[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1790.) ggl ment, qu’ils lui proposaient de marcher vers l’hôtel de la commune, pour enlever à force ouverte ceux de leurs camarades qui s’y trouvaient; le major de ce régiment s’était rendu, accompagné du quartier-maître, très connu pour son patriotisme et sa bonne conduite, auprès de la municipalité. « Les citoyens volèrent aux armes et vinrent en grand nombre à l’hôtel de la commune demander justice des attentats commis contre eux ; on leur présenta les officiers qui avaient été arrêtés; ils n’en inculpèrent qu’un qui avait été conduit par la garde nationale au département, sans chapeau et sans épée. « De concert, les administrateurs résolurent d’éloigner aussitôt le régiment de Lyonnais; il fut requis de partir incontinent; cinq compagnies se sont rendues à Lambesc, trois à Roquevaire, deux à Éturiol. lia fallu les diviser pour rendre le régiment moins fort au cas que la séduction parvînt à lui faire oublier ses devoirs et pour qu’il fût moins à charge aux villes dans lesquelles seules on pouvait le cantonner. « Je dois un témoignage honorable à la conduite des grenadiers de ce régiment ; ils refusèrent de marcher sans en être requis par les administrateurs, et c’est sans doute à leur attachement aux lois, à leur fermeté, que la ville doit son salut ; si les grenadiers eussent été moins dignes de porter le nom de grenadiers français, la ville aurait été livrée à un affreux carnage. L’exemple de ces braves grenadiers retint les soldats sur lesquels l’ivresse sanguinaire de quelques officiers avait déjà eu quelque influence, et ils avaient fait une évolution pour marcher, mais leur cœur ne partageant pas leur faute elle était due à leur attachement à la discipline militaire et à l’erreur d’un moment, qu’ils abdiquèrent aussitôt qu’ils furent instruits par l’exemple des grenadiers. « Dans ces circonstances dangereuses, l’administration requit 400 hommes du régiment suisse d’Ernest, en garnison à Marseille, et 400 hommes de la garde nationale de ladite ville, pour se rendre aussitôt à Aix. Des secours sont arrivés hier matin et le régiment de Lyonnais avait fait route pour les destinations dès les six heures du matin, en bon ordre. « L’administration compterait sur la tranquillité de cette ville, si le sieur Pascalis, ci-devant avocat, qui avait insulté la nation par un discours incendiaire, prononcé par lui le 27 septembre dernier à la narre du ci-devant parlement et que j’ai ci-devant dénoncé à l’Assemblée nationale qui, par son décret du 5 octobre, a renvoyé la connaissance de cette affaire au comité des recherches, n’avait été arrêté et conduit aux prisons. Le peuple le considérant comme la cheville ouvrière de la trame qu’on croit avoir été ourdie contre les citoyens patriotes, demande sa tête à grands cris. La garde des prisons est confiée à des détachements des gardes nationales d’Aix et de Marseille et du régiment d’Ernest. Mais l’administration craint vivement que les forces qu’elle a à sa disposition ne soient insuffisantes si la voie de la persuasion et de la confiance qu’elle emploie ne réussit pas. « Voilà, Monsieur le Président, quelle était notre situation à huit heures du matin; depuis lors elle est devenue beaucoup plus affreuse : les cris, qui demandaient la tête du sieur Pascalis, étant devenus plus forts et plus innombrables, plusieurs officiers municipaux en écharpe et la plupart des administrateurs se sont rendus aux prisons pour rétablir le calme ; Us ont été sans puissance et sont même devenus suspects au peuple; les sieurs Pascalis, La Roquette et Guiraman ont été pendus à des arbres, sans que la présence des administrateurs, sans doute méconnus dans ce tumulte, et des officiers municipaux en écharpe, ait pu prévenir ces excès. « Cette affreuse catastrophe déchire mon âme, malgré les desseins infernaux dont la voix publique accuse ces individus et plusieurs autres dont l’existence nous menace peut-être de nouvelles scènes de sang. « Jamais, Monsieur le Président, il ne fut de situation plus terrible que celle de tous les administrateurs réunis depuis trois jours pour entretenir la tranquillité publique, et auxquels tous les moyens échappent à la fois. « La garde nationale de Marseille a été requise d’y retourner, afin de diminuer le nombre des gens armés qui étaient en cette ville, sans être à la disposition de ceux qui sont chargés de la tranquillité publique. « Le tribunal de district de cette ville informe extraordinairement contre divers individus qui, dit-on, ont été chargés par plusieurs témoins et même par les dernières paroles du sieur Guiraman ; il est attesté que celui-ci a tiré dimanche les premiers coups de pistolet sur les citoyens. « Les corps administratifs ne tarderont pas à faire parvenir à l’Assemblée nationale leurs procès-verbaux; chaque minute donnant lieu à de nouveaux incidents et à de grandes variations dans notre situation, ces procès-verbaux ne peuvent encore être clos, mais j’ai cru qu’il était de mon devoir de vous adresser, Monsieur le Président, ces premières notions sur l’affreuse situation dans laquelle se trouve cette ville. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : Martin, fils d’André, président du département des Bouches-du-Bhône . » M. de Mirabean poursuit : Il y a une extrême urgence à aller au plus pressé. C’est dans ce but que je vous présente le projet de décret suivant ; « Ouï la lecture d’une lettre du président du département des Bouches-du-Rhône, en date du 14 de ce mois, l’Assemblée nationale renvoyant à ses comités des recherches et des rapports réunis, la connaissance des événements qui se sont passés à Aix, pour lui en être rendu compte le plus tôt possible, ordonne que les députés des Bouches-du-Rhône, du Var et des Basses-Alpes, se retireront sur-le-champ pour former un projet de décret provisoire sur les mesures les plus propres à rétablir l’ordre dans la ville d’Aix. » (Ce projet de décret est adopté.) M. le Président. Le comité des recherches a la parole pour rendre compte des événements arrivés à Lyon. M. Charles Voidel fait le rapport suivant sur la conspiration de Lyon (1). Messieurs, dans le choc terrible des passions qu’elle développe ou qu’elle fait naître, dans les maux passagers mais inévitables qu'elle entraîne à sa suite, dans le courage qui sacrifie tout à la patrie et dans l’égoïsme qui ne calcule que se3 pertes, une grande révolution dévoile en quelque sorte les secrets du cœur humain ; elle éveille les âmes engourdies, elle créedes hommes; mais en déplaçant subitement tous les rapports, en t() Ce rapport est incomplet ao Moniteur. 552 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1790.] changeant toutes les idées, en rompant toutes les habitudes, elle laisse sous l’empire des préjugés ceux qui ne vivaient que d’abus, et qui, sous les dehors trompeurs d’une considération usurpée, cachaient une véritable nullité : ceux-là coureDt après une existence qui les fuit; et ne pouvant la composer des vertus qui leur manquent, c’e�t en faisant le malheur des hommes qu'ils veulent fixer leurs regards. Il est affligeant pour noos d’avoir à vous entretenir sans cesse üe troubles, de désordres et de complots : il e-;t pénible pour vous d’en entendre le récit; mais, nous ne devons pas vous le dissimuler, les ennemis de la oatrie s’agitent avec plus de fureur que jamais, et vous allez en voir la preuve dans le rapport que je suis chargé de vous faire. La ville de Lyon fut, il y a quelques mois, le théâtre d'une violente sédition; elle eut pour prétexte L diminution des octrois. Voir * fermeté, secondée des efforts des bons citoyens, parvint à l’apaiser; mais ce premier mouvement éveilla l’e.-poir des mécontents : ils crurent, en entretenant l'agitation des esprits, pouvoir rallumer un le u mal et dnt, et ce fut sur les d spositions de cette ville qu’ils foimèrent un nouveau plan et qu’ils en fondèrent le succès. Depuis quelque temps, des avis multipliés partis de Turin, de Nice, d’Antib s, de Valence, d’Aix, de Toulon, dirigeaient vers ce point important du royaume la sollicitude du comité; de tous côtés on lui annonçait, de la part des réfugiés français, des intentions malfaisantes et des préparatifs menaçants : les fréquents voyages de M. d’Auti-champ en Suisse; les allées et Venues perpétuelles d’agents subalternes, l’arrivée soudaine d’un ministre prévaricateur à la cour de Turin ; l’accueil qu’il y avait reçu de MM. d’Artois, de Gondé et de Bourbon, ces trois citoyens, désignés comme les principaux auteurs des projets qui menaçaient la France : tout nous faisait un devoir rigoureux de la plus exacte surveillance; enfin tout est découvert {On applaudit ). Pendant la nuit du 8 au 9 de ce mois, le sieur Privât, officier de la garde nation.de de Lyon, déclara, en présence de MM. Maison-Neuve, Andril-lat, Pressavin et Carret, officiers municipaux, que, par lui-même et par le s cours d’autres citoyens patriotes, il avait découvert une société de conjuré* dont les projets tendaient ù renverser la Constitution; mais que pour marcher plus sûrement et pour ne rien hasarder dans la conduite d’une affaire aussi importante, il s’était environné des lumières et des conseils de quelques citoyens zélés, sages et instruits, auxquels il avait pr sentéles sieurs Monet, Berthet, Chazot, et David Jacob, comme les confidents déguisés des conjurés. Ces officiers municipaux passèrent cette nuit et celle du 9 au 10 à recevoir les déclarations de ces quatre particuliers : vous allez, Messieurs, dans l’extrait fidèle des pièces, les entendre parler successivement. Il y a trois mois environ, dit le sieur Monet que le sieur Pingou, ci-devant comte de Lyon, par l’entremise du nommé Bonjour, son fils naturel, m'engagea âme rendre chez lui; il me combla de caresses, me parla de la confiance que les ouvriers avaient eu moi, et du pouvoir que j’avais sur leurs esprits ; il me vanta les services que les ci-devants chauoines avaient rendus au peuple, les bienfaits qu’ils avaient répandus sur les ouvriers; ils peuvent eu attendre encore, me dit-il, et ils se prêtent à nos vues dans un moment où la Révolution anéantit le commerce de Lyon. Ges vues n’ont rien de criminel; il s’agit seulement d’arrêter les progrès des enragés de l’Assemblée nationale, qui ne respectent rien : sans