104 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juin 1791.] Je demande que les fils de famille dont les pères sont imposés à une somme qui, répartie sur tous les enfants, les rendrait éligibles, puissent être élus. (L’Assemblée renvoie la proposition de M. Gre-letde Beauregardau comité de Constitution pour en rendre compte très incessamment.) M. Le Chapelier, au nom des commissaires envoyés chez le ministre de la marine. Messieurs, l’Assemblée nationale a chargé ce matin des commissaires de se rendre chez le ministre de la marine pour savoir où en était l’exécution du décret concernant les colonies ; je suis chargé de vous rendre compte de notre mission. Nous venons de chez le ministre ; il nous a répondu que le garde des sceaux lui avait promis hier de lui envoyer, ce soir ou demain au plus tard, une expédition du décret. 11 nous a ajouté que les commissaires étaient prêts à partir et que des avisos étaient également prêts, depuis plus d’un mois, dans les ports de Brest, de Lorient et de Rochefort. Le ministre nous a toutefois fait part d’un doute qui a ralenti ces dispositions ; il ignore si l’intention de l’Assemblée est que les commissaires partent seulement avec le décret sur les gens de couleur nés de père et de mère libres, ou s’ils doivent attendre les instructions relatives à la Constitution des colonies. L’incertitude du ministre de la marine est justifiée par le texte même de vos décrets. Il nous a donc paru, Messieurs, qu’il était nécessaire de prendre une détermination, premièrement pour savoir si les commissaires partiront — chose qui me paraît utile — ; secondement pour savoir s’ils partiront avec les instructions qui doivent servir de base aux déterminations et aux propositions des colonies sur les diverses parties de leur Constitution intérieure, et s’ils attendront l’époque où vos comités doivent vous faire leur rapport sur cet objet. Ainsi je propose à l’Assemblée de renvoyer cette double proposition du départ immédiat des commissaires, même sans instructions ou accompagnés d’instructions, quoiqu’elles n’aient pas été lues à l’Assemblée, mais comme simple mémoire. Je demande que cette double proposition soit renvoyée aux comités pour en faire le rapport dans deux ou trois jours. (La motion de M. Le Chapelier est décrétée.) M. le Président. La parole est à M. Bureaux de Pusy pour faire un rapport sur Vêtat actuel de l'armée. M. Bureaux de Pusy, au nom des comités de Constitution, militaire, diplomatique , des rapports et des recherches (1). Messieurs, les comités auxquels vous avez renvoyé l’examen des mesures propres à rétablir la tranquillité publique dans le royaume, et à le mettre à J’abri des ennemis du dehors et de ceux du dedans, ont pensé que le premier objet dont ils devaient vous rendre compte était l’état actuel de l’armée, et que d’abord il fallait songer à détruire le principe du poison qui la dévore. Un grand désordre existe dans l’armée : la discipline et l’instruction en sont bannies ; la confiance est détruite entre les supérieurs et les subordonnés; le mal s’accroît avec une effrayante rapidité; vous en êtes avertis de toutes parts : des pétiiions multipliées demandent, les unes, le licenciement total de l’armée, pour la recomposer sur de nouveaux principes ; d’autres se bornent à demander le licenciement des officiers. Les motifs apparents de ces adresses sont l’incivisme dont on accuse ces mêmes officiers, les projets qu’on leur suppose; enfin, le danger de laisser à la tête de la force publique des hommes que l’on regarde comme ennemis de la Révolution. Avant d’apprécier la validité et l’importance de ces raisons, permettez que j’examine d’abord ce qu’il peut y avoir d’utile ou de dangereux dans le licenciement demandé. Il y a deux propositions : celle du licenciement total et celle du licenciement des officiers seulement. Je ne m’occuperai que de cette dernière, tous les raisonnements que je ferai sur cette hypothèse étant applicables à l’autre. Quel est l’objet pour lequel on veut licencier les officiers? C’est, dit-on, pour éloigner de l’armée des hommes ennemis de la loi. Supposons l’accusation fondée et votre résolution prise en conséquence ; alors il s’élève deux nouvelles questions : le licenciement des officiers sera-t-il absolu ou ne sera-t-il que partiel? Examinons d’abord la proposition sous ce dernier rapport. Si vous ne licenciez qu’une partie des officiers, quel sera le mode du licenciement? Il ne s’en présente que trois : un choix arbitraire, le sort, et une réforme qui, frappant