[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] ueil de mes œu\ res politiques, dont les 6 premiers volumes présentés par moi à l’Assemblée nationale sont déposés dans ses archives. Mais, comme les tomes VII et VIII sont sous pre-se, et qu’ils contiennent le dépôt curieux de mes conspirations, j’ai imaginé de communiquer dès à présent à mes lecteurs le criminel article de la coupable épître écrite à M. L’Ari hevêque-Thibaut, le 31 mars 1790, si joliment dénoncée par MM.de Gurt et Barnave, et de leur présenter en même temps l’intégralité de cette fameuse lettre à mes commettants, du 31 mai 1791, citée avec tant de complaisance par MM. Biauzat, Grégoire, Rewbell et Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angéïy) comme la source de tous les malheurs, oont le décret du 25 mai dernier est la seule cause. Si l’édition que j’en donne n’est pas parfaitement conforme à celle qu’en ont fait faire mes charitables dénonciateurs, et qu’ils ont revêtue d’une fausse signature, c’est qu’ils auront cédé à leur goût pour la broderie, comme je cède en cet instant au devoir d'éclairer enfin la nation sur la valeur de ces dénonciations puériles, dénuées de pièces et de preuves, mais fortes en noirceurs, riche en calomnies, dont on a t int abusé pendant cette législation pour tromper le peuule, pour s’insinuer dans sa confiance, et la lui dérober sous le masque hypocrite d’un patriotisme dont on n’avait le plus souvent que l’épiderme. Eh bien ! législateurs négrophiles ou autres, vous qui n’avez pas rougi de souiller par l’imposture le caractère sacré dont vous étiez revêtus, je vous dénonce, moi, au tribunal de l’opinion [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 304 publique, je veux vous y attaquer; je dois vous y poursuivre, et j’ai la certitude de dissiper vos imputations vagues, par la publicité seule des pièces dont vous avez tenté de me faire des crimes. Les voilà, pour vous confondre, je les recommande à l'attention impartiale de mes lecteurs, et j’ai la présomption de croire que ceux qui auront daigné les parcourir me dispenseront du mea culpa et lais-eront le miserere à mes misérables détracteurs. Signé : Louis-Marthe de Gouy, député à l'Assemblée nationale. Grande conspiration d’un député des colonies, ou lettre de M. de Gouy à M. L' Archevêque-Thibault, découverte et dénoncée par M. de Curt en septembre 1790, solennellement avouée par le conspirateur. | poursuivie depuis par MM. Barnave et Pampelune et abandonnée par tout le monde. Paris, le 30 mars 1790. « Le décret du 3 mars, mon cher L’Archevêque, concerté entre vos députés et le comité colonial, a passé sans discussion. Elle eût été d’autant plus dangereuse, qu’elle aurait placé l’Assemblée nationale entre ses principes et notre salut. Mais le décret portait qu’une instruction lui serait annexée. Nous vîmes avec inquiétude que le décret semblait prescrire que l’on entrât dans des détails au moins inutiles, et qu’il portait atteinte à l’initiative qui vous était réservée. Nous soupçonnâmes le ministre, notre ennemi commun, de coupables manœuvres à cet égard. La députation me chargea de combattre cette instruction dans la séance du 27 courant ; mais, au moment où j’allais parler, M. de Curt, député de la Guadeoupe, auquel la députation suppose des relations avec le ministre, demanda l’ajournement et l’obtint. Le lendemain, l’Assemblée était déjà fatiguée de la discussion, lorsque je commençai à opiner. Je conclus en demandant que l’on décrétât que cette instruction ne serait que de const il et point du tout obligatoire. La question préalable éconduisit ma demande. Je proposai alors d’en réformer 15 articles (à la tête desquels était le dangereux article 4, qui, selon moi, devait occasionner des malheurs incalculables), mais toujours la question préalable rejeta mes observations, et le projet du comité colonial finit par être décrété purement et simplement, malgré les réflexions sages qui avaient motivé nos amendements. o Une réflexion vint pourtant nous consoler, mon cher compatriote; je pensai que, lorsque ce'te instruction vous parviendrait, l’assemblée coloniale aurait acquis une force, une supériorité, une influence qui vous mettrait à même, au dé-ir du décret du 8 mars, de ne prendre dans ce nouveau décret du 28 que les articles qui pouvaient sans danger s’adapter aux localités et à la situation présente de la colonie. Ainsi plein de confiance en votre sagesse, et plein de foi en votre patriotisme, nous sommes convaincu que vous daignerez nous savoir gré de nos efforts, et que notre impuissance ne vous portera aucun dommage. *> Voilà ce que j’écrivais, il y a 18 mois, sous le sceau de la confiance, non pas à la colonie assemblée, mais à un de mes anciens collègues. Voilà ce qu’un prétendu colon a osé dénoncer comme un crime, comme la cause de tous les troubles qui ont agité les Antilles. (Ce sont ses propres termes, et, 6 mois après, il les a religieusement répétés.) Je le demande aujourd’hui, que verra, que peut voir l’impartialité dans ce dernier paragraphe, si ce n’est un pressentiment bien juste de ce qui devait arriver, une connaissance anticipée de tous les malheurs que devait produire (comme je le dis alors en quittant la tribune) ce fatal article 4, que M. Barnave ne voulut jamais supprimer et qui a fait tous nos maux, enfin une prédiction sinistre qui ne s’est que trop cruellement vérifiée, et un avis très sage de chercher, dans un autre décret national, les moyens de neutraliser les dangereux effets d’une loi postérieure. Eh bien! j’ai été dénoncé deux fois par M. de Curt pour ce forfait dont je m’honore; les perroquets de l’Assemblée, les Grégoire, les Regnaud (de Saint-Jean-d’Angély), les Re’wbell et autres de cette trempe me l’ont reproché 20 fois. J’ai avoué tout : je me suis glorifié de tout; j’ai dit que je récidiverais toujours; j’ai provoqué le comité des recherches ; j’ai défié mes adversaires; je me ris d’eux tous, et ce qui prouve qu’ils ont tous tort, qu’ils le savent tous, et que tous sont de mauvaise foi, c’est qu’aucun d’eux n’ose me poursuivre, et que tous ont empêché que je ne lusse jugé .............. Après ce premier aveu, je passe au second crime de lèse-nation que me reprochent sans cesse ces hommes dont l’influence désastreuse fait couler aujourd’hui le sang de toute5 dos îles, < t coûtera bientôt peut-être, à la France, ses colonies ; on trouvera ce forfait tout entier dans la pièce suivante ; elle est de quelque importance. Louis-Marthe de Gouy, député à l’Assemblée nationale, à ses commettants. Paris, ce 15-31 mai 1791. « Messieurs et chers compatriotes, « Accablé d’une douleur profonde, je vous dois e core un effort: celui de maîtriser un moment le sentiment de mes peines, de tracer avec ordre l’histoire de nos maux, de mettre de la modération dans le récit de nos infortunes. « Je n’ai pas l’horribie projet de vous aigrir, mais je remplirai le devoir rigoureux de vous éclairer, et je formerai le vœu ardent de vous adoucir. Ainsi j’acquitterai le triple serment que j’ai fait, d’être fidèle à la nation, de ne point trahir votre confiance, de servir utilement ma patrie. « Je vous demande attention : jamais de plus grands intérêts ne vous furent soumis. Je vous demande indulgence ; jamais délégué n’eut par sa position plus de droit à cette faveur. « Vous savez que, depuis le décret du 12 octobre 1790, rendu sans avoir voulu nous entendre, le comité coloDial s’occupait d’un travail important sur les colonies. Vos députés, appelés à ses conférences, concurremment avec les membres de l’assemblée de Saint-Marc et les députés de l’assemblée provincialeduCap, coopérèrent, autant qu’il fut en eux, à la radiation du code de lois provisoires, qui devait entre vos mains devenir les matériaux de fa véritable constitution coloniale. « Depuis plusieurs mois, nous travaillions dans le silence à ce grand ouvrage, lorsqu’une nouvelle explosion de la haine des amis des noirs nous prouva que les sentiments de cette société n’avaient été que concentrés, mais qu’ils n’en [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791. 