368 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 0 nivôse an II 26 décembre 1793 Ils ne confondront pas les délits antirévolu¬ tionnaires avec l’indiscrétion légère; une rela¬ tion incivique et momentanée, avec de longues habitudes aristocratiques; quelques murmures arrachés par quelque circonstance, avec un acharnement décidé contre la Révolution. Ils ne confondront pas l’égarement du sans-culotte avec l’acharnement du riche; enfin l’espérance et la justice iront consoler dans les maisons d’arrêt ceux qui furent de bonne foi attachés à leur patrie, et en savent souffrir sans murmure. Quant aux aristocrates qui par leurs vœux secrets soutiennent les ennemis de la Répu¬ blique et pleurent sur ses succès, ils seront forcés d’aimer la liberté par une plus longue privation, en voyant la justice nationale venir •au secours des patriotes, même égarés. Quant aux citoyens qui se plaignent des arres¬ tations, la Convention peut leur dire : Je fais des lois justes, car elles sont faites pour éta¬ blir la liberté; je fais des lois de précaution et de résistance, car je suis attaquée par toutes les puissances du dehors, et tous les vils intri¬ gants du dedans; je fais des lois révolution¬ naires, mais l’aristocratie et l’étranger les contrerévolutionnent et les corrompent sans 'Cesse. Quant à ceux . qui, par leurs fonctions ou leurs lumières, sont appelés à aider l’établis¬ sement de la République, nous leur dirons avec ,ceux qui ont parcouru l’histoire des peuples libres : « Sylla, homme emporté, mène vio¬ lemment les Romains à la liberté; Auguste, rusé tyran, les conduit doucement à la servi¬ tude. Pendant que sous Sylla, la République reprenait des forces, tout le monde criait à la tyrannie, et pendant que sous Auguste la ty¬ rannie se fortifiait, on ne parlait que de li¬ berté. » Législateurs d’un peuple libre, fondateurs d’une République sans aristocratie, ennemis -implacables des Auguste et des Sylla, c’est à vous de faire entendre ce langage à toute la France : nos prisons remplies d’aristocrates ou de leurs partisans, ne présentent aucun danger ; la liberté est au bout de ces ordres sévères, mais justes : nos maisons d’arrêt remplies d’aristocrates, ou de leurs partisans, sont sans danger, car il y a parmi nous un certain droit des gens, une opinion établie et décrétée solen¬ nellement, qui fait regarder comme un homme vertueux, celui qui tuera l’usurpateur de la souveraineté nationale. La déclaration des droits est précise, la République arme le bras de chaque citoyen, le fait son magistrat pour le moment, et le proclame son zélé défenseur. Il est encore une réflexion qui n’a échappé à aucun patriote (1) : nous ne comptons nos succès que depuis que les étrangers sont mis en état d’arrestation, depuis que les mauvais citoyens sont impuissants, depuis que les intri¬ gants sont connus, depuis que les hommes sus¬ pects sont arrêtés. Ainsi, c’est au milieu des maisons d’arrêt, comme au milieu des camps, ique la République prend des forces. (1) Dans le rapport de Barère, reproduit par le Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse an II [samedi '28 décembre 1793], p. 395, col. 2). on lit : « Encore une réflexion sur les arrestations faites depuis la loi du 17 septembre... » Républicains ! Les Bressotins vous condui¬ saient doucement à la servitude, les Monta¬ gnards vous mènent vigoureusement à la liberté. Les Brissotins criaient sans cesse à la sûreté des personnes et des propriétés, et ils vous dérobaient la propriété la plus précieuse, la liberté publique. Les Montagnards crient au contraire, à la Révolution, à la République, et ils vous l’assurent par la liberté des bons ci¬ toyens et par l’arrestation des mauvais. Oh ! qu’une fausse pitié peut faire de maux ! Tandis que de braves républicains périssent dans les armées, quelques esclaves de la monarchie ne peuvent-ils sacrifier un instant de leurs délices, ou de leur inutile et oisive liberté. Enfin, vaut-il mieux finir honorablement la Révolution dans teois mois, ou en prolonger les déchirements prndant trois années. Ce calcul doit