SÉANCE DU 10 FRIMAIRE AN III (30 NOVEMBRE 1794) - N° 18 337 conduite de David ; mais lors même que les comités déclareraient qu’il y a lieu à examen, vous ne pourriez lui refuser d’être gardé chez lui par quatre gendarmes, ainsi que vous l’avez accordé à Carrier. Or, pourquoi ne lui feriez-vous pas, aujourd’hui que rien n’est encore articulé contre lui, une faveur que vous ne lui refuseriez pas lors même que les soupçons seraient plus fondés ? Je demande que David soit gardé chez lui par deux gendarmes. COREN-FUSTIER : La Convention ne peut point avoir deux poids et deux mesures. J’ignore s’il y a ou non des charges contre David ; mais je dis que, si vous élargissez David, il faudra que vous élargissiez Lebon. La Convention passe à l’ordre du jour (47). 18 Une députation de la section du Mont-Blanc [Paris] vient présenter à la Convention l’expression des sentimens dont cette section est animée. La Convention nationale décrète la mention honorable, et l’insertion en entier de leur adresse au bulletin, avec la réponse du président (48). [Extrait du procès-verbal de l’assemblée générale de la section du Mont-Blanc, Paris, du 20 brumaire l’an trois de la République ] (49) Le citoyen Alletz ayant fait a l’assemblée un discours très énergique qui a été interrompu a diverses reprises par des cris répétés, vive la République, vive la Convention nationale, l’assemblée arrête à la mention au procès-verbal l’en-voy avec quarante-sept autres sections, et nomme les citoyens Alletz, Gassicourt, Cavaignac, Lau-tour, Thibaud peintre et Venico commissaire, à l’effet de porter cette adresse à la Convention nationale; que ces commissaires seront aussi chargés d’assurer la Convention que si elle n’eut pas craint de lui faire perdre ses précieux momens, la section du Montblanc toute entière auroit été la féliciter sur les mesures sages qu’elle a prises de faire fermer les Jacobins. Cadet Gassicourt, président, DupÉRÉE, secrétaire greffier. [Députation de la section du Mont-Blanc à la Convention nationale] (50) (47) Moniteur, XXII, 635-636. Rép., n° 71 ; Débats, n° 798, 1007-1008 ; Ann. Patr., n° 699 ; C. Eg., n° 834 ;F.de la Républ., n° 71; J. Perlet, n° 798; J. Fr., n° 796; Gazette Fr., n° 1063; M.U., n° 1358; Mess. Soir, n° 834 ; Ann. R.F., n° 70. (48) P.-V., L, 206. (49) C 328 (2), pl. 1458, p. 15. J. Fr., n° 796 ; M. U., n° 1358 ; Ann. R.F., n° 70. (50) C 328 (2), pl. 1458, p. 14. ALLETZ (orateur de la députation) : La section du Montblanc nous a députés vers vous pour vous exprimer les sentimens dont elle est animée. Fidéhté inviolable à la Convention nationale ; guerre aux intrigants désorganisateurs, aux factieux conspirateurs ; guerre surtout aux scélérats opresseurs. Humanité et justice, respect et obéissance aux loix. Abnégation de tout intérêt personnel, de toutes passions particulières, amour commun du bien public. Défendre jusqu’à la mort la liberté et l’égalité, l’unité et l’indivisibüité de la République ; vivre enfin républicains ou mourir. Telle est la profession de foi de la section du Montblanc. Ces sentiments sont consignés et développés dans un discours prononcé par un de nos frères dans l’assemblée générale décadi dernier. Nous sommes chargés de vous en faire l’hommage, parce qu’il est l’expression fidelle du vœu général de la section, et elle a pensé qu’il n’en pouvoit avoir trop dè publicité. Citoyens représentans, la section du Montblanc, fidelle à la Représentation nationale, ne verra jamais sans effroi aucune société vouloir rivaliser les pouvoirs que la nation vous a conférés, et qui ne peuvent résider que dans la Convention nationale ; elle a applaudi et applaudit encore, avec tous les bons et vrais patriotes, à la sagesse de votre décret qui a suspendu les séances de la ci-devant société des Jacobins. Si nous n’avions pas craint d’interrompre la discussion importante qui, ces jours derniers, occupoit la Convention, et que vous avez terminée à la satisfaction de tout le peuple, nous n’aurions pas attendu à ce jour pour vous témoigner notre reconnoisssance. Si même, dans la circonstance