305 étaient pas moins dangereux. Un de leurs chefs, le sieur Brissot, dirigea contre moi une agression gratuite, bien digne de son auteur, et que je joins ici sous le n° 2. « Quelques jours après, 25,000 exemplaires de ma réponse le couvrirent de ridicule et de boue aux yeux de la France entière; je pensais moins à me venger qu’à détendre la grande cause de l’esclavage que cet insensé attaquait. Cette pièce jointe ici porte le n° 3. « Brissot répliqua avec son fiel ordinaire; vous en jugerez par la lecture du n° 4. « Je lui avais promis de ne plus lui répondre, mais, ne voulant rien laisser en arrière dans une cause qui était la vôtre, j’ai fait paraître une petite pièce intitulée : « Fragment d’une lettre à mes commettants, ou seconde fustigation de Brissot. » Je la place ici sous le n° 5. « L’amertume des sarcasmes que cet enragé se permit contre M. Moreau de Saint-Méry et contre moi me détermina à porter l’attention du comité colonial sur la position dans laquelle les colonies ne. tarderaient pas à se trouver, si l’on ne provoquait pas une bonne fois une décision formelle de l’Assemblée nationale, qui nous assurât à la fin la paix et la tranquillité à laquelle les colons ont droit comme tous les autres citoyens. Cette observation fut prise en grande considération par tous les membres du comité colonial et par ceux de l’assemblée de Saint-Marc et du Cap qui assistaient à ses séances. Nous tombâmes tous d’accord de la néces-siié d’une grande démarche à ce sujet et de l’im-portauce d’une préparation préalable. « En conséquence, nous convînmes, le 12 février, d’éveüler les villes de commerce sur l’imminence du danger qui nous menaçait, et je leur adressai, pour mon compte, une lettre extrêmement passante qui, par sa nature, n’était point susceptible d’être imprimée et dont je vous fais l’hommage sous le n° 6. « J’y joignis les bases d’une adresse à envoyer à l’Assemblée nationale par les chambres de commerce, dont l’esquisse avait été arrêtée entre nous, et que chacune d’elles devait libeller à sa guise. Cette pièce manuscrite porte le n° 7. « De 40 villes maritimes ou de l’intérieur, mais toutes intéressées au commerce des colonies, à qui j’expédiai cette circulaire énergique, le plus grand nombre garda le silence. « Bordeaux et Lyon se refusèrent à entrer dans nos vues patriotiques, mais Nantes, le Havre, Abbeville, Dunkerque, Rouen, etc., se distinguèrent par une adhésion complète à nos principes, et par des adresses également fortes en raison et en politique, qu’elles envoyèrent à l’Assemblée nationale. « Ce moyen d’influencer l’opinion publique nous t ût été d’un grand secours, si, comme je l’avais espéré, les réclamations du commerce eussent été unanimes, et que la voix de tous les départements maritimes se fût fait entendre à la fois; mais, quand l’événement prouvait, à notre grand regret, la tiédeur des négociants de plusieurs ports et des chefs de plusieurs manufactures, devait-on sa déterminer à rompre la glace vis-à-vis de l’Assemblée nationale, comme si la coalition entre le commerce et les colons eût éié complétée ? « Ce fut vers la fin d’avril que l’on agita, à un comité assez nombreux, la question de savoir comment et sous quel rapport on présenterait à l’Assemblée nationale les instructions que nous lre Série. T. XXXI. avions passé tout l’hiver à préparer pour les colonies. « Ce grand ouvrage dont tous les articles avai' nt été proposés au comité, discutés et débattus en présence de vos députés, des membres de l’assemblée de Saint-Marc, des députés extraordinaires du Cap, rédigé depuis par M. Barnave, formait le code de cette constitution provisoire, sur laquelle les assemblées coloniales devaient exercer leur initiative. 3 comités, celui du commerce, ce Constitution et de marine, avaient été adjoints au comité colonial, pour donner à ce travail toute la perfection dont il était susceptible; plusieurs lectures en avaient été faites en présence de ces comités réunis, les modifications étaient arrêtées, et tout paraissait convenu, lorsque les députés des colonies déclarèrent unanimement qu’ils n’adhéreraient à ces instructions, qu’autant que l’Assemblée nationale aurait témoigné, par un acte authentique, qu’elle avait véritablement à cœur le bonheur et la tranquillité des colons et qu’elle en assurerait à jamais les bases, par un décret non équivoque qui effacerait toutes les ambiguïtés reprochées au décret précédent et qui dissiperait enfin tous les doutes élevés contre l’initiative en réduisant en décret solennel le considérant du 12 octobre 1790 sur l’état des personnes. « La fermeté avec laquelle nous fîmes cette déclaration, prouva sans peine aux 4 comités qu’il serait inutile de la combattre. On ne songea donc plus, de part et d’autre, qu’au moyen d’exé-cuiion. « M. Barnave pensa qu’il fallait solliciter, de l’Assemblée, ce décrei préparatoire, par un rapport ad hoc , et moi je soutins que cette demande isolée, attirant l’attention de l’Assemblée sur un seul point, exciterait probablement une discussion trop vive. L’avis de M. Barnave prévalut. «M. Delattre, député d’Abbeville, fut chargé du rapport. Il fut fait à l’As emblée nationale, le 7 mai. Vous le trouverez ici sous le n° 8. « On s’était flatté d’emporter le décret sans discussion, comme ceux du 8 mars et du 12 octobre, mais je n’avais jamais compté sur une victoire si facile, et un échec que nous essuyâmes dès que l’action fut engagée, prouva que je ne m’étais pas trompé sur les suites fâcheuses qu’elle pouvait avoir. « MM. Pétion, de Tracy, l’abbé Grégoire et autres amis des noirs demandèrent l’impression du rapport, l’ajournement, et l’obtinrent. « Ils purent sans doute profiter du délai pour se concerter. Leur secte avait fait une grande perte. Mirabeau, le plus terrible, sans doute, de nos adversaires, n’était plus là pour les diriger; mais en même temps sou génie politique manquait à l’Assemblée tout entière, et qui sait si cet homme extraordinaire, qui, après avoir soulevé l’Empire pour opérer une Révolution, sentait le besoin d’en asseoir toutes les parties, pour conserver son propre ouvrage, ne se fût pas opposé, malgré les principes de la liberté, à une mesure fatale pour les colonies, et dont la réaction doit naturellement prod uire une désorganisation totale dans le continent ! « Quoi qu’il en soit, le 12 mai, jour fixé par l’ajournement, arriva. L’abbé Grégoire, maintenant évêque de Blois, ouvrit la discussion par un discours sans ordre, sans logique, remplit d’absurdités, de faussetés et d’erreurs très pardonnables à un curé de Lorraine, qui s’avise de traiter les grands intérêts de possessions importantes situées à 2,000 lieues de nous, et sur les 20 306 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1191.] localités desquelles il n’a jamais été à même de réunir deux idées justes. « Je ne vous ferai point l’extrait de ce discours erroné, vous le lirez dans les journaux imprimés que je joins à la présenie, mais pour vous durmer un exemple de la mauvaise foi de vos adversaires, je vous ferai remarquer l’accusation dirigée contre vos députés par ce prélat pacifique; il osa nous inculper d’avoir occasionné tous les troubles des colonies par la lettre que nous écrivîmes aux 3 comités provinciaux le 12 août 1789. 11 importait aux amis des noirs de rejeter sur nous tous les malheurs dont eux seuls sont les barbares artisans, et c’est dans celte intention coupable, qu’après avoir acheté à prix d’argent un de nos secrétaires, et livré à l’impression dans la boutique du sieur Brissot, nos correspondances intimes avec nos commettants, ils ont cherché à persuader que nous étions des ennemis des mmâtres, en citant une dépêche qui prouve au contraire à quel point nos dispositions leur étaient favorables. Celte lettre, tronquée à dessein par nos ennemis, a été rétablie par nous dans son intégrité et publiée avec profusion, il y a plus d’un an, quand Mirabeau se permit de nous la reprocher. « Nous la fîmes distribuer à tous les membres de l’Assemblée, comme une preuve évidente de l'imposture de nos détracteurs, et nous en joignons ici, sous le n° 9, un exemplaire que vous pourrez collationner sur l’original déposé sans doute aux archives des 3 anciens comités coloniaux; voilà les armes avec lesquelles, fauie d’autres, la calomnie nous attaque et nous combat, et vous observerez que nos délicats adversaires ne se sont jamais départis de cet odieux système. « L’abbé Grégoire, dans son discours, n’oublia as de verser des larmes sur le sort funeste que es tribunaux pervers, composés de blancs corrompus, avaient réservé au malheureux Ogé ; s’il était coupable, s’est-il écrié, nous le sommes tous! Je pourrais appeler sur la tête de ses bourreaux la vengeance des esclaves, mais ce langage ne serait pas celui d’un ministre de paix!... « Je m’abstiendrai de commenter ces expressions atroces. Les applaudissements qui les suivirent ajoutèrent encore à l’horreur dont elles venaient de me pénétrer. « Mg de Clermont-Tonnerre, qui avait eu la complaisance de me communiquer son discours, succéda dans la tribune au prêtre fanatique qui en descendait. Son opinion est remarquable par la justesse des