486 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j “ 5™ejX»*1793 et le directoire a. ordonné que sur les portes d’entrée des cimetières, il serait posé une pierre portant cette inscription : C’EST ICI LE SÉJOUR UE LA PAIX ET D’UN SOMMEIL ÉTERNEL Les cimetières seront fermés et rétablis hors l’enceinte des communes. La Convention nationale, après avoir entendu lecture du tout, en ordonne la mention hono¬ rable et l’insertion au « Bulletin » (1). Le citoyen Marcelly, ci-devant chanoine à Toulon, écrit de la Force le 24 du courant et annonce sa renonciation au caractère de prêtre; il consacre ses jours au service de la patrie; et, étant prêt de contracter un mariage avec une jeune personne de Paris, où il est domicilié depuis deux ans, il a été privé de sa liberté; il sollicite que le comité de sûreté générale s’occupe de son affaire. Il offre 25 livres en don patriotique ét attend sa liberté pour, pouvoir offrir ses lettres de prêtrise. Mention honorable du don et renvoi au comité dé sûreté générale (2). Lecarpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche, écrit de Granville, et annonce à la fois la nouvelle du siège de Gran¬ ville par les brigands de la Vendée et leur déroute par la garnison et les citoyens de Granville, « avec lesquels, dit-il, il a été presque en même temps assiégé et vainqueur ». � Les détails qu’il donne prouvent le plus grand courage de la part des habitants et garnison de Granville; et il annonce qu’un officier municipal en écharpe a été tué à la tête de ses frères qu’il encourageait et précédait. « La Convention nationale décrète que la gar¬ nison et les habitants de Granville ont bien mé¬ rité de la patrie, et renvoie aux comités de Salut public et d’instruction publique ce qui concerne l’officier municipal tué en écharpe (8). » Suit la lettre àe Le Carpentier (4). Jean-Baptiste Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche, au Président de la Convention nationale. « Granville, le 26e jour du 2e mois l’an II de la République (à minuit). « Citoyen Président, W « Selon le plan que je me suis fait de n’écrire à la Convention nationale que pour lui annon¬ cer des faits ou des résultats, après avoir toujours informé le comité de Salut public de l’ordre de mes opérations, je m’empresse, citoyen (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 320. (2) Ibid. (3) Procès-verbaux de la Convention, t, 25, p. 321. (4) Archives nationales , carton F17 1008 , dos¬ sier 1413. Aulard : Recueil des actes et de la corres¬ pondance du comité de Salut public, t. 8, p. 460. Président, de t’apprendre à la fois la nouvelle du siège de Granville par les brigands de la Vendée et la déroute des brigands de la Vendée par la garnison et les citoyens de Granville, avec lesquels j’ai été presque en même temps assiégé et vainqueur. « Avant -hier 24 du second mois, les rebelles sortis d’Avranches dont ils s’étaient facilement rendus maîtres, ayant paru à la hauteur de Gran¬ ville (port de mer qu’ils avaient jugé nécessaire à leur salut) une partie de la garnison fut envoyée en avant pour empêcher son approche. Mais la cavalerie de l’ennemi se déploya aussitôt en grand nombre, tant sur la route que sur la grève; une retraite fut jugée nécessaire, et elle se fit avec ordre, surtout avec l’espoir de faire bientôt rentrer l’ennemi lui-même. « A peine étions-nous rentrés dans la ville que les rebelles, poussés par une audace qui ne peut s’expliquer que par la persuasion où ils étaient que, là comme dans beaucoup d’autres villes, ils n’auraient qu’à paraître pour vaincre, entrèrent sur-le-champ dans les faubourgs et vinrent jusqu’au pied des remparts dont ils tentèrent incontinent l’assaut. Un officier mu¬ nicipal fut tué en écharpe, au premier poste assailli, à la tête de ses frères d’armes dont il animait le courage : plusieurs de nos canonniers tombèrent attachés à leurs pièces; le feu de la mousqueterie de l’ennemi atteignait nos soldats, et déjà son artillerie avait fait des progrès contre nous. On eût dit que le fanatisme, visible aux yeux des rebelles, les appelait du haut des remparts, mais le génie de la liberté était là, et partout où il domine, la victoire est son esclave (1). Tandis que nos bataillons faisaient feu le long des murailles, et que nos canonniers lançaient la mort à plein tube, les femmes et les enfants, animés de la même ardeur, surmon¬ taient la faiblesse de leurs facultés par leur emploi le plus utile; on les voyait transporter, sans mesurer le poids ni la distance, des gar-goussès, des boulets et de la mitraille, du magasin de l’Esplanade aux