[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 406 [8 mai 1790.] de sens de convenance politique, ne se persuaderont pas que les rapports qui lient la France à l’Empire, ne peuvent être maintenus qu’au moyen de ces corps privilégiés; ne consacreront plus des inconséquences et des contradictions pour favoriser quelques souverains d’Allemagne; ne laisseront plus subsister, sur le même pied, des régiments dont la constitution est devenue incompatible avec le nouveau régime ; et ne leur feront plus porter des couleurs différentes et un uniforme particulier qui semble désigner plutôt les satellites du despotisme que les défenseurs de la nation. On sera peut-être étonné que la même voix, qui a plaidé avec tant de chaleur les causes des régiments helvétiques, s’élève avec autant de véhémence contre les autres régiments étrangers. Mais les uns existent chez nous comme auxiliaires, en vertu de traités antiques et sacrés, renouvelés, depuis près de trois siècles, par une longue série de nos rois ; ils nous sont donnés par une nation libre, par une alliée utile et nécessaire, gardienne d’une grande étendue de nos frontières, avec laquelle nous vivons dans une paix constante qui, depuis trois cents ans, n’a pas éprouvé la plus légère altération, avec laquelle nous sommes liés par une sorte de fraternité; iis ont, en tout temps, fait éclater leur zèle et leur attachement pour la nation ; ils ont tenu dans la Révolution actuelle, une conduite qui a mérité les éloges et la reconnaissance de tous les bons citoyens ; ils ont manifesté le désir de nous voir jouir de la liberté qu’ils ont conquise eux-mêmes et qui est la base de la félicité imperturbable de leurs cantons. Leur vœu le plus cher, enfin, est d’être soumis au régime général et au mode d’avancement qui sera décrété pour l’armée française. Les autres sont des propriétés de plusieurs despotes d’Allemagne, ennemis naturels de la liberté des peuples, essentiellement intéressés au renversement de notre nouvelle Constitution. Leur existence, sur l’ancien pied, les livre nécessairement au pouvoir arbitraire, au despotisme ministériel et à l’aristocratie ; en effet, dès l’aurore de la Révolution, des chefs odieux qui voulaient étouffer notre liberté naissante, les ont forcés à porter une main sacrilège sur son berceau. Sans vouloir croire aux projets atroces qu’on a supposés contre la capitale, on ne peut se dissimuler que, dans cette lutte du despotisme contre le pouvoir légitime des représentants de la nation, les ministres se croyant en droit de regarder ces régiments étrangers comme des troupes mercenaires, qui obéissent aveuglément à celui qui les paie et ne connaissent que les agents du pouvoir exécutif duquel ils tiennent l’argent et les grâces qui en procurent; on ne peut se dissimuler, dis-je, que les ministres avaient compté les régiments étrangers, parmi leurs moyens de triomphe ; et si une foule de circonstances n’avaient démasqué et contrarié la trame qu’ils avaient ourdie, ils auraient peut-être trouvé, dans les vices de leur constitution actuelle, des moyens de les contraindre à agir conformément à leurs desseins. C’est la ville de Paris qui a commencé, décidé, maintenu la Révolution actuelle ; c’est à elle à chercher tous les moyens de la consolider. Elle ne doit pas se contenter d’avoir écarté de son arrondissement les troupes devenues suspectes, qui bloquaient son enceinte et qui pourraient faire naître les mêmes suspicions dans le reste du royaume. Cette glorieuse capitale, qui a le bonheur de posséder, dans ses murs, l’Assemblée la plus auguste qui ait paru sur la terre, depuis le sénat romain, doit porter sans cesse une attention fixe et infatigable sur le dehors comme sur le dedans ; c’est la tête qui doit veiller au salut et à la conservation des autres membres. Il est du devoir de tous les citoyens de donner l’éveil aux représentants de la nation sur les dangers qui peuvent renaître chaque