idées, la concision des raisonnements, la pureté des principes, leur saine application ; il n’entrait point dans des détails, mais il mettait en avant des propositions générales, d’où découlaient des conséquences inattaquables, dont la force aurait sans doute frappé des esprits moins prévenus. Vous trouverez cette opinion sous le n° 10. « Un M. Monneron, député, je ne sais comment, du comptoir de Pondichéry, parla après M. de Clermont-Tonnerre ; quel fut mon étonnement d’entendre sortir de la bouche de ce représentant de quelques colons, des blasphèmes contre les colons, la destruction du régime colonial! Cette énigme nous fut expliquée par un raisonnement très simple. Ce M. Monneron, qui se dit gros propriétaire à Saint-Domingue, a épousé une sang-mêlé. En plaidant la cause des mulâtres, il parlait pour lui-même et pour ses enfants. « Je montai à la tribune immédiatement après ■ lui ; mon discours, fait dans la nuit, n’avait d’autre mérite que d’être le plaidoyer d’une bonne cause et tous les bons esprits me parurent touchés des arguments dont je fis usage. « Le premier de tous, le plus puissant selon moi, était de prouver à l’Assemblée que la question qui lui était soumise avait déjà été discutée et décidée par elle. Je mis sous ses yeux le rapport du 8 mars 1790, le décret célèbre qui le suivit, le considérant du 12 octobre de la même année, tous imprimés par son ordre et dont le but avait été de dissiper tous les doutes élevés sur l’article 4 des instructions. Je démontrai, j’ose le dire, sans réplique, que l’initiative accordée aux colonies, sur l’état des personnes, était un bienfait nécessaire, motivé par la prudence, l’humanité, la politique; que l’Assemblée ne pouvait le modifier sans porter atteinte à la stabilité de ses propres décrets et qu’elle ne pouvait nous le ravir sans éleindre dans nos cœurs tout sentiment de confiance envers la métropole, sans appeler sur nos possessions d’outre-mer des malheurs incalculables, et sans occasionner à la mère-patrie des pertes que rien ne pourrait réparer. « Après avoir manifesté l’évidence de ce premier point, j’attaquais nos ennemis à découvert. Je prouvais que tous les troubles des colonies n’avaient eu d’autre base que la méfiance inspirée aux habitams par les suites alarmantes de la déclaration des droits de l’homme; que ces alarmes avaient été entretenues par les écrits incendiaires d’une secte impie, qui, dans l’exagération de ses prétendus principes, avait fait vœu de planter l’étendard de la liberté, sur un sol imbibé du sang des maîtres et des esclaves; je prouvais cette as-ertion terrible par les œuvres mêmes de cette société désastreuse. Je citais la demande solennelle qu’elle avait faite d’abord de l’affranchissement des esclaves ; celle qu’elle y avait substituée depuis, de la simple abolition de la traite; la requête plus modérée en apparence qu’elle pressentait aujourd’hui en faveur des gens de couleur libres, enfin le serment coupable que ses membres avaient osé adresser à l’Assemblée nationale elle-même, de n’avoir ni cesse ni repos, qu’ils ne fussent parvenus au terme de leurs criminels travaux. Cette dernière pièce, signée Pétiou de Ville leuve, membre de l’Assemblée nationale, président de la Société des Amis des noirs, et Brissot de Varville, secrétaire, a été produite par moi et n’a point été désavouée. Comme elle est très rare ici, je la joindrai à la présente par extrait manuscrit suus le n° 11. ( Je terminai cet exposé par une conséquence bien juste; c’est que la question de l’activité, réclamée en faveur des mulâtres, n’était point la véritable question; c’est qu’elle n’était que le premier degré pour arriver plus facilement à prononcer l’abolition de la traite, et l’affranchissement des esclaves; c’est qu’on trompait l’Assemblée nationale en lui présentant sous un point de vue spécieux un objet abominable, qui ne tendait à rien moins qu’à faire égorger 100,000 citoyens blancs, à réduire à une anarchie déplorable 800,000 noirs, qui, quoi qu’en disent les philanthropes, nous regardent aujourd’hui comme leurs défenseurs et leurs pères, à anéantir toutes nos manufactures coloniales, à ruiner le commerce du continent, à enlever à l’Europe entière peut-être, mais bien sûrement à la France, les possessions les plus précieuses, à tarir la source de toutes ses richesses, à placer ce magnifique j royaume au rang des puissances du troisième [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ordre, enfin à plonger dans le désespoir 6 millions d’hommes, qui, ne vivant sur nos côtes que du produit des relations commerciales ne tarderaient pas dans leur fureur à déchirer de leurs propres mains la Constitution que nous venions d’établir au milieu de tant d’or.iges et demanderaient à grands cris nos colonies, le despotisme et du pain. « Ce tableau n’était pas chargé, sans doute; quelques réflexions prépondérantes concouraient à en détacher les principaux traits. Et de quel droit, demandais-je, veut-on ainsi nous arracher nos esclaves? La propriété n’est-elle pas comme la liberté, une des maximes sacrées des droits oe l'homme? Est-il permis d’être généreux, bienfaisant aux dépens d’autrui? Si vous avez voulu affranchir l’Univers, si vous avez résolu de donner la liberté à tout ce qui re-pire, achetez nos biens et dis, osez-en ensuite; pio urez-vous 5 milliards pour acquérir les propriétés que les Français de l’Amérique ont fécondées de leurs sueurs, et alors vous pourrt z vouer légitimement à l’infortune, 1 million de noirs, qui moins esclaves du besoin, que nos paysans, vivent heureux sous les yeux d’un maître que sou intérêt et l’humanité engagent à les traiter comme ses enfants. « Tel était en substance ce que le patriotisme et la vérité m’inspiraient. Un accident imprévu, arrivé à l’un des copis es du Logographe, a empêché 1 insertion littérale de ce discours au journal ordinaire de cette séance qui n’en mentionne que l’extrait. Le ré acteur y a depuis suppléé par 2 feuilles additionnelles dout l’exactitu ie fait honneur au moyen ingénieux qu’il emploie pour écrire mot à mot tout ce nue nous diso s. Vous trouverez ici ce supplément sous le n° 12. « Au surplus, je ne fus pas écouté sans interruption . La preuve que j’avais frappé au but fut administrée par nos adversaires eux-mêmes. Quand ils m’entendirent affirmer que le terme de leurs vœux était l’affranchissement de l’esclavage, et qu’avant de prononcer sur l’état des mulâtres, il fallait discuter si on donnerait la liberté aux noirs, ils s’écrièrent presque tous à la fois que je sortais de la question, que je n’étais plus à l’ordre du jour. Je continuai pourtant : plusieurs fois, ils élevèrent cette même difficulté contre les vérités que j’énonçais; enfin, je terminai mon opinion par une adoption formelle de l’article 1er du projet des comités réunis, qui, réduisant en décret le considérant du 12 octobre, assurait irrévocablement aux colonies l’initiative qui leur avait été accordée. « MM. de Tracy, Rooespierre et Pétion s’élevèrent de toutes leurs forces contre mon opinion. Ces 2 derniers qui nous entraînent tout doucement vers la République, chimère que leur imagination désordonnée, leur représente comme le gouvernement le plus convenable à un peuple de 25 millions d’hommes, répétèrent tous les lieux communs dont ces cerveaux creux ont composé une politique monstrueuse. « Les grands mots de Liberté, Egalité furent placés dans chaque phrase, et les personnalités ne furent pas oubliées contre les blancs et contre moi. La tendresse que ces messieurs ont pour les noirs est exclusive. Les blancs sont tous leurs ennemis. Ce sont des barbares, des .tigres, et moi je suis un conjuré, qui ne respire que l’indépendance. La preuve s’en tire d’un passage cité par eux d’une lettre privée écrite par moi, le 30 mars 1790, à M. L’Archevêque-Thibaut et dans laquelle je disais avec toute réserve et mesure, [24 septembre 1791.] 