batteries de l’Isthme; quant aux vieillards, il n’y en eut aucun ce jour-là, , tout dans Granville servit la cause de la liberté, comme si tout eût été du même âge et de la même force (2). « Etonnés de cette résistance qu’ils n’avaient pas prévue, les rebelles se retranchèrent dans les faubourgs où ils étaient à l’abri de notre feu, en déplantant à coups de fusil nos soldats et surtout nos canonniers. Une sortie aurait été inutile pour les débusquer; ils étaient postés par les fenêtres, et leur cavalerie se tenait en réserve; d’un autre côté, les boulets rouges et les bombes que nous avions lancés ne servaient pas assez notre impatience, et il était de plus en plus urgent d’incendier les faubourgs, pour préserver la ville d’une escalade et assurer l’action de nos batteries contre celles de l’ennemi placées sur les hauteurs voisines. Je donnai l’ordre, et une portion de Granville fut destinée à sauver la cité entière. Les rues furent dépavées en même temps. « Cependant quelques imprudences dans l’exécution et surtout le vent du sud-est qui s’éleva avec violence, nous firent craindre pour (1) Applaudissements, d’après le Mercure univer¬ sel [30 brumaire an II (mercredi 20 novembre 1793), p. 314, col. 2], (2) Applaudissements, ibid. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 487 la ville même le sort des faubourgs. Des torrents de fumée et des tourbillons d’étincelles flottaient par dessus les remparts, le feu pleuvait sur les toits, et partout l’on ne respirait que cendre. Notre parti était pris; placés dans une ville étroite entre la mer et les flammes, nous aurions passé à travers l’incendie pour aller chercher nos ennemis la baïonnette à la main, plutôt que de leur abandonner même les décombres d’une cité libre et digne de l’être toujours. * Enfin nous parvînmes à sauver la ville de la communication des flammes, en prodiguant tous les soins qu’ils était possible d’employer. C’était un bien beau spectacle que de voir ces mêmes soldats qui venaient de soutenir un as¬ saut le fusil et la main, déposer leurs armes poux saisir et faire circuler les paniers, et com¬ battre le feu de l’incendie avec la même intrépi¬ dité qu’ils avaient soutenu le feu de l’artillerie et de la mouqueterie des ennemis. Tel est donc le courage des républicains, qu’il leur est réservé de braver à la fois tous les fléaux de la guerre et d’entraîner la fureur des éléments pour faire respecter la liberté au nom de la nature elle-même. Ainsi se passèrent les journées du 24 et du 25, depuis la moitié de la première jusqu’à la nuit qui suivit la seconde; encore ne savez-vous que des incidents dont il était nécessaire pour l’ordre de la narration que je vous rendisse compte, avant de passer à l’objet principal. C’est une nouvelle attaque qui fut faite hier par les rebelles, dans l’intervalle qui s’écoula entre l’ordre d’incendier les faubourgs et son entière exécution. Leur acharnement ne pouvait être comparé qu’à la vigueur de la résistance, les uns filaient sous les remparts, les autres s’appro¬ chaient des palissades, ailleurs ils grimpaient sur le roc, tandis que des tirailleurs les soute¬ naient par leur feu et que leurs batteries vou¬ laient occuper les nôtres; mais partout ils furent abattus sous une grêle de balles, ou enfouis sous la foudre de notre artillerie qui faisait voler en éclats les affûts de leurs canons. Bientôt leur feu cessa, les assaillants lâchèrent pied et se retirèrent en laissant les faubourgs et la grève jonchés de leurs morts. « Depuis hier soir jusqu’à ce matin nous n’avons plus rien vu de l’ennemi que ses nombreux cadavres. Mais l’incendie était deve¬ nu si inquiétant pour nous, que la nuit der¬ nière nous avons bivouaqué comme la précé¬ dente; pourtant nous n’avons pu douter de sa retraite, à la pointe du jour. Tous ses postes étaient abandonnés et il ne restait plus que le sol, indigné d’avoir porté ces horribles brigands. Nos troupes légères sont allées à la poursuite, elles ont trouvé trois pièces de canon démon¬ tées tout à fait ou abandonnées, dont une de 12, une de 8 et une autre de 4; elles ont encore tué beaucoup de rebelles, fait des prisonniers et ramassé une quantité de dépouilles mysti¬ ques et monarchiques, au nombre desquelles sé sont trouvées une ceinture d’évêque et une autre de général, toutes deux baignées dans le sang des monstres qui les portaient. Un dra¬ peau blanc a aussi été pris. Si ces infâmes objets avaient été dignes d’entrer dans le temple de la liberté, je les aurais fait passer à la Convention nationale, mais je les réserve pour les flammes. Tel a été le siège de