324 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE témoigner un vif et sincère repentir de ses fautes ? La construction de deux frégates, la mendicité abolie, l’hôpital militaire meublé, le tout à ses frais, les navires des armateurs offerts, la loi du maximum religieusement observée, sans regret et sans murmure ; le respect le plus profond pour la représentation nationale, hautement professé dans son enceinte : tel est le tableau fidèle de la situation politique de cette cité fameuse, depuis que les auteurs seuls de ses maux ont péri sous le glaive des lois. Un individu seul, Pierre Serres, qui fut président du département de la Gironde, a trouvé les moyens de se soustraire à la vengeance nationale ; il fuira pour toujours le sol de la liberté, ou il y trouvera la mort. Citoyens, il est temps d’exercer dans cette commune un grand acte de justice ; il est temps de rendre au travail et au bonheur, des républicains dont l’expression des sentimens vous a paru sincère. Il existe à Bordeaux, comme ailleurs, des hommes qui ne peuvent vivre qu’au milieu des dilapidations et des larmes, et qui voudroient y entretenir un système d’oppression. Eh bien! que ces méprisables individus soient encore déjoués ; qu’ils trouvent leur malheur, puisque tel est leur sort, dans tous les heureux que vous ferez ; et puisse, pour l’avantage de ma patrie, ce malheur ne jamais trouver de terme! Nous n’aurions pas sans doute entièrement rempli vos vues, si nous terminions ce rapport, sans examiner la question de savoir si on doit rendre à ce département la dénomination sous laquelle il fut originairement connu. La solution de cette question nous a paru simple et facile. Commune-Affranchie, coupable d’une erreur plus longue et plus funeste à la patrie, a repris son nom ; celui de Bec-d’Ambès pouvoit également être effacé. Lorsqu’un pardon, en effet, est le fruit d’une justice bien méritée, il pourroit être utile d’anéantir ce qui rappelleroit le plus léger souvenir des fautes qui l’ont nécessité. Mais vos comités ont observé que les députés de Bordeaux n’avoient pas reçu de mandat à cet égard; qu’il existoit d’ailleurs dans les armées de la République beaucoup de bataillons sortis du sein de ce département, qui se sont formés avec cette dénomination ; que ces bataillons sont identifiés, pour ainsi dire, avec la victoire, dont ils ne peuvent plus se séparer, et qu’il seroit, en quelque sorte, injuste et impolitique d’effacer la moindre trace de tout ce qui peut servir à rappeler le souvenir de la gloire de nos guerriers. Ces motifs seuls ont déterminé vos comités à ne point mettre de dispositions à cet égard dans le projet de décret que nous allons vous présenter. Porcher propose le projet de décret qui suit : Un membre [PORCHER] fait un rapport au nom des comités de Législation, de Salut public et de Sûreté générale, réunis, sur les jugemens de la commission dite populaire de Bordeaux et présente un projet de décret qui est adopté en ces termes : La Convention nationale, après avoir entendu ses comités de Législation, de Salut public et de Sûreté générale réunis, considérant que les auteurs de la création de la commission dite populaire, établie à Bordeaux [Bec-d’Ambès], et des actes contre-révolutionnaires qui en ont été la suite, ont tous été atteints par la justice, et que Pierre Serres, mis hors la loi, est le seul qui s’y soit soustrait, décrète ce qui suit : Article premier. - Il ne sera plus exercé de poursuite en vertu de l’article II de la loi du 6 août 1793. En conséquence aucun citoyen ne pourra à l’avenir être inquiété en raison des dispositions de cet article. Art. II. - Il n’est rien changé, par le présent décret, en ce qui concerne Serres, président du département de la Gironde; il reste hors de la loi (78). PELET saisit cette occasion pour demander que les communes de la République qui, dans un temps où tous les noms furent changés contre des dénominations romaines, grecques ou révolutionnaires, changèrent les leurs contre ceux de Montagne, Marat, etc, reprennent leurs premiers noms. Il prévient l’objection qui pourroit lui être faite relativement aux communes qui portent des noms de Saints ; elles pourront faire comme on fait à Paris, ou l’on dit faux-bourg Denis, rue Honoré, etc. DUHEM déclare être en partie de l’avis de Pelet; il dit même avoir porté plusieurs réclamations au comité de Division chargé de présenter un travail à ce sujet. Mais il pense que les dénominations qui tiennent à des titres proscrits, à la féodalité ou au royalisme [tels que ceux de Palais-Royal et autres] (79), doivent disparoître à jamais : en conséquence, il conclut par demander qu’on attende le rapport du comité de Division. Cette dernière proposition est décrétée (80). 14 Un membre du comité des Finances [THIBAULT] présente un projet de décret sur la conservation des matières d’or et d’argent qui ont été versées aux hôtels des monnoies de la République. Un autre membre propose un autre article additionnel qui est adopté (81). (78) P.V., XL VIII, 155. C 322, pl. 1366, p. 24. Décret imprimé. Rapporteur Porcher selon C II* 21, p. 21. Débats, n° 770, 611; Moniteur, XXII, 412. (79) M. U., XLV, 219. (80) Débats, n° 770, 611. Moniteur, XXII, 412; Gazette Fr., n° 1035 ; J. Mont., n° 43 ; Mess. Soir, n° 807 ; J. Perlet, n° 770 ; J. Fr., n° 768; M. U., XLV, 216-219. (81) P.