480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 octobre 1789.] lettre du Roi aux évêques, et pense qu’il doit exciter la reconnaissance des Français. M. l’abbé de Pradt demande qu’avant de porter un décret, l’évêque de Tréguier soit mandé. L’Assemblée décrète ce qui suit : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport, décrète que M. le président écrira une lettre-circulaire aux municipalités du diocèse de Tréguier pour les inviter à la paix, les prémunir contre les insinuations que les ennemis du bien public répandent dans les provinces, et les rappeler à la confiance due au zèle et aux décrets de l’Assemblée nationale ; « Que M. le président se retirera auprès du Roi, pour lui faire connaître les troubles qui peuvent régner dans quelques parties de la Rretagne, et prier Sa Majesté de donner les ordres les plus précis aux agents du pouvoir exécutif dans les provinces, pour procurer l’ordre et la tranquillité publique, contre les projets de gens mal intentionnés. « L’Assemblée nationale décrète également que le mandement de M. l’évêque de Tréguier, ensemble les pièces et informations qui y sont jointes, seront remis au tribunal chargé provisoirement de juger les affaires qui ont pour objet des crimes de lèse-nation. » M. le Président a levé la séance, et l’a fixée à demain neuf heures du matin. ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 22 octobre 1789. M. Duport (1). Messieurs, j’avais proposé, il y a deux mois, de commencer notre travail par l’organisation des assemblées provinciales et des municipalités. Ma motion, qui a été imprimée et distribuée contient mes motifs à cet égard. L’Assemblée nationale a pensé différemment. Il faut, sans jeter d’inutiles regards sur le passé, partir du point où nous sommes, pour voir à ce qu’exigent les circonstances présentes et le temps qui doit les -suivre. Votre comité, Messieurs, vous a proposé un plan d’organisation des assemblées provinciales ; je ne m’explique point sur le mérite des combinaisons qu’il renferme, je le trouve impraticable et dangereux dans quelques circonstances. On ne sentira que trop aisément les difficultés des 80 divisions. Il serait à désirer sans doute que la France entière soit partagée, sans avoir égard aux anciennes divisions qui maintiennent l’esprit des provinces, et fortifient contre l’esprit ublic les intérêts particuliers et locaux. Il serait eureux que les habitants de l’empire oubliassent toutes ces dénominations qui les distinguent entre eux, pour ne plus se rappeler que celles qui les unissent. En un mot, qu’au lieu de Bretons et de Provençaux, il n’y ait plus que des Français. (1) La motion de M. Duport, qui est comme une suite de celte qu’il a développée le 30 septembre précédent n'a pas été insérée au Moniteur. Sans doute un gouvernement énergique (1), placé dans une Constitution libre et forte, un gouvernement, dont les peuples auraient déjà éprouvé la douceur et la bonne foi, pourrait se livrer à cette grande et brillante entreprise; mais au moment où, dans la dissolution de tous les pouvoirs, les hommes sont, comme malgré eux, entraînés vers les anciennes liaisons, qu’ils s’y rattachent plus fortement que jamais; lorsque le gouvernement n’a pas la force de les rallier à lui, et qu’il ne sait pas offrir à leurs yeux l’imposant spectacle d’une seule patrie, d’un seul intérêt, d’une grande et majestueuse association; vouloir alors rompre les seuls liens qu’ils aient entre eux, ne serait-ce pas augmenter dans tout le royaume le trouble et la confusion, fournir aux mécontents des prétextes et des occasions, et aux malintentionnés des moyens pour empêcher l’ordre de se rétablir, et cette heureuse liberté après laquelle on soupire si fortement, et dont on ne jouit qu’en vivant sous des lois justes et populaires? On peut atteindre par des moyens plus simples à une partie des avantages que présente le plan qui est proposé. Pour rendre l’administration plus facile et la rapprocher davantage des peuples, il convient sans doute de diviser quelques provinces en plusieurs chefs-lieux d’administration. Il est des provinces où ces divisions sont indiquées par la différence du sol et de la culture ; plusieurs le désirent déjà, et dans un comité composé de membres de chaque généralité, il sera aisé d’en convenir. Ce plan est simple à concevoir et simple à exécuter ; il prévient également et le retour à d’anciens privilèges et l’aristocratie des grands corps. L’on verra par la suite qu’il a l’avantage d’être réalisé dans toute la France, en peu de temps. Je passe aux véritables inconvénients du plan proposé, et aux dangers dont il menace notre liberté politique. Je les réduis à trois principaux. Le premier et le plus grand de tous, est d’avoir établi trois degrés d’élection, soit pour l’Assemblée nationale, soit pour les assemblées provinciales. Dans tous nos calculs politiques, revenons souvent, Messieurs, à l’humanité et à la morale. Elles sont aussi la base de toutes les combinaisons utiles à la société, que le fondement de toutes les affections bien ordonnées. Rappelons-nous ici le grand principe trop tôt oublié, que c’est pour le peuple, c’est-à-dire pour la classe la (1) Je suis contraint de l’avouer, parce qu’un plus long silence serait criminel. Jamais l’Etat ne pourra se relever, ni reprendre aucune énergie avec la conduite faible et équivoque des ministres actuels, remplis des anciennes idées de ministère et d’autorité, occupés à en rassembler quelques parties, au lieu de la puiser tout entière dans la Constitution même. Cherchant à augmenter les fautes de l’Assemblée nationale, exécutant avec négligence ses décrets, au lieu de ramener sur elle-le respect et la vénération des peuples, voulant se faire une sorte d’autorité morale pour l’opposer ensuite à l’Assemblée. D’autre part, ne prenant aucun parti sur les hommes et sur les choses, laissant ignorer en cela aux peuples s’ils approuvent qu’ils soient libres, ou plutôt n’attribuant leur consentement à la Constitution qu’aux circonstances qui les y obligent; en un mot, laissant par faiblesse ou par calcul le gouvernement sans force et sans couleur, afin de le tenir près de toutes les circonstances qui peuvent arriver. Le royaume, je le répète, est prêt à se dissoudre et à périr par le relâchement de toutes les parties, si au plus tôt le ministère ne change pas de conduite, ou si on ne change pas de ministère.