3Q7 ce que je pensais de l’article 4 des instructions du 28, qui véritablement, ainsi que je l’avais prédit alors, rst devenu la cause de tous nos maux. «Comme le paragraphe de cetie lettre, contre lequel je provoque moi-même l’examen des quatre comités sans pouvoir l’obtenir, parce qu’ils savent bien que la justification n’en sera pas difficile, m’a été plusieurs fois reproché dans cette discussion, je veux, mes chers compatriotes, le remettre sous vos yeux afin que votre pitié puisse évaluer la petitesse des moyens auxquels ont recours les ennemis de la colonie. La lettre du 12 août dont j ai fait mention plus haut et ma lettre du 31 mars 1790, voilà les crimes de vos députés. C’est en fouillant dans leur correspondance intime avec leurs commettants, c’est en interceptant leurs dépêches, c’est en les environnant detiaîtres, c’est en falsifiant leurs écrits, que l’on espère les noircir aux yeux de la nation, et détourner sur leurs têtes innocentes la responsabilité que devraient seuls encourir les auteurs coupables de ces vils complots. Quels hommes serions-nous, si nous concevions l’idée homicide de semer le trouble parmi nos compatriotes! C’est là pourtaut ce dont la calomnie nous accuse. Lisez et jugez-nous, nous n’avons pas d’inquiétude sur le jugement que vous porterez. J’annexe à la présente le paragraphe de ma fameuse lettre, sous bj n° 13. « C’est un député de la Guadeloupe, c’est M. de Curt qui n’a pas rougi d’être mon premier dénonciateur ; mais ce qu’il y a de plaisant, c’est que j’ai avoué hautement le délit à la tribune ; c’est que c’est moi qui poursuis le jugement, et que je ne puis me faire juger. Vous serez en état d’apprécier ma conduite à ce sujet, par la lecture d’un des mille journaux de ceite séance que je joins ici sous les numéros 14 et 14 bis. « Je ne vous ferai point l’extrait des discours de nos adversaires. L’esquisse de leurs erreurs en politique et de leurs horreurs contre nous, aurait l’air d’une calomnie. Vous trouverez mot à mot ce qu’ils ont dit dans le Logographe. 11 n’en faut rien perdre. La copie fidèle de leurs opinions est un dépôt redoutable où. la veogeauce nationale puisera tôt ou tard les moyens d’une accusation terrible contre ceux qui, s’enveloppant opiniâtrément du voile de leur ignorance que nous voulions lever, ont provoqué la perte de la Constitution, et l’avilissement prochain de la France, par la ruine infaillible de ses colonies. Je me borne donc, mes chers compatriotes, à recommander à vos méditations le cahier du journal logographique que vous trouverez ci-joint sous le n° 15. « Vous y verrez sans doute avec reconnaissance tous les efforts qu’a faits M. Mulouet en faveur de la bonne cause. Il vous a défendus avec une modération, un calme, une logique qui auraient dû obtenir un meilleur succès. Il est colon, il s’est montré digne de l’être. -< Mais celui qui peut-être a fait le plus d’impression sur les esprits, parce que sa position le mettait au-dessus du plus léger soupçon de partialité dans cette affaire, ce fut l’abbé Maury. Il parla d’abondance pendant une heure entière, avec une sagesse, une éloquence, une vérité qui lui concilièrent tous les suffrages. Je demandai l’impression de son discours qui fut décrétée, quoique le discours n’existait plus alors que dans notre souvenir et heureusement dans le Logographe. Nous demandâmes immédiatement d’aller aux voix, et si nous l’avions obtenu, notre cause était gagnée. Mais le président refusa, et ce re- 308 [Assemblée nationale.] fu3 nous fit présager les risques que son opinion individuelle nous faisait courir. « Au nom de Saint-Domingue et de mes collègues, je fus porter à l’abbé Maury l’expression de notre graiitude. Ce témoignage n’était pas suspect dans ma bouche, lorsqu’il s’adressait à un membre du côté droit. Il le reçut avec une modestie qui excita toute ma sensibilité, et il me demanda, pour parler le lendemain, des notes que je lui donnai et dont il fit encore un excellent usage. « Vous voyez, mes chers compatriotes, que nous ne laissons échapper aucun moyen de défendre par nous-mêmes, ou de remettre entre les mains de défenseurs éloquents, la grande cause que vous nous avez confiée. « Je ne vous dis rien de Barnave. Ses discours parlent pour lui. Si malgré mes instances réitérées, il a maintenu le 28 mars, le funeste anicle 4 des instructions, s’il m’a opiniâtrément refusé, le 12 octobre, de placer le considérant dans le corps du décret; si, par ces mesures, il a mis les colonies à deux doigts de leur perte; il a tout réparé dans cette circonstance, en sacrifiant ses anciens principes, sa popularité, en résistant avec énergie aux instances de ses amis, en usant enfin de tous ses moyens pour nous défendre. Il ne s’est pas démenti depuis, et je pense qu’il a réellement bien mérité de Saint-Domingue. * Ce ne fut qu’à la fin de la seconde séance et après bien des combats que l’avis des comités fut mis aux voix. La question préalable fut réclamée par nos adversaires et l'appel nominal, sur leur demande, fut exigé par nous. Sur environ 700 votants, une majorité de 80 voix nous assura un premier avantage et la séance fut levée. « Ce premier succès encouragea notre zèle. Nous doublâmes nos efforts pour obtenir le lendemain, s’il était possible, une victoire complète. « Les comités, vos députés, plusieui s membres de l’assemblée de Saint-Marc et de celle du Cap, se réunirent dans la soirée, et restèrent à délibérer jusque dans la nuit. Un avis très rigoureux fut ouvert : ce fut de porter le dernier coup à nos adversaires, en proposant le lendemain à l’Assemblée nationale de reconnaître et consacrer catégoriquement l’esclavage des nègres. Cette opinion prévalut, et comme ceux d’entre nous qui avaient plaidé à la tribune la cause des colonies, avaient déjà perdu leur faveur, il fut résolu que M. Moreau de Saint-Méry porterait la parole au nom de toutes les Antilles, nont les représentants l’appuieraient. « En effet, le lendemain, avant la séance, il nous communiqua son discours, il le prononça en notre nom, et nos partisans le soutinrent. Les amis des noirs ne s’attendaient pas à une pareille demande, et leur embarras fut extrême. Iis craignirent en s’y opposant de justifier le soupçon que j’avais élevé la surveille, dans mon discours, contre leurs prétentions exagérées, en démasquant le projet qu’ils avaient conçu de nous conduire à l’affranchissement des nègres. Nous profitâmes de leur stupeur, et l’Assemblée décréta que les colonies auraient à jamais l’initiative sur l’état des personnes non libres, car nous ne pûmes jamais obtenir de lui faire prononcer le mot « esclaves » que nous affectâmes pourtant d’avoir sans cesse à la bouche pendant la discussion. « En sortant de la salle nationale, l’abbé Maury qui avait si bien parlé pour nous, ou plutôt pour la raison et la métropole, fut grièvement insulté par la cabale soldée des philanthropes. Tous les [24 septembre 1791.] créoles actuellement à Paris n’ont pas manqué de se faire inscrire chez lui. Cette distinction était due au zèle qu’il avait déployé en notre faveur. « L’avantage imprévu que nous venions d’obtenir relativement aux esclaves, réveilla dans le cœur des négrophiles toute la haine qu’ils nous ont vouée, lis passèrent, de leur côté, le reste du jour à rêver au moyen de s’opposer à nos progrès et à l’ouverture de la quatrième séance, ils firent accorder aux mulâtres une audience à la barre, dont ils se promettaient de tirer grand parti. « Reymond, escorté de deux de ses confrères, se disant comme lui députés de tous les mulâtres de la colonie, parut eu suppliant, débita beaucoup de mensonges, mais le fit avec mndération: calomnia surtout les blancs non-propriétaires et fut fort applaudi. MM. Reguaud (de Saint-Jean-d’Angély), l’ubbé Grégoire, Pétion, La Rochefoucauld et singulièrement le sieur Mouneroo sa déchaînèrent avec force contre nous. Cependant l’avis du comité sur les gens de couleur ayant été mis aux voix et la question préalable invoquée par nos antagonistes, il fallut, comme à la seconde séance, avoir recours à l’appel nominal. « Sur 842 votants, nous obtînmes une majorité de 143 voix, qui décida que le lendemain ou délibérerait sur le fond. « C’était le dimanche 15 mai que cette grande question devait être déridée. Il était impossible aux observateurs 1rs plus profonds de prévoir les résultats. Les connaisseurs les plus déliés dans le grand art de la tactique de l’Assemblée étaient en défaut depuis quelques jours. Les chefs des Jacobins, c’est-à-dire les plus zélés démocrates, étaient pour nous. Le reste de la phalange jacobine était absolument contre. Le côté droit, vulgairement apptlé aristocrate , opposé en d’autre temps à plusieurs de nos réclamations, s'était cette fois fortement coalisé en note faveur; enfin le centre ou les bas côtés de l’Assemblée encore incertains entre les amis des noirs et nous, entre les principes de droit naturel et la politique des empires, flottaient et devaient, par leur adhésion à run ou à l’autre parti, faire pencher la balance, d’un ou d’autre côté, conserver à la France ses colonies ou les perdre sans ressource. « Le premier appel nominal avait à peu près marqué toutes ces nuances, et elles avaient été conservées dans une liste imprimée qui, dès le lendemain, inonda la capitale et dont l’exactitude ne fut point du tout agréable à ceux qui y