin, rapporteur selon C* II 21, p. 18. (65) P.-V, XL VIII, 91. Le Moniteur, XXII, 373 et J. Perlet, n° 765, indiquent quatre heures. Gazette Fr., n° 1030, précise 4 heures et demie. J. Fr., n° 763, M. U.' XLV, 125, donnent 5 heures. (66) P.-V, XL VIII, 91. (67) Débats, n° 765, 538-545. Moniteur, XXII, 367-368; J. Paris, n° 38 ; Rép., n° 38 ; J. Mont., n° 15 et 17 ; Ann. Patr., n° 666 ; Ann. R. F., n° 37 ; C. Eg., n° 801 ; J. Fr., n° 763 ; Mess. Soir, n° 802 ; J. Perlet, n° 765 ; F. de la Républ., n° 38 ; J. Univ., n° 1799 et n° 1805; Gazette Fr., n° 1030; M. U., XLV, 248-251. 152 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE En renversant la tyrannie, le premier pas à faire c'est de répandre les lumières, sans elles le froid inactif de I ignorance gagneroit bientôt jusqu'aux extrémités du corps social, et vous auriez amené les Français à cet état de dégradation où vouloit les réduire un des vizirs que nous nommions ministres, lequel se flattoit que bientôt on n'imprimeroit en France que des almanachs. Il est temps sans doute de pourvoir à l'un des besoins les plus essentiels et les plus négligés de la République; hâtons nous d'établir l'enseignement, mais sur un plan plus national, plus organique, plus digne, en un mot, de nos futures destinées. Telles ont été les vues du comité et les attentions qu'il s'est attaché à remplir. Il est question ici de l'enfance ; les écoles primaires doivent l'introduire en quelque sorte dans la société. Notre système de placement est fondé sur les observations faites par les hommes qui ont le plus médité sur l'économie sociale ; ils ont démontré que les enfans, depuis six ans juqu'à treize ans, forment environ le dixième de la population. En établissant une école primaire par mille habitans, l'instituteur aura environ trente élèves ; Rousseau n'en vouloit qu'un. Le bon Rollin pensoit que c'étoit assez de réunir cinq élèves sous un même instituteur. Placer l'instructeur à la portée des enseignés, lui imposer des fonctions qui ne dépassent pas la mesure de ses forces physiques, économiser tout à la fois les instituteurs et les finances de la République, tels sont les avantages que nous a paru réunir notre système de placement : la population plus ou moins pressée a déterminé quelques modifications. Ces établissemens, pour opérer tout le bien qu'on doit s'en promettre, ne doivent être confiés qu'à des hommes éclairés et vertueux ; il faut y appeler le mérite et en repousser l'intrigue et l'immoralité. Nous nous proposons d'établir près de chaque administration de district un jury d'instruction. Il est nécessaire d'entrer dans quelques détails sur cette institution nouvelle. Figurons-nous, sur un espace aussi étendu que la France, vingt-quatre mille écoles nationales, avec près de quarante mille instituteurs et institutrices; dans ces écoles peuvent recevoir l'instruction première et commune environ trois millions six cent mille enfans. Voilà un établissement immense et tout à fait national ; sa dépense en salaires, prix d'émulation, bâtimens, sera la plus forte que la République ait à soutenir en temps de paix. Peut-on nier que cet établissement ait besoin d'être administré dans sa tenue morale, et surveillé dans la manière dont sera exécuté le genre de service qu'on lui demande ? De là l'institution dans chaque district d'un jury d'instruction, composé de trois personnes et qui se renouvellent. Un jury par département n'auroit pas suffi, et sa surveillance n'eût été qu'illusoire. Si au jury de district on préféroit l'administration des corps municipaux, il en résulteroit une complication dont l'accroissement seroit dans le rapport de cinq cents, qui est le nombre à peu près des districts, à quarante deux mille qui est celui des municipalités. Chaque commune voudroit avoir au moins une école et les fonds publics qu'on peut y destiner, quelques considérables qu'on les suppose, ne pourroient suffire à cette augmentation ; d'ailleurs les grandes communes seroient bien pourvues, celles des campagnes le seroient mal, ce qui ne s'accorde pas avec l'égalité républicaine; enfin les écoles seroient plutôt communales que nationales, ce qui est moins favorable à l'unité et à l'intégrité