374 [Assem blée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qu’on passe sur-le-champ à la discussion des dix premiers articles. Cette proposition est adoptée. M. Démeunier lit les dix premiers articles qui sont les suivants: TITRE PREMIER. Articles constitutionnels. Art. 1er. L’ancienne municipalité de la ville de Paris, et tous les offices qui en dépendaient, la municipalité provisoire, subsistant à l’Hôtel-de-Yille ou dans les sections de la capitale, connues aujourd’hui sous le nom de districts, sont supprimés et abolis, et néanmoins la municipalité provisoire et les autres personnes en exercice continueront leurs fonctions jusqu'à leur remplacement. Art. 2. Les finances des offices supprimés seront liquidées et remboursées, savoir : des deniers communs de la ville, s'il est justifié que ces finances aient été versées dans sa caisse; et par le Trésor public, s’il est justifié qu’elles aient été payées au roi. Art. 3. La commune ou la municipalité de Paris sera renfermée dans l’enceinte des nouveaux murs; mais les boulevards que l’on construit en dehors de ces murs feront partie de son administration. Art. 4. La ville de Paris observera, en ce qui peut la concerner, les règles établies par les articles 2. 3, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19, 26, 31, 34, 37, 39, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 53, 54, 56, 57, 58, 59, 60, 61 et 62 du décret du 14 décembre, sur l’organisation de toutes les municipalités du royaume, sans préjudice de quelques dispositions nouvelles, ajoutées dans les articles suivants aux dispositions des articles que l’on vient de citer. Art. 5. La municipalité sera composée d’un maire, de seize administrateurs, dont les fonctions seront déterminées au titre second, de trente-deux membres du conseil, de quatre-vingt-seize notables, d’un procureur de la commune, de deux substituts qui seront ses adjoints et exerceront ses fonctions à son défaut. Les législatures pourront changer le nombre et la proportion des membres du corps municipal, ainsi que Je nombre et la proportion des notables. Art. 6. La ville de Paris sera divisée, par rapport à sa municipalité, en quarante-huit parties, sous le nom de sections, qu’on tâchera d’égaliser, autant qu’il sera possible, relativement au nombre des citoyens actifs. Art. 7*. Ces quarante-huit sections ne pourront être regardées que comme des sections de la commune. Art. 8. Elles formeront autant d’assemblées primaires, lorsqu’il s’agira de choisir les électeurs qui devront concourir à la nomination des membres de l’administration du département de Paris ou des députés que ce département doit envoyer à l ’Assemblée nationale. Art. 9. Les citoyens actifs ne pourront se rassembler par métiers, professions ou corporations, ni se faire représenter; ils se réuniront sans aucune distinction, de quelque état et condition qu’ils soient, et ne pourront donner leur voix que dans la section dont il feront partie à l’époque des élections. Art. 10. Si une section offre plus de neuf cents 13 mai 1790.] citoyens actifs présents, elle se formera en deux assemblées qui nommeront chacune leurs officiers, mais qui, après avoir dépouillé séparément le scrutin de l'une et de l’autre division se réuniront par commissaires pour n’envoyer qu’un résultat à l’Hôtel-de-Ville. M. Bengy de Buy vallée (1). Messieurs, avant de passer à l’examen approfondi du plan d’organisation de la municipalité de Paris, qui vous est présenté par votre comité de constitution, je crois qu’il est important d’établir les principes généraux qui doivent servir de base au régime municipal, de déterminer d’une manière précise la nature du gouvernement français, de combattre quelques assertions articulées par la commune de Paris, qui me paraissentcontraires à l’esprit de vos décrets, enfin de prévenir les erreurs dans lesquelles les citoyens pourraient être entraînés par une opinion exagérée sur les droits qui appartiennent aux cités, el sur la nature du pouvoir municipal. La commune de Paris vous a successivement présenté une adresse et un règlement dans lesquels elle a exprimé son vœu formel sur l’organisation de la municipalité qu’elle désire d’établir. Elle a invoqué les maximes de la politique, l’intérêt de la liberté, le maintien de vos décrets, pour vous faire sentir l’importance qu’elle attache à l’exécution de son règlement. Elle a développé les principes qui constatent les droits des cités; elle vous a dit qu’à raison du droit de propriété, elle avait le pouvoir de disposition d’administration et de règlement; qu’à raison du droit de sûreté et de résistance à l’oppression, elle avait le pouvoir de police et de force militaire; elle vous a dit que les cités devaient être libres comme les hommes, que les cités sont dans l’Etat ce que les familles sont dans les cités, que chaque famille est maltresse de régler à son gré son économie intérieure, qu’ainsi chaque cité a le droit de s’organiser comme il lui plaît. J’avoue, Messieurs, que d’après l’énumération des droits et la plénitude des pouvoirs que la ville de Paris réclame, si quelque chose m’étonne, c’est qu’elle soumette aujourd’hui le régime intérieur et municipal qu’elle veut établir, à l’examen et à la discussion de cette Assemblée ; car si la commune de Paris, à raison de l’idée qu’elle s’est formée de sa liberté, a, comme elle le dit, le libre exercice des pouvoirs qu’elle s’attribue, l’Assemblée nationale ne peut ni ne doit porter atteinte à sa liberté, et par conséquent l’Assemblée ne peut restreindre l’usage qu’elle juge à propos d’eo taire aujourd’hui. Mais puisqu’il est encore permis aux membres du Corps législatif d’approfondir les caractères qui distinguent la liberté des cités, d’examiner la nature du pouvoir et du régime municipal, je vais essayer, en m’appuyant sur les saines maximes du droit public, 'sur les véritables principes du gouvernement monarchique, de vous prouver que les cités sont une partie intégrante du corps politique, que les municipalités dans l’exercice de toutes leurs fonctions, doivent être dépendantes de l’administration générale du royaume; de vous montrer que la nation française n’a point séparé le pouvoir municipal des pouvoirs nationaux, qu’elle ne s’est point réservé un pouvoir intermédiaire et municipal, pour en dis-(1) L’opinion de M. Bengy de Puyvallce n’a pas été insérée au Moniteur . 