étaient nommés ; je m’en suis procuré quelques exemplaires, et je vous les offre ici sous le n° 16. Ou m’accusa d’en être l’auteur; je ne me donnai pas la peine de désabuser ceux qui m’imputaient ce petit pamphlet dont le titre faisait tout le mérite. « Les patrons des mulâtres, inquiets de la majorité que nous avions obtenue la veille, imaginèrent une nouvelle tentative sur la sensibilité de l’Assemblée; à l’ouverture de la séance, ils fi rent remettre au président une lettre de leurs clients, bien touchante et bien perfide, dans laquelle préjugeant une décision contraire à leurs vœux, iis demandaient, comme dernière grâce, d’être soustraits à la vengeance des blancs, au couteau tranchant de leurs lois ; enfin de pouvoir sans risque abandonner un sol imbibé du sang de leurs frères. « Cette adresse fit beaucoup d’effet , elle fit perdre de vue l’objet de la délibération qui, par ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 309 le décret de la veille, ne devait être autre que l’initiative proposée par les comités en faveur des assemblées colonia e-, sur l’état des gens de couleur libres, et cet incident devint, non sans dessein, une transition assez naturelle à l’amendement désastreux que devait proposer M. Rewbell. « Ge M. Rewbell est un député de Strasbourg, très dévot à la déclaration des droits de l’bomme, quand elle ne contrarie pas ses intérêts, mais qui, malgré son profond respect pour elle, n’a jamais voulu souffrir que les juifs d’Alsace, propriétaires, industrieux, riches, nombreux, utiles, jouissent des droits de citoyens actifs, tandis qu’à l’autre bout du royaume, ms juifs de Bordeaux avaient so'ennellement obtenu cet avantage. Ge fut lui qui, ne, craignant pas de se mebre aussi ridiculement en contradiction avec lui-même, prononça un assez long discours, pour prouver que les gens de couleur, nés de pères et mères libres, devaient être admis non seulement dans les assemblées des paroisses, mais même dans l’assemblée coloniale. « De grands applaudissements appuyèrent cette motion dont je sentis l’astuce et le danger. < Elle fut soutenue par un M. Combert, qui n’a jamais dit trois phrases de suite, etparM. Regnau 1 (de Saint-Jean-a' Angêly) qui parle toujours. « L’espèce de parti mitoyen qu’elle présentait, parut merveilleux à c ux qui ne connaissent pas nos localités, et qui, fatigués d’une discussion de cinq séances consécutives, se félicitai nt de voir en un jour à en sortir. De toutes parts on criait aux voix, et je ne crois pas m’être trompé de beaucoup en appréciant que cet instant fatal nous en avait fait perdre plus de 200. Aucun de nous ne pouvait espérer se faire entendre. J’étais auprès du président; je lui demandai la parole sans pouvoir l’obtenir. U semblait que les représentants des coloni. s, lorsqu’ils remplissaient loyalement tous les devoirs de leur mission, fussent par là-même des hommes suspects à ia nation. « J'engageai Barnave et quelques autres à tenter un dernier effort, mais les cris aigus des amis des noirs, de MM. Pétion, Rœderer, de Tracy, Rewbell, ne lui permirent pas pendant une heure de se faire entendre. Enfin sur nos viv�s réclamations, appuyées fortement par tout le côtédroit, Barnave fut écouté. Il parla avec autant de fermeté que de précision, récapitula tous ses moyens, fit voir la déviation où nous avait jetés un amendement insidieux, demanda qu’aux termes du décret rendu hier, on dé iberât sur l’article proposé par les comité?, et quitta la tribune au milieu des murmures des fous et des applaudissements des sages. « 11 y fut remplacé par Robespierre dont le sys tème politique réduirait bientôt tous les hommes à habiter les bois, et à brouter de l’herbe pour avoir le plaisir d’être égaux. Il allait bien plus loin que M. Rewbell, et l’exagération de ses principes donnait uu vernis de modération au détestable amendement du député de Strasbourg. « Au moment de le mettre aux voix, l’abbé Maury, avec lequel je venais de conférer, parut à la tribune, et proposa deux sous-amendements qui m'avaient semblé de la plus haute importance et que je venais de lui indiquer. « Le premier consistait à exiger que les mulâtres, qui’ réclameraient l’activité, prouvassent qu’ils étaient fils légitimes de pères et mères libres. Le second consistait à exiger d’eux la patente en bonne forme de la liberté accordée à leurs auteurs. « L’adoption de ces deux sous-amendements nous aurait donné un grand avantage, ou plutôt aurait affaibli beaucouo les inconvénients de l’avis du sieur Rewbell. L’abbé Maury les présenta tous deux avec beaucoup de force; mais on ne vou’ait [tas l'eu tendre. M. Prieur criait que tous les hommes naissaient libres. « M. Lucas, que la liberié se présumait, et que c’était aux blancs à prouver qu’un tel était ou avait éié le r esclave. « Au milieu de ces cris erronés, le président M. d’André, dont l’opinion ne nous était pas favorable, voulut mettre l’article aux voix. « M. Goupil proposa, pour le troisième sous-amendement, de n’accorder l’activité qu’aux gens de couleur libres,fils de pères et mères libres et non affranchis. C’était reporter à la troisième génération l’exercice de ce droit, et par conséquent éloigner bien des malheurs. Mais nos adversaires n’avaient garde de goûter ce! avis et demandèrent, de toutes parts, la question préalable sur tous ces amendements. <• Ce fut alors que pénétré plus que jamais du tort irréparable que ce décret allait porter aux colonies, à la métropole, à ma patrie tout entière, je sortis de mon caractère, et m’élançant vers le président, presque avec violence....» Monsieur, « criai-je, ces amendements que l’on propose de « rejeter sont la question principale. Cette ques-« tion-là nous imposera à tous une responsabilité « effrayante; il importe beaucoup de connaître « ceux auxquels la France aura à reprocher in-« cessamment la perte de ses colonies. En con-« séquence, je réclame au nom de celle que je « représente, et j’ose dire au nom de toutes, l’ap-« ! el nominal. » « Vous l’aurez sur le fond », me dit le président, et à l’instant mettant aux voix la question préalable, il fit rej ter tous les amendement'. Bientôt l’a ticle fut décrété avec la même facilité. Je me présentai de nouveau pour demander l’appel. Toute la droit e me soutint, mais le Président persista dans son refus, et consentit seulement à mettre aux voix si on ferait l’appel, et la majorité, qui venait de nous condamner, décida qu’elle ne voulait pas être connue; en conséquence point d’appel, et au milieu des cris de douleur des uns et des applaudissements des autres, ou leva cette terrible et fameuse séance. « Je n’e saierai pas, mes chers compatriotes, de vous peindre mes sentiments, ni ceuxde mes cobègues. Cinq jours de fatigues, uun tension d’esprit continuelle, une inquiétude toujours subsistante, deux moments d’espoir, mille instants d’alarmes, et puis un décret qui réalisait nos craintes. Jugez de notre désespoir! Je soriis les larmes aux yeux, la mort dans l’âme et j’attendis impatiemment l’heure à laquelle tous les députés des colonies s’étaient promis de se réunir. « Plusieurs de nos défenseurs. Barnave, Ma-louet, quelques membres de l’assemblée de Saint-Marc, plusieurs de celle du Gap vinrent mêler leur douleur à celle dont nous étions pénétrés. La consernation était générale, l’abattement universel et pourtant, il fallait opiner avec énergie. « Messieurs, leur dis-je, nous pouvons enfin soula-« ger nos cœurs; nous sommes ici tous colons, « ou dignes de l’être ; les développements seraient « inutiles entre nous ; il ne s’agit, pour déter-« miner la ro te que nous devons tenir, que de » rassembler sous vos yeux les principaux traits « des maux qui nous accablent. « L’initiative, ce palladium du régime colonial, « promise aux colonies par le décret du 8 mars, 310 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] « accordée par le considérant du 12 octobre, « confirmée par le décret d’hier, nous a été en-« levée aujourd’hui, puisque l’Assemblée natio-« nale a prononcé sur l’état des personnes. « Ainsi le préjugé de la couleur, si ancien, si « nécessaire dans les îles à sucre, doit être effacé « du souvenir de tous les colons, sans autre pré-« paration que la promulgation d’un décret. « Trois amendements d’une grande impor-« tance proposés par nos défenseurs n’ont point « été admis, et leur rejet préjuge tacitement la « terrible question de l’affranchissement des es-« claves. « Nos adversaires, pour voiler aux yeux de « l’Assemblée les obstacles que l’opposition des « blan s élèverait dans les colonies, contre la « révolution qu’ils y préparent, se sont attachés, « à injurier