SÉANCE DU 22 BRUMAIRE AN III (12 NOVEMBRE 1794) - N° 37 167 Article premier. - Les séances de la société des Jacobins de Paris sont suspendues. Art. II. - En conséquence, la salle des séances de cette société sera à l’instant fermée et les clefs en seront déposées au secrétariat du comité de Sûreté générale. Art. III. - La commission de Police administrative est chargée de l’exécution du présent arrêté. Art. IV. - Il sera demain rendu compte du présent arrêté à la Convention nationale (121). CLAUZEL : Je demande que Laignelot, qui a été chargé par les quatre comités réunis de faire un rapport sur les événements de cette nuit, soit entendu. (Vifs applaudissements.) La parole est accordée à Laignelot. LAIGNELOT : Les quatre comités Militaire, de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, m’ont chargé de vous rendre compte des motifs qui ont déterminé l’arrêté qu’ils ont pris hier, et dont je vais vous donner lecture. Il porte : 1° que les quatre comités réunis arrêtent de suspendre les séances de la société des Jacobins ( des applaudissements partent de tous les côtés de leur salle ) ; 2° que la salle sera fermée à l’instant et les clés déposées au secrétariat du comité de Sûreté générale ( les applaudissements redoublent ) ; 3° la commission administrative de police est chargée de l’exécution de l’arrêté, dont il sera rendu compte à la Convention. LAIGNELOT : La passion n’est entrée pour rien dans cette détermination; elle a été dictée par le seul intérêt de la patrie. Nous avons rendu justice au bien qu’ont fait les Jacobins [dans les premières années de la Révolution] (122), et en les fermant, nous avons respecté les principes auxquels nous ne pouvions porter aucune atteinte; nous avons cru qu’il fallait admettre partout des Sociétés populaires, parce qu’elles sont inhérentes au gouvernement républicain ( applaudissements ) ; mais nous n’avons point vu dans la Société des Jacobins une société vraiment purement populaire. ( Vifs applaudissements . ) Nous y avons vu des hommes à peine connus dans la révolution, menés par quelques hommes qui y sont trop connus peut-être ( les applaudissements redoublent), et dont il est temps d’abattre l’influence; car elle pourrait être funeste à la République. (. Nouveaux applaudissements.) Nous avons pensé qu’il était fatal pour la France, qu’il était indécent, qu’il était déshonorant pour la Convention nationale qu’une poignée d’hommes sans moeurs, qui n’aiment point (121) P.-V., XLIX, 127-128. Moniteur, XXII, 489. Bull., 24 brum. ; M.U., n° 1340; C. Eg., n° 816; F. de la Républ., n° 53; J. Perlet, n° 780; Débats, n° 780, 748; Ann. P., n° 681; R. F., n° 53; J. Fr., n° 778; Gazette Fr., n° 1046. Rapporteur Laignelot selon C* II, 21. (122) Débats, n° 780, 748. Mess. Soir, n° 818, indique [jadis]. leur pays, qui n’ont jamais embrassé la cause du peuple que pour la trahir... (Vifs applaudissements.) DUQUESNOY : Je déclare que je suis Jacobin, et que j’aime mon pays, [que je suis jacobin et non pas immoral] (123). [DUSQUENOY s’écrie à ces mots : quoi qu’on en dise, je déclare que je suis jacobin. Plusieurs membres manifestent le même sentiment.] (124) LAIGNELOT : Nous avons cru qu’il était honteux pour la République que la Convention qui la représente, souffrît plus longtemps qu’une poignée d’hommes semblables osassent rivaliser avec elle. {Bravo, bravo! s’écrie-t-on de toutes parts en applaudissant vivement.) Les Jacobins ont été protégés, soutenus, lorsqu’ils n’ont rivalisé que de vertu, et non pas de puissance, avec l’autorité légitime. ( Les applaudissements se renouvellent.) S’ils étaient encore ce qu’ils furent autrefois, les vrais amis du peuple, auraient-ils voulu avilir la Convention ? {Quelques murmures dans une extrémité de la salle. - Oui, oui! s’écrie-t-on de toutes parts. - On applaudit.) [LAIGNELOT : Les jacobins, lors du massacre du Champs-de-Mars, et des persécutions qu’ils éprouvoient de la cour étoient dignes du peuple, alors ils auroient toujours dû le faire; ils vouloient rivaliser, non pas de pouvoir mais de vertu avec la Convention, mais aujourd’hui ils veulent avilir la Convention.] (125) Quelques membres demandent qu’on fasse sortir de la salle des citoyens qui s’y trouvent : « Ce sont des pétitionnaires qui ont été admis aux honneurs de la séance, disent un grand nombre d’autres; ils doivent y rester. » LAIGNELOT : Serait-il donc nécessaire qu’on rappelât à des représentants du peuple des principes qui doivent être gravés dans leurs coeurs? Dans quel gouvernement bien ordonné a-t-on vu deux pouvoirs rivaux? dans quelle République a-t-on vu un gouvernement à côté d’un gouvernement? dans quel pays a-t-on vu, à côté de l’autorité légitime, une autorité capricieuse qui n’est avouée par qui que ce soit {vifs applaudissements), une autorité qui veut usurper la puissance du peuple? Le 9 thermidor, les Jacobins étaient en pleine révolte. (Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts en applaudissant.) Depuis le 9 thermidor, les Jacobins, usant de l’impunité, croyant que la représentation nationale n’avait ni courage, ni caractère, qu’elle les regardait comme l’arche sacrée à laquelle il n’était pas permis de toucher, ont continué leur plan de révolte. (Vifs applaudissements.) On a osé dire dans cette Société, et ce propos a été applaudi par toutes les tribunes, que la brèche (123) J. Fr., n° 779. (124) Rép., n° 53 (suppl.). J. Perlet, n° 780. (125) J. Fr., n° 779. 