92 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 août 1190. barbarie, à tous les vices, à tous les malheurs qu’elle amène avec elle. L’académie des inscriptions et belles-lettres peut désormais rendre des services essentiels à notre histoire, et nous en reproduire les monuments sous leurs véritables formes. L’académie des sciences jouit du respect de l’Europe, et peut être infiniment utile à nos arts et à nos manufactures. Le comité a pensé que toutes ces académies devaient rester sous la protection immédiate du roi. ; que cette protection seule peut encourager leurs travaux et qu’il est de l’intérêt de la nation, comme de la grandeur du monarque, qu’il s’attache à ces institutions d’une affection particulière, et qu’il lie leurs succès à la gloire de son règne et de son nom . Le comité vous propose les projets de décrets que je vais vous soumettre successivement. — Le premier concerne l’Académie française. « Art. 1er. L’Académie française continuera d’être sous la protection immédiate du roi. « Art. 2. Il lui sera payé annuellement du Trésor public la somme de 25,217 livres ; savoir, au secrétaire perpétuel, appointements, 3,000 livres ; écritures, 900 livres ; pour messe du jour de saint Louis, 300 livres; pour jetons, 358 marcs, 20,717 livres ; pour entretien et réparation du coin, 300 livres; en tout, 25,217 livres. « Art. 3. Il sera en outre assigné chaque année 1,200 livres qui seront données, au nom de la nation, pour prix à l’auteur du meilleur ouvrage qui aura paru, soit sur la morale, soit sur le droit public, soit enfin sur quelque sujet utile. « Art. 4. Chaque année l’Académie sera admise à la barre de l’Assemblée nationale, pour y rendre compte des travaux de ses membres, et de l’ouvrage qu’elle aura jugé digne du prix national. » M. Gaultier de Biauzat. Les établissements publics en France sont et continueront à être sou s la protection spéciale du roi. L’article premier n’a aucun sens, ou il a un sens inconvenable. M. Le Dcist de Botidoux. Je demande l’ajournement jusqu’à ce que l’utilité de l’Académie française soit constatée. M. Creuzé. L’ajournement doit porter sur l’Académie française ei sur toutes les académies. (Cet ajournement est décrété.) M. le Président. Les comités militaire , des recherches et des rapports sont prêts à vous rendre compte de l'insubordination de la garnison de Nancy. M. Emmery, rapporteur. Messieurs, je suis malheureusement encore aujourd’hui porteur de lâcheuses nouvelles. Je sollicite beaucoup d’indulgence, car à peine ai-je eu le temps de rédiger le décret convenu dans vos trois comités réunis. Ces comités sont le comité militaire, celui des rapports et celui des recherches. Je suivrai les faits dans les pièces adressées par le directoire du département de la Meurthe, par la municipalité de Nancy, et par le commandant de cette ville, soit à l’Assemblée, soit au ministère de la guerre. Toutes ces lettres annoncent l’insurrection Ja plus décidée dans Jes régiments du roi, de mestredecamp cavalerie, et Chàteauvieux suisse. Je vais d’aburd vous donner lecture d’une lettre deM. Denove, officier général commandant en Lorraine, àM.la Tour-du-Pin,' le 14 août. « Laglace est rompue. Malgré le décret du 6 août, le régiment du roi persiste dans sou insubordination. Les comités ont continué ; l'état de leurs demandes n’a pas cessé d’être exorbitant ; ils ont commandé un détachement de deux cents hommes armés pour aller s’emparer de ce qui restait dans la caisse : le sergent qui marchait à la tête a demandé la clef au commandant ; sur le refus qui lui a été fait, le détachement a enlevé la caisse, et l’a transportée dans la chambre où le comité du régiment s’assemble. On répand des bruits effrayants ; on dit que la masse réclamée est de 1,200,000 livres, que les soldats veulent faire signer des billets aux officiers, sauf leur recours contre M. du Châtelet. On dit encore que demain ils doivent couronner un commandant de la garnison, le conduire dans un char, faire suivre ce triomphe par les officiers ; on ajoute même qu’ils les obligeront à traîner ce char. Une partie des officiers veut partir, une autre partie s’est cachée. Je n’accorderai aucun congé ; je m’attends à être maltraité, ma position est cruelle ; mais je ne