Granville, il n’a duré que 28 heures, mais 28 heures sans aucune inter¬ ruption; toujours l’artillerie ou la mousque-tçrie ont retenti, toujours la garnison, les ci¬ toyens et les citoyennes, surtout les adroits et intrépides canonniers marins, que je proclame particulièrement les sauveurs des remparts de cette cité, ont été dans une action digne des plus glorieux enfants de la patrie. Oui, Grau ville a bien mérité de cette patrie qui lui est si chère, non en défendant ses propriétés, mais en sauvant avec un dévouement si désintéressé, au milieu des feux de l’ennemi et à travers un incendie, l’entrée d’un port qui aurait donné aux rebelles les moyens de se fortifier dé nou¬ veau dans le propre sein de la République, er assurant avec l’Angleterre une communication sur les côtes de l’ouest du département de la Manche, ce qui aurait peut-être rendu la Vendée interminable. Oui, je le répète, citoyen Prési¬ dent, Granville a d’autant mieux mérité de la patrie que toutes les forces dernières des re¬ belles, que l’on nous disait exterminés, se sont trouvées réunies devant ces remparts, sous le commandement des Larochejaquelein, des d’Au-tichamp, des Stofflet, des Talmond, et autre - chefs qui passaient pour morts et qui ont forme une nouvelle armée de leurs débris rassemblés, La garnison et les citoyens de Granville ont résisté, non par leur nombre, mais par leur intrépidité. Je donnerai, à cet égard, au comité de Salut public, tous les renseignements que j’ai acquis. Je vous dirai seulement que nous esti¬ mons à une quantité considérable la diminution de l’armée des rebelles depuis le siège de Granville, et que le reste appartiendra à nos sillons dès que les forces de la Manche, du Calvados seront réunies aux armées de Mayence ou de Rennes. Quant à nous, notre perte n’a pas été de plus de 150 hommes, et chacun en a coûté plus de 10 à l’ennemi. « Je n’entreprendrai pas de peindre à la Con¬ vention nationale les impressions que j’ai éprouvées ce matin en visitant les postes abandonnés par l’ennemi. Les hauteurs et les campagnes environnantes étaient parsemées de troncs mutilés, de membres épars, de restés d’hommes qui n’avaient plus rien d’humain, la rivière et la grève en étaient empoisonnées et la flamme en consumait encore sous les décombres des faubourgs. J’exciterai plutôt l’attention des pères de la République sur les secours que la patrie doit et qui vont devenir nécessaires aux habitants des maisons dont le sacrifice a été exigé pour le salut de tous. Je vais faire sur cet objet, bien digne de la solli¬ citude nationale, toutes les dispositions préli¬ minaires, et provisoirement je. réclame pour. Granville, au nom du siège de Lille, le même titre que cette dernière cité a obtenu. Quant à la garnison, elle l’a sans doute aussi mérité, mai? elle désire n’en jouir qu’ après l’extinction total-de la Vendée. Frappons les derniers coups; l’épouvante dont les rebelles se faisaient précéder, surtout dans les campagnes, a passé dans leur propre armée, ils ne sont plus généralement regardés que sous_ leur véritable aspect, c’est-à-dire comme un informe ramas de vils bandits que la terreur encourage et que l’énergie tue. Voilà toute la magie de la Vendée. L’heure dernière est sonnée pour les rebelles; ils ne sont plus dès que nous sommes. « Je finis en affirmant à la Convention natio¬ nale que le siège de Granville vaut à la Répu¬ blique le gain d’une bataille. « Le Carpentier. 488 {Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ■ { “tS « P. 8 . JeTnégligerais une tâche bien précieuse Si, ne pouvant rapporter toutes les belles actions, tous les traits sublimes qu’a produits le siège de Granville, je ne faisais pas du moins con¬ naître à la Convention nationale les noms des différents officiers qui se sont spécialement dis¬ tingués par leur bravoure ou par leurs autres qualités. Le général de brigade Peyre s’est comporté en excellent répubbeain, l’adjudant général Vachot, aVec intrépidité, l’inspecteur général des côtes Varin, comme un homme d’une . bravoure et d’une intelbgence peu communes ; le directeur en chef des fortifications, Oublier - Opterre, a rendu des services importants par ses lumières et son activité et le commandement temporaire a parfaitement rempli sa place. Beaucoup d’autres officiers se sont fait remar¬ quer par leur zèle; en général, tous se sont bien comportés et pour faire l’éloge de la garnison il faudrait nommer tous les corps de troupes, car tous ont combattu avec une égale ardeur. J’en ferai passer l’état exact au comité de Salut public qui recevra des détails particuliers. A