[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1791.] (L’Assemblée ordonne qu’il sera fait mention, dans le procès-verbal de la lettre du sieur Vau-drou.) M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d’une lettre de MM. les commissaires envoyés dans les départements du Doubs , du Jura , de la Haute-Saône et de l'Ain. Cette lettre est ainsi conçue : « Besançon, le 28 juin 1791. « Monsieur le Président, « Nous avons cru devoir nous rendre dans la garnison la plus nombreuse, et où se trouvent réunis les officiers généraux commandant la division. Nous avons trouvé dans les régiments qui sont dans ceite place les sentiments qu’on a droit d’attendre des militaires français, au moment où la patrie est en danger; et nous les avons vus prêts à sacrifier leur vie pour elle. La garnison, composée de 4 régiments, s’est réunie hier au Champ de Mars, en aimes; la garde nationale s’y est également rendue, les directeurs du département et du district, la municipalité étaient présents. Au milieu d’un peuple nombreux et des acclamations des citoyens, les officiers généraux, le commandant de la place, les chefs des corps, les officiers de tout grade et les troupes ont prêté à la souveraineté nationale le serment décrété par l’Assemblée ; les troupes et les commandants de la citadelle l’ont également prêté. Nous avons reçu la promesse individuelle et écrite des officiers de tout grade. Le petit nombre de ceux qui ont refusé de prêter l’engagement décrété par l’Assemblée a reçu, en déclarant son refus, la permission de s’éloigner. « La crainte d’employer trop longtemps les moments de l’Assemblée, nous empêche d’entrer dans de plus grands détails, qui seront consignés dans notre procès-verbal ; nous ne pouvons cependant pas nous refuser de lui annoncer que l’union la plus entière règne ici entre les troupes de ligne et la garde nationale. « Lajoie, l’unanimité, les transports qu’aexcité la prestation du serment, nous ont présenté le spectacle le plus touchant ; et, dans cette journée comme dans celle qui l’avait précédée, dans cette ville comme sur notre route, nous avons recueilli pour l’Assemblée nationale des témoignages constants de coniiance, de reconnaissance et de respect. L’allégresse publique règne et n’a été troublée par aucun désordre ; la tranquillité a régné dans toute la place, dans les quartiers et dans la citadelle. Chacun semble avoir reconnu la nécessité d’entretenir l’ordre dans ce moment, d’apprendre par là à nos ennemis que leurs efforts contre la Constitution ne tendent qu’à l’affermir, et de seconder ainsi, autant qu’il est en des citoyens, les efforts de leurs représentants. « Les corps administratifs, la municipalité et la garde nationale de ce départ, ment ont montré, avec le plus heureux accord, un zèle actif, une surveillance exacte et une fermeté admirable et imposante. Administrateurs et soldats, tous ont veillé nuit et jour et veillent encore nuit et jour. Le petit nombre d’opposants ou de mécontents disparaît et se cache, soit par cra nte, soit par respect, et nous n’avons trouvé dans tout le département que des citoyens soumis à la loi, des hommes libres décidés à ne jamais cesser de l’être, .les soldats courageux prêts à mourir plutôt que de laisser aborder les ministres des tyrans ou les satellites des rebelles sur la terre de la liberté. ( Applaudissements .) 869 « Nous partons demain pour le département de la Haute-Saône. Nous aurons l’honneur de vous instruire de ce que nous y ferons. « Nous sommes, etc. « Signé : de Toulongeon, Regnaud (de Saint— Jean-d’Angély), de Lacour d’Ambezieux. » M. le Président. Messieurs, la distraction flatteuse que nous venons d’éprouver a emporté beaucoup de temps et paraît faire craindie que l’Assemblée ne puisse pas entreprendre de délibérer sur l’ordre du jour. On propose d’entendre la lecture des adresses. (Oui! oui!) M. Coclielet. Messieurs, dès que le département des Ardennes fut informé des troubles qui s’étaient élevés dans les villes de Givet et de Cbarlemont entre les régiments ci-devant Foix et d'Alsace , il a jugé convenable d'v envoyer 3 commissaires pour rétablir l’harmonie dans ces deux régiments. Je suis heureux d’annoncer à l’Assemblée qu’ils y sont parvenus et que citoyens et soldats se sont embrassés en signe de fraternité. M. Deferinon donne lecture d’une adresse des citoyens de Saint-Malo qui, réunis en armes au nombre de 4,000 sous les murs de la ville et ayant avec eux la troupe de ligne de la garnison de Suint-Servan, ont prêté le serment solennel de vivre libres ou de mourir, et de conserver la liberté qui leur est acquise et assurée par la Constitution. Le même serment a été répété parleurs femmes et leurs enfants. Cette adresse est transmise et signée par tous les chefs des corps administratifs et tous les chefs militaires. Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres et adresses suivantes : Lettre des sous-officiers , grenadiers, soldats et chasseurs des 4e, 5° et 6e régiments composant les garnisons d’Aire et de Béthune , à laquelle est joint un exemplaire de l’adresse qu’ils ont faite à l’armée française : « Quels sont ces traîtres, disent-ils, qui ont fait oublier au roi le serment qu’il a prononcé? ce sont ceux qui se sont alimentés des sueurs de nos pères et mères; ces sangsues ne respirent que la vengeaoce... Qu’ils tremblent et qu’ils sachent que nous sommes Français ! Coalisons nos forces, ayons tous les mêmes sentiments de fraternité; mélions-nou3 des pièges que nous tend l’astuce de nos ennemis, et qu’ils payent chèrement toutes les tentatives qu’ils feront pour introduire de vils suppôts de la tyrannie dans notre terre libre. » Ces militaires renouvellent le serment sacré de conserver leurs droits, ou de périr sur les débris de leur patrie. Lettre du directoire du district de Longwy, à laquelle est jointe la suite du procès-verbal de la continuation de ses travaux, ainsi qu’une lettre des sous-officiers et hussards du 2e régiment ci-devant Ghamborand. Le directoire loue beaucoup la bravoure et la vigilance du 6e régiment ci-devant Armagnac, et des hussards Ghamborand; il ajoute que le détachement des canonniers du régiment d Auxonne mérite une mention expresse; qu’il est impossible de décrire l’activité qu’il a mise aux travaux qui le concernent; que les chefs, sous- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1791.] 670 ofliciers et soldats sont tous animés du même esprit. Les témoignages de fidélité contenus dans la lettre des hussards de Chamborand, sont remarquables. « Toujours, disent-ils, nous regarderons la France comme notre patrie, et nous en défendrons les lois; toujours les Français seront nos frères, et nous en protégerons l’existence et les propriétés au péril de notre vie. La liberté, dont nous avons déjà goûté les prémices, est un trésor qui ne s’échappera de nos mains que quand le sang cessera de couler dans nos veines. » Lettre des administrateurs du directoire du district de Sarrelouis , accompagnée de l’envoi qu’ils font à l’Assemblée d’une expédition du procès-verbal des adjudants, sous-officiers et hussards du 1er régiment de hussards, ci-devant Bercheny , au sujet de l’ignorance où était ce régiment sur la nature des ordres qu’il avait reçus pour se rendre à Montmédy, lequel procès-verbal contient un nouveau serment de fidélité. Adresse des administrateurs du directoire , des officiers municipaux, des juges du tribunal de district , et des amis de la Constitution de la ville de Charolles : ils s’y affligent de ce que le roi, idolâtré des Français, a oublié le prix de leur amour. « Ils sont pressés, disent-ils, de témoigner leur gratitude à l’Assemblée nationale. Ils assurent qu’ils sont dignes de son énergie comme elle l’est de leur confiance, et qu’ils� mourront plutôt que de vivre sous le joug des oppresseurs. » Adresse de la commune de Sézanne, réunie en assemblée primaire. « Continuez, dit-elle, de peindre, par vos décrets, la France dans l’attitude la plus noble ; le patriotisme a formé autour d’elle un mur d’airain, et les hommes qui veillent à sa garde sont de fer et de feu pour le maitien de la Constitution. « Le mouvement électrique est donné; toutes les forces ront combinées, la nation n’a rien à redouter d’aucune puissance armée. Le pian infernal qui a été formé ne permettra plus de cesser de surveiller les traîtres à la patrie; le triomphe de la liberté est à jamais assuré. « La fuite du roi sera la leçon des peuples ; et l’énergie des Français, la leçon des rois. » Adresse des amis de la Constitution de Barbonne , qui rend compte de l’ardeur de leurs concitoyens pour l’intérêt de la chose publique. « Les hommes, sous le vieux régime, au seul nom de milice, devenaient, disent-ils, pâles et tremblants; à peine guéris des meurtrissures de leurs fers, ils ne soupirent qu’après la victoire, ou à mériter la gloire de sceller de leur sang les décrets de l’Assemblée nationale. » Adresses des amis de la Constitution de Loches , des citoyens de la ville de Pithiviers, des officiers municipaux de la ville de Beaune, des administrateurs du district et officiers municipaux de Bois commun, de la société des amis de la Constitution de Maubeuge, des citoyens de la ville de Caen, de la société des amis de la