céderai pas, mais je ne quitterai pus mon poste. Le régiment de mestrede camp suit l’exemple du régiment du roi : en trente-six heures, celui de Chàteauvieux suisse a pris le même chemin. » Yoici une lettre du directoire du département de la Meurthe au ministre de la guerre, en date du 24 août. « Sur l’invitation du corps municipal, le directoire se transporta à la maison commune pour assister avec M. Denove à la lecture de la proclamation de votre décret, à la tête du régiment du roi : des grenadiers, se disant députés de ce régiment, se sont présentés à Phôtei de ville ; ils ont assuré sur leur honneur qu’ils répondaient de la ,vie de M. Denove, mais ils ont dit qu’avant tout ils demandaient que ce commandant désavouât des lettres qu’il a écrites contre ce régiment, et qui ont été interceptées. La proclamation a été lue à la tête du régiment, les soldats ont en effet voulu qu’avant cette lecture M. Denove donnât les explications qu’ils exigeaient, et elles ont été données. » Les faits qui ont suivi se trouvent consignés dans le dernier procès-verbal de la municipalité de Nancy, en date du 14 août. — En suite de la proclamation, un détachement des soldats du régiment de mestre de camp a porté en triomphe fis deux soldats suisses qui avaient passé hier au conseil de guerre. Le régiment du roi les a accompagnés. M. Moiriant, commandant du régiment de Chàteauvieux, a été forcé de donner à chacun des deux suisses 6 louis pour décompte et 100 louis de dédommagement. Les autres officiers ont été enfermés dans le quartier; on leur demandait 26 mille livres, iis no les avaient pas : un citoyen de cette ville les leur a prêtées. Le régiment du roi a demandé son décompte depuis l’entrée de M. du Châtelet au régiment. Les soldats suisses ont enlevé la caisse de leur corps : comme il ne s’y trouvait que 8,000 livres en assignats, le commandant et le major qu’on avait cherchés pour les maltraiter, craignant que les soldatsne fussent lias contents de cette somme, ils ont demandé 26,000 livres que Ja municipalité leur a remises. Les soldats du régiment du roi avaient déjà forcé M. Baiivière, commandant, à leur remettre ia caisse. Ainsi la garnison entière a rompu tous les liens de la subordination ; elle s’est attaché ie peuple, en répandant beaucoup d’argent. Les commandants civils et militaires n’ont nul moyen pour arrêter l’insurrection ; la ville de Nancy est exposée aux plus grands désordres. La municipalité ne voit de ressources que dans la présence de quelques membres de l’Assemblée nationale. [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 août 1790. J 93 Vos comités, en reconnaissant que la licence est portée à son deroier période, que le désordre et le désespoir peuvent s’étendre dans tout le département où il se trouve beaucoup de villes de garnison, ont pensé qu’il convenait de prendre des mesures sévères, qui, en imposant aux soldats, laissent une voie ouverte à la résipiscence et aux remords : ils ont également considéré que des opérations juridiques ne produiraient aucun effet, si elles n’étaient appuyées d’une grande force. Le ministre et les députés de Nancy conviennent qu’un décret est nécessaire ; tout presse ; tout brûle ; il y aurait le plus grand danger dans le plus léger retard. C’est dans ces vues que nous vous proposons le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de ses trois comités militaire, des recherches et des rapports réunis, indignée de l’insubordination continuée dans la garnison de Nancy, par les régiments du roi infanterie, mestre de camp cavalerie, et de Châ-teauvieux suisse depuis, et au mépris du décret du 6 de ce mois, quoiqu’il renfermât les dispositions propres à leur assurer la justice qu’ils pourraient réclamer par des voies légitimes; convaincue que le respect pour la loi et la soumission qu’elle commande aux ordres du chef suprême de l’armée, ainsi que des officiers et aux règles de la discipline militaire sont les caractères essentiels comme les premiers devoirs des soldats citoyens, et que ceux qui s’écartent de ces devoirs, au préjudice de leur serment, sont des ennemis publics, dont la licence menace ouvertement la liberté et la Constitution ; considérant combien il importe de réprimer avec sévérité de semblablesex-cès