375 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.] poser au gré de chaque cité, que la municipalité de Paris doit être assujettie à un régime uniforme et absolument subordonné, et qu’enfin elle doit être soumise à la surveillance, comme elle l’est à la puissance publique. Pour procéder avec méthode, je ramènerai d’abord la question à son véritable point de vue, en discutant les principes sur lesquels reposent le régime municipal, et en indiquant les applications erronnées qu’on en a fait. Je ferai voir ensuite que les bases constitutionnelles que l’Assemblée nationale a établies par ses décrets, sont les conséquences nécessaires de ces mêmes principes; enfin, je prouverai que la commune de Paris les a absolument perdus de vue, et qu’il serait impolitique et dangereux de permettre qu’elle s’en écartât dans l’organisation qu’il faut donner à sa municipalité. La commune de Paris, pour vous donner une idée de la nature et de l’indépendance du pouvoir qui appartient aux cités, l’a très ingénieusement comparé avec le pouvoir qu’un père exerce dans l’intérieur de sa famille ; elle vous a dit que les municipalités étaient l’image du gouvernement paternel ; cette assertion a été si souvent préconisée dans cette tribune, qu’il me paraît important de l’approfondir aujourd’hui. Je soutiens donc, Messieurs, qu'on ne peut établir de comparaison entre le gouvernement paternel et le régime municipal ; et quand bien même il y aurait une ressemblance entre ces deux régimes, c’est de cette même ressemblance que je tirerais la preuve que les cités et les municipalités ne peuvent se donner un régime indépendant. Et d’abord je dis qu’on ne peut établir de comparaison entre le pouvoir paternel et le pouvoir municipal. Pour comparer ces deux pouvoirs, il faut examiner qu’elle en est la source, l’espèce et la durée; enfin, quels en sont les effets. Un père tient de la nature l’empire absolu qu’il exerce sur sa famille; il ne connaît d’autre règle que sa volonté ; il ne doit compte à personne de sa gestion; la durée de son autorité n’a de bornes que la raison , sa puissance n’est tempérée que par la tendresse; toujours libre, toujours maître, il n’a de guide et de frein que le sentiment de son coeur. Le pouvoir municipal, au contraire, est absolument l’ouvrage arbitraire de la convention, c’est-à-dire de la loi; c’est elle qui en détermine l’étendue, l’exercice et la durée ; c’est la loi qui en circonscrit les prérogatives et les devoirs ; l’officier municipal, dépositaire de la confiance publique, est responsable de sa conduite et de l’abus qu’il peut faire de l’autorité déposée entre ses mains ; il contracte vis-à-vis de ses commettants, vis-à-vis de la nation, des obligations qu’il ne peut enfreindre sans se rendre coupable ; toute négligence de sa part est un tort, toute injustice est un crime. Ainsi, soit qu’on considère la source, la durée ou les effets du gouvernement paternel et municipal, il n’y a absolument aucune ressemblance. Mais je suppose que ces deux régimes soient aussi rapprochés qu’ils sont discordants, c’est de là même que je tire la preuve que le pouvoir municipal doit être subordonné au pouvoir administratif. Lorsque plusieurs familles se sont réunies pour former un village, elles ont eu pour objet, d’établir entre elles des rapports d’intimité et d’intérêt, de s’entr’aider par des secours réciproques, de se soutenir par la réunion de leurs forces ; elles ont senti que pour garantir leurs propriétés, pour entretenir parmi elles l’union et la paix, pour assurer leur tranquillité et leur bonheur, elles devaient s’assujettir à des lois cpmmunes, et s’astreindre à un régime municipal ; de même, lorsque plusieurs municipalités ont voulu former un canton, une province, un royaume, pour multiplier leurs rapports, pour augmenter leur puissance, enfin pour accroître leur existence politique, elles ont dû également faire un pacte social, par lequel chaque municipalité s’est mise sous la sauvegarde d’une loi commune, et sous l’empire d’un pouvoir général. Si chaque famille, pour l’intérêt de son bonheur, s’est assujettie à la police de sa municipalité, chaque municipalité, pour son propre avantage, s’est soumise à l’administration de sa province; ainsi, le véritable trait de ressemblance qui existe entre une famille et une municipalité, prouve invinciblement que le régime municipal ne peut pas être indépendant. Examinons maintenant le pouvoir municipal dans l’ordre politique et voyons si un troisième pouvoir distinct et séparé, tel que le pouvoir municipal, peut s’allier avec les principes et la constitution d’un Etat monarchique. Il ne faut pas perdre de vue, Messieurs, que, par vos précédents décrets, vous avez consacré deux principes constitutionnels : Le premier, que la France est un Etat monarchique. Le second, que dans un Etat monarchique on distingue deux pouvoirs : le pouvoir législatif, qui est exercé parles représentants de la nation, de concert avec le roi ; le pouvoir exécutif, qui réside essentiellement entre les mains, du monarque. Voilà, Messieurs, le partage que vous avez fait de la souveraine puissance que la nation vous a permis d’exercer en son nom. Voilà les deux bases sur lesquelles vous avez cru pouvoir établir la liberté nationale. Vous avez senti que le caractère distinctif d’une monarchie était l’empire de la loi ; mais, en même temps, que sa perfection était la promptitude dans l’exécution, l’uniformité dans les mouvements, et surtout l’indépendance et l’unité dans les rapports. C’est d’après cela, qu’en déférant, aux représentants seuls de la nation, le droit de proposer et de rédiger la loi, vous avez voulu que le roi fût seul revêtu de la majesté nationale, qu’il fût seul dépositaire de l’autorité publique, que soumis lui-même à l’empire de la loi, il en assurât l’exécution et en garantît l’obéissance. Ces principes, que j’ai puisés dans la sagesse de vos délibérations, suffisent pour résoudre la question sur la dépendance du régime des municipalités; ou plutôt il me semble qu’il n’y a de difficultés que parce que la commune de Paris a confondu les règles et les principes du gouvernement monarchique, avec le régime intérieur des Etats fédératifs. Le plus petit développement suffira pour vous en convaincre. Lorsque plusieurs pro vinces se sont réunies pour former une association fédérative, elles n’ont conféré, dans la masse commune, qu’une partie des pouvoirs nécessaires pour former un gouvernement général, pour édifier une force publique ; elles se sont réservé une portion des pouvoirs législatifs et exécutifs, pour régir et administrer l’intérieur de chaque province, d’après les règles et les lois qui seraient l’ouvrage de la volonté libre ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 376 [Assemblée natioaale.j et indépendante des citoyens de chaque canton ; aussi, Messieurs, voyons-nous que dans les cantons suisses, dans les Etats-Unis de l’Amérique, il n’y a aucune uniformité dans le régime intérieur de chaque canton. Chaque petit Etat se conduit d’après ses lois et ses usages particuliers, parce qu’il s’est