[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Limoux.] gftX tête des finances de Votre Majesté, nous empêche presque, par sa bonne administration, de nous plaindre des maux que ses prédécesseurs ont causés à l’Etat. Mais il est nécessaire de se précautionner contre ses prédécesseurs. L’histoire nous apprend que plusieurs ministres des finances qui avaient malversé, ont été livrés au glaive de la justice. Ah! Sire, que cet usage salutaire revive, que la démission des ministres des finances ne soit acceptée qu’après que leur gestion aura été scrutée, punie ou récompensée suivant ses mérites. L’impôt de la capitation pèse infiniment sur vos peuples, à cause de l’arbitraire qui règne dans sa répartition ; sans doute que des temps plus heureux engageront le cœur paternel de Votre Majesté à le supprimer ou à le convertir en un autre moins onéreux. Celui de la gabelle nous expose à des Vexations inouïes: des cohortes d’employés tirés de la lie du peuple, commandés par des chefs qui prennent le titre pompeux de capitaines généraux, inquisiteurs insolents, viennent tout bouleverser dans nos maisons au nom de Votre Majesté ; et, semblables aux brigands de grands chemins, qui assomment les voyageurs qui n’ont point d’argent, ces employés nous maltraitent impunément quand ils ne trouvent pas moyen de nous faire payer des amendes. Votre Majesté connaît déjà les grands abus qui se sont glissés dans notre administration provinciale, et nous espérons de sa justice qu’ils seront réformés. Le Gode civil et criminel, embrouillé à un point que les gens de loi eux-mêmes n’v connaissent rien, puisqu’une cour casse souvent une sentence rendue par une autre, exige de grands changements. Nous croyons, Sire, devoir réclamer fortement en faveur de nos sûretés personnelles ; surtout abolissez jusqu’au souvenir même des justices seigneuriales, où les juges et les avocats, destitués au gré des seigneurs, n’osent ou ne veulent pas prêter leur ministère à ceux qui sont opprimés par les agents ou les protégés de leurs maîtres. Pour éviter que nous ne soyons ruinés par des procès qui prennent souvent naissance de peu de chose, y aurait-il d’inconvénient. Sire, d’attribuer aux officiers municipaux des communautés des campagnes, assistés de leur conseil, la connaissance des causes, surtout rurales, qui n’excéderaient pas 100 livres et qui n’exigent souvent que le sens commun pour être jugées ? Le clergé, indépendamment de ses propriétés, perçoit le dixième des fruits de nos terres; mais comme elles sont de qualité médiocre, il reçoit au moins le cinquième des revenus territoriaux qui est partagé entre notre curé et des religieux. Lorsque nos ancêtres firent, de gré ou de force, ce magnifique présent à leurs prêtres, c’était pour fournir à leur subsistance et pour distribuer le superflu aux pauvres ; mais, hélas 1 que leurs volontés sont mal exécutées ! notre curé est sourd aux gémissements des nécessiteux dont cette paroisse fourmille. Cinq moines consomment 24,000 livres de rente dont nos biens font partie. Superbement logés, les mets les plus recherchés abondent sur leur table; les dames, la noblesse des environs y sont admises ; mais les pauvres qui se présentent à leur porte sont chassés ignominieusement comme des êtres vils et méprisables qu’ils ne reconnaissent plus pour leurs frères. Usez, Sire, de grâce, de toute votre puissance pour détruire ces moines inutiles qui ont fait vœu de pauvreté et qui regorgent de richesses ; ce sont des sangsues dévorantes, des plantes parasites; et c’est chez eux que Votre Majesté trouvera un des moyens de restauration pour ses finances. Que notre curé, que nous logeons, qui a un casuel de 300 livres, ait encore une somme fixe de 1,000 livres (il aura certainement lieu d’être satisfait) ; qu’il prélève sur ce revenu un dixième pour l’entretien