d'une association politique. Les jurys d'instruction doivent agir de concert avec les administrations de district et correspondre à un point central supérieur, la commission exécutive de l'instruction. Ce principe ne peut pas être attaqué par les amis de l'unité de la République. C'est peu de monter un grand établissement, il faut provoquer les hommes capables de le remplir. Nous avons dû prévoir que des intri-gans travailleraient à supplanter les instituteurs ; que des malveillans s'efforceraient de les dégoûter de leurs fonctions; que des hommes prévenus ou séduits élèveraient sur tout contre eux des plaintes vagues ou mal fondées. Toutes les précautions sont prises pour repousser d'injustes attaques, pour imposer silence à toutes les voix calomnieusement accusatrices. D'un autre côté, trois motifs puissans appelleront l'homme vertueux et éclairé aux pénibles fonctions d'instituteur national : un traitement qui le fasse subsister dans une médiocrité honorable et républicaine ; l'espoir que nous lui donnons d'une retraite paisible et aisée dans les années reculées de la vieillesse; enfin son inscription dans la liste des fonctionnaires publics. La disposition qui porte l'égalité des salaires pour les instituteurs, sur tous les points de la République, peut avoir une grande influence sur les progrès de l'amélioration sociale. L'intention du comité n'a pas été de réduire celui qui vit chèrement dans les villes au traitement de celui qui habite la campagne. Ce n'est pas au minimum qu'on a voulu placer l'égalité, c'est au maximum. On a proposé de donner à l'instituteur des campagnes autant qu'à celui des villes : cette vue a paru morale et d'une bonne politique. Tant de motifs attirent les talens et les lumières dans les grandes villes, qu'il est bon d'en repousser une partie au milieu des champs, par l'attrait d'une existence aisée : alors seulement je verrai l'égalité dans l'instruction. Serait-elle réelle, en effet, si les hommes et les femmes chargés de la distribuer dans les campagnes, n'y étoient retenus que par leur infériorité, et l'impossibilité d'être mieux placés ailleurs. La fixation des objets d'enseignement qui conviennent au premier âge, n'étoit susceptible aujourd'hui d'aucune difficulté. L'éducation, il faut l'avouer, n'a guère été jusqu'à présent qu'un enseignement littéraire ; il falloit en aggrandir la sphère et lui faire embrasser la partie physique et morale de l'éducation, comme les facultés purement intellectuelles, les talens industriels et manuels, comme les talens agréables ; car en vain l'ame est forte, si le corps est sans vigueur : il faut dit l'ingénieux et naïf Montagne, donner à l'esprit un valet robuste. La véritable instruction s'occupe de tout l'homme, et même, après avoir cherché à per- SÉANCE DU 7 BRUMAIRE AN III (28 OCTOBRE 1794) - N° 30 153 fectionner l'individu, elle essaie d'améliorer l'espèce : c’est aux bons livres élémentaires et à des ouvrages capables de guider les instituteurs, qu'il est donné d'atteindre toutes les fins de l'instruction publique. Les ouvrages envoyés jusqu'ici au concours ouvert pour cet objet, n'ont pas encore rempli vos vues ; en général, les auteurs ne se sont pas contenus dans les limites du travail qui leur étoit demandé, de telle sorte que ces divers ouvrages n'empiétassent pas les uns sur les autres, qu'il n'en manquât aucun d'utile et que tous ensemble pussent offrir un système complet d'enseignement national. Les citoyens qui ont travaillé pour ce concours, ont généralement confondu deux objets très différens, des élémentaires avec des abrégés. Resserrer, coarcter un long ouvrage, c'est l'abréger; présenter les premiers germes, et en quelque sorte, la matrice d'une science, c'est l'élémenter. Il est facile de faire un abrégé de Mezeray, tandis qu'il faudroit un Condillac, pour faire des élémens de l'histoire. Ainsi, l'abrégé, c'est précisément l'opposé de l'élémentaire : et c'est cette confusion de deux idées très distinctes, qui a rendu inutiles pour l'instruction les travaux d'un très grand nombre d'hommes estimables qui se sont livrés, en exécution de vos décrets, à la composition des livres élémentaires. Quoi qu'il en soit la