également sur tous les grades, fera sortir de l’armée le nombre d’officiers que vous voudrez supprimer. La première manière est une vexation, un acte de despotisme plus odieux, plus insupportable qu’aucun de ceux que l’on reproche à l’ancien régime : d’ailleurs, qui peut vous assurer qu’elle remplirait votre objet? Quels seront les hommes auxquels vous confieriez cet important triage? Qui leur donnera le tact et la justice nécessaires pour remplir cette délicate mission? Qui les dépouillera tellement de passions, de prévention et d’erreur, qu’ils ne puissent choisir précisément que ceux que vous croiriez utile de conserver? Il est donc incontestable que le premier mode, en présentant tout ce que les formes arbitraires ont de plus révoltant, vous laisse dans la plus grande incertitude sur le succès que vous ambitionnez dans cette opération. Si vous faites le licenciement par le sort ou par la réforme, il est évident que vous ne remplissez pas davantage votre objet, car la réforme et le sort peuvent conserver ceux que vous croiriez devoir éloigner, et réciproquement : d’où il suit que ces deux méthodes ne serviraient qu’à tourmenter l’armée, sans utilité pour la chose publique. Le licenciement partiel est donc essentiellement vicieux, quel que soit le mode qu’on veuille adopter pour le faire. Ce n’est pas tout. Suppo-sons-le effectué d’une manière quelconque. Gomment suppléera-t-on les officiers qui auront été licenciés? Leur donnera-t-on pour successeurs les officiers reconnus susceptibles de remplacement par les décrets précédemment rendus ? Mais on peut faire à ceux-ci le même reproche qu’aux officiers en activité ; et le remplacement, suivant cette méthode, ne pourvoit en aucune manière aux inconvénients que vous voulez faire disparaître. Dira-t-on qu’on les soumettra au mode épuratoire qui sera adopté pour le licenciement des officiers en activité ? Mais ce (1) Ce document est incomplet au Moniteur. 105 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juin 1791.] mode, que j’ai démontré vicieux, quel qu'il puisse être, devient d’une absurdité plus frappante, si l’on veut l’appliquer au cas particulier dont il s’;igit; car, indépendamment de la difficulté de rassembler, de tous les points de la France, ceux sur lesquels il devrait s’exercer, il resterait toujours l’ignorance profonde où l’on serait encore sur le caractère et sur les opinions politiques de ces hommes qui, n’ayant point été en évidence, sont moins susceptibles d’ê re appréciés. Donnerez-vous aux officiers licenciés, pour suppléants, des sujets nouveaux, tirés de la masse des citoyens? Alors vous consommez la désorganisation de l’armée ; car vous n’ignorez pas que son instruction est presque totalement détruite, soit par les effets des désordres qui font bouleversée, soit par l’obligation où le gouvernement s’est trouvé de morceler et de disperser les corps, pour protéger l’ordre public en tant de lieux différents. Or, je demande si c’est dans l’état de relâchement et d’ignorance où se trouve l’armée; si c’est dans l’instant où des inquiétudes, bien ou mal fondées, agitent tous les esprits; si c’est enfin dans le moment où l’on paraît craindre l’approche d’ennemis étrangers, qu’il est convenable d’atténuer nos ressources ; et de donner à nos troupes, pour instituteurs et pour guides, des sujets sans expérience du service, sans habitude, et même sans connaissance des hommes auxquels ils doivent commander? N’oublions pas, Messieurs, qu’une armée est une véritable machine très compliquée, très délicate, dont le mouvement s’arrête dès que ses ressorts cessent d’être en activité; que ces efforts, partie moraux, partie physiques, sont la confiance réciproque des chefs et des subordonnés, l’obéissance à la loi, la connaissance d’une foule de détails, la pratique de certains exercices, la précision dans leur exécution ; et que pour obtenir de cette machine des mouvements réguliers et certains, il faut que les pièces en soient parfaitement assorties, et que, par un long frottement, elles aient passé de leur état d’aspérité première, à ce poli qui seul peut permettre et conserver la facilité de leur jeu. Les dangers que j’aperçois à remplacer, pardi s sujets tout à fait neufs, les officiers licenciés, me Paraissent au moins aussi grands, dans le cas ou on voudrait que le remplacement fût fourni par le corps des sous-officiers. En effet, il faut se garder d’une erreur beaucoup trop répandue : c’est de croire que l’on puisse tout à coup transformer un grand nombre de sous-officiers