doute le peuple rie Lyon ne verra pas de sang-froid vendre les biens du clergé, et surtout ceux des comtes de Lyou. Je fis confidence de cette ouverture au sieur Privât, et, d’après son conseil, je parus me prêter aux vues du sieur Pingon. Celui-ci me fit venir chez lui plusieurs fois; après quelques conférences, sans doute il me jmæa digne de sa confiance, et nri préssntaau sieur d’Escars, capitaine à la suite dans le régiment d’Artois, dragons. Le sieur d’Escars m’entretint longtemps chez le sieur Pinçon, et me présenta ainsi au sieur Terrasse de Tevssonnet, officier dans le régiment du Maine, infanterie. Ges deux officiers me conduisirent enfin chez le sieur Guillien de Pougelon, conseil et juge de la justice des ci-devaut chanoines comtes de Lyon. Les conférences avec ces trois particuliers remontent à près de deux mois ; elles ont été très mu 1 1 pliées, et se sont tenues tamôt chez l’un, tantôt chez l’antre, et une fois chez moi. Gette fois, le sieur Privât et son fils étaient cachés derrière un lit et à portée de tout entendre. Dans toutes ces conférences, les conjurés me donnaient des instructions : elles avaient pour objet de soulever le peuple contre le nouvel ordre de choses et contre l’Assemblée nationale. Les moyens étaient de réunir dans les cabarets le plus de personnes que je pourrais. Il faut, me disaient-ils, trouver des caharetiers qui donnent le vin à meilleur marché, et chaque semaine on leur payera le déficit. Je leur fis remarquer, sur cette proposition, que les caharetiers pourraient parler, et que leur indiscrétion nuirait beaucoup au succès de l’affaire. Le sieur Guillien approuva mon observation, et convint qu’il fallait se contenter de déclamer dans ces cabarets, d’animer les esprits, et les amener enfin à demander le rappel des princes et la diminution des octrois. Ils me dirent qu’il faudrait, à cet effet, une pétition expresse ; et, pour m’y déterminer, ils me représentèrent que dès que les princes seraient à Lyon, ils y répandraient beaucoup d’argent; que le commerce fleurirait; que les ouvriers auraient du travail. Leroi, ;ijoutaient-ils, trouvera le moyen de s’échapper de Paris, où il est détenu prisonnier : il se rendra à Lyon ; cette ville deviendra la capitale de l’empire; les Parisiens, par leur félonie, oat mérité de perdre cet avantage, et on logera les princes aux Brotteaux. Les sieurs Teyssoonet et d’Escars, continue Monet, me donnèrent deux rendez-vous dans ce dernier lieu, et ne se trouvèrent à aucun. Mais la dernière fois, j’y fus accosté par un sieur Clerc. Celui-ci chercha à s’insinuer dans mon esprit et à découvrir mes sentiments. Il m’invita à diner, et j’acceptai ; il me parla des inconvénients du nouvel ordre de choses, du mérite du sieur Guil lien , et me le désigna comme l’homme le plus propre à remplir la place de maire. Les sieurs d’Escars etTeyssonnet me donnèrent, en différentes fois, 25 louis, en m’engageant à amener à leur parti le plus de monde que je pourrais : pour me mettre en état d’agir avec plus de succès, et de mieux décrier les principes constitutionnels, ils tirèrent du dépôt qui était chez le sieur Guillien, et me chargèrent de di-tiibuer divers imprimés, sous les litres de Cromwels français démasqués, la France sauvée , la Bouche d’or, le Massacre des catholiques de (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 décembre 1790.J 553 Nîmes, Ouvrez donc les yeux, Avis aux concitoyens, Adresse de la veuve Gasc à V Assemblée nationale, Protestation du camp de Jalès, Lettre à l'auteur d'un journal très connu , la Nouvelle lanterne maqique, L'état de la France, présent et avenir, par M. de CalonDe. Comme je ne voulais pas, dit Monet,me rendre suspect aux conjurés , je distribuai quelques exemplaires de ces libelles, et je déposai le reste chez le sieur Fraction, aide-major de la garde nationale. Une autre fois je devais aller chez le sieur Terasse chercher un autre ballot de libelle ; mais, au moment que je me présentai, le sieur Berthelet, officier municipal, avec le sieur Bret, procureur de la commune, et un détachement de la garde nationale , étaient occupés à saisir ce ballot. Me trouvant un jour dans le cabinet du sieur Guillien, on y ajouta la nomination du maire, on parla de l’élever à cette place ; après quelques difficul és, il se rendit, à condition que la municipalité ne serait composée que de gens qui lui convinssent. Le sieur Guillien avait des listes toutes faites, il m’en donna une, et les sieurs d’Escars et Teyssonnet m’en remirent une cinquantaine de pareilles. Dans une autre conférence, on s’occupa encore de la formation de la municipalité, mais le plan se trouvait dérangé par la démission de cinq officiers municipaux, dont les conjurés regrettaient la perte et qui se trouvaient remplacés par un pareil nombre de notables, très dévoués à la Constitution. Il faut, dit le sieur Guillien, que M. de La Chapelle aille trouver M. de Savy, qu’il lui dise que le peuple ne veut pas de ces gens là, qu’il est dans la plus grande effervescence, et qu’il engage ceux qui ont donné leur démission à rester en place ; personne, ajoute le sieur Guillien, ne voudra rester avec cette