[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J§ novembre1 “793 469 compatriote, mais je vais lui faire donner sa démission et loi faire peur. Vous gouvernerez les finances avec Fabre, et nous ferons une for¬ tune immense. Je vous porterai demain un mémoire sur les finances qui vous fera honneur devant le peuple. Je ne sais pas lire l’écriture des autres. On vous la dictera. Je ne sais plus écrire, excepté quelques lettres à ma mère. Mais le baron de Batz a un mémoire sur la dilapidation des finances pendant l’Assemblée constituante, vous y verrez huit millions dépensés sur la simple signature de Neckerpour opposer le club de 89 à celui des Jacobins. Alors je me résolus à le voir, mais je le prévins que je ne répon¬ dais pas de le voir arrêté chez moi. Il vint, en effet, mais comme Choudieu et autres pa¬ triotes dînaient chez moi, sitôt qu’ils descen¬ dirent, de Batz et Benoît partirent par l’escalier dérobé de mon cabinet. Benoît et Delaunay ont voulu sauver Ver-gniaud, Dueos et Viguier (Viger), ce dernier comme compatriote et bon enfant. Ils m’ont dit qu’ils sacrifieraient cinq cent mille livres pour les sauver. Je leur ai toujours dit que Vergniaud était insauvable et même-les autres. Mon beau-frère l’aîné leur a dit : si Chabot était juge et qu’il sauvât aucun de ceux qui ont voulu sauver le tyran, je le chasserais de chez moi comme un conspirateur ou comme un homme faible, il ne me serait plus rien. Il n’en est pas des conspi¬ rations comme des autres crimes, ceux qui ser¬ vent le parti par bêtise comme ceux qui le servent par corruption sont également criminels devant la patrie lorsqu’ils acceptent les premières places. Ils n’ont plus parlé de rien devant mon beau-frère fit m’ont toujours demandé dans mon cabinet, mais cette phrase leur a fait regar¬ der mon beau-frère comme un fou ou comme un buveur de sang humain. J’ai vu dans les différentes conversations que j’ai eues avec Benoît que leur système était de corrompre et de diffamer, soit qu’on résiste ou qu’on se laisse corrompre, et cela seul aurait soutenu ma vertu quand l’amour de la patrie aurait pu s’altérer un instant dans mon cœur, ce qui n’arrivera jamais. Il m’a dit : Danton a été des nôtres, il nous a abandonnés et nous le conduirons à la guillotine; il en est de même de Panis, de Robert, de Lacroix et de vous si vous nous quittez. Alors j’ai dû craindre qu’en les dévoilant ils ne m’accusassent d’avoir reçu autre chose, mais j’ai espéré que ne me trouvant des fonds nulle part leur récrimination ne ferait pas fortune. D’ailleurs, j’ai toujours tenu à l’idée de sauver mon pays même en m’exposant à la calomnie. J’ai appris de Benoît qu’il avait été envoyé par Lebrun et Brissot en Angleterre huit à quinze jours avant le jugement du tyran. J’ai vu qu’il y avait appris l’art de la corruption et de la duplicité la plus audacieuse. Il me disait un jour : Je ne sais pas pourquoi en France on refuse de faire fortune lorsqu’on le peut en faisant rendre un bon décret. En Angleterre, ils s’en vantent en plein Parlement. J’ai cru voir qu’ils travaillaient d’accord avec Pitt, et voilà pourquoi j’ai voté pour le décret contre les Anglais, quoique simplement révolu¬ tionnaire dans un seul côté et contraire à la jus¬ tice sous tous les autres. Mais, j’ai vu surtout que leur but est la dissolution de la Convention, et tous ceux qui travaillent à la miner, à la corrompre ou à diffamer ses membres qui ont rendu quelque service à la chose publique ms paraissent dans ce complot. Rédigé tant chez moi qu’au comité de sûreté générale, le 25 brumaire, depuis une heure jus¬ qu’à 7 du nouveau style, l’an II de la Républi¬ que française. François Chabot. C. Déclaration de Basire ( 1). Ce 26 brumaire, à 2 heures du matin. Je soussigné, Claude Basire, député à la Con¬ vention nationale, déclare au comité de sûreté générale que, lorsque la faction de Brissot était encore en force, mais que cependant le comité de Salut public se trouvait composé de Montagnards, le citoyen Delaunay me dit, dans le jardin des Feuillants, que la Montagne n’avait ni énergie ni grandes vues, et que c’était l’effet de la misère dans laquelle se trouvaient la plus grande partie de ses membres; que le seul moyen de lui imprimer un caractère digne-d’elle était d’élever tous ceux qui la composent au-dessus du besoin qui rétrécit l’esprit, et qu’au bout du compte il serait bien injuste de reprocher aux députés de faire leurs propres affaires en faisant celles de la République; que c’était l’avis de Danton, que si je voulais me trouver à dîner chez lui, nous