en officiers ; les fonctions de ces deux classes de militaires ne sont point les mêmes ; les détails de leur service, leur instruction, leurs devoirs sont différents; et quoiqu’il faille dans l’une comme dans l’autre peut-être autant de temps pour former des sujets, il ne s’en suit pas que celui qui a été instruit pour une de ces branches de l’art, soit également propre à l’autre. Il arriverait donc, dans l’hypolhèse sur laquelle je raisonne, que l’on affaiblirait en même temps et le corps des officiers et celui des sous-ofticiers, si l’on voulait que ceux-ci remplissent les vides que le licenciement laisserait dans les premiers; et encore une fois, ce n’est pas lorsqu’il s’agit de rendre promptement à l’armée l’instruction qu’elle a perdue, qu’il faut paralyser les organes qui doivent la lui transmettre. Les réflexions que j’ai faites sur la manière de remplacer les officiers après un licenciement partie], ne me laissent rien à dire sur les inconvénients d’un licenciement absolu, et l’on sent que tous les vices attachés à cette première opération, sont plus frappants et plus dangereux encore dans la seconde. Il me paraît donc démontré que le licenciement des officiers, mesure délicate, périlleuse, et qu’à peine on oserait tenter dans des moments de calme, au milieu d’une paix certaine qui permettait de régénérer insensiblement le corps des officiers et celui des sous-officiers, serait aujourd’hui une entreprise extrêmement imprudente, nécessairement funeste, et que les circonstances actuelles la rendent improposable : aussi vos comités ont-ils été d’avis à l’unanimité individuelle qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur le projet de licencier le corps des officiers, et encore moins la totalité de l’armée. Cependant les inquiétudes subsistent; la défiance n’a pas cessé : il faut apaiser l’effervescence de l’opinion publique; et puisqu’il est impossible d’y parvenir par un licenciement, renonçons à ce moyen, et cherchons celui qu’on peut y substituer. Examinons d’abord quelles sont tes causes de l’agitation où se trouve i’armée. Cette agitation a deux principes : le mécontentement des officiers, et l’indiscipline des soldats; et ces deux causes se combinant et réagissant l’une sur l’autre, accroissent et perpétuent le désordre dans l’armée. Le mécontentement des officiers part de leurs préjugés, du regret de l’ancien ordre de choses, du souvenir de jouissances qui n’existent plus; peut-être même de l’humiliation à laquelle se croient réduits certains hommes, parce qu’ils se trouvent de niveau avec une partie de la société, au-dessus de laquelle ils étaient placés d’abord; oubliant que, dans la formation de ce niveau, tout ce qui est monté à leur hauteur, ne leur porte aucun dommage, et qu’au contraire leur amour-propre et leur intérêt ont gagné l’égalité avec tous ceux auxquels l’ancien ordre social les tenait en quelque sorte subordonnés. À ces causes, il faut ajouter le dépif, le ressentiment qu’éprouvent les officiers par l’effet de l’indiscipline des soldais, l’exaspération que leur causent le mépris, la désobéissance insultante de leurs inférieurs, qui, couvrant toutes leurs fautes du voile et du nom du patriotisme, sont presque toujours appuyés par les citoyens, à qui l’enthousiasme du patriotisme a fait souvent prendre le change sur beaucoup de démarches, beaucoup d’actions qui certainement n’ont pas été produites par le sentiment même qui les a fait excuser. Cette scission entre ceux qui doivent commander, et ceux qui doivent obéir, est extrêmement alarmante; la. cause ou le prétexte qui la prolonge en accroît les dangers; et le désordre deviendrait incurable, si vous n’y pourvoyiez promptement. Ces déchirements intérieurs, ces désordres, non seulement ont entretenu le nombre des mécontents, mais ils l’ont augmenté. Il n’est personne qui n’ait pu remarquer que des officiers qui, il y a un an ou quinze mois, étaient entièrement attachés aux principes de la Constitution, qui l’eussent soutenue de tous leurs efforts, se sont arrêtés ; et que, passant de la tiédeur au dégoût, à l’aversion même, ils ont en effet rétrogradé dans leurs opinions politiques, parce que, trompés par leur chagrin ou par des suggestions perfides, ils ont pris pour un effet de la Révolution, cette indiscipline que la Constitution ré- 106 [Assemblée nationale.] prouve, et qu’il est temps d’arrêter. ( Mouvement prolongé à gauche.) M. de Cazalès. C’est excessivement vrai. M. Bureaux de Pnsy, rapporteur. D’autres motifs ont encore concouru à