canaille, il n’y a qu’à soulever le peuple et les faire exterminer. Ensuite on déclama contre les clubs patriotiques , qui contrariaient le choix de ceux qu’il convenait de porter à la municipalité ; on proposa de faire faire des choix absurdes, de faire nommer des personnes ineptes ; d’avoir des espions dans les différents clubs; d’en gagner les présidents et secrétaires ; on jeta b*s yeux sur le sieur Billemas, avocat, et sur le sieur Privât, le premier comme fondateur du club central, le second parce qu’il avait la confiance des ouvriers de Saint-Just et du Gourguillon. Les conjurés se plaignaient quelquefois d’être mal servis par l’hôtel de la commune , quoiqu’ils payassent bien : ils m’engagèrent à gagner le sieur Ducraix, ouvrier en soie, ancien maître-garde sur les ouvriers. J’ai eu, continue toujours Monet, j’ai eu depuis depuis quelques jours, plusieurs conférences av c les conjurés, ils m’ont remis différents libelles, un entre autres, intitulé : Lettre à l'auteur d'un journal très connu, et dans lequel on trouve, à peu de choses près, leur plan et les dispositions qu’ils me chargeaient d’inspirer au peuple : ils m’ont dit que les gens de rivières et les chapeliers étaient à leur dévotion ; et lorsqu'ils parlaient du sieur La Chapelle, ils l’appelaient toujours l’ami La Chapelle. Je suis allé ce matin encore chez le sieur Terasse, qui m’avait fait appeler par son domestique; il m’a demandé avec intérêt où en étaient les affaires. Tout va bien, lui ai-je répondu. Ce sera donc pour demain, me dit-il ? Non, il faut renvoyer l’affaire à lundi : vous savez que j’ai été très occupé; je n’ai pu faire tout ce que j’aurais voulu. D’ailleurs dimanche prochain je pourrai avancer beaucoup, vous savez que ce jour-là on peut avoir beaucoup de monde; les ouvriers sont plus répandus dans les cabarets et ailleurs ; on avance plus en un jour de fête qu’en plusieurs autres. Le sieur Terasse a témoigné de l’impatience : le retard, dit-il, me dérange et me donne beaucoup de peine, parce que quand vous me renvoyez, il faut, pour marcher d’accord, que je remette aussi les autres; ainsi, sans plus de retard, il faut que l’affaire éclate lundi. Notre fortune est faite, m’a-t-il ajouté; vous serez présenté à M. le comte d’Artois à son arrivée, et les princes récompenseront ceux qui les auront servis. Je sors, continue Monet, de chez le sieur d’Escars; j’ai eu avec lui la même conversation qu’avec le sieur Terasse : comme ce dernier, il m’a témoigné de l’impatience de ce que les affaires n’allaient pas aussi vite qu’il le désirait; quand il s’agit, m’a-t-il dit, de renvoyer d’un jour à l’autre, ce sont des embarras infinis, parce qu’il faut en faire part à plusieurs personnes employées de leur côté. Mais, lui ai-je répondu, je ne peux pas aller plus vite, je fais ce que je puis. Je sais, a repris le sieur d’Escars, que vous méritez confiance, que vous aimez vos princes et votre roi : ne négligez rien. Avez-vous, m’a-t-il dit, la chanson en patois Lyonnais? Non: donnez-moi la donc; alors il m’en a donné plusieurs exemplaires avec un paquet de la lettre à l’auteur d’un journal, et dix exemplaires du mémoire de M. de Galonné. Je viens d’apprendre, m’a ajouté le sieur d’Escars, que Perpignan s’est soulevé et a remis les choses sur l’ancien pied : on arrête tous les deniers provenant des impôts pour les remettre au roi quand il sera libre; Dijon en a fait autant; Lyon qui en est le centre, serait-elle donc la dernière ? Vous avez sans doute remarqué, Messieurs, dans la déclaration du sieur Monet, qu’il parle de la lettre à l’auteur d’un journal, comme contenant, à peu de choses près, le plan et les dispositions des conjurés. Ce qui a rapport à cette lettre devant se trouver dans les déclarations des autres témoins, il me paraît nécessaire de vous lire en ce moment les deux derniers paragraphes de cette lettre. « Il me semble que Lyon étant l’ancienne capi-« taie des Gaules, et que la situation au confluent « de la Saône et du Rhône étant la plus belle que « l’on connaisse après celle de Constantinople, « cette ville devrait se hâter de prendre une place « que toutes les autres lui laissent, et que Paris « ue veut ou ne mérite plus. Je pense donc que <« si la ville de Lyon, au lieu d’être, en ce mo-« ment, l’humble satellite de Paris, voulait à son « tour devenir planète principale; elle n’aurait « qu’à proclamer dans toute l’Europe une invite tation à tous les Français qui tremblent, soit * pour leur vie, soit pour leur fortune, de se « rendre dans son sein avec toute confiance. Lyon « déclarerait, dans cet acte solennel, qu’il prend « sous sa sauvegarde et sa protection immédiate « tous ceux qui viendraient s’y réfugier : il serait (. dit dans cette invitation que les Français si « malheureusement expatriés n’auraient pas à « craindre de trouver dans Lyon cette populace « féroce et oisive que des agioteurs et des capi-». talistes font mouvoir à leur gré par des famines « artificielles et autres manœuvres infâmes; que « les réverbères de Lyon ne sont faits que pour « éclairer, et que son immense population n’est 554 [Assemblée nationale.] « formée que d’hommes industrieux