réservé une portion de sa souveraineté, dont il n’a pas conféré en masse la plénitude, mais seulement une partie déterminée. C’est le cas de dire, avec la commune de Paris, qu’il ne faut pas confondre dans les Etats fédératifs le pouvoir municipal avec le pouvoir national, ou plutôt ce ne sont pas deux pouvoirs, ce sont les mêmes pouvoirs qui sont séparés, et cette séparation du pouvoir municipal avec les pouvoirs nationaux, est positivement le seul vice inhérent à une constitution fédérative, et le germe toujours subsistant de la dissolution d’un pareil gouvernement. Mais il n’en est pas de même dans un Etat monarchique bien organisé ; sa perfection consiste dans son unité et dans la liaison intime de toutes les parties qui la composent. Lorsqu’une nation choisit un Etat monarchique, elle confère en masse la plénitude de sa souveraine puissance ; elle s’assujettit tout entière à l’empire des mêmes lois, au même régime administratif judiciaire et municipal, elle ne peut et ne doit reconnaître que deux grands pouvoirs indépendants. Le chef-d’œuvre de sa constitution consiste à savoir fixer irrévocablement les bornes qui doivent pour jamais séparer ces deux pouvoirs, à balancer avec art l’influence qu’ils doivent avoir sur les opérations du corps politique. L’exercice du pouvoir législatif, qui constitue la souveraineté, doit être confié à un corps toujours subsistant ; le pouvoir exécutif suprême doit être remis entre les mains d’un monarque, et ce serait une grande erreur politique que de dire que la nation s’est réservé un troisième pouvoir ; car admettre trois pouvoirs dans une monarchie, ce serait confier la liberté à trois tyrans politiques. En effet, Messieurs, si toutes les parties d’un grand empire n’étaient pas dirigées vers un centre d’unité, si elles n’étaient pas soumises à une égale surveillance, si elles n’étaient pas contenues et réprimées par une force supérieure; en un mot, si l'autorité qui commande au nom de la loi, était paralysée ; si la volonté qui agit n’était pas une, on éprouverait de toutes parts que choc et résistance ; il n’y aurait plus dans l’empire que désordre et confusion ; et, par le seul défaut d’harmonie, on verrait succéder l’anarchie au gouvernement monarchique, dont vous avez voulu consacrer l’existence. Lorsqu’il s’agit, Messieurs, de donner aux empires une constitution durable, il faut observer la société dans ses grands et immuables rapports. Le but essentiel de tous les gouvernements est le maintien des lois ; les citoyens ne se sont jamais réservé le droit d’y désobéir, et la plus dangereuse de toutes les erreurs, c’est qu’un peuple et une cité ne voient dans le pouvoir suprême qui commande au nom de tous, que la contrainte et la gêne que le pouvoir prescrit, sans considérer l’autorité tutélaire qui fortifie la liberté publique et individuelle. A toutes ces considérations, il s’en joint une autrebien plus importante encore, parce qu’elle décide absolument la question. La souveraine puissance réside essentiellement et incontestablement dans la nation ; vous avez consacré ce principe et c’est de ce principe fondamental que je tire une nouvelle preuve que les 13 mai 1790.] municipalités doivent être subordonnées au pouvoir administratif. 11 n’v a, à proprement parler, de pouvoirs véritables dans une monarchie, que ceux qui s’exercent constamment et uniformément par la nation, ou par ses délégués, sur toutes les parties du corps politique ; le pouvoir législatif, par exemple, qui est une émanation de la souveraine puissance, assujettit à son empire tous les individus ; de même le pouvoir exécutif s’exerce au nom delà nation sur tous les sujets indistinctement: le pouvoir municipal, au contraire, ne s’exerce que sur des parties distinctes et séparées du royaume: c’est donc un pouvoir partiel et secondaire, par conséquent, un pouvoir subordonné aux pouvoirs généraux: autrement la nation, en qui réside la souveraine puissance, n’exercerait pas la plénitude des pouvoirs sur toutes les parties de l’empire, puisqu’il existerait un pouvoir indépendant de sa puissance souveraine. D’où il résulte évidemment que tout pouvoir qui ne s’exerce pas sur toutes les parties du corps politique, n’est qu’un pouvoir partiel et subordonné aux pouvoirs généraux qui constituent la souveraineté de la nation; ou plutôt, Messieurs, tout pouvoir secondaire, tel que le pouvoir municipal, n’est qu’une émanation des pouvoirs généraux, qui sont seuls de l’essence d’une monarchie (1). La commune de Paris, qui semble avoir perdu de vue, dans son projet de règlement, les principes d’un gouvernement monarchique, est cependant forcée de les reconnaître dans son adresse à l’Assemblée; et, par des assertions opposées et discordantes, elle tombe en contradiction avec elle-même. D’un côté, par son règlement, elle soutient que chaque cité a le droit de s’organiser comme il lui plaît ; parce que chaque cité ayant un droit incontestable à sa liberté, a le libre exercice de tous les pouvoirs qui dérivent du droit de propriété, de sûreté et de résistance à l’oppression ; et la nomenclature qu’elle fait de tous ces pouvoirs établit l’indépendance la plus absolue; d’un autre côté, dans son adresse, elle est forcée de convenir qu’elle ne peut s’écarter de la loi constitutionnelle de l’Etat ; mais cette loi constitutionnelle détermine les bases de l’organisation municipale; elle fixe la liberté municipale dans des bornes politiques; elle établit une hiérarchie de pouvoirs. La commune de Paris, de son propre aveu, n’a donc pas le libre exercice de tous les pouvoirs qu’elle s’attribue; elle n’a donc pas le droit de s’organiser comme il lui plaît; elle est donc soumise à l’administration générale. Développons encore cette idée. La commune de Paris ainsi que les autres communes du royaume (qui ont incontestablement les mêmes droits), ne pourraient, à raison de leur liberté, exercer la plénitude de l’autorité municipale, qu’autant que la nation n’aurait pas confondu le pouvoir municipal dans la masse commune des pouvoirs, qu’elle a délégué à ses représentants, mais si la nation s’était réservé une portion de pouvoirs indépendants pour régler à son grêles affaires intérieures et domestiques de chaque cité, l’Assemblée nationale n’aurait pas eu le droit d’organiser les mu* (1) L’application que je fais de ces principes au régime municipal, peut s’adapter également à l’organisation du pouvoir judiciaire et de la force publique, parce que les éléments de l’ordre social dérivent de la même source. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790], 377 ïiicipalités; c’eût été pour elle l’arche sacrée à laquelle elle n’aurait pas pu porter la main. chaque cité, chaque village, aurait pu régler et modifier à son gré son régime municipal. Au contraire, la nation a senti l’inconvenance (l’un régime arbitraire ; fidèle aux principes de l’unité monarchique, elle a donné à ses représentants le mandat positif d’organiser les municipalités. Le Corps législatif, de concert avec le roi, interprète et organe des volontés nationales, ont déjà fixé la forme de leur constitution, leur ont donné un régime uniforme et politique. La nation n’a donc ni distingué, ni réservé le pouvoir municipal; il est donc une émanation des pouvoirs nationaux. La commune de Paris, soumise comme le reste du royaume, aux règles générales et constitutionnelles, n’a donc point, à raison de sa liberté, l’exercice indépendant des do-voirs qu’elles veut s’attribuer. Après avoir développé les principes du gouvernement français, et relevé les erreurs qui résultent de l’application que la commune de Paris en a fait, je dois faire voir que les bases constitutionnelles que l’Assemblée nationale a décrétées, sont les conséquences nécessaires des principes que j’ai établis. Le premier pas que l’Assemblée nationale a fait vers la liberté, a été de séparer la souveraine puissance de la nation en deux pouvoirs généraux, qui sont de l’essence d’une monarchie : le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, auxquels aboutit la hiérarchie de tous les pouvoirs secondaires. Si, d’après le vœu formel de la nation, l’Assemblée a reconnu que la plénitude du pouvoir exécutif devait être remise entre les mains d’un monarque, elle a en même temps considéré ce pouvoir suprême sous tous les rapports qui pouvaient le rendre dangereux pour la liberté civile et politique; élle l'a divisé, et, pour ainsi dire, décomposé en trois pouvoirs secondaires : le pouvoir administratif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir militaire. L’Assemblée à cru qu’il était d’une sage prévoyance de circonscrire dans de justes bornes l’exercice de ces différentes branches de pouvoir. Elle a porté ses premiers regards sur le pouvoir administratif, elle a reconnu qu’un des attributs du chef de l’empire, était d’être le suprême administrateur du royaume, que c’est lui qui devait donner le mouvement et la vie à toutes les parties du corps politique ; mais elle a senti que si ce mobile universel devait embrasser toutes les branches d’administration, il était important qu’il ne pût employer, pour remplir ces augustes fonctions, que des agents fidèles qui réunissent l’estime et la confiance des peuples. Une funeste expérience avait appris à tous les membres de cette Assemblée combien il importe pour le maintien delà liberté civile et politique de ne pas confier les parties les plus importantes de l’ordre public à l’administration arbitraire d’agents inamovibles, sujets a l'erreur qui n’avaient ni contradicteurs ni surveillants, qui ne devaient compte de leur conduite qu’à l’autorité dont ils étaient chargés d’étendre l’empire, et qui laissaient souvent les fonctions les plus importantes de leur ministère entre des mains infidèles et subalternes. Pour prévenir les abus du pouvoir administratif, l’Assemblée nationale a pensé qu’il était de sa sagesse de confier le régime intérieur des cités, l’administration particulière des provinces, à des corps toujours subsistants, revêtus d’un caractère vraiment national, chargés de remplir des fonctions uniformes, dont les membres, toujours soumis à la censure de l’opinion, seraient sourds à la voix de l’intrigue, insensibles à la crainte, n auraient d’autre but que l’estime publique, d autre intérêt que celui de la justice. L'Assemblée nationale a eu particulièrement pour objet que lœii attentif du monarque ne fût plus éclairé par les yeux d’un seul homme, qu’il n’y eut plus d intermédiaire entre le roi et son peuple, et qu’il lut assuré de trouver dans des sujets fidèles et soumis, des coopérateurs zélés pour faire exécuter les lois dont il est l’organe et pour assurer le bonheur d’une famille dont il est le père. C’est d’après une connaissance approfondie des droits des nations et de la nature des gouvernements, que l’Assemblée nationale a déterminé l’organisation des corps administratifs. Elle a voulu que les municipalités, sous l’inspection et la surveillance des assemblées de district, fussent chargées de régir et d’administrer les affaires intérieures et domestiques des villes et communautés ; que les assemblées de district, subordonnées aux assemblées de dépar-tenaent, s’occupassent avec soin de tous les détails relatifs au bonheur, à la tranquillité et à l’intérêt des peuples de leur arrondissement ; enfin, que les assemblées de département fussent tenues de porter un œil attentif sur tous les objets de bien public, qui leur seraient confiés, qu’elles reçussent directement les ordres du roir et qu’elles formassent le premier anneau de la chaîne d’obéissance et de subordination qui doit s’étendre depuis le chef de l’empire, jusqu’au dernier citoyen. Le pouvoir administratif ainsi organisé, loin d’affaiblir la liberté civile et politique, doit, pour j amais, en garantir la jouissance et en perpétuer la durée. Tels sont, Messieurs, l’ordre et l’harmonie politique que vous avez établis dans le régime administratif. Les bases constitutionnelles sur lesquelles repose cet édifice national, sont l’uniformité et l’unité monarchique, qui sont les conséquences nécessaires des principes que j’ai établis. Il me reste à faire voir l’inconvenance et les dangers de l’organisation que la commune de Paris vous propose de donner à sa municipalité, et surtout les inconvénients qui résulteraient de la permanence de ses districts. J’aborde d’abord la question de la permanence. Que penserez-vous, Messieurs, d’une grande nation qui, voulant se donner une constitution durable, établirait, dans chaque province, un Corps législatif permanent, composé de tous les citoyens de chaque arrondissement ; d’une nation qui, pour se donner des lois uniformes, au lieu de confier ses pleins pouvoirs à des représentants, réunis dans un même lieu, se contenterait d’y rassembler les délibérations incohérentes de chaque province, et qui formerait l’expérience de la volonté générale, du calcul incomplet de décisions partielles qui auraient été prises séparément. Certainement, dans un pareil ordre de choses, le patriotisme et l’amour du bien général, qui sont les puissants mobiles des sociétés, seraient bientôt éteints et remplacés par des prétentions exagérées et par des divisions, suites inévitables du choc des intérêts opposés. Yoilà cependant l’image de l'institution politique que la commune de Paris vous avait d’abord présentée. La commune, composée de tous les citoyens actifs qui sont dans son sein, aurait [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3mail790.] 