271 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 17911 l’ouverture de la séance et porté dans la journée à la sanction du roi. Ce décret est relatif à M. d’Angiviller (1) : je viens vous prier de vouloir bien en suspendre l’exécution. Gomme il n’y avait alors presque personne dans l’Assemblée et que le décret n’est pas connu, je vais vous en donner lecture : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité central de liquidation, qui lui a rendu compte de l’absence de M. d’Angiviller, directeur et administrateur général des bâtiments du roi, décrète : « Art 1er. Le roi sera supplié de commettre incessamment une personne pour remplir les fonctions dont le directeur général et administrateur de ses bâtiments est chargé par l’édit du mois de septembre 1776, à l’égard de tous les objets de créance concernant ses bâtiments, antérieurs au 1er juillet 1790. « Art. 2. Les biens, meubles et immeubles, que M. d’Angiviller possède dans le royaume seront saisis à la requête de l’agent du Trésor public; et il sera établi à leur gouvernement et administration des commissaires comptables, pour sûreté de la responsabilité dont ledit d’Angiviller est tenu relativement à l’exercice de ses fonctions et à l’exécution de l’édit du mois de septembre 1776. « Le présent décret sera porté dans le jour à la sanction du roi. » Je ne fixerai pas votre attention sur le premier article de ce décret : mes observations ne sont relatives qu’à l’article second. J’observerai, sur cet article, que M. d’Angiviller, directeur des bâtiments du roi, n'est dépositaire d’aucuns fonds, qu’il n’est ni trésorier ni comptable; c’est un simple ordonnateur qui, sur des bons du roi, alloue des dépenses que le roi a réglées lui-même. A gauche : A l’ordre du jour ! A l’ordre du jour 1 M. l’abbé Maury. M. d’Angiviller est sorti du royaume... M. l’abbé Gouttes. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. Si l’on doit revenir ainsi sur les décrets qui ont été rendus, n’est-ce pas dire à toute la nation qu’elle ne doit avoir pour eux aucun respect? M. l’abbé Maury. Je ne veux point ouvrir une discussion ; je viens seulement représenter à l'Assemblée nationale qu’il intéresse trop essentiellement l’humanité et la justice pour qu’on puisse s’y refuser. M. d’Angiviller est absent du royaume... Un membre à gauche : Vous a-t-il chargé de sa procuration? M. l’abbé Maury. Je ne demande pas, Messieurs, qu’on revienne sur le décret; je demande seulement qu’on en suspende l’exécution. A gauche : L’ordre du jour! M. Gombert. M. l’abbé Maury n’avait qu’à se trouver hier à la séance, il aurait défendu son bon ami, M. d’Angiviller. M. l’abbé Maury. Messieurs, je n’ai d’autre intérêt que celui de l’humanité, de la justice, et je ne veux ici... A gauche : A l’ordre du jour! A l’ordre du jour I M. l'abbé Maury. L’ordre du jour est d’écouter et d’empêcher l’injustice. A gauche : Aux voix, l’ordre du jour ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu'elle passe à l’ordre du jour) M. l’abbé Maury. Monsieur le Président, recommencez l’épreuve et demandez à l’Assemblée sur quoi elle délibère. A droite : L’épreuve est douteuse, Monsieur le Président; il faut la recommencer. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély) . Je demande qu’on entende M. l’abbé Maury. Je prouverai, s’il le faut, que le décret rendu hier matin est inexécutable : le but qu’on s’y propose est entièrement manqué. On ne peut saisir des meubles en verlu d’un décret; pour cela il faut un jugement. Or l’Assemblée ne peut pas rendre un jugement. Il faut qu’elle se pourvoie devant un tribunal pour obtenir, quoi? un titre en vertu duquel on pourra saisir ( Murmures à gauche.) M. l’abbé Maury. Je demande seulement que l’Assemblée nationale veuille bien déclarer qu’elle suspend l’exécution de son décret d’hier matin, jusqu’à ce qu’elle se soit lait rendre compte de l’espèce d’administration sur laquelle il porte. A gauche ; Monsieur le Président, l’Assemblée a passé à l’ordre du jour : faites exécuter son décret. M. l’abbé Maury continue de parler au milieu des murmures de la partie gauche qui réclame l’ordre du jour. M. le Président. On insiste pour passer à l’ordre du jour; je vais consulter l’Assemblée. A gauche : Gela est décrété ! (L’Assemblée, consultée de nouveau, décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. de Folleville. Je demande que votre décret d’hier soit renvoyé au comité des lettres de cachet; car c’est une véritable lettre de cachet. (Murmures à gauche.) A droite : La motion est appuyée. MM. de Montlosier, Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély) et l’abbé Maury insistent pour obtenir la parole. M. de Folleville. Ma motion est appuyée : Monsieur le Président, mettez-la aux voix. M. Goupil-Préfeln. Je demande le renvoi de cette discussion à demain. La partie gauche réclame de nouveau l’ordre du jour. M. d’Allarde. On commet une injustice manifeste. M. Goupil-Préfeln. Il est de votre sagesse (1) Voy. ci-dessus, séance du 15 juin 1791, page 235. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin [791.] de ne pas trancher une question de cette importance; elle est constitutionnelle. Je demande donc qu’elle soit discutée demain, aussitôt après la lecture du procès-verbal. A droite : Oui ! oui ! M. le Président. Plusieurs membres insistent pour que la proposition de M. l’abbé Maury soit mise à la discussion demain. A gauche : L’ordre du jour ! M. Camus. Cette proposition ne doit pas être renvoyée à la discussion, parce que le décret est rendu. Il est fâcheux que tout le monde ne se trouve pas à l’ouverture des séances, parce qu’ensuite on n’est instruit ni des faits ni des motifs qui déterminent les opérations de l’Assemblée : on saurait en effet que le décret rendu hier est fondé sur la justice et qu’il s’exécutera facilement. Voici ce dont il s’agit. M. d’Angiviller est un homme qui a été payé et abondamment par l’Etat pour faire son travail d’ordonnateur des bâtiments du roi, charge qui était aux frais de l’Etat jusqu’au 1er juillet 1790, parce que c’est depuis le 1er juillet 1790 que les bâtiments du roi sont à la charge de la liste civile. Il a été payé pour les ouvriers dont il devait faire régler les mémoires; il l’a été pour l’intérêt de la nation, afin que la nation ne payât pas aux ouvriers plus qu’il ne leur était dû. Voilà quel était l’état des choses au moment actuel. Il faut savoir, d’un autre côté, quelle était la position de M. d’Angiviller : il y a un édit de 1776 que j’avais hier à la main, lequel édit porte, entre autres dispositions, que le directeur général des bâtiments réglera les mémoires dans tel et tel délai, et notamment que le trésorier des bâtiments ne pourra rien payer que sur l’avis du directeur général des bâtiments, mis en marge du mémoire; voilà l’état des choses. Nous avions commencé la liquidation de la direction des bâtiments : et il était venu plusieurs mémoires certifiés par M. d’Angiviller, comme directeur général des bâtiments ; à la séance d’avant-hier, on nous apporta une lettre et un mémoire du premier commis des bâtiments, M. Cuvillier, où il nous apprenait que M. d’Angiviller était absent ; qu’ainsi plusieurs mémoires ne seraient point visés par M. d’Angiviller. Il résulte de ce fait que les entrepreneurs ne peuvent pas dans le moment actuel recevoir leurs liquidations, parce qu’ils n’ont pas le visa de la personne qui était instituée par l’édit de 1776. Ainsi l’absence de M. d’Angiviller fait tort aux entrepreneurs, en ce qu’elle les prive de ce qui leur appartient. Vous devez encore vous rappeler, Messieurs, que par un décret vous avez dit que les ouvriers qui auraient été employés en vertu du mandat de l’ordonnateur seraient par provision payés, aux frais de la nation, des sommes qui seraient réglées par leurs mémoires; mais que l’ordonnateur serait tenu de rendre compte ensuite, suivant le mode de comptabilité que vous établiriez, et de répondre dans le cas où il aurait fait faire des ouvrages qui n’étaient pas nécessaires à faire faire, ou bien dans le cas où il les aurait fait faire autrement qu’il n’était autorisé. Voilà le second grief auquel donne lieu l’absence de M. d’Angiviller, en ce qu’il n’est plus là pour nous répondre de ses règlements; car nous m nous proposions de le sommer de nous dire à quel propos il avait fait faire tels ou tels ouvrages, pourquoi il les avait fait faire sur de simples devis et non pas par adjudication. C’est dans ce moment où M. d’Angiviller s’absente. I! se soustrait à la responsabilité à laquelle il est nommément tenu par l’édit de 1776, et aux entrepreneurs qui ont besoin de lui. C’est cela qui nous a déterminés à demander : 1° que le roi fût prié de nommer à sa place une personne pour examiner toutes les créances relatives aux bâtiments et antérieures au premier juillet 1790; 2° qu’un agent du Trésor public fût autorisé à faire séquestrer les biens meubles et immeubles de M. d’Angiviller, non pas pour les faire vendre, non pas pour en disposer, mais seulement (c’est l’article lui-même qui le porte) pour qu’il y soit établi des commissaires comptables qui conserveront les biens et rendront compte à M. d’Angiviller ou à ses créanciers, s’il y a lieu, mais qui surtout rendront compte à la nation de ce dont M. d’Angiviller se trouve responsable. Nous avons demandé que ses biens fussent mis en sûreté, parce que, M. d’Angiviller se retirant en pays étranger dans un moment où il est comptable à la nation, il ne faut pas outre cela qu’il jouisse librement de ses biens et qu’il puisse les vendre. Il est même douteux si l’on trouvera seulement à arrêter la valeur de deux louis ; car M. d’Angiviller logeait chez le roi : M. d’Angiviiler était meublé avec les meubles du roi, de sorte qu’il est très possible qu’on ne trouve rien ; mais cependant notre vigilance doit être toujours la même, et nous devons empêcher qu’un homme qui se soustrait à ses créanciers et à sa responsabilité après avoir été vingt ans employé au service de la nation, qui lui échappe au moment où elle a besoin de lui, puisse se soustraire à sa responsabilité. 11 faut donc faire séquestrer ses biens et y établir des commissaires. (Applaudissements à gauche .) A gauche: Passons à l’ordre du jour! M. l’abbé Maury. Vous voyez, Messieurs... A gauche: A l’ordre du jourl ( Murmures à droite.) M. de Montlosier. Vous entendez une partie et vous ne voulez pas entendre l’autre. M. l’abbé Maury. Il résulte des motifs qui viennent d’être développés par le préopinant... (Murmures à gauche.) A gauche : A l’ordre du jour ! M. l’abbé Maury. Vous avez entendu l’attaque; il faut que vous entendiez la défense. A gauche: A l’ordre du jourl M. l’abbé Maury. Vous demandez l’ordre du jour; moi, je demande le jour de l’ordre. (L’Assemblée, consultée, décide qu’elle passe à l’ordre du jour.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de Code pénal (1). Monsieur Le Pelletier, veuillez donc prendre la parole. (1) Voy. ci-dessus, séance du 15 juin 1791, page242.