en raisonnerions ensemble, que je pourrais les servir en prenant sur la fortune de mes collègues des renseigne¬ ments que je lui fournirais, et il finit par m’in¬ diquer un jour pour le repas proposé. Je le quittai très étonné de tout ce que je ve¬ nais d’entendre, fis en balbutiant une promessse de m’y trouver, et ne m’y trouvai point. Longtemps après, la révolution du 31 mai étant consommée, Delaunay me parla d’un pro¬ jet de mettre les compagnies financières, les banquiers et généralement tous les agioteurs à la raison, de forcer la hausse des assignats et de faire merveilleusement les affaires de la Répu¬ blique en faisant celles de beaucoup de patriotes de la Convention nationale. Il me dit cela fort sommairement, et Julien de Toulouse, avec lequel j’eus une conversation immédiatement après, entra dans de plus grands détails. Le plan de Delaunay, qu’il me développa, consistait : 1° à procurer à beaucoup de patriotes une fortune considérable; 2° A la réaliser. Et sur ce que je demandai ce que l’on entendait par ce mot, Julien me répon¬ dit que cela signifiait, dans le langage de l’asso¬ ciation, la convertir en papiers sur V étranger, en livres sterling et en guinées. Pour faire fortune, il me dit que l’on comptait faire baisser tous les effets des compagnies financières et surtout de la Compagnie des Indes, par des moyens de tactique fort adroits ; profiter de cette baisse éphémère pour en acqué¬ rir une très grande quantité, s’en faire même donner par les banquiers intéressés à la conser¬ vation des compagnies, provoquer ensuite une hausse subite de leurs effets par des décrets avantageux, et amasser de cette manière des fonds considérables. Sur ce que je lui demandai (1) Archives nationales, carton W 342, dossier 648 (3e partie). 470 [Convention nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j g 5�’�an II avec quels fonds l’on pourrait commencer cette affaire et acquérir des billets lors de la baisse, il me répondit que ces fonds ne manqueraient point, que Delaunay saurait bien où les trouver, et que même il avait refusé de se prêter à un arrangement proposé par d’Espagnac qui récla¬ mait 4,000,000 livres et qui, si on les lui eût fait obtenir, les aurait abandonnées, sans intérêt pendant un certain temps. Pour réaliser la fortune acquise ainsi que je viens de le dire, l’on se faisait fort d’obliger toutes les compagnies, les banquiers, etc., à faire tous leurs paiements les plus prochains en papier sur l’étranger, en livres sterling et en guinées pour en inonder la place et profiter de leur avi¬ lissement pour opérer la conversion des fonds. Sur ce que je demandai à Julien comment il pensait que nous pourrions servir l’association et mériter une part aux bénéfices, il me répondit que tandis que Delaunay préparerait des mé¬ moires sur les vices d’organisation des compa¬ gnies, pour les effrayer sur leur existence collec¬ tive, les discréditer dans l’opinion, faire baisser leurs effets, il importait encore pour les amener plus infailliblement et plus promptement à ses fins, dans les conférences où on leur proposerait des sacrifices, de faire peur, à chacun des admi¬ nistrateurs du comité de sûreté générale dont Julien, Chabot et moi nous étions membres, et qu’on les menacerait de dénonciations per¬ sonnelles. Que d’ailleurs Chabot et lui étaient en même temps membres de la Commission de l’agiotage où ils pourraient rendre de grands services à l’association. Que quant à moi, l’on ne me demandait autre chose que de laisser faire et que Delaunay nous ferait fidèlement à tous notre part du bénéfice. Depuis, l’on se rappelle que Julien dénonça sans preuves, à la Convention nationale, la Compagnie des Indes pour avoir, disait -il, prêté au ci-devant roi des sommes considérables desti¬ nées à la contre-révolution, dénonciation qui effraya prodigieusement la compagnie, et qui n’avait pas d’autre objet. On la fit renvoyer à un comité qui ne put y donner aucune suite. C’est dans ce temps que Julien, auquel je demandai s’il pouvait prouver ce fait -là, me dit qu’il n’était pas nécessaire de rien prouver dans cette affaire ; que le coup était porté, qu’il suffisait que cela produisît une opinion défavo¬ rable à la compagnie et qu’elle en conçût elle-même quelque terreur; que Delaunay, de son côté, préparait un mémoire foudroyant contre elle, qui n’était pas pour la Convention, mais seulement pour les conférences particulières avec les banquiers qui en seraient fort effrayés et qu’il en avait un autre beaucoup plus doux pour l’Assemblée; que les affaires de l’association