378 voulu être formée en assemblée générale permanente : elle se serait divisée en 60 districts, toujours en activité. Chaque district, délibérant séparément, aurait exprimé son vœu particulier et tout ce qui aurait été décidé par la majorité des districts, aurait formé la décision de la commune. J’observerai d’abord que, dans ce système, chaque citoyen étant une partie intégrante” de son district, et chaque district, une partie intégrante de la commune, il en aurait résulté que tout le monde dans Paris aurait été administrateur et que personne n’aurait été administré. Il me semble ensuite que le premier caractère d’un corps délibérant, c’est la réunion des membres qui doivent délibérer; en effet, ce n’est que par la communication des pensées, des lumières et connaissances qu’on peut parvenir à envisager une question sous tous ses rapports, qu’on peut lui donner tous les développements dont elle est susceptible, qu’on peut enfin obtenir un résultat sage et uniforme, par le rapprochement des esprits et par le sacrifice des intérêts particuliers à l’intérêt général. Au lieu de suivre cette marche simple, indiquée par l’expérience et la raison, on propose de faire délibérer 60 districts permanents, chacun séparément : qu’arriverait-il , Messieurs? c’est que la délibération de chaque district étant appuyée sur des bases différentes, sur des convenances locales, sur des intérêts opposés, il y aurait une disparité frappante dans les décisions; c’est que les avis isolés de chaque district pourraient les uus demander des restrictions, les autres contenir des amendements, tous enfin être si diversement conçus et tellement modifiés, qu’il serait presque impossible de connaître et d’exprimer le vœu général de la commune, en faisant le recensement des opinions partielles de chaque section. Alors il faudrait provoquer des explications, demander des interprétations, faire des mémoires, entendre des répliques ; et pendant tous ces débats que deviendrait la chose publique? quels entraves pour l’expédition des affaires de la commune? chaque opinion diverse aurait autant de défenseurs acharnés qu’elle aurait eu de partisans : la rivalité d’abord, l’aigreur ensuite, enfin l’animosité, la passion échaufferaient les esprits, diviseraient les cœurs toujours aux dépens du bien général et au détriment de la paix et de la tranquillité publique. Chaque district élèverait des prétentions, s’attribuerait le droit d’exercer une censure amère sur les opinions individuelles, sur tous les genres d’administration, sur les jugements des tribunaux, sur les opérations du gouvernement; et l’opinion publique, toujours incertaine et flottante entre les écarts de l’enthousiasme et les prestiges de l’erreur, ne saurait jamais à quels traits elle pourrait distinguer la vérité d’avec le mensonge. Il ne faut, Messieurs, que connaître la marche du cœur humain pour savoir que le patriotisme même égare souvent les meilleures intentions. On nous dit que la permanence et l’activité des districts attacheraient les honnêtes citoyens à l’administration de la chose publique ; et moi, Messieurs, je dis que la permanence produirait un effet absolument contraire. Pour juger sainement les hommes, il ne faut pas se porter à des moments d’effervescence où tous les esprits sont exaltés; il faut les considérer avec tout le calme de la raison. Chaque citoyen, étant une partie intégrante de son district, aurait le droit d’assister à chaque assemblée générale; chaque assemblée serait com posée de trois ou quatre mille citoyens. Ne serait-ce pas le cas de dire avec M. le maire de Paris, mais dans un sens absolument opposé, que lorsque tout le monde se mêlerait des affaires, personne ne s’en occuperait directement, qu’on y porterait je ne dis pas des distractions et de l’ennui, mais au moins de l’indifférence? n’est-il pas d’une vérité palpable que l’intérêt que l’on met à une chose, augmente ou diminue en raison du nombre de ceux à qui elle est confiée, et que le zèle a besoin d’avoir pour aliment le devoir qui commande et l’honneur qui conduit; maisje suppose que tous les citoyens soient assidus à se rendre aux assemblées. J’en appelle à votre expérience, Messieurs; croyez-vous que, dans une assemblée aussi nombreuse, on pût approfondir avec soin les questions importantes, les discuter avec maturité, les présenter avec ordre, sous tous leurs aspects; et enfin qu’il pût jamais sortir du sein d’une multitude confuse des délibérations dictées par la sagesse et la raison ? Croyez-vous que le mérite, les talents et les vertus” pourraient jamais percer une foule importune ? l’homme honnête et tranquille garderait un modeste silence, s’éloignerait du tumulte et n’aurai t souvent que de stériles regrets à former sur le sort de sa malheureuse patrie. C’est alors qu’on verrait se développer tous les ressorts de la cabale, toutes les fureurs de l’envie; il se tramerait des intrigues ; il s’établirait des coalitions; on voudrait maîtriser les pensées, captiver les suffrages, subjuguer les opinions; et le vaisseau municipal, agité dans tous les sens, finirait par venir se briser contre l’écueil funeste des partis opposés. On me dira peut-être que ces inconvénients se feraient également sentir dans un conseil muni-pal, tel qu’il est organisé pour le régime intérieur des villes de province. Non, Messieurs, un conseil municipal n'aurait rien de pareil à redouter, parce que le jeu des passions, en agissant sur un corps moins nombreux, serait beaucoup plus aisément réprimé par le patriotisme, parce que ce corps, composé de l’élite des citoyens de la cité de Paris, serait moins en butte aux agitations tumultueuses delà séduction et de l’erreur, enfin parce que les efforts de la malveillance et de l’intrigue, qui ne peuvent exciter que des secousses passagères dans un conseil municipal, pourraient, au contraire, par leur influence perfide, occasionner les ravages les plus destructeurs sur soixante assemblées délibérantes. Enfin, Messieurs, lorsque l’Assemblée nationale a voulu que les communes déléguassent l’exercice du pouvoir municipal à des agents appelés par leur choix et dépositaires de leur confiance, elle a eu particulièrement en vue de consolider les principes sur lesquels reposent la liberté publique et l’égalité politique, d’entretenir l’esprit de concorde, d’exciter les sentiments patriotiques et surtout d’écarter de l’administration tous ceux qui seraient d’une probité suspecte, d’une humeur peu conciliante et d’une capacité douteuse. Le but que l’Assemblée nationale s’est proposé serait absolument manqué si les districts de Paris étaient déclarés permanents. Non seulement les gens flétris par la dépravation de leurs mœurs, par l’opinion publique, les