jour, puisque la cause en subsiste encore ; de les engagera prendre tous les moyens que leur haute sagesse pourra leur suggérer pour rendre françaises d’excellentes troupes qui deviendraient aisément patriotes et auxquelles on s’efforce de conserver à jamais leur caractère d’étrangers dans le sein de la monarchie. Ce n’est que par des sophismes grossiers que l’on peut colorer de l’apparence du bien, l’obstination du ministère à conserver, sur le même pied, ces corps privilégiés, en dépit de la politique du bien du service, de l’économie, de l’attente générale et de la raison. Je conclus donc que l’Assemblée nationale ne saurait trop se hâter d’ordonner par Un décret provisoire : Premièrement, qu’à l’exception des troupes suisses admises en vertu de nos traités avec les cantons, tous les régiments étrangers, ou sur le pied étranger, savoir : les trois régiments irlandais, les neuf régiments allemands ou liégeois, formant vingt-quatre bataillons d’infanterie, les régiments de royal-allemand, cavalerie; Schom-berg, dragon et les six régiments de hussards, formant en tout trente escadrons, seront dès à présent mis sur le pied français. Secondement, qu'on fera adopter à leur infanterie l’uniforme blanc et à tous la discipline et les marches françaises. Troisièmement, que les officiers et soldats de ces corps seront admis à prêter individuellement le serment civique et, dès cet instant, regardés comme citoyens. Quatrièmement, que tous les étrangers qui voudront avoir leur congé, le recevront à l’instant même. Cinquièmement, que ces corps seront dorénavant recrutés de nationaux, comme les autres régiments de l’armée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du jeudi 6 mai 1790, au matin. La séance est ouverte à neuf heures du matin, M. Muguet de lanthou, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. K-oederer, autre secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. de La Queuille, député d'Auvergne. Chargé, par mes cahiers, de solliciter les États généraux, de convoquer dans mon bailliage une assemblée deux mois après la lin de vos travaux , je remplis ce devoir et je finis ainsi ma mission, mes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 mai 1790.] 407 pouvoirs étant expirés. Je demande qu’on insère ma déclaration dans le procès-verbal. M. Muguet de IVanthou. Deux décrets ont décidé qu’il ne serait fait mention d’aucune déclaration contraire aux décrets de l’Assemblée; il faut donc rejeter celle-ci : c’est ainsi qu’on en a usé au sujet de la lettre écrite par MM. de Vrigny et de Ghailloué. M-de Montlosier. Nous detnandçms que la mention demandée par M. de La Queuille Soit insérée dans le procès-verbal. M.Favie. Monsieur le président, vous ne pouvez pas mettre cette proposition aux voix; votre devoir ne vous permet pas de recevoir une mention contraire aux décrets : toute motion de cette nature est inconstitutionnelle. M. de Montlosier. Ces observations sont excellentes, je n’entreprendrai pas de les combattre ; mais je demande que la motion de M. de La Queuille soit au moins rejetée par un décret formel. M. le Président consulte l’Assemblée, qui décide qu’il ne sera pas délibéré sur la motion de M. de La Queuille. V ordre du jour appelle la suite de la discussion sur l'ordre judiciaire. La question qui est en délibération est celle de l’investiture et de l'institution des juges M. lie Chapelier. La question que vous avez discutée hier était mal posée; je crois qu'elle devrait être ainsi présentée : « Le peuple, auquel appartient le droit d’élire ses juges, nommera-t-il un ou plusieurs candidats pour remplir une place déjugé? » Dans le cas où il serait décidé que le peuple nommera un seul candidat, il restera cette autre question : « Le roi donnera-t-il l’investiture aux juges choisis par le peuple? » M. Briois de Beaumetz. L’irrégularité de la discussion d’hier est uniquement venue de l’obscurité des mots investiture et institution. L’obscurité de ces mêmes mots a coûté deux millions d’hommes à l’Europe; elle vous a fait perdre une matinée, pendant laquelle on a toujours été à côté de la question. Toutes celles que présentent la discussion me paraissent devoir être posées comme il suit : « 1° Le roi aura-t-il le pouvoir de refuser purement et simplement son consentement à l’installation d‘un juge choisi par le peuple? 