rendre les officiers suspects aux citoyens : je veux parler de défauts trop ordinaires à la jeunesse, et plus particulièrement aux jeunes militaires français : la légèreté, l’indiscrétion, l’imprudence. Dans d’autres temps, les fautes qu’amènent ces travers disparaissent daus la foule des objets dont se nourrit la curiosité publique; mais dans un moment de Révolution, où toutes les pensées, tous les intérêts se dirigent vers la Constitution, toutes les actions des particuliers prennent la nuance des opinions qui les divisent; et comme la pente universelle des esprits les porte tous à s’occuper d’un sujet unique, nul ne peut aujourd’hui bien ou mal mériter de la société, que ce ne soit pour des actions relatives à ce sujet unique, auquel tous les intérêts s’attachent. Par conséquent, il n’est pas une de ces légèretés, de ces indiscrétions, de ces imprudences que l’on reproche aux jeunes officiers, qui ne se manifeste avec plus ou moins d’éclat, parce que toutes ont nécessairement pour causes quelques parties de ce grand intérêt qui absorbe l’attention de tous les citoyens. L’esprit de parti saisit avidement ces torts réels ou supposés ; l’animosité et la prévention les aggravent. On ne dit point : C’est un tel, officier dans tel régiment, qui a commis cette faute. On dit : Ce sont les officiers de tel régiment. Gela se répète ; et l’on voit des corps entiers, composés, en général, d’hommes sages et modérés, devenir responsables et victimes des écarts de quelques étourdis. (Murmures.) A gauche : C’est que le corps le soutient. M. Martineau, Mettez à l’ordre, Monsieur le Président. M. Bureaux de Pusy, rapporteur. Il résulte de l’exposé que je viens de vous faire : 1° que beaucoup d’officiers n’aiment point la Révolution; 2° que l’on exagère le nombre des opposants ; 3° que parmi ceux qui repoussent les nouveaux principes, plusieurs ont été conduits à ce sentiment par les effets de la Révolution même : d’où il suit qu’il faut donner à la nation un garant de la conduite des uns, éclairer et ramener les autres. Ce dernier effet s'opérera en arrêtant l’indiscipline qui est à son comble, et qui ne peut qu’augmenter par le projet même de licencier les officiers, et par l’intention annoncée de les remplacer par les sous-officiers, et ceux-ci par les soldats. Cette idée, très répandue dans le public, ne hâtera pas le retour delà confiance; elle ne rendra point aux chefs la considération de leurs inférieurs, car en général on est facilement disposé à trouver des torts à l’homme auquel on doit succéder. (Applaudissements.) Quant aux moyens de rassurer la nation contre les démarches qu’elle paraît craindre de la part des officiers, le meilleur sans doute serait de les convaincre, de leur démontrer combien les avantages que leur procure la Révolution, comme militaires, sont supérieurs aux avantages qu’ils ont perdus comme citoyens; mais la persuasion est lente, et les moments nous pressent; il faut une mesure prompte qui calme les esprits, qui dissipe les inquiétudes, qui détruise [10 juin 1791.] les préventions; et je dis que, puisque le mal vient de l’opinion, puisque c’est l’opinion qui meut les officiers, qui les raidit contre les principes politiques que vous avez pris pour base de la Constitution, c’est par l’opinion même qu’il faut les enchaîner. Parmi celles qui gouvernent le monde, il en est une plus puissante, plus impérieuse que toutes les autres : c’est une espèce de religion dont le culte consiste à professer, à honorer tout ce qui est noble et grand; à fuir, à mépriser tout ce qui est vil et honteux, dont le nom seul rappelle les idées de magnanimité, de générosité, de désintéressement, et surtout de bonne foi : c’est l’honneur enfin, cet être abstrait que les mœurs et les préjugés des différents peuples modifient, mais auquel toutes les nations, et même les plus sauvages, ont dressé des autels, parce que, chez toutes", son nom signifie l’ensemble des vertus utiles à la société. Ce n’est qu’un mot ; mais ce mot est bien puissant; on sait ce qu’il peut en France, et surtout dans l’armée ; je ne crains pas même de dire que son influence s’est étendue jusqu’à l’abus, et que ni la philosophie ni la raison ne peuvent approuver qu’un engagement, contracté sous la garantie de la loi, soit moins sacré, moins respectable qu’un engagement pris au nom de l’honneur, puisque l’honneur ne prescrit que les vertus commandées par la loi. Ce qui pourrait peut-être expliquer cette contradiction, c’est que celui qui prend un engagement ordinaire, n’ayant pas fait