Constitution et des habitants de la ville de Chartres, qui tous donnent à l’Assemblée nationale des témoignages de leur admiration et de leur dévouement, protestent d’employer tous leurs moyens contre les machinations des tyrans et de leurs esclaves, et ne désirent nue de signaler leur courage contre les ennemis du dedans et du dehors. Lettre des administrateurs du département de Nancy, qui donne des témoignages à l’Assemblée nationale de son admiration et de son dévouement. « L’exemple, disent-ils, que vous donnez est trop noble ; il élève trop les âmes capables de grands sentiments pour que le Français ne s’empresse pas d’imiter votre contenance, et de suivre ponctuellement vos déterminations. Nous continuerons à réunir tous nos efforts aux vôtres pour affermir, au milieu de l’orage, toujours de plus en plus les bases de la Constitution. Chaque jour les esprits, en s’éc'airant davantage par les malheurs qui résultent des fausses conceptions ou de l’abus de la liberté, se replient progressivement sur le centre où réside la force de la Constitution, sous l’égide des lois et du respect des pouvoirs créés par elle. » Délibération du directoire du département de l’Ardèche, qui témoigne sa profonde affliction de l’événement malheureux que nous préparaient depuis longtemps les ennemis de la Révolution. « Ses ennemis, disent-ils, sont ceux du peuple, parce qu’ils n’ont pas eu l’âme assez élevée ni assez généreuse pour sacrifier l’intérêt d’une vaine gloire à un nouvel ordre de choses qui est tout à son avantage ; il n’est permis de douter qu’ils ne tendent à rien moins qu’à ramener le règne du despotisme et le retour delà féodalité, de la gabelle et des privilèges, ou, pour mieux dire, des abus innombrables qui pesaient sur la tête du peuple; en un mot, à lui ravir d’un seul coup les bienfaits de la Révolution. « Que tel était l’objet des clameurs qu’ils se permettaient contre l’Assemblée nationale, et des alarmes qu’ils affectaient de répandre sur le sort de la religion, à laquelle le Corps législatif n’a fait que rendre sa dignité primitive, en purgeant la police extérieure de l’église d’une foule d’abus qui la déshonoraient. » Le directoire de ce département voue à l’opprobre et à l’indignation publique les auteurs criminels de nos maux, et il a arrêté plusieurs mesures qu’il croit indispensables dans les circonstances. Adresse de la société des amis de la Constitution de Dijon, qui renouvelle à l’Assemblée nationale l’hommage sincère de sa reconnaissance et de son admiration. <- Le grand exemple que vous venez de donner à la France, disent-ils, et que la France entière a suivi, bien loin de nous alarmer, manquait à la Révolution, et il en accéléreia les progrès; il fortifiera l’esprit public, il prouvera aux ennemis de la liberté combien est grande et redoutable la nation française régénérée par vous ; il nous éclaire sur les* sentiments du roi; il dissipe les inquiétudes qui pouvaient nous rester; il rend votre marche plus sûre et plus hardie, et vous conduira à l’achèvement de la Constitution. » Adresse des maire et officiers municipaux de la ville de Marseille. Ils rendent grâce à l’Assemblée nationale de son décret concernant les hommes de couleur : « La cause des gens de couleur, disent-ils, est la nôtre ; c’est celle de tous les hommes qui ne 671 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1791.] sont ni stupides ni méchants, qui ne s’aveuglent pas sur les vrais intérêts du commerce, et qui n’ont pas la funeste habitude de raisonner comme des tyrans. » Ils ajoutent que l’opinion contraire, manifestée par quelques individus et la chambre du commerce, n’est point celle du commerce et de la cité ; ils désavouent, au nom du peuple , cette injure faite à la raison et à la liberté ; les gardes nationales de Marseille offrent au contraire de se transporter dans nos colonies pour y soutenir les décrets de l’Assemblée nationale, si ces mesures sont nécessaires. « N’oubliez pas, poursuivent-ils, que Marseille a des droits à cette expédition, et comme pays maritime et comme ville dévouée à la Constitution; les Marseillais qui vous ont demandé de traverser le royaume pour aller sur les frontières recevoir les premiers coups des puissances ennemies; les Marseillais ne comptent ni les dangers ni les obstacles, ni les forces même de leurs ennemis ; ils ne regardent que la liberté, ils ne regardent que les lois, et partout où elles seront menacées ou méconnues, ils iront, sur la réquisition des autorités qu’ils respectent, en rappeler l’observation aux peuples en se sacrifiant pour elle. » Adresse du conseil général de la