et d’ouvriers « utiles. « Je ne doute pas un instant qu’à l’apparition « d’un tel acte, tous les Français ne se rendissent « en foule des bords de la Tamise, du Danube « et du Pô, dans une ville hospitalière et opu-« lente qui serait pour eux une patrie embellie. « Tel serait vraisemblablement l’effet de l’heureux « concours de tous les Français dans une telle « ville, que le roi lui-même afin de prouver que « Paris ne le retient pas prisonnier, viendrait y « retrouver ses anciens sujets, et entraînerait avec « lui l’Assemblée nationale, si elle se croyait « inséparable do Sa Majesté. » Vous allez actuellement, Messieurs, entendre le sieur Berthet. Le 27 ou le 28 novembre dernier, je me rendis chez M. Guil lien pour un procès. Après lui avoir parlé de mon affaire, il me de manda si l’on pouvait compter sur moi; il me dit que si j’étais sûr et discret, il me ferait gagner ma vie, et que ie ferais mon chemin. J’assurai le sieur Guiliien de ma discrétion et de ma fidélité; j’invoquai le témoignage des sieurs Prost et Basset, lieutenants de police, qui avaient été contents de mes services; j’invoquai le sien même, puisque j’avais découvert il y a quelques années h s auteur et imprimeur d’un libell fait contre lui. Il s’ouvrit alors et me dit : il faut que tu mettes de notre parti le plus de monde que tu pourras; tu connais les mouchards, tu peux eu tirer parti. Non, luis dis-je, ces gens-là ne sont pas sûrs; ils pourraient vous compromettre : mais tu as tes fils, me dit le sieur Guiliien ? Non, lui répondis-je, ils sont occupés; mais j’ai à moi des croche-teurs et des gens de peines sur lesquels je peux compter; en faut-il trente, quarante, cinquante? nous les emploierons. Connais-tu le sieur Privât, me demanda M. Guiliien? Oui, lui dis-je, il m’a employé quelquefois ; et je suis sûr qu’il a été content de moi. C’est un homme essentiel, me dit-il, il faut que tu l’amènes chez moi : je veux lui parler; va lui dire qu’il vienne chez moi : je l’attendrai ce soir. J’étais sûr du patriotisme et de la façon de penser du sieur Privai, continue Berthet ; j’allai le trouver, et je lui fis part des dispositions et des propositions du sieur Guiliien, et je le priai de me conseiller. Il m’indiqua la conduite que je devais tenir, et, par son conseil, j’allai deux fois chez M. Guiliien. La première fois je lui dis que je n’avais pas trouvé le sieur Privât ; la seconde, que le sieur Privât m’avait dit : si M. Guiliien a quelque chose à me communiquer, il peut m’écrire, et je verrai ce que j’aurai à lui répondre; mais le sieur Guiliien rejette avec répugnance la imposition de hasarder une lettre au sieur rivât. Depuis le 27 ou 28 novembre, j’âllais journellement chez le sieur Guiliien. Dans chaque conférence, il me parlait de séduire le peuple, de le soulever, de gagner au parti le plus de monde possible; d’amener les ouvriers à demander les princes et la réduction des droits sur le vin. Selon M. Guiliien, dès que les princes seraient à Lyon, Us récompenseraient ceux qui les auraient servis; le pain et le vin seraient à meilleur marché, l’or et dargent abonderaient; Lyon enfin deviendrait florissant et brillant. Tous les jours à peu près je recevais de M. Guiliien h s mêmes conseils et les mêmes insinuations; je l’amusais par de fausses confidences; et lui tenais les propos que me dictait le sieur Privai. Un jour, par le conseil de ce dernier, j’allai [18 décembre 1790.] trouver le sieur Guiliien ; le peuple, lui dis-je, demande le renvoi du régiment de la Marck et de M. de la Chapelle; il y a même à cet effet des pétitions de différentes sections. Va, me dit-il, sois tranquille : le régiment de la Marck et M. de la Chapelle ne s’en iront pas. Enfin le sieur Privât me conduisit dans une maison près Saint-Nizier, et me présenta à une société composée de douze patriotes très connus. Je leur rendis compte de ma conduite, et leur détaillai les faits. Ils me donnèrent des éloges et des encouragements; je ne leur cachai pas que j’avais reçu deux louis de M. Guiliien, je leur dis enfin quoi m’avait deux fois remis des libelles pour en faire la distribution, et que, pour ne pas me rendre suspect, j’en avais donné quelques exemplaires. Jeudi dernier, 9 du mois, j’eus une dernière conférence avec ie sieur Guiliien; il me remit 39 exemplaires d’une chanson anticivique et bête, en patois Lyonnais, contenant six couplets sur la prise de la Bastille; il me recommanda de la faire chanter dans la ville par les chanteurs des rues, auxquels je donnerais quelque argent; il m’ajouta que le moment était prêt; il me remit aussi un exemplaire de la Lettre à l'auteur d'un journal, et un autre des Cromwels français démasqués. Le 28 novembre, sur les trois heures après-midi, je rencontrai sur la place d* s Terreaux le sieur Guiliien fils, avocat. Il me demanda comment allaient les affaires ! Très bien, lui répondis-je. Ah ça , prends bien garde , me dit il ; sois prudent ; ne compromets pas mon père ; réfléchis à ce que tu feras. Voici, Messieurs, la déclaration du sieur Jacob David. Le sieur Monet, dit-il, m’a conduit chez le sieur Terasse ; je ne connais celui-ci que depuis deux jours, et je