suffire, et la véritable humanité est celle qui termine. bientôt les maux de la patrie, et qui affermit promptement la République. Le rapporteur a proposé un projet de dé¬ cret d’exécution du décret précédemment rendu, mais ce dernier a été rapporté, et l’Aasemblée a passé à l’ordre du jour, sur le projet de décret nouveau (1). Compte eendu du Moniteur universel (2). Barère, au nom du comité de Salut publie. Je viens au milieu des victoires sur nos ennemis extérieurs, etc... ( Suit avec quelques légères variantes le texte du rapport que nous avons inséré ei-dessus d’après le document imprimé.) Yoici le projet de décret : » La Convention nationale, après avoir en¬ tendu le rapport des comités de Salut public et de sûreté générale, décrète (1) Le document imprimé par ordre de la Conven¬ tion ne publie pas le projet de décret nouveau et se borne à en signaler le rejet par le moyen de la note que nous insérons ci-dessous. Nous reproduisons ce projet de décret d’après le Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse .an II [samedi 28 décembre 1793], p. 395, col. 2). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Salut public et de sûreté générale, décrète : « Art. 1er. Il sera formé dans le jour, dans le comité de Salut public, une section chargée exclu¬ sivement de l’examen et du jugement des motifs d’arrestation des citoyens incarcérés par les comités de surveillance, en exécution de la loi du 7 septembre (vieux style) concernant les personnes suspectes. « Art. 2. Cette section sera composée de cinq membres qui sont tenus de s’assembler deux fois par jour pour cet obtet. « Art. 3. Ils seront renouvelés dans le comité tous les quintidi. « Leurs noms seront secrets. « Ils travailleront seuls dans une salle particu¬ lière, ils décerneront à la majorité des voix des mandats de liberté. « Art. 4. La Convention adjoint aux comités de sûreté générale quatre membres dont les noms sui¬ vent ; Dumaz, du Mont-Blanc; Reverchon; Bour-gain; Bouillerot. » (2) Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse an II [samedi 28 décembre 1793], p. 394, col. 1) Voy. d’autre part ci-après aux annexes de la séance, p. 379, le compte rendu de la même discussion d’après le Journal des Débals el des Décrets. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J “.TÔ®e *n “ 369 « Art. 1er. Il sera formé dans le jour, dans le comité de Salut public, une section chargée exclusivement de l’examen et du jugement des motifs d’arrestation des citoyens incarcérés par les comités de surveillance, en exécution de la loi du 7 septembre (vieux style), concer¬ nant les personnes suspectes. « Art. 2. Cette section sera composée de cinq membres, qui sont tenus de s’assembler deux fois par jour pour cet objet. « Art. 3. Ils seront renouvelés dans le comité tous les quintidi. « Leurs noms seront secrets. « Ils travailleront seuls dans une salle par¬ ticulière. Ils décerneront à la majorité des voix les mandats de liberté. « Art: 4. La Convention adjoint au comité de sûreté générale quatre membres dont les noms suivent: Dumaz (du Mont-Blanc), Re-verchon, Bourgain et Bouillerot. » Robespierre-C’est une avec certaine répu¬ gnance que je prends la parole contre un projet de décret qui vous est présenté au nom des comités de Salut public et de sûreté générale. Si j’avais pu assister à la séance de ces comités où il a été discuté, j’aurais présenté les ré¬ flexions que je vais vous soumettre. Comme c’est moi qui ai proposé les mesures contre lesquelles le rapporteur a parlé, je me crois obligé de faire sentir les dangers qu’entraî¬ nerait le projet de décret qu’il vous présente) Je vous déclare d’abord que je le crois abso¬ lument contraire à l’esprit de celui que vous avez décrété sur ma proposition; il occupera 5 membres du comité de sûreté générale à juger des réclamations sans nombre qui lui seront présentées de toutes les parties de la Répu¬ blique. Dans les circonstances où nous nous trouvons, établir une Commission de cette espèce qui absorberait l’énergie et le patrio¬ tisme de cinq membres de la Convention, serait