-V., XLVIII, 155. SÉANCE DU 12 BRUMAIRE AN III (2 NOVEMBRE 1794) - N° 14 325 THIBAULT, au nom du comité des Finances, a fait le rapport suivant : Votre comité des Finances exécute chaque jour la ferme résolution qu’il a prise d’établir l’ordre dans la comptabilité, de forcer tous les agens de la République et toutes les autorités constituées à donner l’état des deniers qu’ils ont touchés ou dépensés, et de poursuivre sans relâche les dépositaires infidèles qui n’établiront pas, d’une manière claire et précise, la balance de leurs comptes. Si des dilapidations ont été commises, si des paiemens sans ordonnances ont été faits, si des pillages ou soustractions se sont cachées sous les ombres du mystère, le nuage se dissipera, vous connoîtrez tout, et tout sera puni [On applaudit .] (82). Vous avez voulu que le gouvernement ait la justice pour piédestal : eh bien! son oeil sera sévère; point de grâce aux voleurs publics, quel que soit le masque qu’ils aient emprunté pour cacher leur fraude et leur imposture. C’est au moment où la fabrication de la mon-noie métallique est suspendue, qu’il est convenable de faire rendre compte à tous les ex-directeurs des monnoies, des matières d’or et d’argent qui ont été déposées dans leurs ateliers, et des versemens qu’ils ont pu faire à la Trésorerie nationale. Mais une opération préliminaire, c’est l’examen et le jugement de leur travail depuis le 10 avril 1791. L’article X de la loi de ce jour ordonne que les espèces qui doivent servir à ces jugemens, seront prises dans la circulation; mais cette circulation ayant cessé depuis longtemps, l’administration des monnoies n’a pu se procurer des pièces en nombre suffisant pour cette opération, quelques démarches qu’elle ait faites, tant auprès des tribunaux de commerce que de la Trésorerie nationale. Les commissaires de la Trésorerie ont assuré qu’il seroit même impossible, dans la caisse à trois clefs, de compléter les pièces nécessaires, parce que la recherche seroit difficile, longue et dispendieuse, à cause de la surveillance qu’elle exigeroit. On ne voit pas d’autre moyen de suppléer au déficit des pièces de monnoie métallique, prises dans la circulation, qu’en employant pour le jugement du travail des ex-directeurs, les peuilles ou pièces qui, dans chaque fabrication, ont été choisies par le commissaire national pour constater le poids. Nous vous proposons donc de déroger à l’article XII de la loi du 10 avril 1791, et d’autoriser l’agence monétaire à employer pour la vérification du titre des monnoies fabriquées postérieurement à cette loi, indistinctement les peuilles ou pièces adressées par les ex-com-missaires nationaux, en se conformant d’ailleurs aux autres dispositions de cette loi. On a pris des mesures pour connoître la quantité et le poids des matières d’or et d’argent qui ont été déposées dans les ci-devant hôtels des monnoies ; chaque municipalité envoie l’état de l’argenterie d’église qui a été (82) Débats, n° 771, 620. portée dans lesdits hôtels. Le comité des Finances a déjà reçu un grand nombre de ces états, et il estime que cette argenterie pourra monter de 25 à 30 millions (83). Thibault propose ensuite un projet de décret relatif aux comptes à rendre par les hôtels des monnaies de la République (84). CAMBON : Le projet de décret qui vous est présenté servira de contrôle au compte général des recettes et dépenses de la République, que l’Assemblée a demandé le 27 germinal et qui est déjà connu de toute la France. A trois époques différentes de la révolution, on s’est servi de l’argenterie des églises ; et comme on n’a pu obtenir des comptes à cet égard, je ne doute pas qu’il y ait eu la plus grande dilapidation, à la dernière surtout, où par suite d’un mouvement imprimé par une faction conspiratrice, on vint de tous les coins de la République offrir avec éclat à la barre de la Convention l’argenterie et les ornements des églises; et comme aucun ordre n’était établi, soit pour extraire cette argenterie des églises, soit pour le transport, on n’a pas manqué d’en détourner beaucoup. Dans cette dilapidation de la fortune publique, les conspirateurs avaient un triple but; d’abord de s’enrichir en volant beaucoup, ensuite d’armer contre la Convention le fanatisme et les préjugés. Ils avaient un troisième objet; ils répandaient à la tribune de la Convention que toutes ces offrandes produiraient au moins un capital de 2 ou 3 milliards, [comme l’a dit Hébert] (85). Or, s’ils avaient pu faire germer cette idée, ils n’auraient pas manqué d’attaquer les représentants du peuple comme dilapidateurs, puisque le fait est que cette argenterie ne produira guère que 25 ou 30 millions ; et voici comment : Il n’y avait que cinquante mille paroisses dans la République; il est démontré par l’effet que ces paroisses, l’une dans l’autre, ne possédaient que de 5 à 6 marcs d’argenterie, parce qu’il y a telle paroisse de campagne dont l’argenterie se bornait à un calice, un ciboire, un ostensoir. D’après ce calcul, la totalité de cette argenterie ne produira, comme je le disais tout à l’heure, que 25 à 30 millions, et la châsse de sainte Geneviève, dont on a tant vanté la richesse, n’a produit que 21000 livres. Le comité des Finances a pris des mesures pour connaître au vrai le montant de l’argenterie qui a été extraite des églises, et découvrir les mains par lesquelles elle a passé. Il est temps que tous les dilapidateurs soient enfin connus et punis. Le comité a reçu environ dix mille procès-verbaux; il serait à propos que chaque représentant du peuple en prît connaissance afin de donner les renseignements qui sont à leur connaissance. Je demande que chaque commune de la République fasse pas-(83) Bull., 12 brum. (suppl.). Gazette Fr., n° 1036 ; J. Univ., n° 1803 ; F. de la Républ., n° 43 ; Ann. R. F., n° 43 ; Mess. Soir, n° 807 ; J. Perlet, n° 770; J. Fr., n° 768 et 769; J. Mont., n° 21 ; Rép., n° 43 ; M. U., XLV, 207-208. (84) Débats, n° 771, 620. (85) J. Perlet, n° 770.