intrigants, les ambitieux, ne pourraient être exclus des assemblées, puisque tous les citoyens auraient le droit d’y être admis, mais ils auraient [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.J bientôt forcé les honnêtes gens à s’en retirer. Ils ne tarderaient pas à y exercer l’empire le plus absolu, parce qu’ils ne seraient ni délicats dans le choix de leurs moyens, ni contenus dans l’exécution de leurs projets. La commune de Paris, à l’appui de son projet de règlement, invoque tout à la Ms l’intérêt de sa liberté et la conquête qu’elle en a fait. Mais la liberté des cités ne peut jamais reposer sur l’indépendance; elle consiste dans l’accomplissement et l’observation de la loi. Si la ville de Paris, au moment de sa conquête, pour parler son langage, a été obligée de substituer à une administration arbitraire un régime indépendant, le retour de l’ordre doit être le signal de la soumission à la loi et le cri de ralliement à l’autorité légitime, n’est-il pas d’une vérité politique incontestable, qu’une nation, qu’une cité ne peuvent conserver leur liberté avec les mêmes moyens qu'elles ont employés pour la conquérir? Que si elles l’ont conquise par la force, elles ne peuvent la conserver que par la loi. N’est-ce pas, Messieurs, par le sacrifice de tous les intérêts, par la balance de tous les pouvoirs, par une organisation uniforme de toutes les parties du corps politique, que vous parviendrez à ce terme heureux de vos travaux, où le patriotisme ne sera plus aux prises avec l’enthousiasme, où la liberté ne sera plus profanée par la licence, où le bonheur établira son empire dans le sein de l’ordre et de la paix! La commune de Paris prétend encore que par son projet de règlement et par la permanence de ses districts, elle ne s’écarte pas des bases constitutionnelles que vous avez établies pour l’organisation des municipalités. La commune de Paris a-t-elle donc perdu de vue que l’Assemblée nationale dans son décret sur les municipalités, article 49, a divisé le pouvoir municipal en fonctions propres et déléguées; qu’elle a soumis les uns à la surveillance, les autres à l’autorité des corps administratifs. Que l’Assemblée, par l’article 54, a fait l’énumération des fonctions dont l’attribution exclusive appartiendrait au conseil général de la commune et que, par l’article 56, elle a ordonné que toutes les délibérations qui en émaneraient, ne pourraient être exécutées qu’avec l’approbation des corps administratifs. Que, par l’article 57, elle a exigé que tous les comptes de la régie des bureaux municipaux, après qu’elles auraient été reçus par le conseil municipal, seraient vérifiés par les corps administratifs. Que, par l’article 60, elle a conféré aux corps administratifs le droit de prononcer sur les plaintes qui leur seraient exposées par des citoyens, qui croiraient être personnellement lésés par quelque acte du corps municipal. Qu’enfin par l’article 62, si elle a permis aux citoyens actifs de se réunir paisiblement et sans armes, elle a stipulé que c’était seulement pour rédiger des adresses et des pétitions, et qu’ils ne pourraient députer que dix citoyens pour les porter et les présenter. Ne sont-ce pas là, Messieurs, des bases vraiment constitutionnelles? J’ai beau parcourir le projet de règlement de la ville de Paris, je n’v vois rien qui soit conforme à l’esprit et à la sagesse de ces dispositions; il me semble, au contraire, qu’on s’en écarte diamétralement, et je n’aperçois dans les détails et dans l’ensemble du projet qui vous est présenté, que les caractères d’un régime absolument indépendant. 379 Faut-il vous en citer un exemple frappant? dans la seconde partie du règlement, article IV, la commune de Paris prétend que son pouvoir de police embrasse L'extérieur et l’intérieur de Paris; elle réclame une juridiction sur la Seine , rivière et canaux y affluant. J’avoue que j’ai de la peine à concevoir comment une commune ne peut exercer une juridiction quelconque au delà de son territoire; comment on peut accorder une pareille prétention avec l’idée que la commune de Paris s’est formée de la liberté des cités et surtout comment on peut concilier ce pouvoir de police extérieure avec la police générale qui appartient au chef de l’empire, pour en vivifier toutes les parties et pour maintenir la sûreté et la tranquillité publique. Je ne parlerai pas de la force militaire que la ville de Paris s’attribue, parce que l’Assemblée nationale n’a encore rien statué sur cet objet ; mais je demanderai pourquoi toutes les opérations municipales de la ville de Paris ne seraient pas soumises à la révision et à la censure de l'Assemblée de département, comme celles des autres villes du royaume? Pourquoi l’influence des corps administratifs serait-elle, comme on le dit dans l’adresse, absolument nulle vis-à-vis de cette municipalité? Pourquoi faut-il interrompre en sa faveur la chaîne de subordination politique et paralyser, pour ainsi dire, tous les pouvoirs? Gomment pourriez-vous, Messieurs, amalgamer à l’édifice national, que vous avez élevé, une pièce de rapport informe et incohérente? Gomment pourriez-vous en lier toutes les parties par une masse irrégulière, gui doit nécessairement en troubler l’harmonie et qui pourrait peut-être les écraser dans sa chute? Enfin, Messieurs, puisque l’intérêt des provinces, dont nous sommes les organes, nous impose la loi impérieuse de nous expliquer avec franchise, nous devons vous dire que, s’il était possible qu’il y eût une ville dans le royaume qui pût être soumise à une dépendant plus particulière de l’administration générale, ce serait sans contredit la ville de Paris, parce qu’elle tient, pour ainsi dire, entre ses mains, la destinée de l’empire ; parce qu’elle renferme en ce moment dans son sein le Corps législatif et le chef suprême du pouvoir exécutif, qui sont les trésors communs de la nation; enfin, parce qu’après avoir été le berceau de la liberté, elle pourrait en devenir la terreur et peut-être le tombeau. Gomment une nation sage pourrait-elle jamais consentir à mettre son existence politique et tout ce qu’elle a de plus cher à la merci d’une grande cité indépendante, qui pourrait diriger les opinions par la séduction et l’erreur, perdre de vue que son intérêt particulier ne peut se trouver que dans l’intérêt général, qui pourrait devenir tout à la fois l’arbitre et l’instrument de la loi; maîtriser à son gré les ministres et les organes de la volonté nationale, en imposer à la faiblesse par les menaces, enchaîner le courage par les excès de la licence, enfin captiver toutes les actions, subjuguer toutes les volontés par l’appareil imposant d’une population nombreuse et d’une force redoutable ! Telles pourraient être un