nation ne sera pas long-temps frustrée du grand bienfait des livres élémentaires ; le comité a pris toutes les mesures pour en assurer la prompte publication. Il a interrogé le génie, sa réponse sera prompte et digne de vous et de lui. Il restoit un dernier objet à examiner; je parle des moyens d'entretenir dans les écoles nationales cette émulation généreuse qui fait éclore les talens, les vertus, les belles actions, et sans laquelle le génie le plus heureusement né ne produit rien de grand. Votre comité a vu tous ces avantages se réunir dans la célébration de la fête de la jeunesse. Là, en présence du peuple, juge tout-à-la-fois et spectateur, des prix d'encouragement seront distribués aux élèves; là encore seront solem-nellement proclamés habiles à exercer des fonctions publiques, ceux de nos jeunes citoyens qui n'ayant pas suivi les écoles nationales, seront néanmoins jugés suffisamment instruits dans les différentes parties de l'enseignement national. Car vous voulez concilier ce qu'on doit à la société avec le droit imprescriptible et sacré qu'a tout homme libre d'instruire lui-même son fils, et de façonner à la vertu son ame neuve et docile. Je finis par une réflexion nécessaire ; la France ne gémiroit pas aujourd'hui sur le vide de l'instruction publique, la patrie ne seroit pas alarmée sur le sort de la génération qui nous recommence, si les principales bases du plan que nous vous présentons, n'avoient pas été rejetées dans la séance du premier juillet dernier, ( vieux style ) sur la motion de Robespierre (68); il avoit ses vues pour faire (68) M. U., XLV, 251, à la place de Robespierre utilise la périphrase suivante : « du tyran que vous avez arreté sur les marches du trône pour l'envoyer à l'échafaud. » repousser ces idées régénératrices ; votre comité dont j etois alors, comme aujourd'hui, l'organe près de vous, avoit les siennes aussi pour les proposer. Voici le projet de décret : CHAPITRE PREMIER. Institution des écoles primaires. Article premier. - Les écoles primaires ont pour objet de donner aux enfans de l'un et l'autre sexe, l'instruction rigoureusement nécessaire à des hommes libres. Art. II. - Les écoles primaires seront distribuées sur le territoire de la République, à raison de la population ; en conséquence il sera établi une école primaire par mille habitans. Art. III. - Dans les lieux où la population est trop dispersée; il pourra être établi une seconde école primaire, sur la demande motivée de l'administration du district, et d'après un décret de l'Assemblée nationale. Art. IV. - Dans les lieux où la population est pressée, une seconde école primaire ne pourra être établie que lorsque la population s'élèvera à deux mille individus, la troisième à trois mille habitans complets et ainsi de suite. Art. V. - Dans toutes les communes de la République, les ci-devant presbytères sont mis à la disposition des municipalités pour servir tant au logement de l'instituteur, qu'à recevoir des élèves pendant la durée des leçons. Art. VI. - Dans les communes où il n'existe pas de ci-devant presbytère à la disposition de la nation, il sera accordé, sur la demande des administrations de district, un local convenable pour la tenue des écoles primaires. CHAPITRE II. Jury d'instruction. Article premier. - Il y aura près chaque administration de district un jury d'instruction composé de trois membres nommés par le conseil d'administration du district, et pris hors de son sein. Art. IL - Les fonctions du jury d'instruction seront d'examiner, d'élire et de surveiller les instituteurs et les institutrices des écoles primaires. Art. III. - Le jury d'instruction sera renouvelé par tiers à chaque nouvelle administration. Le commissaire sortant pourra être réélu. CHAPITRE III. Des instituteurs. Article premier. - Les nominations des instituteurs et des institutrices élus par le jury d'instruction, seront soumises à l'approbation de l'administration du district. Art. II. - Si l'administration refuse de confirmer la nomination faite par le jury, le jury pourra faire un autre choix. Art. III. - Lorsque le jury persistera dans sa nomination, et l'administration dans son refus, elle désignera pour la place vacante la