lui ai parlé deux fois. 11 m’a chargé de soulever le peuple, de l’engager à une sédition et à demander les princes. Vous devez, m’a-t-il dit, représenter au peuple les avantages qui résulteraient pour Lyon, et surtout pour les ouvriers de la présence des princes qui répandraient beaucoup d’argent. Le peuple, a-t-il ajouté, doit s’assembler en armes sur la place des Terreaux; en même temps on présentera à la municipalité une pétition. Si la municipalité n’y fait pas droit, on la présentera au district et au département. Le peuple se plaindra à grands cris que l’on promet beaucoup, et que l’on ne tient rien : le brave la Chapelle et moi nous marcherous à sa tête pour appuyer la pétition; il demaudera à grands cris M. de la Chapelle pour le commander. Nous avons 3,000 hommes prêts à marcher pour aller au devant des princes. J’observai au sieur Terasse que 3,000 hommes ne suffisaient pas, et que l’on pourrait exposer les princes. Eh bien ! me dit-il, nous en aurons davantage; au surplus, le même jour que la conspiration éclatera à Lyon, elle aura lieu dans tout le royaume. J’ai été de nouveau ce matin, continue Jacob, chez iesieur Terasse qui était au lit; Monet venait de le quitter. Il me demanda quelles diligences j’avais faites. Je travaille toujours, lui ai-je répondu ; j’ai encore mis dans vos intérêts deux personnes qui agissent de leur côté je vous les les amènerai, si vous voulez. Le sieur Terasse a refusé la proposition, et m’a donné deux louis. Gomme je lui témoignais des craintes sur le succès, et que, dans ce cas, je ne fusse obligé de m’expatrier, et d’abandonner mafamille : Tout ira bien, m’a-t-il dit ; vous n’avez rien à craindre, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 décembre 1790.] 555 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale ] Je lui ai parlé ensuite de la pétition qui devait être faite par le peuple; je lui ai représenté qu’il fallait en remettre à Ghazot. Il en aura, m’a-t-il dit , nous en ferons parvenir plusieurs aux différentes classes d’ouvriers; les ouvriers en soie, les faiseurs de bas, les chapeliers, les crocheteurs en auront le jour que la pétition sera présentée. Il faut amener le plus de femmes qu’on pourra ; il ne faut pas craindre le drapeau rouge ; les troupes de lignes ne tireront pas sur le peuple-, nous sommes sûrs d'elles. Lorsque le peuple assemblé demandera l’effet des pétitions , il se trouvera sur la place beaucoup de gens qualifiés et distingués, qui se réuniront à lui pour l’appuyer, l’encourager et soutenir la justice de sa demande. En cas de refus, il faut que le peuple demande le secours de M. de la Chapelle, qui sera prêt à le servir. Si vous vous conduisez bien, m’a ajouté le sieur Terasse, votre fortune sera faite; vous serez présenté à M. d’Artois et aux autres princes, dès qu’ils seront arrivés, et ils réc< impenseront généreusement les services qu’on leur aura rendus. Enlin, Messieurs, voici le récit du sieur Ghazot : Monet nous conduisit Jacob et moi, il y a cinq ou six jours, chez le sieur Terasse : nous y trouvâmes un officier du guet qui, je crois, se nomme Bezuchet. Il nous renvoya, en assignant un rendez-vous à Jacob à onze heures, et à moi à une heure. Je m’y rendis à l’heure indiquée, et je trouvai le sieur Terasse avec un officier recruteur dont j’ignore le nom, et un officier des chasseurs en garnison dans cette ville, lisse retirèrent, et le sieur Terasse commença par me parler des malheurs du peuple, de l’oppression qui l’accablait, et des maux qui le menaçaient encore : tout cela fut mis sur le compte de la Révolution et du nouvel ordre de choses. Pour y remédier, dit-il, il faut soulever ie peuple, il faut faire une pétition par laquelle on demandera les princes. Cette pétition doit être adressée à la municipalité, et présentée par le peuple attroupé en forces. Si la municipalité refuse, on l’adressera au département; M. de la Chapelle se mettra à la tête du peuple, et appuiera la pétition. Le jour de l’arrivée des princes, les entrées seront réduites de 13 à 6 livres. Ce beau jour sera marqué par leu s bienfaits : le roi, retenu prisonnier à Paris, viendra à Lyon ; s'il ne veut pas se détacher de son Assemblée nationale, il l’amènera avec lui. Je lui observai, dit Chazot, sur ces derniers mots, que si l’Assemblée venait aussi, la Constitution aurait son effet, et que les choses iraient leur train. Alors, dit le sieur Terasse, nous les veillerons de près. Mais, lui dis-je, si l’Assemblée n’était pas libre, elle pourrait bien se dissoudre. Tant mieux, répliqua le sieur Terasse; les choses alors reviendront sur l’ancien pied, à la seule différence que Paris sera un désert, et Lyon la capitale de l’Empire. il me donna quatre louis, et je lui promis de le seconder, et d’amener à son parti le plus de monde que je pourrais. Je le revis deux fois encore pour lui rendre compte de mes démarches, et lui dire que tout allait bien. Dans une de ces dernières conversations, le sieur Terasse me dit que les princes, à leur arrivée, distribueraient six millions aux ouvriers, par forme de dédommagement et de récompense, pour les remettre de l’état de détresse où ils se