412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [29 juillet 4790.1 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD. Séance du jeudi 29 juillet 1790, au soir (1). M . le Président ouvre la séance à six heures du soir. M. RegnandWe Saint-Jean d’Angely), secrétaire, lit un discours prononcé par le docteur Brice, à la société qui porte à Londres le titre d'Amis de la révolution d' Angleterre. La lettre d’envoi et le discours sont ainsi conçus : « A M. le Président de l'Assemblée nationale de France. « Londres, le 22 juillet 1790. « Monseigneur, le 14 juillet, plus de dix mille personnes ont célébré, à Londres, l’anniversairede la révolution de France. La fête, où se trouvait la compagnie la plus nombreuse, était conduite par plusieurs membres de la société des Amis de la révolution d’Angleterre, et présidée par lord Stanhope. Vous savez comment s’est passée cette fête. Vous connaissez aussi la substance des discours qui y ont été prononcés; puisque lord Stanhope a été chargé, par le vœu général de tous ceux qui étaient présents, d’en faire part à l’Assemblée nationale de France; mais le discours entier du docteur Brice, qui perdrait trop dans une analyse, et que tous les amis de la Révolution de France, que tous les eun�mis des aristocrates et des despotes, verraient avec plaisir, ce discours dans son entier, je l’ai demandé au docteur Brice pour le faire connaître à mes compatriotes. « Il s’est prêté à ma demande et j’ai l’honneur de vous en envoyer la traduction. Il me paraît importantde faire honneur au sentiment desétrangers, amis de notre Révolution. C’est par eux que les bons principes se propageront, qu’on détruira les fausses opinions répandues dans tous les pays par des aristocrates, et qu’on obligera les ministres de tous les Etats qui nous avoisinent à rejeter les propositions absurdes et infernales qu’on ne cesse de leur faire. « Je suis avec respect, etc. « Signé : TocQUOT. Discours de M. le docteur Brice. « Messieurs, le sujet du toast que je vais proposer me paraît d’une très grande importance. « En conséquence des cinq dernières guerres dans lesquelles nous avons été engagés depuis 1688, époque de notre révolution, l’Etat est surchargé d une detfeimmense,qui embarrasse toutes les parties de l’administration et nous prive des moyens de supporter les frais d’une nouvelle guerre; au moins ne peut-on nous y engager aujourd’hui, sans nous exposer aux plus dangereuses conséquences. Il y a certainement des bornes au crédit public, il y a un terme à une dette nationale, et si on les outrepasse une fois, la banqueroute est inévitable; nous marchons vers ce principe, si nous nous engageons à présent dans (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. une guerre. Le temps seul peut rémédier à nos maux : une longue paix est donc nécessaire pour alléger le fardeau qui nous écrase; elle est nécessaire à nos richesses personnelles, et peut-être même à notre existence politique. « En France, les esprits sont disposés à s’unir à nous, pour établir le système d’une paix durable; une telle alliance entre les deux premiers royaumes du monde serait l’union la plus louable pour le dessein le plus noble. Une telle alliance serait en effet bien digne de l’union de la philosophie et de la politique qui distinguent si honorablement l’âge présent. Cette alliance ferait le salut de la Grande-Bretagne. Elle répandrait la félicité dans l’univers entier et accomplirait l’espoir et les désirs de tous les amis delà liberté et du bonheur du genre humain. Je sais, par des personnes très respectables, qu’il y a eu un projet formé dans l’Assemblée nationale de France, pour faire à l’Angleterre la proposition d’une telle alliance. « 0 philanthropes, dignes d’une gloire immortelle, vous méritez l'estime et l’amour, non seulement de vos concitoyens, mais de tous les peuples du monde. Vous avez déjà déclaré que vous renonciez pour toujours à toutes vues de conquêtes et à toutes guerres offensives, vous donnez parla une preuve de respect dû aux droits de l’homme, et vous êtes les premiers législateurs qui aient donné un si grand exemple. « Tels