2° Les électeurs présenteront-ils un ou plusieurs sujets au roi, pour qu’il choisisse entre ceux qui lui seront présentés? 3° Le juge nommé par le peuple recevra-t-il une patente scellée du sceau national? » M. Bufraisse-Duchey. Je propose de commencer par mettre aux voix la seconde question. (Cette proposition est appuyée.) M. Roederer. Les trois questions proposées par M. de Beaumetz n’en forment que deux; la seconde et la première peuvent se réduire en une seule : « Le roi concourra-t-il par son suffrage à l’élection des juges? » M. le comte de Mirepoix. Nous avons appuyé la motion de M. Dufraisse-Duchey; met-tez-la aux voix, Monsieur le président, ou bien... M. le comte de Clermont-Tonnerre. L’incertitude de la délibération d’hier vient de ce qu’un véritable amendement avait été proposé avant là question : il ne faut pas commettre aujourd’hui la même faute. Les questions proposées par M. Briois de Beaumetz ne sont pas dans l’ordre naturel; la seconde question doit être discutée avant la première. M. Briois de Beaumetz. L’ordre que j’ai indiqué est très naturel. Vous avez décidé hier que le peuple élira ses juges; cela ne présente que l’idée d’un homme élu, et non trois. La seconde question est donc bien la seconde dans l’ordre des idées. M. Boutteville-Bumetz. J’ajoute une réflexion qui me paraît très décisive. La seconde question préjugerait la première. En forçant le peuple à présenter trois sujets, vous donneriez au roi une influence qui infirmerait la première volonté du peuple. Si, au contraire, vous décidez la première question, la seconde restera entière. M. de Cazalès. Il n’y a qu’une seule question qui nous divise tous. Les opinants sont convenus que l’institution forcée serait absolument dérisoire; il n’existe donc pour tout homme de bonne foi que cette question : '< Le pouvoir exécutif aura-t-il telle ou telle influence sur les juges ? Choisira-t-il entre plusieurs candidats élus par le peuple? M. Belley d’Agier. Les juges élus par le peuple seront-ils confirmés par le roi? La confirmation sera-t-elle libre ou forcée? Si elle est libre, présentera-t-on plusieurs sujets au roi ? Voilà, je crois, les seules questions. M. Fréteau. Je pense qu’il est conforme à la j ustice de l’Assemblée de laisser la plus grande latitude aux opinions. C’est ainsi que vous en avez usé lors de la discussion sur le veto , et rien n’a été plus utile que cette marche. On pourrait présenter des modifications qui concilieraient peut-être les idées. Par exemple, ne pourrait-on pas dire que le roi, ayant une fois refusé l’installation d’un juge nommé par le peuple, il ne pourrait la refuser si ce même citoyen était l’objet d’une seconde élection? Si cependant l’Assemblée croit devoiradopter un ordre de questions, je préfère celui de M. Le Chapelier. M. Muguet de IVanthou demande la priorité pour celui de M. Briois de Beaumetz. M. Chabroud. Hier, en présentant cette question : « Le roi influera-t-il sur l’élection des juges? » vous avez -dit que, si cette première question était décidée affirmativement, on verrait ensuite si le choix du roi serait éclairé par la présentation de trois candidats; vous avez donc reconnu que cette dernière question est subordonnée à la première; il ne reste donc que celle de savoir si l’investiture est nécessaire. (On demande que la discussion soit fermée.) M. le Président se dispose à mettre cette demande aux voix. MM. le comte de Virieu, le duc du Châtelet, Dufraisse-Duchey, Malouet et Cazalès s’y opposent. M. üarat, l’aîné. Je demande la question préa-