trouvent. Vous avez eniendu, Messieurs, les déclarations des témoins : leur concordance sur h s faits es-entieis paraît frappante; mais comme le premier devoir du rapporteur est d’être exact, a vaut de vous parler des événements qui ont suivi, je dois vous faire remarquer une erreur et une contradiction qui m’ont frappé dans la première partie du récit de Chazot. Il semble qu’il alla pour la première fois chez le sieur Terasse avec David Jacob, et que tous deux y furent introduits par Monet. Cependant Jacob ne fixe qu’à deux jours avant sa déclaration l’époque de sa première entrevue avec le sieur Terasse, et Chazot la fait remonter à cinq ou six jours. Ainsi il y a nécessairement une faute dans l’expédition de la pièce, ou l’un des deux témoins a menti sur ce fait. Mais comme du reste des déclarations et des faits dont j’aurai encore à vous entretenir, il n’en résulte pas moins la preuve du plan de conjuration, je continue. Les déclarations parurent si graves aux officiers municipaux qui venaient de les recevoir, le danger leur parut si pressant, qu’ils requirent à l’instant même (il était une heure et demie du matin) le sieur Frachon, aide-major général, d’aller arrêter les sieurs Guillieu, d’Escars et Terasse-Teyssonnet, et de s’assurer de leurs papiers. L’arrestation se fit à six heures, le 10, et on prévint le peuple des motifs qui avaieut rendu cette précaution nécessaire. Vous qui conspirez contre la liberté de votre pays, apprenez que dans cette ville où vous vouliez quelques jours plus tard semer le désordre et l epouvante, où vous espériez régner, il ne s’est nas élevé une seule voix en faveur des traîtres : le peuple de cette grande ville a exprimé, par les plus vifs applaudissements, la joie qu’il éprouvait d’avoir échappé au piège que vous lui tendiez. Les trois détenus furent interrogés dans la journée du 10. Si j’ai dû, Messieurs, vous faire observer une contradiction, entre la déclaration de Jacob et celle de Chazot, sur un fait qui peut être important, la même impartialité m’oblige à vous faire remarquer celles qui se trouvent dans les interrogatoires. Ainsi, par exemple, le sieur Guillieu, interrogé sur ses liaisons avec le sieur d’Escars, répond qu’il n’en a aucune, et qu’il n’est même pas sûr de le connaître. — S’il lui a prêté une somme considérable? dit qu’il ne lui a jamais rien prêté. Le sieur Terasse, interrogé sur cet emprunt, répond qu’il a cautionné le sieur d’Escars pour une somme de 12,000 livres. On lui demande le nom du créancier; il répond qu’il ne se le rappelle pas. Le sieur d'Escars, interrogé sur l’emprunt qu’il a dû faire d’une somme de 12,000 livres, répond que cette somme lui a été prêtée par le sieur Guillieu, sous le . cautionnement du sieur Terasse. Il y avait environ deux mois que la municipalité avait fait une visite chez le sieur Terasse, prévenu d’avoir un dépôt d’écrits incendiairernent inconstitutionnels. Au moment ou les officiers municipaux se présentèrent, le ballot de libelles fut jeté par les fenêtres. On rappelle cet événement au sieur Terasse dans son interrogatoire ; on lui demande si c’est lui qui a jeté ces libelles : il répond qu’il ne les a ni jetés ni fait jeter. Le sieur d’Escars, interrogé s’il était chez le sieur Terasse au moment de cette visite, répond affirmativement et déclaré que c’est le sieur Terasse lui-même qui a jeté le ballot de libelles par la fenêtre de son appartement. Les sieurs Guillien et Terasse déclarent au reste qu’ils n’ont jamais parlé à aucun des témoins, de rien qui eût rapport à la Révolution. Le sieur d’Escars fait la même déclaration ; lAssrn.Ilte nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J18 décembre 1790.) 556 mais il avoue que le sieur Monet esl allé chez lui le 9; que le sieur Guillien lui avait parlé de ce particulier comme d’un célèbre ouvrier de Lyon ; que celui-ci l’a entretenu de la détresse des ouvriers et lui a demandé quatre louis; mais qu’il s’est contenté de lui prêter un assignat de 200 livres. 11 avoue aussi qu’il lui a remis des exemplaires de la chanson sur la Bastille, de la lettre à l’auteur du journal et du mémoire de M. de Galonné ; mais il assure qu’il ne lui a pas parlé de contre-révolution. Cependant, Messieurs, la municipalité de Lyon recueille avec empressement toutes les lumières, toutes les preuves qu’il lui est possible de découvrir : déjà elle vous a annoncé qu’on avait trouvé, dans les papiers du sieur Terasse, une minute de la pétition qu’on devait lui faire, telle qu’elle est annoncée par les témoins ; chaque jour apportera ou la conviction des coupables, ou la justification des innocents. Mais il est temps, enfin, que vous fixiez vos regards sur la situation de la France, sur la nature et les causes des troubles qui l’agitent, et sur les dispositions des réfugiés français. On feignait d’attribuer à la Révolution l’anarchie qui désole, par intervalles, quelques parties de ce vaste Empire. Citoyens! on paraissait vous plaindre, on affectait de s’intéresser à vos maux ; voyez maintenant où sont vos amis. Les trouvez-vous dans ceux qui veulent vous égarer, perpétuer vos maux, vous armer les uns contre les autres, et qui pour