jour, Messieurs, les conséquences funestes de l’indépendance impolitique d’une grande cité, dont le régime intérieur ne serait pas circonscrit et contenu dans des bornes politiques qu’elle ne pourrait jamais franchir. Faut-il m’appuyer sur des exemples? Parcourez, Messieurs, les fastes de l’histoire, qui est 380 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l'école des législateurs et des rois : vous y verrez que c’est dans le sein des grandes villes q« ont souvent été forgés les fers qui ont enchaîné la liberté des nations, que la puissance et la grandeur de Rome ont été la principale cause de la décadence et de la ruine de l'empire romain. L’histoire nous rappelle une époque bien plus terrible encore (qui certainement ne se renouvellera jamais); elle nous apprend que Londres, cette ville immense, sous le règne de Charles I*r, fut le foyer qui embrasa toute l’Angleterre, qui la précipita pendant vingt ans dans les désordres et les horreurs de l’anarchie, et qui finit par établir sur les débris du trône et de l’autel le despotisme intolérable de ceux qui se disaient les vengeurs de la liberté publique. Voilà, Messieurs, des vérités frappantes, qui pourraient faire naître pour l’avenir des inquiétudes dans les provinces, si le régime de la municipalité de Paris n’était pas appuyé sur les bases constitutionnelles que vous avez établies, et s’il n’était pas assujetti à la surveillance et à la puissance publique. C’est avec d’autant plus de confiance que je vous soumets des observations que l’amour du bien public m’a dictées, que la ville de Paris n'a cessé de vous assurer de son dévouement absolu à vos volontés, et de sa soumission la plus entière pour vos décrets. Je me plais à lui rendre devant vous cet hommage public. C’est donc, Messieurs, pour l’intérêt même de la ville de Paris, qui est inséparable de celui des provinces avec lesquelles elle a des rapports nécessaires pour sa subsistance, pour son commerce et pour tous les moyens de sa prospérité, que je pense et que je crois avoir prouvé qu’il serait impolitique d’accorder aux districts de Paris une permanence active, qu’il serait dangereux de s’écarter dans l’organisation de. sa municipalité du plan général que l’Assemblée nationale a tracé au régime municipal, et que si la vaste population de Paris exige quelques différences, elles ne peuvent porter sur les articles constitutionnels que vous avez consacrés. Il ne me reste plus, en finissant, qu’à former des vœux bien sincères, pour qu’il s’établisse entre la capitale et les provinces une alliance indissoluble, pour que l’accord le plus parfait entre toutes les parties du corps politique affermisse pour jamais le règne de la justice et de la liberté, et prévienne ces secousses terribles, qui entraînent avec elles le malheur des peuples et la chute des empires. M. l’abbé Itlaury. Messieurs, le rapport et les articles qui viennent de vous être soumis me semblent renfermer des principes qui ne sont pas du tout ceux de l’Assemblée. 11 est dit, dans le rapport, que la ville de Paris sera constamment sous les yeux de l'Assemblée nationale. J’ignore, et vous ignorez sans doute comme moi, quel sera le siège des Assemblées nationales. Je ne connais aucun décret qui accorde cette prérogative à la vil le de Paris. — Dans un autre endroit, on lit cette phrase : « Les articles constitutionnels qui auront toute la stabilité de la constitution , et qui forment la matière du titre premier, y seront séparés des articles réglementaires. » Je ne connais rien de constitutionnel dans l’organisation de la ville de Paris. Ce serait un royaume particulier, si son règlement entrait dans la constitution générale du royaume. J’ai lu un peu plus loin : « lien est de même du contentieux de la police, qui pourrait faire partie du plan...» J’observerai que la police me paraît le (3 mai 1790.] fondement de tout règlement municipal, et qu’il ne peut exister aucune municipalité sans police. On ne me citera pas, j’espère, l’exemple de Londres, où la police est suppléée par les bonnes mœurs, et où un simple constable, armé d’un bâton blanc, se fait mieux obéir que nos gardes nombreuses ; et cependant les bons esprits savent bien que c’est une cause de décadence dont les progrès se font sentir tous les jours. Mais, pour la ville de Paris, remplie d’une foule d’étrangers qui souvent viennent y chercher un asile après le crime, il faut une police spéciale qui, partout ailleurs, serait une inquisition très odieuse. C’est encore une très grande question de droit public, de savoir si la police d’une grande capitale doit être soumise à la municipalité ou au pouvoir exécutif. ( Murmures de la partie gauche.) Messieurs, continue M. l’abbé Maury, si la discussion s’établissait sur ce point, je me flatte de pouvoir vous assurer qu’il y a des raisons de douter. La police, cette législation journalière, ne peut être un seul jour dans la capitale sans activité, et je pense que ce règlement doit être remis par vous à la municipalité, au moment où vous l’organiserez. Je passe à l’examen des articles. Je propose d’ajouter, par amendement, à l'article. II : « que tous les anciens officiers municipaux comptables ne puissent être remboursés qu’après avoir rendu compte. » Je désirerais que, par l’article III, les limites de la ville de Paris fussent circonscrites d’une manière plus claire. Au lieu d’indiquer, comme on le fait par l’article IV, les articles qui doivent servir de règle à la ville de Paris, il vaudrait beaucoup mieux qu'ils fussent tous rapportés, afin qu’on pût juger s’ils y sont applicables. Qu’on ne dise point que cela serait trop long. En matière de lois, il n’y a de long que ce qui est obscur. L’article V règle la formation des officiers municipaux. Nous nous sommes toujours occupés des officiers municipaux, et nous n’avons pas même soupçonné ce que c’était qu’une municipalité, d’où il résulte que nous avons des officiers municipaux sans municipalité. Par le même article, on accorde aux législatures le droit de changer le nombre et la proportion du corps municipal. Nous ne sommes pas investis du droit de limiter les pouvoirs de nos successeurs. Si ce n’est qu’une simple précaution, elle est superflue, et je demande que l’article soit retranché. L’article VIII me présente une confusion qui n’est peut-être que purement grammaticale ; je voudrais qu’on le rendît plus clair. Il serait nécessaire, selon moi, de joindre deux articles additionnels à l’article X, l’un pour expliquer la manière de former le scrutin, l’autre pour juger le résultat du scrutin. Voilà déjà quelques observations ; je demande la permission de vous en présenter d’autres, à mesure que les articles sur lesquels elles portent seront soumis à la discussion. M. de