actuelle, de grands rassemblemens n’étoient pas au moins inconsidérés, la section du Montblanc seroit même venue en masse vous manifester son vœu, et vous auriez entendu les voûtes de cette enceinte retentir des ces cris républicains : vive la Convention nationale, vive la République fran-çoise, une et indivisible. Cadet Gassicourt [Charles-Louis] président et 6 autres signatures. Une députation du Mont-Blanc est admise à la barre (51). L’ORATEUR : (52) : Citoyens, lorsque le règne de l’oppression est éclipsé, l’homme devenu libre ne craint plus de dire la vérité ; il la doit même à ses concitoyens. C’est sous ce rapport que je demande à en développer ici quelques-unes. J’invite l’Assemblée à ne point m’interrompre. Citoyens, de grands événemens se sont passés depuis peu de temps : l’opinion publique s’est élevée à la hauteur des sentimens républicains ; les yeux du peuple se sont dessillés ; sa voix s’est fait (51) Bull., 10 frim. (52) Bull., 10 frim. 338 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE entendre, cette voix qui, pris collectivement, n’a jamais méconnu la justice ; et la voix du peuple a prononcé anathème contre les intrigans désorga-nisateurs, contre les factieux conspirateurs, et surtout contre les scélérats oppresseurs. Oui, sans doute, nous ne pouvons nous dissimuler qu’il existoit un système de subversion, créé par cette classe d’hommes égoïstes, dont le trouble et le désordre sont les élémens, parce que n’ayant rien à perdre, ils ne cherchent qu’à profiter des déchiremens de leur patrie. Hommes affreux! d’autant plus coupables qu’ils cachent leurs desseins liberticides sous le voile sacré du républicanisme ; qu’en prêchant le civisme qu’ils dénaturent, le patriotisme qu’ils outragent, les vertus qu’ils n’ont jamais pratiquées, ils égarent et entraînent, par des phrases artistement perfides, les bons citoyens qui, éloignés par leur éducation et leur profession, de l’étude de la politique, sont obligés de se confiés à ceux qui leur paroissent plus instruits, et n’ont pas assez d’astuce pour découvrir le serpent caché sous les fleurs. Cette classe d’hommes pervers que je viens de dépeindre, et dont le tableau seul des vices souille cette tribune, se sont successivement introduits dans toutes les grandes assemblées, dans toutes les sociétés républicaines, dans les administrations révolutionnaires ; émissaires de la discorde, ils y ont secoué son flambeau ; satellites d’un tyran qui ne pouvait assez se rassasier de sang, ils ont répandu, au milieu des vrais patriotes, cette terreur qui comprime l’énergie de l’âme, et ne laisse pas même la force ni le courage de s’élever contre la tyrannie. C’est ainsi que nous avons vu notre République naissante asservie sous le joug d’un seul homme; mais cet asservissement ne pouvait durer longtemps parmi des hommes libres: l’heure de la justice a sonné : la vengeance nationale a appelé le glaive de la loi sur les têtes des anthropophages; la mort les a enveloppés, et leurs noms, couverts d’opprobre resteront gravés dans l’histoire en caractère de sang. Un nouvel ordre des choses s’est établi : l’humanité, la justice ont enfin paru à côté de la sévère exécution des lois ; des hommes vraiment citoyens, amis de leur pays, ennemis du désordre, ont été appelés aux fonctions publiques ; la Convention nationale a manifesté son vœu, fidèle expression de celui du peuple, que toutes les branches et les ramifications administratives du gouvernement, fussent confiées à des mains pures; et déjà ces intentions, présagères d’un gouvernement heureux et stable, sont en partie exécutées. Un pareil système ne pouvoit convenir aux vils sectateurs de la tyrannie; en frappant la tête de cette hydre affreuse, on n’a pas anéanti tous ses principes désorganisateurs ; et ceux qui les pratiquent, voyant se perdre pour eux l’espoir de se partager les places et l’autorité, ont imaginé de nouveaux moyens de désorganisation ; ils ont fait servir à leurs projets une grande société, pure dans son origine, mais qu’ils sont parvenus à souiller. La surveillance et la sollicitude