de son évêque. , Que nos prêtres ne se mêlent plus d’affaires 1 temporelles ; qu’ils soient sans cesse occupés à attirer sur nous les bénédictions célestes ; qu’ils s’abstiennent de vouloir dominer aux assemblées nationales, qu’ils se bornent à vivre des charités des fidèles, c’est leur institution : alors on pourra leur pardonner de qualifier de don gratuit ce dont ils feront présent à l’Etat. Sire, que Votre Majesté attire dans son trésor les revenus dont jouit mal à propos le clergé, les droits de souveraineté que nous payons injustement à nos seigneurs : les revenus de Votre Ma jesté seront triplés et nous serons allégés. Ce ne sont, Sire, qu’une partie de nos doléances; nos députés à la sénéchaussée ont des pouvoirs suffisants pour en faire de plus étendues et pour proposer des moyens plus généraux pour réformer les abus, et pour subvenir aux besoins pressants de l’Etat. Mais cette communauté est dans l’impossibilité de payer de plus fortes impositions. Si on les exigeait, nous nous verrions forcés d’abandonner nos minces propriétés et de nous expatrier, et si cette ressource nous était interdite, nous nous rendrions volontairement dans vos prisons, ou nous ne mourrions peut-être pas de faim; et dans cette triste situation, nous ne cesserions d’adresser des vœux au ciel pour la prospérité de votre règne et pour le bonheur de la patrie. Telles sont. Sire, les très-respectueuses et très-vraies doléances de vos très-fidèles sujets du tiers-état des communautés de Saint-Quintin et de Cavra. Et ont signé : J. Expert, consul de Saint-Quintin ; Autier, consul de Cavra ; B. Gournac ; P. Pons; F. Contrasty; Cathala/ Fure ; Paul Mou-nier; J. Cathala; Pons; Cathala; Luga; consul; J. Gournac; Pille; J. Cathala; Jauson ; Delen ; B. Pilles; B. Cathala ; F. Groux; Jean Cathala; Ànt. Cathala, députés. CAHIER De doléances, plaintes et remontrances particulières qui n’ont pu être contenues dans le cahier que MM. les députés de la sénéchaussée de Limoux ont présenté au Roi , et qu’expose très-respectueusement la communauté de Villefloure en Languedoc , aux bontés du monarque et à la bienveillance et sagesse du ministre qui travaille avec succès au bonheur du peuple. Cette communauté, encouragée par l’espoir de voir remédier à ses maux, vient porter aux pieds du trône les malheurs qu’elle éprouve, les torts qu’on lui fait, et vient avec confiance implorer la religion du Roi pour arrêter l’injustice qui depuis longtemps porte la misère et l’indigence chez tous les membres qui la composent; pourquoi ces cris des malheureux, qui gémissent sous le despotisme tyrannique d’un seul particulier usurpateur d’un domaine de Sa Majesté, ne seraient-ils point écoutés ? Les bontés du monarque, sa sagesse et son amour pour ses fidèles sujets doivent nous encourager à lui dire tous 586 [États gen. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Limoux.] nos malheurs, en lui présentant la vérité toute nue aux yeux de sa justice. Fait. 1° Faire rentrer au domaine de Sa Majesté un fief usurpé avec ses droits utiles et honorifiques et qui fut baillé à titre d’engagement à la communauté le 29 mai 1699 , 2° Casser des sentences et arrêts qui dépouillent Sa Majesté dudit fief; 3° Confirmer l'arrêt du conseil du 4 août 1784, qui maintient la communauté en la propriété et jouissance dudit fief sous l’albergue de 300 livres. Voilà le sujet de nos réclamations; pour convaincre la justice qu’on réclame des bontés du monarque, nous offrons de prouver par des titres invariables et bons, que le fief réclamé est le seul et véritable de l’escoux appartenant à Sa Majesté, et qu’il n’y en a jamais eu d’autre ; que toutes les manœuvres qui ont été faites contre la communauté ont été injustes et ne nous doivent point priver de nos propriétés ; et qu’en revendiquant ainsi des droits qui ne peuvent