sont. Messieurs, les fruits de cette glorieuse révolution que nous célébrons aujourd’hui ; elle est le présage d’un juste et nouvel ordre dans les affaires humaines. Les passions des rois ont jusqu’à présent plongé trop souvent les nations dans les horreurs et les calamités de la guerre; mais aujourd’hui, grâce à l’Assemblée nationale de France, l’on vient de faire un grand pas pour pré ven i r cette cause des misères hu m aines et la tranquillité des hommes ne sera probablement plus troublée dorénavant par des intrigues de cour. « En Angleterre nous avons été longtemps accoutumés à parler des Français comme de nos ennemis naturels.- « Pendant qu’on ne voyait en France qu’un maître et des esclaves, ce langage, quoique injuste et immoral, pouvait en quelque sorte être excusé; mais aujourd’hui les Français ont secoué le joug honteux qu’ils portaient; ils ont brisé leurs fers avec un courage qui étonne le monde entier et qui fait trembler tous les tyrans. En cela nous leur avions montré l’exemple. Aujourd’hui ils nous en donnent eux-mêmes un autre et nous avons lieu de CToire qu’ils couronneront bientôt leur ouvrage glorieux, en nous appelant, non sur un champ de bataille, pour exécuter les ordres sanguinaires d’un despote, mais sur le terrain sacré de la liberté, pour nous embrasser comme frères, pour faire des vœux réciproques d’une amitié éternelle et former une confédération pour étendre les bienfaits de la paix et de la liberté dans l’univers entier. Les deux royaumes ainsi unis seront tout-puissants; en Europe ils entraîneront bientôt, dans leur confédération, laHollande, et en Amérique les nouveaux Etats-Unis ; et quand quelquepartie duglobe sera menacéed’uneguerre, ils pourront dire aux puissances divisées: la paix! et la paix sera faite. J’ai donc pensé qu’il serait digne de la compagnie respectable, assemblée ici, à l’occasion d’un événement si heureux, d’exprimer son sentiment sur le succès de la proposition dont je viens de vous rendre compte en buvant à une alliance entre la France et la Grande - [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 juillet 1790.] 413 Bretagne , pour perpétuel' la paix et rendre tous les peuples plus heureux. » (. Plusieurs fois cette adresse est interrompue par les plus vifs applaudissements.) M. Populus. Je demande qu’on en fasse une seconde lecture dans un moment où l’Assemblée sera plus complète. M. Charles de Lameth. Celte adresse révèle au monde le secret des tyrans et celui des peuples. Le discours du ministre des affaires étrangères aux six commissaires nommés par l’Assemblée, annonce une fédération des têtes couronnées contre la liberté française. C’est pour un projet impie qu’ils voudraient répandre le sangde ceux qu’ils appellent leurs sujets, et qui ne le sont pas. La France est un épouvantail pour tous les tyrans; peut-être dans leur trame abominable sont-ils secondés par ceux dont le ministère et l’autorité devraient être employés à eniretenir la paix. Les Anglais furent autrefois nos ennemis; ils aimaient la liberté, et nous ne la connaissions pas; nous l’avons conquise, et on ne nous la ravira point. Une société de généreux Anglais vient, et nous profitons de cette circonstance. Il est temps que les peuples s’entendent contre les tyrans, dans les moyens de sortir de l’esclavage. Je demande qu’on fasse parvenir une adresse aux Anglais amis de la Constitution française. Cette motion est importante, et l’Assemblée peu nombreuse. Je demande qu’on en délibère demain. M. Dupont (de Nemours ). L’Angleterre est gouvernée par un parlement et non par la société des amis de la Constitution française. Cette société n’est pas dépositaire du vœu national. Pendant que vous entretiendrez avec elle correspondance de flagornerie, vous ne prendrez aucune précaution contré le gouvernement. Ne perdons pas un seul instant le sentiment de notre dignité. (On ordonne l’ajournement à demain de la motion de M. Charles de Lameth.) La municipalité de Villeneuve-les-Avignon envoie une adresse pour protester contre une inculpation grave de M. Bouche, député de Provence, produite contre elle dans la séance de