du peuple ont été de nouveau excitées ; il a senti que si quelques pouvoirs pouvoient rivaliser un instant ceux conférés à la représentation nationale, il en résulteroit un nouveau genre d’anarchie, dont les funestes effets sont incalculables, mais se présentent d’une manière effrayante à l’imagination du vrai patriote : une société qui renfermoit dans son sein des désorganisateurs, ne pouvoit subsister; la représentation nationale a reconnu ce principe, et tous les vrais et bons républicains ont applaudi et applaudissent encore au décret qui en a suspendu les séances. Nous croyons tous que si cette société n’eût été composée que de vrais patriotes, il n’auroit pas fallu un décret pour arrêter le cours des ses séances ; les sociétés sectionnaires avoient donné à cet égard, en se désunissant, un exemple de la déférence que l’on doit à l’opinion pubbque. Et qu’on ne dise pas aujourd’hui que les patriotes sont opprimés! Remarquez ceux qui tiennent ce langage perfide : sont-ce des patriotes connus par la pureté de leur conduite dans les administrations partielles qui leur ont été confiées ? Non, sans doute. Et qui sont donc ces patriotes opprimés ? Il seroit difficile peut-être de les nommer, sans que leurs noms rappelassent le règne de la tyrannie. Citoyens, lorsque la révolution avance à grands pas vers sa fin, lorsque le gouvernement républicain se consolide, lorsque nos ennemis du dehors seront bientôt forcés de reconnoître et respecter la République française (et ce moment n’est peut-être pas fort éloigné, les succès rapides et suivis de nos armées nous en sont un sûr garant) ; c’est alors que le calme dans l’intérieur doit attirer toute l’attention des vrais patriotes, de ceux qui, comme moi, j’ose le dire, aiment sincèrement leur patrie, et veulent son bonheur. Le grand moyen d’obtenir ce calme intérieur, et de faire abnégation de tout intérêt personnel, de toutes passions particulières, pour ne s’occuper que du bien public. Ne portons nos regards que sur la Convention nationale; ne reconnoisssons que la loi et les décrets émanés de son sanctuaire, ou les arrêtés des autorités constituées à qui elle a conféré des pouvoirs. Jurons une guerre étemelle aux désorganisateurs et aux factieux, aux oppresseurs; dénon-çons-les avec courage au tribunal de l’opinion publique; elle est assise maintenant sur des bases trop pures, pour qu’elles ne soient pas inébranlables. Souvenons-nous qu’après de si longs orages révolutionnaires, le règne de la justice et de l’humanité doit reprendre son cours ; que c’est le seul moyen de terminer et de consolider à jamais une révolution dont les Français seuls étoient capables; d’en recueillir les fruits précieux, d’en éprouver les effets salutaires et bienfaisans. Mais que le calme du bonheur ne nous endorme point : ayons toujours les yeux ouverts sur ceux qui voudraient contrarier le règne de la liberté, de l’égalité, de la fraternité ; sur ceux qui voudraient encore déchirer le sein de leur pays, par des dissensions particulières, dont ils espéraient profiter ; sur ceux enfin qui en criant partout Je suis patriote, ne laissent sur leurs pas aucune trace de patriotisme et de vertu. Veillons surtout SÉANCE DU 10 FRIMAIRE AN III (30 NOVEMBRE 1794) - N08 19-21 339 au maintien des bonnes mœurs ; elles sont à la base du gouvernement républicain, elles sont à la source fécondée de toutes les vertus. Citoyens, vous avez voulu que dans le sein de vos assemblées, fussent gravés les principes qui doivent animer tous les bons républicains. Au pied de cette tribune est écrit vérité : oh ! combien de fois, elle a été altérée ! combien de fois des hommes pervers l’ont-ils souillées du mensonge et de l’hypocrisie! combien de fois les agens de la vérité y ont-ils été étouffés par les cris de ceux qui n’aiment point la vérité ! Aujourd’hui que l’oppression est disparue, que l’hypocrisie est démasquée, jurons, citoyens, de ne tenir en cette tribune et de n’y entendre que le langage de la vérité. D’un côté, je vois écrit : les mortels sont égaux : guerre et haine aux tyrans ; mettons en