168 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE était ouverte, et que les années étaient en présence. Je vous demande s’il doit y avoir deux partis en France ; il n’y a qu’une République, il ne doit y avoir qu’une Convention. ( Vifs applaudissements.) Les Jacobins sont une faction, et tout ce qui est faction est punissable. ( Nouveaux applaudissements. — Bravos répétés.) Les comités, qui aiment la patrie, quoi qu’on en dise ( les applaudissements redoublent), qui ne veulent pas de déchirements, qui voudraient pouvoir rallier tous les membres de la Convention (les applaudissements se renouvellent), ont pensé qu’il était utile pour la liberté publique d’étouffer un foyer de discorde, de factions et de dissensions. {Applaudissements redoublés.) Les comités ont pensé que tout le peuple applaudirait à la mesure sublime qu’ils ont prise. (La salle retentit d’applaudissements qui se prolongent pendant longtemps.) Ils ont cru que, dès que l’opinion publique s’était aussi fortement prononcée qu’on l’a remarqué hier, il était de leur devoir de lui obéir, il était de leur devoir d’empêcher que le sang ne fut versé. (Vifs applaudissements . ) Nous n’avons jamais eu l’intention d’attaquer les Sociétés populaires, je le répète, et nous nous sommes dit : nous n’avons le droit de fermer les portes que là où il s’élève des factions et où l’on prêche la guerre civile. {Applaudissements.) Mais les sociétés de sections sont vraiment les Sociétés du peuple. {Nouveaux applaudissements.) Nous les maintiendrons ; la Convention les maintiendra. (Oui, oui ! s’écrient tous les membres. — On applaudit vivement.) Je demande que la Convention approuve les mesures prises par les quatre comités pour assurer la tranquillité et affermir la liberté publique. {On applaudit de nouveau.) (126) Aux voix! aux voix! s’écrie t-on de toutes parts. CHÂLES : L’appel nominal! Oui, oui! l’appel nominal! s’écrient tous les membres. DUQUESNOY : Cet arrêté est impolitique; mais s’il est nécessaire au salut du peuple, je l’appuie. RICHARD monte à la tribune et demande la parole. Mais le président se hâte de mettre aux voix l’approbation, de faire discuter et de lever la séance. (127) Le président met aux voix. [Une partie de l’Assemblée ne prend aucune part à la délibération.] (128) (126) J. Paris, n° 54, mention du discours de Laignelot. (127) Rép., n° 53 (suppl.). (128) J. Mont., n° 32. J. Perlet, n° 780. L’arrêté des comités est approuvé à la presque unanimité. - La séance se lève au milieu des plus vifs applaudissements, des bravos, et des cris mille fois répétés de Vive la République! Vive la Convention! (129) 38 La Convention nationale, après avoir entendu le rapport fait au nom de la commission chargée de la révision de la loi sur les émigrés, décrète : Article premier. - Les articles sur les émigrés, décrétés dans les séances des 26 et 28 fructidor, 4, 16 et 26 vendémiaire, 16 et 19 brumaire derniers, seront réunis en une seule loi, laquelle datera du 22 brumaire, troisième année de la République. Art. II. - Les dispositions des lois antérieures qui se rapportent à l’objet de la présente loi sont abrogées. Art. III. - Sont maintenues néanmoins la loi du 18 fructidor, relative à la résidence des militaires et celle du 4 brumaire, troisième année, concernant les prévenus d’émigration qui ont obtenu des arrêtés favorables des corps administratifs (130). 39 La Convention nationale décrète mention honorable des services rendus à la chose publique par le citoyen Mandel, officier de santé à Nancy, en ouvrant et professant gratuitement un cours de pharmacie, décrète également mention honorable et renvoi aux comités des Secours publics et d’instruction publique, d’un écrit dont ce citoyen fait hommage à la Convention nationale, sous le titre de Formulaire pharmaceutique. Le présent décret sera inséré au bulletin (131). 40 La Convention nationale, après avoir entendu la pétition de Henry Stevens, né Anglais, détenu à la maison des Carmes, qui offre à la République un ouvrage anglais intitulé : Les crimes des rois d’An-(129) Moniteur, XXII, 489-490. Débats, n° 780, 747-748 et n° 781, 749-750; Bull., 24 brum. M.U., n° 1340; Mess. Soir, n° 818 ; C. Eg., n° 816 ; F. de la Républ., n° 53 ; J. Fr., n° 779 ; Ann. R. F., n° 52; Ann. Patr., n° 681. (130) P.-V., XLIX, 128-129. Voir Arch. Pari., 25 brum., n° 14 et 15, pour une seule loi sur les émigrés à cette date. (131) P.-V., XLIX, 129. Bull., 23 brum.