Robespierre. Je ne crois pas qu’il soit de la sagesse de l’Assemblée de préjuger une des plus grandes questions qui lui aient été soumises, je veux dire la permanence ou la non permanence des districts. Il faut la discuter solennellement avant le premier article du pian du comité, qui, s’il était admis, écarterait sans retour le vœu de la capitale entière. Quand vous avez parlé d’une exception en faveur de la ville de Paris, j’avoue que je n’ai entendu que la conservation des assemblées de districts, qu’exige �impérieusement l’immense population de la capi- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1790.] [Assemblée nationale.] taie. Dans cette ville, le séjour des principes et des factions opposés, il ne faut pas se reposer sur la ressource des moyens ordinaires contre ce qui pourrait menacer la liberté; il faut que la généralité de cette ville conserve son ouvrage et le vôtre. Songez au moment où vous êtes ; quoique vous ayez beaucoup fait, vous n’avez pas tout fait encore. J’ose le dire, vous devez être aussi inquiets que si vous n’aviez pas commencé votre ouvrage. Qui de vous pourrait nous garantir que, sans la surveillance active des sections, l’on n’aurait pas employé des moyens plus efficaces pour ralentir vos opérations? * Ne nous laissons pas séduire par un calme peut-être trompeur : il ne faut pas que la paix soit le sommeil de l’insouciance. Je ne m’étendrai pas davantage, et je crois pouvoir conclure du peu que j’ai dit ..... Que dis-je, peu? J’en ai trop dit pour ceux qui désirent voir le peuple nul. Je conclus à ce qu’on ne décrète aucun article avant d’avoir discuté : 1° si les districts seront autorisés à s’assembler, quand ils voudront, jusqu’après l’affermissement de la constitution; 2° si, après l’affermissement de la constitution, ils pourront s'assembler, au moins une fois par mois, pour répandre l’esprit public. (M. de Robespierre est applaudi de la partie droite et des tribunes.) MM. le comte et le vicomte de Mirabeau se présentent ensemble à la tribune et se disputent la priorité de la parole. M. le vicomte de Mirabeau la cède. M. le comte de Mirabeau. Fort de mes principes et du témoignage de ma conscience, je réfuterai deux opinions opposées sans rechercher des applaudissements perfides, et sans craindre les rumeurs tumultueuses. Je pense, comme M. l’abbé Maury, qu’il y a dans le plan une confusion d’articles dont on pourrait le nettoyer; mais je ne pense pas comme lui que ce soit une grande question de droit de savoir si la police de la capitale sera attribuée à sa municipalité ou au pouvoir exécutif. Un de ces hommes fugitifs, pressé de revenir en France dans un moment où les agitations de l’enfantement de la liberté la secouaient encore, refusait de le faire en disant : Je veux ma Bastille , je veux mon Lenoir. Cette phrase serait la version fidèle du système de l'honorable membre, M. l’abbé Maury, si la police qu’il voudrait établir était celle de l’ancien régime. M. de Robespierre, qui a parlé après M. l’abbé Maury, a apporté à la tribune un zèle plus patriotique que réfléchi. Il a oublié que ces assemblées primaires toujours subsistantes seraient d’une existence monstrueuse : dans la démocratie la plus pure, jamais elles n’ont été administratives. Comment ne pas savoir que le délégué ne peut entrer en fonction devant le déléguant ? Demander la permanence des districts, c’est vouloir établir soixante sections souveraines dans un grand corps, où elles ne pourraient qu’opérer un effet d’action et de réaction capable de détruire notre constitution. Lorsqu’on nettoiera la rédaction, je proposerai aussi quelques amendements. Surtout ne prenons pas l’exaltation des principes pour le sublime des principes. M. le vicomte de Mirabeau. Si je ne me plaçais point dans la section de cette Assemblée que l’on nomme aristocrate, et de laquelle on me fait l’honneur de me supposer un des arcs-boutants, j’appuierais l’opinion de M. de Robespierre, et je demanderais l’impression de son discours pour en faire une seconde adresse aux provinces... 381 M. de Vlrleu. Je ne perdrai point le temps en facéties hors de saison; l’opinion de l’Assemblée me paraît unanime, et je demande qu’on aille aux voix sur le premier article. M. le Président consulte l’Assemblée, et le premier article est adopté ainsi qu’il suit : Art. 1er « L’ancienne municipalité de la ville de Paris, et tous les offices qui en dépendaient, la municipalité provisoire, subsistante à l’Hôtel-de-Yille ou dans les sections delà capitale, connues aujourd’hui sous lenom de districts, seront supprimés et abolis; et néanmoins la municipalité provisoire et les autres personnes en exercice continueront leurs fonctions jusqu’à leur remplacement. » M. le Président lève la séance à dix heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTTES. Séance du mardi 4 mai 1790, au matin (1). La séance n’est ouverte qu’à dix heures du matin. M. La Réveillère de Lépeanx, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. Il ne s’élève pas de réclamation. M. Gautier des Orcières, membre du comité des finances. Messieurs, votre comité des finances a été consulté pour savoir si les notaires et huissiers des gabelles sont supprimés. Votre décret du 23 avril porte, à la vérité, que tous les juges et officiers des gabelles en titre d’office quelconque sont supprimés et cesseront leurs fonctions à compter de la date du présent décret ; mais votre intention n’a été que de supprimer ce qui tenait au régime et à la manutention des gabelles, et les notaires et huissiers des gabelles y tiennent si peu, que la suppression de ces juridictions ne change rien à leur état. En effet, ils jouissent du droit de travailler en concurrence avec les autres notaires et huissiers. Sans cela, leurs charges n’auraient été d’aucun produit, car nul tribunal ne pouvait se passer plus aisément de ces officiers que celui des greniers à sel. Cependant on attaque déjà de nullité leurs nouveaux actes. En les supprimant, vous ruineriez, sans aucun avantage pour le moment présent, plus de mille pères de famille. Nous avons pensé que vous pouviez, sans rien préjuger sur ce que vous disposeriez par la suite à cet égard, ordonner qu’ils continueront leurs fonctions. Nous vous proposons, en conséquence, le projet de décret suivant : « Après avoir entendu le rapport du comité des finances, l’Assemblée nationale déclare que les notaires et huissiers aux greniers à sel ne sont point compris dans les dispositions de l’article 2 du décret du 23 avril dernier; en conséquence, elle décrète que ces officiers continueront, comme par le passé, les fonctions qu’ils exerçaient en concurrence avec les autres notaires et huis-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.