pratique ces deux axiomes ; jurons le maintien de l’égahté et de la fraternité ; jurons haine et guerre aux égoïstes, à tous ceux qui voudroient abuser de la liberté, pour faire ce que la loi interdit, ou pour nuire aux intérêts de leurs concitoyens et à l’intérêt général; ce sont là les désorganisa-teurs, les factieux, les tyrans de l’intérieur. D’un autre côté sont écrites ces paroles consolantes : la vertu seule fait le mérite; amour et paix aux patriotes. Jurons, citoyens, de ne reconnoître que la vertu pour guide de nos affections ; de ne point nous laisser entraîner à des réputations mensongères, fruit de la cabale et de l’intrigue, ni aux exclamations vagues de quelques orateurs qui n’ont pas en eux d’autres moyens de faire croire à leur patriotisme. Jurons, nous tous vrais patriotes, jurons de nous aimer en frères ; de rester toujours unis par le lien sacré et indissoluble de notre amour commun pour le bien public. Jurons de répandre notre sang pour le salut de notre pays ; de pardonner à nos ennemis particuliers, mais de poursuivre jusqu’au tombeau les ennemis de notre patrie et de son bonheur. Jurons enfin de ne reconnoître d’autre souveraineté que celle du peuple ; d’autre point de ralliement que la représentation nationale, en qui elle repose toute entière ; et que nos bouches, d’accord avec nos cœurs, fassent retentir cette voûte de ces cris républicains ; Vive la Convention nationale! guerre aux désorganisateurs, aux factieux, aux oppresseurs ! Vive la république une et indivisible. LE PRÉSIDENT (53) : Fameuse par les services qu’elle rendit à la révolution, la société des Jacobins de Paris vit bientôt accourir dans son sein, de toutes les parties de la République, les hommes de sang affublés de patentes de patriotisme exclusif, et se déchaînant principalement contre les citoyens qui servirent la révolution dès son aurore. Sous cette enseigne, il fût facile aux brigands couronnés de signaler ceux qui pou-voient servir leurs complots contre la liberté. Vous ne me démentirez pas, Chaumette, Hébert, Ronsin, Robespierre, Couthon, ni vous qui vouliez vous saisir des rênes du gouvernement après la mort des triumvirs ; n’étiez-vous pas Jacobins (53) Bull., 10 frim. (suppl.). de Paris? La Convention nationale, chargée de maintenir la souveraineté du Peuple, a donc dû disperser ceux qui vouloient y porter atteinte ; les louanges qu’elle reçoit, prouvent que le vœu universel a été rempli. 19 Le citoyen Dumoutier, sous-lieutenant au bataillon des cinq sections réunies de Paris, ayant eu la jambe gauche emportée par un boulet de canon, en combattant les brigands de la Vendée, vient offrir à la Convention d’employer ce qui lui reste de forces et de moyens au service de la République. Il demande, en conséquence, dans les bureaux de la Convention, un emploi analogue à ses talens. Le pétitionnaire est invité aux honneurs de la séance, et la Convention renvoie la pétition au comité des Inspecteurs de la Salle (54). 20 La Convention renvoie au même comité [des Inspecteurs de la Salle] une demande semblable faite par le citoyen Dirant, ci-devant fourrier au troisième régiment d’artillerie (55). 21 Un députation des citoyens de la section de la Liberté, commune de Dijon [Côte-d’Or], présente, au nom de cette section, une adresse qui contient l’expression fidèle de leurs sentimens ; la Convention en décrète la mention honorable et l’insertion en entier au bulletin (56). [La section de la Liberté, commune de Dijon à la Convention nationale, s.l.n.d .] (57) Représentans du peuple français, Déjà la section de la liberté commune de Dijon vous a manifesté dans une précédente adresse les sentimens dont elle a toujours été animée, elle renouvelle en ce jour le serment de ne point abbandonner ces représentans. Recevés-le ce serment qui deviendra fatal à tous les factieux dont nous vous demandons l’expulsion, qu’ils soient à jamais bannis ces hommes avides de pouvoir et du sang de leurs concitoiens, ces êtres immoraux (54) P.-V., L, 206-207. (55) P.-V., L, 207. (56) P.-V., L, 207. (57) C 328 (2), pl. 1458, p. 16.