allaient bien, que les gens de finance donnaient tout ce qu’on voulait, que les courtiers et agents Jouaient à merveille, que notre fortune se faisait et que Delaunay ne tarderait pas à nous faire un premier partage. Delaunay, que je voyais quelquefois et que j’écoutais toujours pour savoir où l’on nous menait, me disait à peu près la même chose. L’on peut se rappeler que la compagnie des Indes, ainsi travaillée, vit ses billets tomber de 1,500 livres à 650 livres. On peut suivre ce que ces billets sont devenus dans le commerce et calculer l’effet des décrets provoqués par les associés sur ces variations subites. L’on peut réfléchir à la prodigieuse émission qui eut lieu k cette époque sur la place, des papiers sur l’étranger, des livres sterling, des guinées, etc., et méditer sur tous ces événements pour voir comment ils se rapportent avec les plans indi¬ qués, et comment tout cela résulte de leurs dis¬ cours et de leurs motions à l’Assemblée. Je n’en dirai pas davantage sur le plan en général; je n’ai eu là-dessus que des conversa¬ tions peu suivies avec Delaunay et Julien de Toulouse. Je fus un jour engagé par Julien à aller dîner à la campagne, c’était chez un ci-devant baron de Batz, ancien constituant, où se trouvaient Chabot, une dame Beauforfc, Laharpe, le nommé Dnroy, banquier, le nommé Duroy, que l’on me dit être d’Angers, ami de Delaunay, et grand spéculateur en finance. On ne parla point d’af¬ faires pendant le repas : Benoît, Delaunay, de Batz, sortirent avec Duroy après le dîner pour se promener ensemble dans le jardin. Chabot, Julien et moi revînmes aussitôt à Paris. J’étais fort embarrassé au milieu de tant d’intrigues, je ne voulais point être complice de Delaunay et de Julien, je désirais cependant suivre leurs opérations pour les juger, fixer mon opinion sur les faits. Il ne m’était pas possible de les dénoncer, je n’avais pas de preuves suffisantes, je prévoyais qu’il me serait très difficile d’en avoir; il m’eut été impossible de combattre leurs opinions sur les finances à la Convention nationale, d’abord parce qu’en général ces opinions paraissaient allier l’intérêt général à leur intérêt particulier, et ensuite parce qu’ils étaient très instruits en pareille matière et que je conviens de bonne foi que j’y suis fort ignorant. Je causais avec eux de loin en loin et quand l’occasion s’en présentait, avec un air distrait ou préoccupé, pour ne pas les perdre de vue, et Julien de Toulouse est celui qui m’en parlait le plus fréquemment, en homme qui veut bien évidemment profiter de cela pour faire sa for¬ tune. Chabot, auquel j’en parlai une fois, me parut être beaucoup plus avant que moi dans toute cette affaire et me fit entrevoir le projet qu’il avait formé d’observer et de déjouer, mais cela ne me paraissait pas très praticable. Incertain sur le parti que je devais prendre et après bien des réflexions, je me déterminai à faire prévenir les banquiers qui m’avaient été nommés que si l’on voulait se servir de mon nom pour les effrayer mal à propos, il était bon qu’ils se pénétrassent bien de l’idée que je suis un honnête homme, et que si on leur faisait des demandes d’argent pour quelque affaire que ce pût être, ils doivent penser que de semblables demandes ne se font que par des fripons et qu’il n’est pas sûr de traiter d’affaires avec de pareilles gens. Cet avis fut donné au citoyen Sabathier, par une femme que je nommerai quand il le faudra, et au citoyen Duroy, par une autre que je ferai connaître au besoin. Duroy, fatigué des persécutions de Benoît, agent de Delaunay, qui lui présentait des pro¬ jets de décrets contradictoires en lui disant « Si vous donnez tant, voilà celui qui passera, si vous refusez ce que je vous demande, ce sera celui-là », se leva un jour fort en colère et dit qu’il savait à quoi s’en tenir, et que je lui avais fait passer l’avis de ne faire aucun arrangement avec les associés. Benoît s’en plaignit à Delau¬ nay qui n’eut rien de plus pressé que de le dire à Julien dont je reçus des plaintes fort amères [Convention nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I 29 brumaire an il 47-4 ( 19 novembre 1793 et avec qui je crus devoir alors me tenir sur la négative pour ne pas perdre les moyens de suivre cette affaire. Les confidences deviennent dès lors moins fréquentes, moins étendues, on ne m’en parlait plus de la même manière. Cependant Julien m’annonçait quelquefois que les opérations se continuaient, que cela n’allait point mal; que le moment du partage n’était même pas éloigné, et enfin il me dit un jour que je