sous le nom de petits blancs ceux « de nos concitoyens qui ne sont pas proprié-« taires, sa s songer que cette distinction impo-« litique serait la source de mille trou Ides in-« testins. Robespierre a dit : « Périssent les « colonies plutôt que d’altérer un principe! » Il « l’a dit et de coupables applaudissements ont a consacré ce criminel adage. Que va-t-il arri-« ver? les colonies divisées se déchireront de « leurs propres mains. Le parti opprimé armera « les esclaves et le dernier des blancs, ou le der-« nier des mulâtres périra. » « Dans cette position cruelle, que doivent faire « les représentants de nos contrées malheureuses? « Consulter leur devoir, et le remplir. Il se pré-« sente à mes yeux sous deux rapports. « Comme représentants de la nation, nous « avons fait serment de ne point quitter l’As-« semblée nationale que la Constitution ne fut « faite ; c’est-à-dire que nous avons |uré de coo-« pérer de tous nos moyens à l'achèvement de « ce grand œuvre; mais serait-ce travailler à l’é-« dilîce que d’en saper les bases, et n’est-il pas « évident pour nous que la perte des colonies « sera l’écueil de la Constitution, le prétexte d’une « guerre, la cause d’une effroyable misère et le « renversement de la liberté : ainsi nous avons « tenu notre promesse, quand nous nous sommes « opposés à cette dégradation, et nous sommes « encore fidèles à notre serment alors même que « nous refusons de participer à la destruction de « notre propre ouvrage; donc, en nous considère rant sous le premier point de vue, le devoir « nous prescrit la retraite. « Comme délégués de nos colonies respec-« tives nous avons aussi juré à no-; commet-« tants de les défendre. Ce serment-là nous « l’avons également bien rempli. Il nous impo-« sait de mettre tout en œuvre, de ne point dé-« sespérer jusqu’au décret fatal; mais, à l’instant « où il est prononcé, demeurer serait consentir, « consentir serait trahir nos commettants. « Donc, sous le second rapport, le devoir nous « prescrit encore la retraite. « Je dis la retraite, car une démission ne peut « se donner qu’à ceux de qui la mission vous « est venue ; nous ne devons donc pas quitter, « mais nous devons nous abstenir des séances « de l’Assemblée nationale et de tous ses tra-« vaux. Nous le devons, non pas individuelle-« ment, mais collectivement, non pas dans quel-« ques jours, mais dès demain matin, non pas en « cachette, mais par une démarche ostensible, « ferme, respectueuse, digne en tout sens de « nous, de ceux que nous représentons, et du « patriotisme dont nous avons fait, et dont nous « ferons toujours preuve. » « Cette opinion fut soutenue par tous ceux qui parlèrent après moi. Quelqm s modifications furent proposées, et rejetées aussitôt. M. de Reynaud et moi rédigeâmes dans les ternes les plus simples, la lettre des députés de Saint-Domingue, et elle fut signé sur l’heure. « Les députés de la Martinique et de la Guadeloupe adhérèrent complètement à notre avis, et promirent de nous communiquer le lendemain leurs adresses respectives. Réunis à midi nous fîmes lecture des 3 lettres ; M. Dillon et moi fûmes chargés de les confier aux soins de MM. Malouet et de Clermont-Tonnerre, avec prière de les remettre en mains propres au Président, et d’en requérir la lecture. Ils remplirent cette mission avec leur zèle ordinaire, et les 3 lettres furent lues à la tribune comme nous l’avions désiré. « Je ne vous peindrai pas, mes chers compatriotes, l’accueil qui leur fut fait par une partie des membres du côté gauche qui nous avaient si maltraités la veille; mon silence prouvera, comme je l’ai dit plus haut, que je ne cherche pas à vous aigrir. « Un Rewbell fut le seul qui osa prendre la parole en cette conjoncture, et ce fut pour dire une absurdité et une injure. Il voulait d’abord nous ren ire responsables des événements, tandis que nous nous retirions, justement pour ne pas répondre des malheurs que le décret devait entraîner ; ensuite, il déclara qu’il accablait de son mépris les députés de toutes les colonies françaises, et cette assertion, dans sa bouche, parut un éloge à vos représentants. On passa à l’ordre du jour, et comme ce jour-là était malheureux, on rendit presque sans discus-ion un décret dont l’influence doit être incalculable sur le sort de cet Empire, celui qui décide qu’aucun membre de la législature actuelle ne pourra être réélu à la suivante. Sans doute, il y avait un choix à faire, mais quels autres que les republicanistes Robespierre et Pétion, quels autres que des amis des noirs eussent jamais conçu I’i ; p olitique idée d’exclure dé l’élection future*, la totalité des députés actuels, et de confier tout à coup la grande machine d’un gouvernement, à des maius qui n’ent ont pas encore manié les rouages, et qui, dans leur apprentissage, ne seront dirigés par aucun des anciens régulateurs? Je m’applaudis en mon particulier avec le comité de Constitution, de n’avoir pas eu de part à cette décision, qui pourtant n’est pas sans prix à mes yeux, puis-qu’en me rendant inéligible pour Ja session prochaine, elle me procure le bonheur de vous offrir le tribut d’un zèle dépouillé de tout intérêt privé, et qu’elle imprime ainsi à cet hommage de ma vive reconnaissance un caractère de pureté qu’il n’aurait jamais eu dans une autre circonstance. « Pendant le cours de la journée, nous reçûmes des témoignages d’approbation des députés extraordinaires du Cap, des nu mbres de l’assemblée de Saint-Marc, des colons réunis à l’hôtel de Mas-siac, et de tous ceux qui sont assez sages pour convenir que, dans l’état de société, le respect pour les droits de l’homme, n’exclut pas les justes considérations de l’humanité et de la politique. « Mais nos bouillants adversaires, encore étourdis de notre démarche, firent sans doute usage des petits moyens dont ils ont usé plus d’une fois ; Barnave fut hué et insulté par cette multitude dont, peu de jours auparavant, il était l’idole; M. de Menou faillit à être jeté dans la rivière, et nous autres nous reçûmes plusieurs avis menaçants qui ne parvinrent pourtant pas à nous effrayer. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 311 « L’ambassadeur d’Angleterre dépêcha un Courier extraordinaire à Londres, 2 heures après notre retraite. « On ne manqua pas de répandre que ce courrier avait été expédié par nous; on ajouta que nous allions bientôt le suivre, j’ai répondu à cette calomnie en me montrant tous les jours au Palais-Royal à l’heure où la promenade est le plus fréquentée. « Dès le jour suivant, M. Regnaud (de Saint-Jean d’Angély) l’un de nos plus acharnés calomniateurs, fit la motion expresse d’enjoindre au comité colonial de rédiger une instruction explicative du décret, et qui pût neutraliser les interprétations perfides qu’on n’avait pas manqué sans doute d’adresser déjà aux diverses colonies. ♦ M. Dupont, député de Nemours, Dupont l’économiste, Dupont fabricaieor du désastreux traité de commerce qui enrichit l’Angleterre et appauvrit la France, Dupont l’antagoniste des assignats, sans lesquels la banqueroute serait faite, il y a plus d’un an; en un mot, Dupont l’honnête homme, mais l’esprit faux, eut la sottise de proposer à l’Assemblée nationale de mettre un embargo sur tous les navires de commerce, dans tous les ports du royaume, pour empêcher nos lettres de parvenir jusqu’à vous. Eh bon Dieu ! pourquoi tant de précautions au sujet d’un décret qu’il prétendait dicté par la sagesse, et auquel il nous . assurait 2 jours avant, que le salut des colonies était attaché? l’absurdité de sa demande frappa tous les bons esprits, et l’embargo fut rejeté. « Entourés de tant d’accusateurs et de tant de calomnies, nous avons cru devoir faire parvenir au roi les dispositions véritables de vos représentants. Nous sommes allés trouver M. Thévenard, nouveau ministre de la marine, qui sent déjà tout le poids de son département, nous l’avons prié de présenter à Sa Majesté les motifs de notre retraite, l’expression de notre fidélité, et l’assurance de la vôtre, bien sûrs, mes chers compatriotes, que, sur ce point surtout, vos cœurs seraient surtout à l’unisson ues nôtres. « En le quittant, je fus seul voir le garde des sceaux, j’eus avec lui une très longue conférence, dans laquelle, je lui ouvris mon âme, lui peignis le régime colonial, ne lui cachai pas les dangers du décret, et le conjurai d’offrir au roi le tribut n’un amour à toute épreuve pour la Patrie, là Constitution et Sa Majesté. « Après avoir rempli ces devoirs importants, je crus que prêcher la paix, engager à l’oubli des anciens ressentiments, inviter tous les colons à cette union si douce qui double les forces, était