lui-même la loi qui garantit l’exécution du pacte qui l’engage, il lui reste la ressource de dire qu’il ignorait toute l’étendue du sens qu’elle emporte, il lui reste la faculté d’y chercher des interprétations; au lieu que celui qui a contracté un engagement d’honneur, a fixé lui-même l’étendue des devoirs qu’il doit remplir, il a prescrit les conditions de sa responsabilité, il a déterminé sa peine en cas de mauvaise foi : cette peine, c’est la honte; et lorsqu’il la subit, il ne peut réclamer, car il est à la fois son accusateur, son témoin etson juge. Quoi qu’il en soit, si le sentiment de l’honneur peut s’élever jusqu’au délire, s’il est le plus puissant de tous les préjugés, il faut l’employer à combattre tous les autres. (Applaudissements.) C’est donc par l’honneur qu’il faut asservir des hommes que vous craignez de ne pouvoir contenir par le raisonnement. On les calomnie sans doute : offrez-leur le moyen de dissiper jusqu’aux simples soupçons; qu’ils promettent, non pas d’aimer les lois de l’Etat (car la plus odieuse, comme la plus inutile des tyrannies serait celle qui voudrait exiger le sacrifice des opinions et des pensées), mais de respecter ces lois, de leur être fidèles : qu’ils le promettent sur leur honneur ; que leur engagement signé soit rendu public, et la France les croira; et s’il était permis à un particulier de se compter pour quelque chose quand il s’agit de l’intérêt général, je voudrais le premier garantir sur ma tête le scrupule religieux avec lequel les officiers français observeront l’engagement d’honneur qu’ils auront contracté. (Applaudissements.) On répétera sans doute l’objection déjà faite tant de fois : pourquoi multiplier les serments? Je vais le dire : c’est qu’on accuse d’infidélité ceux qui ont prêté le serment, c’est qu’on les taxe de vouloir échapper à leur promesse par un subterfuge également puéril et honteux; c’est qu’on leur fait dire qu’un engagement pris en commun n’oblige personne en particulier (Murmures.); c’est que ces bruits indignes de toute créance se sont cependant accrédités dans le peuple ; c’est qu’ils ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 107 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 juin 1791.] alarment la nation; c’est que, dans ce moment, le plus désirable de tous les biens, c’est la tranquillité qui ne peut naître que de la confiance ; c’est que cette confiance est détruite da is l'armée entre ceux qui doivent obéir et ceux qui doivent commander; c’est que le soldat, qui connaît aussi l’honneur, sait à quel point son officier en est esclave, etqu’aujourd’hui, c’est peut-être le seul lien par lequel on puisse, les rattachant l’un à l’autre, étouffer jusqu’au prétexte de l’insubordination qui détruit la force publique. Mais, pour que le moyen que vos comités vous proposent ait quelque u tilité, pour qu’il remplisse son objet, il faut que le pacte à former entre l’Etat et ses défenseurs soit parfaitement libre ; et il ne le serait pas, si ceux qui devront le contracter se trouvaient pressés entre la nécessité d’un engagement d’honneur et les extrémités du besoin. Ce cas peut arriver : l’armée en général est pauvre ; l’infanterie l’est surtout ; beaucoup d’officiers n’ont d’autre fortune que leurs appointements. Songez, Messieurs, combien est cruelle la position de celui qui ne voit que des remords à la suite de sa parole, ou la misère pour prix de sa loyauté ; ce serait même une immoralité intolérable dans la loi, que celle qui exposerait un individu à cette affreuse alternative : il est donc sage, il est juste, il est honnête, d’offrir des moyens de subsister à celui qui ne croira pas pouvoir se soumettre à l’obligation que vous allez lui prescrire. Dans vos décrets sur l’organisation de l’armée, vous avez accordé aux officiers que vous réformiez la moitié du traitement dont ils jouissaient en attendant leur remplacement : les comités vous proposent ici, non pas d’offrir un remplacement, mais d'accorder au moins le quart de leur traitement actuel aux officiers qui se retireront faute de vouloir se conformer à l’obligation de rengagement d’honneur... (Murmures.) Je n’ai pu distinguer si le murmure qui vient de s’élever est un signe d’improbation; mais je vous prie d’observer que ce n’est pointun homme coupable que celui qui refuse de contracter cet engagement; que celui qui, persuadé dans sa conscience que la loi qu’il serait chargé de faire exécuter est une loi mauvaise, se retirerait pour se soustraire à cette extrémité : que celui-là, dis-je, serait