porter un grand préjudice à la chose publique. La mesure que j’avais prise était plus simple, sans avoir d’inconvénients, elle ne demandait pas qu’une partie du comité de sûreté générale fût uniquement occupée des réclamations de l’aristocratie. Deux membres dans les moments de loisirs, dans des circonstances favorables, sans être importunés, auraient recherché le petit nombre de patriotes qui peuvent se trou¬ ver détenus avec les aristocrates. Par ce moyen, le comité de sûreté générale n’aurait pas perdu un temps précieux pour la liberté à entendre les sollicitations des mauvais citoyens. Prenez garde de tomber dans de plus grands inconvénients que ceux que vous voulez éviter; prenez garde qu’à la faveur du décret qu’on vous propose, la liberté ne soit accordée à quelques aristocrates; qu’il ne nous conduise à l’indulgence à l’égard de l’aristocratie, qui certes ne mérite pas qu’on crée un comité pour s’occuper d’elle; elle ne doit attendre la liberté que lorsque la Révolution aura été cimentée par une paix générale. Je demande que l’on s’en tienne au premier décret. Barère-Les comités de Salut public et de sûreté générale réunis jusqu’à 2 heures du matin, ont examiné cette matière; c’est le comité de sûreté générale qui a provoqué l’attention du comité de Salut public sur cet objet. Nous avons tous trouvé que les mesures lre SÉRIE, T. LXXX1I. décrétées sur la motion de' Robespierre avaient des inconvénients et étaient dangereuses; elles tendaient à isoler du comité de sûreté générale, centre naturel des mesures générales de police, l’examen des arrestations. Robespierre craint les sollicitations; mais il n’y a pas ici de procès par écrit à juger. Les comités révolutionnaires de la République en¬ verront à la Commission la liste des détenus avec des notes sur chacun d’eux, la Commis¬ sion prononcera sans avoir égard à des péti¬ tions qui lui seront présentées et qu’elle ne recevra pas. De plus, par l’adjonction que nous vous pro¬ posons, le comité de sûreté générale n’est privé que d’un seul membre, ainsi il pourra toujours s’occuper des grands intérêts de la République. J’ajoute que le décret que je vous ai soumis est le vœu des deux comités réunis; si la Con¬ vention le trouve mauvais, elle est la maîtresse de le rejeter. Au reste, d’après les motifs déve¬ loppés dans mon rapport, on ne soupçonnera pas qu’il soit fait pour favoriser l’aristocratie. Moise Bayle-Je demande la parole pour proposer que le rapport de Barère fût imprimé et envoyé à tous les comités révolutionnaires, et que le projet de décret soit adopté; car il faut bien que celui qui a été rendu sur la mo¬ tion de Robespierre soit exécuté. Si l’exécution qu’on vous propose a des inconvénients, nous la perfectionnerons. Robespierre-Il est trop dangereux d’ouvrir une première porte à l’aristocratie. Faites im¬ primer le projet de décret et méditez-le, je suis persuadé que vous trouverez, comme moi, qu’il entraîne beaucoup d’inconvénients. Billaud-Varenne-Si dans ce décret il y a des inconvénients, ils viennent du premier qui a été rendu. Si la Convention eût conservé son énergie et sa fermeté, elle aurait passé à l’ordre du jour sur les réclamations des contre-révolutionnaires qu’on vous présenta à la barre. Il est certain que le comité de sûreté générale ne peut répondre à toutes les sollicitations de l’aristocratie, qui ne mérite que notre animad¬ version. Je demande donc le rapport du pre¬ mier décret. Goupilleau-La matière que nous discutons est assez importante, je demande l’ajournement de la discussion. Billaud-Varenne. Ce serait abuser la France entière que de maintenir un décret inexécutable, j’insiste sur le rapport du premier décret. La Convention rapporte son premier décret, passe à l’ordre du jour sur le second; ordonne l’impression du rapport de Barère et l’envoie aux comités révolutionnaires. La séance est levée à 5 heures (1). Signé : Couthon, président; Bourdon (de l’Oise), Marie-Joseph Chénier, A.-L. Thi-baudeau, Jay, Perrin (des Vosges), Pé¬ lissier, secrétaires. (1) Procès-verbaux de la Conuenlion, t. 28, p. 115. 24