encore une portion de mon ministère. Je me rendis auprès des députés extraordinaires du Cap, je fus trouver les membres réuüis de l’assemblée de Saint-Marc et je n’eus pas de peine à leur prouver que les grands malheurs commandent les grands sacrifices et l’oubli de tous les débats. Partout je trouvai des cœurs créoles, tendrement attachés à la colonie, et dont les dispositions fraternelles laissèrent bien peu de chose à faire à mon zèle. Tous furent bientôt réunis dans la patrie, tous convinrent avec moi qu’il fallait quitter le continent, regagner nos habitations, défendre nos ateliers des invasions du dehors et des fermentations du dedans, et que cette mesure était la seule qui pût, s’il en était temps encore, les conserver à la nation. Puissent-ils réaliser cette sage et civique mesure ! Je leur en donnerais l’exemple si les fonctions que vous m’avez confiées ne marquaient impérieusement mon poste auprès du Corps législatif. « Je ne m’éloignerai point du lieu de ses séances, jusqu’à ce que la colonie nous ait donné des successeurs. D’ici à cette époque, sentinelle vigilante, je verrai tout, je vous rendrai compte de tout, je vous défendrai contre tout. « Les calomnies qui ne regardent que moi, je ies méprise; celles qui attaquent les colons, je dois les réfuter. Le caractère dont ils m’ont revêtu m’impose ce devoir. « C’est dans cet esprit que j’ai cru nécessaire de manifester la fanfaronnade du ci-devant marquis de Villette, ami des noirs. « Il fait publier, dans tous les journaux, que les alarmes que les créoles semblent avoir conçues d’après le décret du 15 mai sont bien frivoles, puisqu’une compagnie de capitalistes offre d’acheter toutes les habitations, argent comptant, et à 10 0/0 de perte. Cette jonglerie, annexée à la présente sous le n° 16, est du lendemain; j’accepte son offre par les mêmes journaux, je le somme de la réaliser, et je dépose mes titrés chez un notaire. Ma réponse est ici sous le n° 17. « Mon homme saigne du nez, mais il espère s’en tirer par une épigramme contre l’esclavage, et quelques jours après, il m’adresse par les mêmes papiers, une lettre n° 18. « Ma répliqué ne s’est pas fait attendre. Elle fait un peu rire à ses dépens, et les Bordelais y trouveront un mot qu’a bien mérité leur indigne conduite. Cette pièce porte le n° 19. « Que penserez-vous, mes chers compatriotes, de ce procédé inexplicable de la ville de Bordeaux? 4 jours après le décret, plusieurs papiers publics citèrent une prétendue lettre de cette place qui déclarait avec absurdité que l’indépendance des colonies était prouvée par la chèreté des sucres, et que déjà Saint-Domingue faisait ouvertement le commerce avec les Hollandais. Je joins ici la copie de cette accusation calomnieuse, sous le n° 20. « Je pris la plume aussitôt et je fis publier, le lendemain, dans les mêmes feuilles, et imprimer à part pour tous les membres de l’Assemblée nationale, une réponse un peu ferme que vous trouverez ici sous le n° 21. « Mais au même in-tant, une adresse solennelle du département de la Gironde fut apporiée au Corps législatif par un courrier extraordinaire et sa lecture répandit une joie immodérée parmi nos adversaires, quand ils virent qu’une ville de commerce des plus importantes, non seulement approuvait le décret rendu en faveur des gens de couleur, mais même annonçait un armement considérable, pour en soutenir l’exécution. Ils ne s’aperçurent pas, les bonnes geps, que cette disposition hostile était elle-même la censure la plus amère du décret. S’il était, comme ils iç disaient bassement et faussement, un bienfait pour ies colonies, serait-il besoin de porter le fer et le feu au milieu de nos manufactures pour en appuyer l’exécution? Vous trouverez ces incroyables pièces bordelaises, sous le n° 22. C’est à leur effroyable contenu que j’ai prétendu faire allusion dans ma dernière réplique à Villette, qui porte le n° 19 ci-dessus. « Nantes s’est montrée bien différemment. A l’instant de la réception du décret, la consternation a étendu son voile sur toute la ville; les spectacles, nous mande-t-on, ont été fermés, la commune s’est assemblée, et une adresse d’une force extrême, d'une énergie rare, d’une vérité sans adoucissement, a été expédiée au député extraordinaire du commerce de cette ville près 312 [Assemblée nationale.] l’Assemblée nationale. On dit qu’il hésite à la remettre à sa destination. Je ne puis le croire; il serait trop coupable; mais j’en ai lu la copie, et je parie bien que l’Assemblée nationale n’en entendra jamais la lecture entière; celte épître est beaucoup moins flattante que celle de Bordeaux. Si je puis me la procurer, je la joindrai ici sous le n° 23. « Ce que je dois par-dessus tout recommander à votre attention, c’est la ridicule instruction que M. Dupont, évalué ci-dessus à sa juste valeur, s’est ingéré de composer à lui tout seul, et de proposer à l’Assemblée nationale au nom des quatre comités dont il n’est pas membre. Cette pièce, imprimée par ordre de l’Assemblée, est placée ici sous le n° 24. Il appelle les nègres des mineurs et nous fait entrevoir froidement le moment d’une émancipation prochaine. « C’est ce dont vous serez convaincus en lisant (et cette pièce est importante) la feuille 142 du Moniteur qui rend un compte très exact de la discussion qui eut lieu à ce sujet et dont je vous adresse un exemplaire, sous le n° 25. Vous y verrez les bonnes intentions du président, M. d’André, député de la ville d’Aix, qui, pour achever de nous perdre, mit tout simplement cette instruction aux voix, sans qu’elle eût été di-cutée. Déjà la majorité s’était levée, et le décret allait être rendu, lorsque des réclamations de M. Prieur lui-même ont ajourné cette délibération dangereuse. « M. Dupout n’a pas perdu de vue son projet. Renvoyé à l’examen de quatre comités, il a fait l’impossible pour les rassembler, sans pouvoir y réussir. Barnave s’y rendait pour déclarer qu’il ne dirait rien, parce qu’il ne savait pas de remède à la faute qu’on avait faite. Quelques autres y allaient pour ne rien dire, et l’on se retirait toujours sans rien conclure. « Enfin, Judas Monneron, député de Pondichéry, a demandé lecture de ces instructions précieuse-. M. Dupont ne s’est pas fait prier pour se rendre à cette invitation, et l’Assemblée, fatiguée de l’entendre, a chargé le président de nommer lui-même 4 commissaires pour rendre compte de ce travail. « M. Bureaux de Pusy, qui a succédé à M. d’André dans la présidence, a nommé sur-le-champ, soit exprès, soit par hasard, pour cet examen intéressant, MM. Goupil, Prugnon, Emmerv et La Rochefoucauld. J’ignore les sentiments des 2 premiers, mais je suis sûr que les 2 autres sont amis des noirs, et que le dernier surtout, est un des coryphées de leur société. « Ainsi, mes chers compatriotes, nous avons « ncore à craindre, pour le véritable intérêt de la nation, que le fatal décret du 15 mai ne soit commenté et expliqué par un comité d’amis des noirs. Vous trouverez les détails de cette séance dans la feuille du journal que j’y annexe ici sous le n» 27. « Vous voyez que, quoique je n’aille pas à l’Assemblée, je ne laisse pas que d’être au courant. Ni moi, ni mes collègues, ni ceux des autres colonies, n’assistons à aucun des comités dont nous sommes membres. J’ai appris par un journal du soir intitulé : Observations , que je joins ici sous le n° 28, que M. de Gurt était le seul qui se rendît à ces assemblées; mais cette exception ne saurait déjouer notre unanimité. « Nous avons écrit le 17 du courant, en corps de députation, aux 3 assemblées provinciales de la colonie, une lettre officielle très simple, contenant, en peu de mots, les faits importants qui [24 septembre 1791. s’étaient passés le 15 et le 16. J’ai signé cette dépêche avec m°s collègues auxquels je resterai toujours u i intimement par affection et par devoir; mais j’ai cru que, pour l’intelligence des faits subséquents, il serait utile que je vous adressasse aujourd’hui la présente dont l’étendue et l’exactitude scrupuleuse vous transporteraient, pour ainsi dire, au milieu de nous, placeraient chacun de ceux qui me liront dans toutes les attitudes que nous avons occupées pendant cette déplorable crise, et vous mettraient à même de nous donner, avec connaissance de cause, les ordres que votre prudence vous suggérera. « On m’a représenté, je ne vous le dissimule pas, que je devais être circonspect, que ma correspondance serait interceptée, que tôt ou tard elle serait publiée, que je répondrais de tous les événements sur ma tête. Eh bien 1 je n’ai rien répliqué à ces discours timides; mais j’ai nris la plume, j’ai tracé la lettre que