l’Assemblée nationale du 17courant. (Voy. ce document annexé à la séance de ce jour.) On introduit à la barre un ci-devant carabinier nommé Aude, qui prit le général Ligonier à la bataille de Lawfeld, enXlkl. M. le Président dit : « Vous avez permis au brave carabinier qui prit le général Ligonier â la bataille de Lawfeld de paraître ce soir devant vous : le voilà; il ne sait pas exprimer les sentiments dont il est plein. « La majesté du Corps législatif lui en impose; il tremble peut-être, mais c’est peut-être pour la première fois de sa vie. « Brave homme, félicitez-vous d’avoir assez vécu pour être témoin de la liberté de votre patrie; elle mettra à vos services le prix qui leur est dû. Si les représentants de la nation portent sur les abus l’inquisition la plus sévère, c’est pour être en état de récompenser dignement ceux qui, comme vous, ont fait de telles actions. « Vous pouvez assister à la séance. » M. de Toulouse-Lautrec, officier général sous lequel a servi le carabinier Aude, rend compte de l’action brillante de ce soldat; il connaît le fait d’armes parce qu’à cette époque, il était lieutenant des carabiniers. « Je crois devoir vous instruire, Messieurs, dit M. de Lautrec, des traits qui font le plus d’honneur au vieux guerrier qui est devant vos yeux. « Ce carabinier, après avoir pris le général Ligonier, lui dit de lui rendre ses armes. Lej général lui présenta ses pistolets et son épée. Alors celui-ci lui dit : Gardez vos armes et donnez-moi votre parole d’honneur; je la préfère. « Le général lui donna sa parole. « Ensuite, pendant que ce carabinier le conduisait, le général lui proposa ses diamants, sa bourse et lui offrit de lui faire sa fortune, s’il voulait passer en Angleterre avec lui; et s’il ne le voulait pas, de lui faire passer, en Hollande, ou en quelque lieu qu’il lui plairait désigner, tout l’argent qu’il voudrait. « Alors le carabinier lui répondit qu’il ne faisait pas la guerre pour de l’argent, qu’il ne la faisait que par honneur. « C’est le général Ligonier lui-même qui a répété tous ces détails au maréchal de Saxe, qui en rendit sur-le-champ compte au roi. » (L’Assemblée donne de grands applaudissements au carabinier Aude et renvoie son affaire au comité des pensions.) M. Moreau de Saint-Méry présente une pétition des officiers de fortune du régiment de la Martinique, qui ont passé par tous les grades. Ils demandent qu’il soit sursis à nommer aux emplois militaires jusqu’à ce que l’organisation de l’armée soit décrétée. M. Alexandre de Lameth. Le renvoi demandé ne tend à rien autre chose qu’à donner aux ministres la possibilité de faire des nominations à leur gré, et à é tourner des emplois ceux qui, au lieu d’intrigues, ont de longs et importants services : ce que je dis n’est pas sans motifs; le régiment de Flandre vient d’être donné, au mépris de vos principes qui consacrent les récompenses à ceux qui s’en sont rendus dignes, vient, dis-je, d’êtredonnéàM. de Montmorin, major en second de ce régiment, dont l’âge ne permet pas d’être porté au commandement d’un régiment qui, sans ci tte nomination, eût été probablement la récompense d’un lieutenant-colonel. Voici, en conséquence, le projet de décret que je vous présente : « L’Assemblée nationale décrète que le roi spra supplié de surseoir à la nomination de tous les emplois militaires, jusqu’au momenttrès prochain où l’Assemblée aura arrêté les dispositions relatives à l’avancement militaire; décrète, en outre, que le président se retirera par-devers le roi, pour porter à la sanction le présent décret. » (Le décret est adopté.) Les députés de V administration du département de l'Hérault, admis à la barre, l’un d’eux dit ; « que le corps administratif de ce département profite des premiers moments de son existence politique pour venir offrir à l’Assemblée nationale Uhommage de son admiration et de l’adhésion la plus entière à tous ses décrets ». M. le Président répond : Messieurs, l’Assemblée nationale reçoit toujours avec une nouvelle satisfaction les adhésions à ses décrets que s’empressent de lui offrir les députés des divers départements et les gardes natio-