et de donner promptement un exemple tel qu’il puisse tranquilliser Jes bons citoyens, satisfaire à la juste indignation des braves militaires qui ont vu avec horreur la conduite de leurs indignes’ camarades, enfin éclairer et retenir par une erreur salutaire ceux que l’erreur ou la faiblesse a fait condescendre aux suggestions d’hommes criminels, les premiers et principaux auteurs de ce désordre : « A décrété et décrète, d’une voix unanime, que la violation, à main armée, par les troupes, des décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le roi, étant un crime de lèse-nation au premier chef, ceux qui ont excité la rébellion de la garnison de Nancy doivent être poursuivis et punis comme coupables de ce crime à la requête du ministère public, devant Jes tribunaux chargés par les décrets de la poursuite, instruction et punition de semblables crimes et délits. « Que ceux qui ayant pris part à la rébellion de quelque manière que ce soit, n’auront pas, dans les vingt-quatre heures, à compter de la publication du présent décret , déclaré à leurs chefs respectifs, même par écrit, si les chefs l’exigent, qu’ils reconnaissent leur erreur et s’en repentent, seront également, après ce délai écoulé, poursuivis et punis comme fauteurs et participants d’un crime de lèse-nation. « Que le Président de l’Assemblée nationale se retirera immédiatement vers le roi, pour le supplier de prendre les mesures les plus efficaces pour l’entière et parfaite exécution du présent décret ; en conséquence d’ordonner : 1° A son procureur au bailliage de Nancy, de rendre plainte contre toute personne de quelque rang, grade, état et condition qu’elle soit, soupçonnée d’avoir été instigateur , fauteur ou participant de la rébellion qui a eu lieu dans la garnison de Nancy , depuis la proclamation des décrets des 6 et 7 de ce mois; 2° Aux juges du bailliage de Nancy de procéder sur ladite plainte, conformément aux décrets précédemment rendus concernant l’instruction et le jugement des crimes de lèse-nation ; d’ordonner pareillement à la municipalité et aux gardes nationales de Nancy, aiusi qu’au commandant de cette place de faire chacun en ce qui les concerne, les dispositions nécessaires, et qui seront en leur pouvoir, pour s’assurer des coupables et les livrer à la justice; même d’ordonner le rassemblement et l’intervention d’une force militaire tirée des garnisons et des gardes nationales du département de laMeurthe et de tous les départements voisins, pour agir aux ordres de tel officier général qu’il plaira à sa Majesté de commettre, à l’effet d’appuyer le présent décret, de faire en sorte que force reste à la justice, et que la liberté et la sûreté des citoyens soient efficacement protégées contre quiconque chercherait à y porter atteinte : à l’effet de quoi cet officier général sera spécialement autorisé à casser et licencier les régiments de la garnison de Nancy, dans le cas où ils ne rentreraient pas immédiatement dans l’ordre, ou s’ils tentaient d’opposer la moindre résistance au châtiment des principaux coupables. » (Le décret proposé par M. Emmery, au nom des trois comités, est adopté sans discussion et à l’unanimité.) M. d’Ambly. Vous vous rappelez le décret plein de bonté et d’indulgence rendu au sujet du régiment de Royal-Champagne, en garnison à Hesdin. La municipalité de cette ville m’a écrit pour que j’eusse l’honneur de vous représenter l’insubordination de ce régiment, qui n’a voulu obéir ni à votre décret ni aux ordres du roi ; je demande que le décret que vous venez de rendre soit commun au régiment de Royai-Champagne. (On demande le renvoi au comité.) M. de Montcalm-Gozon. Il est important de s’occuper du code des délits et des peines militaires. MM. d’Albert et les officiers de marine se plaignent de l’insurrection des matelots, dans un moment où notre escadre est prête à mettre en mer. (L’Assemblée arrête qu'il y aura ce soir une Assemblée extraordinaire, pour entendre le rapport du comité militaire sur les délits et les peines.) On fait lecture d’une lettre de M.de La Tour-du-Pin : ce ministre envoie de la part du roi un plan de l’organisation de l’armée, conforme aux bases décrétées les 31 juillet et 2 août. La séance est levée à quatre heures moins un quart.