84 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 octobre 1790.] Et sans doute, c’est pour ces traités un grand titre de recommandations auprès de l’Assemblée nationale, que la bienveillance et l’amitié qui a toujours uni ces princes à la nation française dans la personne de son auguste chef, et dont les témoignages, cent fois réitérés, vivront à jamais dans une collection nombreuse de lettrés patentes. — Aussi avez-vous déjà annoncé, à cet égard, des dispositions très favorables, puisque, par votre décret du 28 avril, vous avez prié le roi de prendre des mesures, pour qu’il vous fût remis un état des indemnités que les princes d’Allemagne pourraient prétendre leur être dues par suite de l’abolition du régime féodal. Nous ne craindrons donc pas de contrarier vos vues, nous nous flattons même de les seconder, en vous proposant de ne pas refuser à ces princes une indemnité qui, si elle n’est pas rigoureusement commandée par la justice, n’en sera que plus propre à manifester, dans toute l’Europe, l’esprit d’équité, de paix et de fraternité qui vous anime envers les puissances étrangères. Nous ne pensons pas cependant que vous puissiez, dès aujourd’hui, déterminer cette indemnité; les états de prétentions que vous avez demandés, ne vous sont pas encore remis, et il est bien évident que vous ne pouvez rien statuer définitivement sans ces états : Votre comité féodal se borne donc à vous proposer le décret suivant. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu « le rapport de son comité féodal, déclare que « tous ses décrets sanctionnés par le roi, no-« tamment ceux des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, « 15 mars 1790, et autres concernant les droits « seigneuriaux, doivent être exécutés dans les « départements du Haut et du Bas-Rhin, comme « dans toutes les autres parties du royaume. « Et néanmoins, prenant en considération « l’estime, la bienveillance et l’amitié qui depuis « si longtemps unissent intimement au chef et « aux intérêts de la nation française les princes « d’Allemagne qui possèdent dans lesdits dépar-« tements des biens auxquels était autrefois an-« nexée la supériorité territoriale ; et voulant « parvenir à une détermination équitable des « indemnités qu’elle est disposée à leur accorder « pour raison des droits seigneuriaux abolis par « lesdits décrets; « Décrète, en persistant dans son décret du 28 « avril dernier, que le roi sera prié de prendre de « nouvelles mesures pour que les états y mention-« nés soient remis incessamment à l’Assemblée « nationale, pour par elle être statué en consé-« quence ainsi qu’il appartiendra; si mieux n’ai-« ment lesdits princes délaisser leurs terres à la « nation française, pour le prix commun auquel « elles auraient pu se vendre immédiatement « avant le 4 août 1789, en y comprenant les droits « seigneuriaux qui existaient à l’époque de la « réunion de la ci-devant province d’Alsace au « royaume de France. » M. de Mirabean. Je viens vous proposer, au nom du comité diplomatique, une rédaction différente de celle du rapporteur du comité féodal. En voici le texte : « L’Assembiée nationale, après avoir entendu « le rapport de ses comités féodal et diplomatique, « considérant qu’il ne peut y avoir dans l’étendue « de l’Empire français, d'autre souveraineté que « celle de la nation, déclare que tous ses décrets « acceptés ou sanctionnés par le roi, notamment « ci“ux des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789, 15 mars « 1790, et antres concernant les droits seigneu-« riaux et féodaux, doivent être exécutés dans « les département du Haut et duBas-Rhin, comme « dans toutes les autres parties du royaume. « Et néanmoins, prenant en considération la « bienveillance et l’amitié qui, depuis si long-« temps unissent la nation française aux princes « d’Allemagne possesseurs de biens dans lesdits « départements ; « Décrète que le roi sera prié défaire négocier « avec lesdits princes une détermination amia-« ble des indemnités qui leur seront accordées « pour raison des droits féodaux et seigneuriaux « abolis par lesdits décrets, et même l’acquisition « desdits biens, en comprenant dans leur éva-« lualion les droits seigneuriaux et féodaux