vous lisez. C’est le tableau fidèle de tous les événements qui, comme une ombre magique, ont passé rapidement devant moi. J’ai tâché de saisir toutes ces ombres fugitives et de vous transmettre la physionomie de chacune d’elles. Quand j’ai cru les détails nécessaires, j’ai annexé les papier s publiés à mon récit. Je n’ai donc été qu’historien et je devais l’être; et vous m’avez chargé de l’être : et je serais indigne de votre confiance si les dénonciations de M. de Gurt, les menaces des Rewbell, les calomnies des Brissot, si la crainte des comités des recherches et des injustices des hommes suspendaient une fonction rigoureuse imposée à votre délégué. Mais, comme je me h* suis prescrit en commençant cette épître, j’aurais en horreur d’aigrir qui que ce fût, ' t je me suis absienu de hasarder un conseil. Dans cette circonstance importante, vous n’en devez recevoir que de votre prudence, de votre fidélité à la nation, à la loi, au roi, de votre attachement pour la France, notre mère commune, ce votre politique pour maintenir votre tranquillité intérieure, et sur tous ces points, quoique vraisemblablement nos idées se fussent rencontrées comme nos cœ irs, j’ai cru de ma délicatesse de laisser tout à faire aux vôtres. Gonsultez-h s, mes chers compatriotes, écoutez-les, obéissez-le r; vous êtes Français, ils ne vous tromperont pas. « Et c’est pendant que je vous tiens ce langage, que la tribune del’Asse chiée nationale, occupée par nos adversaires, retentit continuellement des impostures les plus atroces contre notre fidélité et vos dispositions. Leurs calomnies littéralement transcrites dans le journal le Logographe et dans le Moniteur ne souilleront point cette lettre. Alarmés déjà sur les suites désastreuses du fatal décret qu’ils viennent de rendre, ils songent dès ce moment à détourner par d’odieuses imputations contre vos représentants le poids immense de la responsabilité qui les menace. Ils nous accusent en conséquence : les uns, de vous avoir exhortés à vous révolter contre le décret; « D’autres, de vous avoir conseillé de rendre la colonie indépendante; « Les derniers, de vous avoir engagés à appeler à votre secours les Anglais qu’un canal étroit sépare de vous, et à vous venger ainsi des inquiétudes que vous donnent la Révolution française, la déclaration des droits, la secte des amis des noirs. a Les clubs, les cercles, les cafés, retentissent de toutes ces impostures, et nous ne nous vengerons des hommes exécrables qui se les permettent qu’en ne les méritant pas. « Cependant on se plaît à enfoncer le poignard ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] et à le tourner dans notre blessure. Les 4 commissaires chargés par le hasard, ou par le Pré-sid nt, d’interpréter, je ne sais pourquoi, ce décret bienfaisa t du 15 mai, qui n’aurait pas dû avoir besoin de commentaire, s’il eût été libellé de manière à convenir aux colons; ces 4 commissaires, dis-je, ont eu bientôt terminé leur travail, et M. Dupont, leur coryphée, a luce matin à l’Assemblée pour la troisième fois cette adresse dont il nous menaçait. Elle a été couverte d’applaudissements, et décrétée sans discussion, malgré tous les efforts de MM. Gazalès et Malouet, qni ont représenté que le palliatif était pite que le mal. On leur a fermé la bouche, et voilà nos malheurs consommés, la pièc� achevée et la toile baissée sur nous. Je vous envoie cette incroyable production dans le Logographe de ce jour sous le n° 29. « Non contents d’avoir consommé le sacrifice, nos ennemis trouvent très mauvais quu nos gémissements se fassent entendre, ou que notre énergie ose relever leurs erreurs. C’est contre moi surtout qu’ils ont tourné le stylet de leurs vengeances, parce que j’ai osé vous défendre dans les journaux de ces iours derniers. Hier, en plein jour, j’ai été assailli dans la rue par une troupe de brigands bien payés sans doute pour me faire une insulte gratuite. Ils ont osé arrêter une calèche où j’étais avec ma femme, mes enfants et 2 dames créoles. J’ai opposé beaucoup de prudence et de fermeté à leur attaque, et j'en ai été quitte pour des menaces de piller ma maison et de me m ttre à la lanterne. J’ai harangué sms m’effrayer ce peuple égaré que je défends depuis 2 an*, • t dont j’ai réclamé la juste reconnaissance. Je lui ai dénoncé comme perturbateurs du repos public ceux qui osaient le tromper sur le compte de ses véritables amis, et je me suis tiré de leurs mains avec avantage. « J’ai cru pourtant devoir constater ces faits par une plainte politique. Le ma re de Paris m’a ocrit ce matin 1-j lettre la plus empressée. M. de La Fayette, quoiqu’il n’ait pas hésité à se déclarer contre nous, m’a envoyé une garde de 16 cavaliers, et les administrateurs de la police ont mis tous leurs gens en campagne autour de ma maison. J'ai envoyé ma femme et mes enfants à la campagne, mais moi je reste pour braver ces scélérats, et continuer à défendre mes chers commettants. Cette mission-là m’est trop précieuse pour ne pas la remplir jusqu’au bout. « Nous pensons que l’Assemblée actuelle pourra bien terminer sa session à la fin d’août, nous n’aurons plus alors de caractère auprès de la législature suivante ; mais, comme vos nouveaux députés ne seront pas encore arrivés à cette époque, je m’imposerai la loi de proroger l’exercice de mes obligations envers vous, jusqu’à ce que nos successeurs soient ici. Je remarquerai tout, ]e vous instruirai de tout, je répondrai par écrit à tout ce qu’on osera répandre contre vous; et s’il est vrai, comme on le dit déjà, que Brissot et Gondori et, chefs des amis des noirs, soient députés de Paris à l’Assemblée prochaine, il y aura peut-être quelque mérite à lutter sans caractère contre de tels ennemis, fortifiés du tiire de représentants de la nation; mais celui de créole m’élèvera à leur niveau, et la reconnaissance m’inspirera alors pour notre chère colonie tout ce que le devoir me prescrit aujourd’hui à son égard. « Heureux, mes chers compatriotes, si, parvenu au terme d’une carrière longue, pénible et périlleuse, j’y trouvais un seul témoignage de la 125 septembre 1791.] 313 satisfaction de m�s commnttants ! Heureux, si 3 années de travaux m’obtenaient une place dans leur souvenir 1 Plus heureux, si la conduite que j’ai tenue dans cette circonstance critique me valait un suffrage de cette colonie puissante que j’ai eu l’honneur de représenter da>s le Sénat de la nation! Je ne le cache pas, j’aurais voulu m riter une si douce récompense, et si je recevais de vos mains cette glorieuse couronne, je sen* qu’elle ne se fanerait pas dans les miennes. Cette noble ambition ne saurait déplaire à des âmes américaines, lorsqu’elle est inséparable du dévouement respectueux et des sentiments fraternels dont je fais hommage en ce moment à l’honorable assemblée de la colonie, aux assemblées administratives des provinces aux assemblées paroissiales, et avec lesquels j’ai l’honneur d’être, mes chers compatriotes, votre frère, votre bon ami et votre zélé représentant. « Signé : Louis-Marthe de Goüy, député de Saint-Domingue. » Lecteurs impartiaux, c’est ainsi que Louis-Marthe de Gouy conspire ! C’est ain«i que les comptes fidèles qu’il doit à ses commettants sont Lavcstis par «tes méchants en trames criminellement ourdiesl Jugez-le, jugez ses calomniateurs et prononcez. Très courte réflexion sur les deux lettres ci-dessust sur la confession qui les précède, et sur les dénonciations qui en ont été le principe. Quand un homme public est souvent attaqué, il est clair qu’il a beaucoup d’ennemis. Quand les accusations se prouvent, il est évident qu’il a de grands torts. Quand les inculpations s’évanouissent, il est incontesiable qu’il n’avait que des envieux. Des emieuxl... mes chers dénonciateurs, avez-vous calculé tout le parti que l’amour-propre peut tirer de ce mot? Cependant prenez-y garde ; si vous ne prouvez pas les horreurs que vous avez avancées, on dira que vous avez fait des mensonges et que j’ai fait des jaloux. L’orgueil sera pour moi, la honte sera pour vous. Signé : Louis -Marthe de Gouy, député à l'Assemblée nationale. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE BEAUHARNAIS, EX-PRÉSIDENT. Séance du dimanche 25 septembre 1791 (l). La séance est ouverte à onze heures du matin. Lecture est faite d’une adresse des électeurs du district de Cusset, département de T Allier, qui se seraient crus coupables d’ingratitude, s’ils se fussent séparés sans donner à l’Assemblée des témoignages de leur éternelle reconnaissance, et de leur soumission à tous les décrets que la calomnie seule a cherché à affaiblir. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.