pouvais compter sur une somme de 100,000 livres pour ma por¬ tion, résultant d’une consignation de 500,000 li¬ vres en fonds fournis par des banquiers pour obtenir quelques modifications aux décrets concernant la compagnie des Indes. Je me rappelle qu’à cette époque, il était question du rhum de Robert, à quoi Delau-nay prenait quelque intérêt; il m’arrêta dans la cour du comité de sûreté générale et, après m’en avoir parlé quelques instants, il se plaignit à moi de ce que Danton les abandonnait, ainsi que Thuriot, qui s’étaient, disait-il, évidemment arrangés particulièrement avec les banquiers, mais que cela ne l’empêcherait pas de conduire l’affaire 4 bien et que je pouvais être tran¬ quille. Quelque temps après le 2 juin, lorsque l’on commençait à vouloir diviser les patriotes de la Montagne, Hérault, membre du comité de-Salut public, me tira un jour à l’écart dans la salle des pétitionnaires. Il me demanda si je con¬ naissais quelque chose à ces plans de division. J’entrai avec lui en grande conversation sur cette matière; je lui dis tout ce que je viens de consigner dans cette déclaration, sur les agio¬ teurs de la Convention et sur les propositions qui m’avaient été faites. Il en parut surpris, me dit que je l’avais fort éclairé, qu’on lui avait proposé de se charger de présenter un projet de décret sur les finances, qu’il voyait bien que cela tenait à des tripotages aussi criminels que méprisables et qu’il ne le ferait point, il m’engagea à entrer avec lui en confé¬ rence avec L’Huilier du département de Paris, mais comme je ne connaissais point L’Huilier assez particulièrement, je m’y refusai (1). Il y a plus de deux mois, étant à dîner chez le citoyen Laligant Morillon, où se trouvaient les citoyens Guinguené, Aumont, secrétaire du ministre de la justice, et Martinière, de Granville et déplorant nos funestes divisions, je m’ouvris avec eux dans les épanchements de l’amitié de toutes ces honteuses combinaisons : ils peu¬ vent s’en rappeler. Depuis quelque temps, on me parle d’un dîner chez Delaunay, qui a pour objet le partage des 500,000 livres. Julien m’a souvent engagé à y aller. Delaunay m’a donné son adresse par écrit pour m’y rendre : je m’y suis toujours refusé sous divers prétextes qui ont pu faire penser, en les rapprochant, du propos tenu à Benoît par Duroy : que je ne partageais pas les principes des associés dont au surplus je ne connais pas tous les noms (2). Du reste, je n’ai fait aucun acte qui pût servir l’association; je ne me rappelle pas avoir signé un seul mandat d’arrêt contre un banquier pour cet objet. (1) Cet alinéa, dans l’original, est encadré de crayon rouge et porte en marge, au crayon rouge, le mot ! Hérault. (2) Cet alinéa, dans l’original, est souligné au crayon jrouge. Je fus très surpris un jour de ce que Julien de Toulouse en avait signé un, lui seul, en mon absence, contre le nommé Grenu, banquier, que l’on ne voulait qu’effrayer. C. Basire, député à la Convention nationale. CONVENTION NATIONALE Séance du 29 brumaire, l’an II de la République française, une et indivisible. Mardi 19 Novembre 1793. La séance s’ouvre à 10 heures (1). Un secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 19 de ce mois, dont la rédaction est adoptée (2). Un autre secrétaire fait lecture du procès-verbal de la séance du 25 de ce mois, dont la rédaction est également adoptée (3). Les administrateurs du département de police font passer à la Convention nationale le total journalier des détenus dans les maisons de jus¬ tice, d’arrêt et de détention du département de Paris, à l’époque du 27 de ce mois, montant à 3,315. Insertion au « Bulletin » (4). Suit la lettre des administrateurs du départe - msnt de police (5). « Commune de Paris, le 28 brumaire, l’an II de la République une et indi¬ visible. « Citoyen Président, « Les administrateurs du département de police te font passer le total journalier des déte¬ nus dans les maisons de justice, d’arrêt et de détention, du département de Paris, à l’époque du 27 dudit. Parmi les individus qui y sont renfermés, il y en a qui sont prévenus de fabri¬ cation ou distribution de faux assignats, assas¬ sinats, contre-révolution, délits de police mu¬ nicipale, correctionnelle, militaire, et d’autres pour délits légers. « Conciergerie .................. • • 507 « Grande-Force (y compris 14 mili¬ taires) .............................. 568 « Petite-Force .................... 244 (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 313. (2) Ibid. (3) Ibid. (4) Ibid. (5) Archives nationales, carton C 285, dossier 826.