la prochaine occasion, mon collègue Laplanche aura sujet de vous en dire autant de l’armée du Calvados; nous combinerons ensemble nos mouvements ultérieurs. « N. B. Il ne faut pas que j’oublie de vous exprimer ma satisfaction du zèle que nos frères de Cancale et de Saint-Malo ont témoigné envers Granville; dès qu’ils ont su que ce port était attaqué, ils nous ont envoyé, pour ainsi dire à vol d’oiseau, des chaloupes canonnières char¬ gées d’abondantes munitions en tout genre, avec de braves canonniers marins, en nous an¬ nonçant encore autre chose au besoin. Je vais leur renvoyer la plus grande partie de ces cargaisons en leur exprimant ma reconnaissance et celle de la République. O fraternité ! tu es le sfir garant du salut des amis de la patrie (1). » Compte eendu du Moniteur universel (2). Le représentant du peuple Le Carpentier écrit de Granville le 26 brumaire à minuit. ( Suit un long extrait de la lettre de Le Carpen¬ tier que nous reproduisons ci-dessus d'après un document des Archives nationales. ) . Merlin (de Thionville). Quand Laval et d’au¬ tres villes se rendent aux rebelles, Granville (1) Applaudissements, d’après le Mercure univer¬ sel [30 brumaire an II (mercredi 20 novembre 1793) p. 315, col. 2]. D’après le Journal de Perlet [n° 424 du 30 brumaire an II (mercredi 20 novembre 1793), p. 402] la lecture de cette lettre a été souvent inter¬ rompue par les plus vifs applaudissements. (2) Moniteur universel [n° 61 du 1er frimaire an II (jeudi 21 novembre 1793), p. 247, col. 2]. D’autre part, l'Auditeur national [n° 424 du 30 brumaire an II (mercredi 20 novembre 1793), p. 2] rend compte de la lettre de Le Carpentier dans les termes suivants : « La Convention entend ensuite la lecture d’une lettre de Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche. Voici ce qu’il écrit de Granville, le 26 brumaire, à minuit. ( Suit un résumé de la lettre de Le Carpentier que nous reproduisons ci-dessus d’après un document des Archives nationales.) « Après avoir applaudi à ces détails, la Conven¬ tion a décrété, sur la motion de Levasseur et Merlin (de Thionville) que la garnison et les citoyens de vient de soutenir nn siège de 28 heures : en-arrêtant les rebelles, elle donne le temps aux forces du Calvados et des autres départements d’arriver; elle prépare ainsi la destruction de ces brigands, qui ne tarderont pas d’être exterminés. C’est un grand service que cette ville vient de rendre à la République. Je demande qu’il soit décrété que Granville a bien mérité de la patrie. TJn membre. Un officier municipal est mort sur les remparts, couvert de son écharpe, en excitant nos guerriers à combattre vaillamment. Je demande que cette action soit renvoyée au comité d’instruction publique, qui avisera aux moyens d’éterniser la mémoire de ce magistrat. Ces différentes propositions sont décrétée» dans les termes suivants : « La Convention décrète la mention honorable, l’insertion au Bulletin , de ce récit. Elle déclare que la garnison et les habitants de Granville ont bien mérité de la patrie. « Renvoie au comité d’instruction publique pour comprendre dans les annales de la vertu républicaine la mort de l’officier municipal tué, en écharpe, et pour le surplus, au comité de Salut publie. » La municipalité de l’Argentière, département de l’Ardèche, envoie une croix dite de Saint* Louis (1). Après avoir entendu le rapporteur du comité de division [Bouket, rapporteur (2)] sur l’éta¬ blissement d’un 88e département sous la déno¬ mination de département de la Loire, la Conven¬ tion nationale décrète ce qui suit : « La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport du comité de division, décrète ce qui suit : Art. 1er. « L’établissement d’un 88e département formé par les représentants du peuple près l’armée des Alpes, sous la dénomination de département de la Loire, est définitivement confirmé. Art. 2. « Il sera composé des trois districts de Saint-Étienne, Montbrison et Roanne. A ce dernier district seront réunis les cantons de Charlier et de Belmont, qui en avaient été provisoirement détachés par les représentants du peuple. Art. 3. « L’Administration de ce département et le tribunal criminel sont fixés dans la commune de Feurs. Granville avaient bien mérité de la patrie. Le cou¬ rageux dévouement de l'officier municipal, tué sur les remparts en encourageant ses braves frère» d’armes, aura sa place dans le Recueil des actes de dévouement pour la cause de la liberté. » (1) Procès-verbaux de la Convention , t. 25, p. 321. (2) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton G 277, dossier 732*