un homme à plaindre, mais que cette conduite ne devrait pas être punie de la perte de l’estime des honnêtes gens. (Murmures et applaudissements.) J’ajouterai que les comités, dans l’aperçu qu’ils ont fait des sommes probables auxquelles pourraient s’élever les retraites dont il s’agit, n’ont pu, en forçant les suppositions, trouver qu’une dépense de*5à600,000 livres, dépense viagère, s’affaiblissant journellement, et qui, sous quelque rapport qu’on l’envisage, est sans contredit une des plus utiles manières dont la nation puisse employer son argent. (Applaudissements.) Il est encore une disposition que les comités ont cru indispensable de vous proposer : ce sera la motiver que de vous en dire la cause. Parmi les inculpations faites aux officiers, on accuse quelques-uns de ceux qui ne dénient pas leur serment civique, de subtiliser sur le sens qu’il renferme et de prétendre que l'obligation qu’ils se sont imposée par ce serment ne peut les lier qu’envers celui avec lequel ils ont contracté d’abord, duquel ils ont reçu leur état, et que leur brevet leur étant donné par le roi, c’était au roi seul qu’était applicable l’engagement compris dans leur serment civique; comme si l’on pouvait séparer le roi de la nation ! comme si le père pouvait être étranger à la famille ! comme si leurs intérêts pouvaient être différents! Ces inculpations sont bien méprisables! elles portent bien le caractère de la malveillance et de la calomnie! mais enfin, elles existent; elles sont un principe d’inquiétudes et de désordre : il faut détruire jusqu’au prétexte; et les comités vous proposeront de décréter que, dorénavant, les brevets seront expédiés au nom de la nation et du roi, comme chef suprême de l’armée. Après ces différentes mesures, il est un objet qui a fixé l’attention de vos comités : c’est l’état d’ignorance où se trouve l’armée ; je vous en ai indiqué sommairement les causes; et voici les moyens que nous avons cru propres à rétablir l’instruction et la discipline : c’est de faire camper ou cantonner les troupes; c’est de les mettre en présence les unes des autres; c’est de faire revivre l’amour du métier par l’émulation; c’est enfin de réunir ces éléments isolés, d’en recomposer un tout, et de l’affermir par la pratique constante des exercices militaires; et par l’application rigoureuse et égale, pour tous les individus, des peines prononcées par la loi contre tous ceux qui tomberont en faute. Un grand avantage est encore attaché à cette disposition : c’est qu’elle arrachera l’armée aux villes dans lesquelles elle s’est perdue; c’est qu’elle soustraira les officiers et les soldats à la séduction des partis opposés qui les agacent, qui nourrissent entre eux la défiance, et qui finiraient par détruire sans ressource toute l’harmonie sans laquelle l’armée n’est plus qu’un corps dangereux pour la chose publique, dont elle est essentiellement destinée à constituer la force. Tels sont, Messieurs, les bases et les motifs des articles relatifs à l’armée dans le projet de décret qui va vous être soumis. PROJET DE DÉCRET. « L'Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de Constitution, militaire, diplomatique, des rapports et des recherches, après s’être fait rendre compte des différentes pétitions qui lui ont été adressées, tendant à demander le licenciement de l’armée, ou seulement celui des officiers, et déclarant qu’il n’y a lieu à délibérer sur lesdites pétitions, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Le roi sera prié de faire remplir, dans toutes les divisions et corps de l’armée, et sous le plus court délai, par les officiers de tout grade en activité, en leur qualité de fonctionnaires publics, la formalité qui sera ci-après expliquée. « Art. 2. Chaque général d’armée et chaque officier général, commandant en chef une division militaire, signera la déclaration suivante : « Je promets, sur mon honneur, d’être fidèle à « la nation, à la loi et au roi, de ne prendre part « directement ni indirectement, mais au contraire « de m’opposer de toutes mes forces à toutes « conspirations, trames ou complots qui parvien-« dront à ma connaissance, et qui pourraient « être dirigés, soit contre la nation et le roi, soit « contre la Constitution décrétée par rassemblée « nationale et acceptée par le roi; d’employer « tous les moyens qui me sont confiés par 'le3 « décrets de l’Assemblée na'ionale, acceptés ou « sanctionnés par le roi, pour les faire observer « à ceux qui me sont subordonnés par ces « mêmes décrets; consentant, si je manque à cet