commune et de la société des amis de la Constitution de la ville de Villeneuve-le-Roi. La Constitution française , y dit-on, « est maintenant à l’épreuve de tous les efforts perfides des malveillants. « La contenance hère d’un peuple libre a déjoué tous les efforts des traîtres. « L’Europe étonnée, voyant la prudente intrépidité et le courage tranquille du Sénat français, apprendra ce que peut l’homme lorsqu’il connaît sa dignité. « Nous vouons à l’opprobre et à l’ignomioie quiconque n’applaudira pas à la sagesse des décrets rendus dans les circonstances les plus orageuses dont l’histoire fasse mention. « La France ne peut plus avoir d’ennemis : si le despotisme n’a pas éteint tout sentiment d’honneur dans ceux du dehors, ils doivent admirer en silence et nous imiter; s’ils veulent nous attaquer, qu’ils nous regardent, et qu’ils tremblent. « Que ceux du dedans reconnaissent enfin que c’est se déchirer le sein, que de s’opposer au bien de la patrie. « Un seul vœu reste à former : c’est que le dernier de la minorité jure aussi sincèrement que nous de mourir pour la défense de l’Assemblée nationale et le maintien des lois; et nous l’attendons. » Arrêté du directoire du département de l’Ain, qui constate les mesures qu’il a prises pour maintenir la confiance, la liberté et la sûreté des personnes et des propriétés, qui fait mention du serment individuel que ses membres ont prêté, de maintenir, de tout leur pouvoir, la Constitution du royaume, d’exécuter et faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale; et enfin, de sacrifier leur vie à l’exécution des lois et à la conservation de la liberté. Lettre du sieur François de Neuf chat eau, accompagnée d’un arreté de l’assemblée primaire de Vicheray : « Le salut du peuple, dit cet arrêté, est la suprême loi ; les princes peuvent manquer, mais l’Etat est immortel. . . Les temps sont passés; les Français ignorants et serfs ont courbé trop longtemps leurs têtes sous le joug des diverses superstitions politique, religieuse et fiscale; les Français éclairés et libres veulent la Constitution qui a brisé leurs chaînes ; ils ne la voudront pas en vain. Rappelons-nous ce qu’a dit un grand homme : on peut bien empêcher la raison de naître; mais quand une fois elle est née, il n’est plus au pouvoir de personne de la détruire. » Adresse de la municipalité de la ville de Laon , qui présente à l’Assemblée nationale l’hommage de sa reconnaissance, et l’assure de son entière soumission à ses décrets : « Vous avez appris, y dit-on, aux tyrans couronnés combien on est fort quand on règne sur les cœurs; vous leur avez appris que le sort d’un peuple qui a su recouvrer la plénitude de ses droits, est indépendant du caprice des cours, que les rois enfin sont faits pour les peuples et non pas les peuples pour être les vils jouets des rois. » Adresse de l’assemblée électorale du département de V Allier, contenant l’assurance de son entière soumission à la loi, et de sa reconnaissance des mesures sages et fermes prises par l’Assemblée nationale dans les circonstances présentes : les électeurs jurent, au nom de la patrie et de la liberté, liée aujourd’hui à leur existence, de tout faire pour maintenir son ouvrage. M. le Secrétaire. Voici encore une centaine d’adresses {Applaudissements.) ; voyez, voyez (il montre un gros paquet), et il y en a encore davantage dans les bureaux. M. le Président. Messieurs, M. le commandant général de la garde nationale parisienne demande à communiqu r à l’Assemblée un objet important. (Oui! oui!) M. de Fa Fayette. Messieurs, je reçois de Luxembourg, sous le cachet de M. de Bouillé, 2 exemplaires imprimés de sa lettre à l’Assemblée : si les projets qu’il annonce se réalisaient, il me conviendrait mieux, sans doute, de le combattre que de répondre à ses personnalités. Ce n’est donc pas pour M. de Bouillé, qui me calomnie, ce n’est pas même pour vous, Messieurs, qui m’honorez de votre confiance, c’est pour ceux que son assertion pourrait tromper, que je dois la relever ici. On m’y dénonce comme ennemi de la forme du gouvernement que vous avez établie : Messieurs, je ne renouvelle point mon serment; mais je suis prêt à verser mon sang pour la maintenir. (Vifs applaudissements.) M. de Choiseul-Praslin , fis. Je demande que le dire de M. de La Fayette soit consigné dans le procès-verbal pour toute réponse. (Applaudissements.) M. Felong. Gomme déclaration surabondante. (Oui! oui!) (La motion de M. de Choiseul-Praslin est adoptée.) M. le Président. Voici le résultat du scrutin pour la nomination d’un président et de trois secrétaires. Sur 426 voix, M. Charles de Lameth a obtenu