gage de leur amour, pour prémices de leurs bienfaits, vous présentent toutes les horreurs de la guerre civile? Vous avez fait des pertes ; mais c’est à ce prix que vous avez acheté la liberté, que vous avez assuré le bonheur de vos enfants et la reconnaissance de la postérité. Vous avez fait des pertes; il faut maintenant les réparer par l’union, par une constante fraternité, par la soumission la plus absolue et le respect le plus profond pour les lois. Fermez l’oreille aux insinuations atroces de ces hommes qui ne feignent la pitié que pour envenimer vos plaies, que pour vous exciter contre vos frères de Paris. Quelle ville a fait d’aussi grandes pertes ? quelle ville les a mieux supportées? Depuis 18 mois vous combattez pour la liberté ; chaque jour vous a présenté de nouveaux obstacles à vaincre, de nouveaux dangers à éviter : vous avez détruit les uns, vous avez triomphé des autres ; chaque jour la Providence, qui veille avec tant besoin sur les destinées de cet Empire, a signalé sa constante protection par d’éclatants bienfaits. Vos ennemis, dans leur aveugle fureur, pensent-ils donc pouvoir triompher du ciel et de la terre armés contre eux? Quel étrange spectacle présentent à la réflexion ces hommes autrefois si vains d’une chimérique illustration, et qui se croient humiliés, parce qu’en les rendant à la dignité de l’homme, nous les avons fait véritablement grands ; ils parlent de grandeur, et ils colportent des libelles ! ils fuient les regards de leurs semblables I ils nous craignent, disent-ils! Ils craignent leurs frères I Ah! qu’ils sont à plaindre! Mais, non, qu'ils reviennent au milieu de nous. S’ils y rapportent des sentiments de paix, ils ne trouveront plus que des amis ; ils peuvent être encore l’objet de notre amour. Mais qu’üs doivent frémir en songeant qu’ils peuvent devenir l’objet de notre exécration ! Si l’ambition l’emporte dans leurs cœurs sur les droits sacrés de l’humanité, s’ils ne sont pas contents du rang d’hommes, s’ils veulent déchirer le sein de leur patrie, qu’ils fuient à jamais ses regards, elle les repousse avec horreur. M. Voidel présente un projet de décret tendant : 1° à ordonner la translation de MM. Guil-li jn, d’Escars et Terasse, du château de Pierre-Scise, où ils ont été transférés après un interrogatoire à 1a. municipalité , dans les prisons de Paris; 2° à faire prier le roi de faire remplacer M. La Chapelle, commandant à Lyon, ainsi que la garnison de cette ville; 3° à ordonner à tous les Français, fonctionnaires publics ou recevant des pensionsou traitements quelconquesde l’Etat, de rentrer dans le royaume dans le délai d’un mois, sous peine d’être suspendus de leurs pensions et traitements. M. l’abbé llayet, député de Lyon. Je n’entends en aucune manière défendre les accusés; je soumets seulement à l’Assemblée une observation qui est de nature à éclairer la délibération. Je suis fâché qu’elle ait échappé à l’impartialité du comité des recherches. Ce matin le comité à fait prier la députation de Lyon de venir entendre la lecture des pièces. Nous y avons trouvé le sieur Guillien fils, assisté de son conseil, lequel a dit qu’il était contre la justice et l’humanité, de faire transporter les trois accusés à Paris et que son père n’était accusé que par des témoins très reprochables : le premier, M. Mo-net, est encore dans les liens d’un décret de prise de corps, pour avoir voulu exciter une émeute; le second, huissier et record, a été attaché à son père en sa qualité de juge des comtes de Lyon. Je vous soumets. Messieurs, cette double considération qui motive l’amendement que je vous propose et qui consiste à ne pas faire transférer à Paris les prévenus et à faire continuer leur détention à Lyon dons la forteresse de Pierre-Scise jusqu’à cé que de nouvelles preuves justifient leur translation. Divers membres demandent la question préalable sur l’amendement. (La question préalable est prononcée.) M. l’abbé Maury. Je ne demanderais point la parole si vous adoptiez l’amendement du préopinant et si le rapporteur ne vous avait dit avec assurance : « Tout est découvert. » J’ai cru qu’il allait répandre une grande lumière sur cette affaire, et cette lumière rie m’a pas éclairé. Puisque tout est découvert, les citoyens doivent être tranquilles ; or rien n’est plus propre à alarmer que ces inquisitions judiciaires qu’on vous propose. Permettez-moi de faire le rapprochement de ce qui a été dit à cette tribune. Un membre vous a dit au commencement de la séance que trois personnes ont été pendues à Aix par le peuple, et dans le même instant le rapporteur vous propose d’ordonner à tous les fugitifs de rentrer en France... Lorsque les trois citoyens d’Aix ont été pendus, personne n’a été arrêté. Ici on vous propose de traîner en prison, comme criminelles, trois personnes accusées de complots imaginaires, et contre lesquelles il n’y a que des dépositions isolées. L’autorité de trois dénonciateurs n’est rien quand elle est individuelle. Il ne faut pas que deux ou trois personnes puissent déposer sur des faits de confidence. Alors ils deviennent dénonciateurs ; alors ils se dénoncent eux-mêmes comme traîtres à leurs conci-