qui « existaient à l'époque de la réunion de la ci-« devant province d’Alsace au royaume de « France; pour être, sur le résultat de ces négo-« ciations, délibéré par l’Assemblée nationale, « dans la forme du décret constitutionnel du « 22 mai dernier. » M. Merlin, rapporteur. J’adopte la rédaction qui vous est proposée par M. de Mirabeau. M. du Châtelet. Il n’est pas de la dignité de l’Assemblée d’avoir deux poids et deux mesures. Les seigneurs et les particuliers qui possèdent des biens en Alsace, ont le même droit que les princes de l’Empire ; je demande donc qu’ils participent aux mêmes indemnités. M. de Broglie. En appuyant l’amendement proposé par M. Du Châtelet, je demande que les ci-devant gentilshommes d’Alsace, qui possédaient au même titre et sous la garantie des mêmes traités que les princes étrangers possessionnés en Alsace, soient associés aux avantages et indemnités qui pourront être accordés auxdits princes étrangers et Etats d’Empire. (La question préalable est demandée sur cet amendement, et l’Assemblée décide qu’il n'y a pas lieu à délibérer.) M. Schwendt, député de Strasbourg. Je demande que l’Assemblée déclare les fiefs d’Alsace libres comme toutes les autres propriétés féodales du royaume (1). M. Cavle. Nous nous y opposons, nous tous Alsaciens. M. de Mirabeau. La proposition de l’anté-préopinant ne tendrait à rien moins qu’à rendre héréditaires 70 millions d’usufruit. La question des fiefs d’Alsace a été séparément ajournée. M. de Foucauld. En ce cas, je demande la question préalable sur le projet du comité; car ce qu’il vous propose est une déférence tout à fait aristocratique. M. d’Kstonrmel. Les motifs qui déterminent l’Assemblée à prendre en considération les demandes des princes d’Allemagne, ayant pour (1) Yoy. aux annexes de la séance, p. 88, le développement de l’amendement de M. Schwendt. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (28 octobre 1790.] 85 bases les traités, il m’est impossible, en ma qualité de député du Cambrésis, de ne pas réclamer la même faveur pour l’archevêque de Cambrai et les autres propriétaires de ma province. Je demande qu’en vertu du traité de 1777, ils soient renvoyés au comité diplomatique. (Cet amendement est rejeté par la question préalable.) (Le projet de décret présenté par M. de Mirabeau est adopté à une grande majorité.) M. üaurissart demande un congé illimité pour rétablir sa santé. M. de Faucigny sollicite la * permission de s’absenter pour un mois. Ces congés sont accordés. M. le Président. Le comité des rapports demande à rendre compte des troubles nouvellement survenus à Montauban. M. Anthoine, rapporteur. Je vais vous rendre compte, au nom du comité des rapports, des nouveaux événements arrivés à Montauban. Les désordres augmentent de jour en jour; le 17 du mois dernier ils ont été portés au comble: les patrouilles ont été]insultées ; un homme a perdu la vie; plusieurs ont été blessés, et ces malheurs ne semblent être encore que l’avant-coureur d’un désastre plus général. Le directoire du département du Lot et les commissaires, que vous avez fait nommer pour remplacer «provisoirement les offficiers municipaux suspendus, avaient prévu ces événements malheureux. Ils espéraient les prévenir avec le secours de la garnison : mais ils ont appris que le commandant des troupes de ligne dans le département, M. d’Es-parbès, se disposait à en faire déloger une partie pour l’envoyer àMoissac, tandis que par délibération du conseil de la commune de cette dernière ville, jointe aux pièces, la municipalité réclame avec force contre l’envoi des troupes de ligne. Ces vives réclamations n’ont abouti qu’à faire suspendre le départ d’un détachement de Touraine, et c’est dans cet état de choses qu’arrivèrent les événements consignés dans la lettre, en date du 20 dé ce mois, signée des membres du directoire du département du Lot; je vais vous en donner lecture : « Depuis notre lettre du 17, notre ville a couru les plus grands dangers; une patrouille du régiment de Royal-Pologne fut assaillie par le peuple à coups de pierres, de pots cassés, de chandeliers, de bûches et autres ustensiles. Des soldats ayant senti siffler plusieurs balles à côté d’eux, et apercevant