être annulés, nous demandons à Sa Majesté de condamner le sieur Joseph Airolles, ayant cause du sieur Dé-siran Cavairac, en la restitution du fief, au remboursement des frais et amendes qu’il a perçus comme il va être dit, et pour raison de tous ces attentats et entreprises, le condamner à des dommages arbitraires, à la justice du Roi. Frais , amendes et entreprises , etc. A Jean Aveza, pour avoir été faire dépaître ses troupeaux dans les vacants dudit fief, une amende de 400 livres et des frais pour plus de 1,300 livres. A la commuuauté, pour avoir pris le fait et cause, 4,600 livres de frais. À Etienne Labadie, qui avait défriché des terres vacantes dudit fief, pour 2,500 livres de frais ; lui donna ensuite ces mêmes terres sous des rentes annuelles, et l’obligea par cette voie à le reconnaître pour propriétaire de ce fief appartenant au domaine, et ne consentit à ces actes que pour se soustraire à la vexation et poursuite du sieur Airolles, qui l’aurait infailliblement perdu. A Girard Fraisse, des frais pour plus de 72 livres, et s’empara d’un terrain qu’il avait défriché dans les mêmes vacants. Après la ruine de ces malheureux, il fit une procédure criminelle à neuf cultivateurs, pour avoir été dépaître leurs troupeaux dans les terres incultes du fief, les fît condamner à une amende de 1,000 livres et à de grands frais. Il emprisonna Jean Mignard à Toulouse, où il resta deux ans ; il ne sortit de son cachot que faute de consignation d’aliments. Arnaud Rivière, convalescent, dans un état de faiblesse, fut arrêté avec toutes les cruautés que l’inhumanité peut exercer sur les hommes, et mourut peu de temps après sa détention aux prisons de Gastelnaudary. Les autres abandonnèrent leurs maisons et leurs familles, obligés de souffrir la faim et l’indigence, pour ne pas tomber entre les mains de leur ennemi commun; la mort leur paraissait moins dure que les bons traitements que leur aurait pu porter leur oppresseur. Profitant de l’état déplorable de ces malheureux qui fuyaient les poursuites et achevant leur ruine en les forçant de suspendre les travaux des terres qui étaient récoltées, et ses agents, excités par leur maître, commettent mille entreprises, notamment sur Jeanne Aveza, fille de Pierre Aveza, l'un de ces malheureux, laquelle allait conduire un troupeau d’une de ses métairies à une autre, par un chemin public, l’attaquèrent, la maltraitèrent et lui enlevèrent une partie de ses brebis, comme le tout se trouve prouvé dans la procédure d’information devant le sénéchal de Limoux. 11 fait encore plus : oubliant toute justice et ne suivant que la loi du plus fort, après s’être emparé pleinement dudit fief pour lequel cependant ladite communauté de Villefloure pave annuellement à Sa Majesté l’albergue de 300 livres et qu’elle veut toujours payer, enlève même encore dans la seigneurie de Villefloure, domaine incontestable de Sa Majesté, des champs cultivés par les habitants du lieu, seuls propriétaires rentiers du Roi, amende, saisit et pignore, les gardes des troupeaux ; en un mot, il n’est aucune entreprise qui ne soit faite par le sieur Airolles ou ses agents, entreprises qui ne prouvent que trop à quel état conduisent les passions qui n’ont point de bornes pour l’ambition. Tel est l’état déplorable des habitants de la communauté de Villefloure, et tels sont les justes sujets de nos réclamations. Veuillez, s’il vous plaît, examiner qu’en rendant justice à notre cause, c’est défendre les intérêts du monarque en ses domaines. Double motif qui doit nous déterminer à défendre nos droits. Fait, lu et dressé en l’assemblée générale de la communauté de Villefloure et écrit sous nous, Gabriel Bizia, greffier consulaire, le 16 mai 1789. Signé de Loupy, Jean-Pierre Aveza, E. Labadie, Roques, G. de Loupy. Par MM. les consuls, signé Bezia, greffier. Du 7 mai 1789.