une autre patrouille du régiment de Touraine, crurent que les coups partaient de cette troupe. Les deux patrouilles se couchèrent en joue pendant près d’une minute. Un sergent de celle de Touraine, parvint à éclaircir les faits. Le calme se rétablit. Le lendemain les soldats des deux régiments firent une espèce de fédération. Depuis cette époque nous avons passé deux journées assez tranquilles; mais nous apprenons, par nos espions, que nous sommes à la veille de nouveaux malheurs ; que les chefs de cette ville demandent le régiment de Noailles, sur la sagesse et le patriotisme duquel elle a reposé toute sa confiance. » Votre comité des rapports a connu, par l’examen des autres pièces, que, loin que votre décret du 26 ait été exécuté, loin d’avoir envoyé deux régiments complets à Montauban, M. d'Esparbès a voulu encore en soustraire une partie. Cette ville demande donc, en exécution de votre décret du 27 juillet, deux régiments complets, et elle réclame le régiment de Noailles, que le désir seul de perpétuer la guerre civile pourrait faire refuser à ses vœux. Plusieurs observations ont été faites à votre comité sur les causes immédiates de ces troubles : il est de votre prudence et de votre patriotisme d’arrêter un instant vos regards sur ces observations. Le clergé, forcé de restituer au peuple le fruit de ses pieuses usurpations, s’agite en tous sens, et depuis la Picardie jusqu’à la Corse, les évêques et les abbés ne cessent de prêcher la guerre, au nom d’un Dieu de paix. Les cerveaux inflammables de nos provinces méridionales sont bien plus ropres à recevoir ces funestes impressions. iraes, Uzès et Montauban offrent de tristes exemples de. cette vérité. Les chapitres de Strasbourg en feraient bien autant en Alsace, s’il était possible de fondre la glace des têtes germaniques. Le maire est à Paris, il a des relations intimes avec les ministres, et surtout avec M. de Marguerittes, maire de Nîmes et membre de cette Assemblée. Un fait récent, sur lequel votre comité ne s’est permis de rien préjuger, mais qu’il croit devoir livrer aux méditations de l’Assemblée, afin de la rapprocher de plus en plus de la découverte de la vérité, c’est que M. Champion de Cicé, garde des sceaux de France, prêtre-archevêque, bénéficier-ministre, vient d’élever à la place de commissaire du roi à Moissac, le procureur de la commune de Montauban, mandé à la barre de celte Assemblée, accusé et fortement soupçonné d’être un des fauteurs de la guerre civile, suspendu comme tel de ses fonctions, et exposé à subir la rigueur d’une procédure criminelle, ordonnée par le même décret. L’Assemblée se demandera si le garde des sceaux a voulu seulement se jouer de vos décrets, braver l’intérêt sacré du peuple, avilir la dignité du choix royal, ou s’il a prétendu récompenser l’auteur des troubles de Montauban. Je n’ajouterai aucune réflexion à l’exposition de ces faits : le plus instant de vos soins est de rendre la tranquillité à la ville de Montauban; vous avez entendu sa pétition : votre comité vous propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, décrète que son président se retirera pardevers le roi, pour le prier de donner les ordres nécessaires afin que la garnison de Montauban soit sans délai composée de deux régiments complets, du nombre desquels sera le régiment de Noailles. » M. Faydel. Je ne demanderai pas pourquoi M. le rapporteur ne vous a pas fait lecture des pièces qui ont été remises au comité des rapports, pièces qui l’auraient détourné des diatribes qu’il a faites contre les ministres. On inculpe M. Latour-Dupin; on se plaint de ce qu’il n’a pas envoyé à Montauban le régiment de Noailles. Voici le fait : les ordres ont été donnés au régiment de s’y transporter; mais la ville de Garcassonue et le directoire du département écrivirent au ministre qu’ils ne pouvaient se passer de ce régiment. M. Latour-Dupin a adressé, à ce sujet, une lettre au comité des rapports, qui n’a été suivie d’aucune réponse. Il se vit donc, pour ainsi dire, forcé d’acquiescer au vœu de la municipalité de Carcassonne ; s’il n’a pas littéralement exécuté le décret, c’est parce que l'Assemblée nationale a gardé le silence. On fait un reproche à peu près