[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 mars 1790.] être admis à établir, soit par actes, soit par la preuve testimoniale d’une possession de trente ans antérieure à t’incendie ou pillage, la nature et la quotité de ceux des droits supprimés sans indemnité, qui leur appartenaient. Art. 7. La preuve testimoniale dont il vient d’être parlé, ne pourra être acquise que par dix témoins lorsqu’il s’agira d’un droit général, et par six témoins dans les autres cas. Art. 8. Les propriétaires de fiefs qui auraient, depuis l’époque énoncée dans l’article 4, renoncé par contrainte ou violence à la totalité ou à une partie de leurs droits non supprimés par le présent décret, pourront, en .se pourvoyant également dans les trois années, demander la nullité de leur renonciation sans qu’il soit besoin de lettres de rescission ; et, après ce terme, ils n’y seront plus reçus, même en prenant des lettres de rescission. Art. 9. L’Assemblée nationale rendra incessamment les décrets relatifs au mode et au prix du rachat des droits conservés, sans préjudice du paiement qui sera fait des rentes, des redevances et droits échus et à échoir jusqu’au jour du rachat. L’Assemblée nationale charge son président de présenter incessamment le présent décret à l’acceptation et à la sanction du roi. M. le Président annonce qu’il vient de recevoir dans l’instant deux mémoires de M. le garde des sceaux, dans l’un desquels il annonce qu’il fait délivrer les expéditions en parchemin, pour être déposées dans les archives de l’Assemblée nationale : 1° Des lettres-patentes sur le décret du 26 du mois dernier, interprétatif de celui du 23jauvier, concernant la contribution aux décimes; 2° Des lettres-patentes sur le décret du 4 de ce mois, portant qu’il serait levé, dans la ville d’Abbeville, sur tous les citoyens payant deux livres de capitation et plus, une taxe égale à celle de leur capitation. Le second mémoire contient que le roi vient de donner sa sanction : 1° Au décret du 6 janvier concernant le serment que doivent prêter les milices et gardes nationales ; 2° Au décret du 11 février, portant qu’il sera mis sous les yeux de l’Assemblée nationale, sous quinze jours, un état exact tant des sommes auxquelles se montent les dons patriotiques, que de la quantité de vaisselle d’or et d’argent, ou numéraire qu’elle a produit, et quel en a été l’emploi; 3° Au décret du 18 de ce mois, concernant l’élection de M. le baron de Diôtrich à la place de maire de Strasbourg ; 4° Au décret du 11, relatif aux coupes extraordinaires des bois des ecclésiastiques; 5° A l’égard du décret concernant l’erreur d’un mot qui s'est glissée dans l’édition in-4*, imprimée à l’Imprimerie royale, de l’adresse de l’Assemblée nationale aux Français, Sa Majesté l’a pareillement sanctionné ; mais M. le garde des sceaux croit devoir observer que, dès qu’il a été informé de cette erreur, il en prévenu M. le président, le 10 de ce mois, en lui annonçant qu’il allait s’occuper sans délai des moyens* de la faire réparer, et que le lendemain 11, dans la matinée, il a transmis à M. le président six exemplaires imprimés, d’une nouvelle édition de la même adresse, où l’erreur est réformée: ainsi elle a été rectifiée avant même que l’Assemblée en eût lrs Série, T. XII, connaissance, et la nouvelle édition a été envoyée dans les provinces. M. Guillaume. Puisque le roi a sanctionné les deux décrets dontM. Bouche demandait la sanction, le décret rendu sur la motion de ce membre doit être retiré du procès-verbal. M. Bouche. Ce décret ne doit pas être retiré; il honore la vigilance de l’Assemblée; il contient d’ailleurs une disposition qui doit être conservée, puisque les décrets ne sont point envoyés, et qu’elle a pour objet d’en presser l’envoi. M. le comte de Mirabeau. Il me semble que cette discussion aurait pu être bientôt terminée, si le préopinant s’était borné à demander s’il est possible que des décrets disparaissent de dessus le procès-verbal. M. Charles de Lameth. Je pense comme M. de Mirabeau, et j’ajoute une observation. Il est très possible que M. le ministre ait été fort ponctuellement instruit du décret par lequel vous avez ordonné, au commencement de cette séance, de poursuivre la sanction des décrets, et qu’il ait voulu le prévenir. Si vous accoutumiez les ministres à voir retirer ainsi les décrets de dessus votre procès-verbal, n’auriez-vous pas souvent à suivre cette marche rétrograde ? (L’Assemblée ne statue rien sur la motion de M. Guillaume.) M. Charrier, député de Mende en Gêvaudan, demande un congé de quelques semaines. M. le marquis de Satillien, député d’An-nonay, fait une demande semblable. M. l’abbé Ogé, député de Vermandois , demande aussi l’autorisation de s’absenter. M. l’abbé Garnier, député de Bol en Bretagne, demande la même autorisation. Les demandes étant basées sur des raisons de santé ou des affaires urgentes, sont accordées par l’Assemblée. M. le Président. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur le projet de décret concernant le remplacement de la gabelle. L’article 2 est soumis à la délibération. M. Ifaurissart, député de Limoges, présente un amendement qui contient un projet de décret sur cetj, rticle. Cet amendement porte que l’Assemblée nationale, ayant cru qu’il était de sa justice de diminuer les pays de grande et de petite gabelles, d’une somme de vingt millions sur le produit net versé dans le Trésor royal, doit déclarer que, pour alléger la surcharge des impositions de la ville de Limoges, soit à cause des trois cent mille livres qu’elle paye depuis la peste qui a affligé Marseille, soit aussi à cause de l’imposition qu’elle supporte pour cent quinze lieues de territoire de plus que son contenu, cette généralité sera déchargée des sommes provenant des deux causes ci-dessus énoncées, pour les six derniers mois de l’année 1790, et que l’Assemblée chargera de plus son comité de finances de lui en rendre compte sous quinzaine. M. Dnpont (de Nemours). L’Assemblée ne peut 12 178 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PAHLEMENTàIRËS. [18 mars 1790.] s’occuper eu ce moment d’une loi particulière à une généralité. La question préalable est demandée et adoptée sur cet amendement, M. de Montlosier. L’article de constitution le plus cher à un peuple libre est l'égalité de toutes les charges et de toutes les faveurs : il s’agit d’une faveur de vingt millions. Il est impossible que quelques provinces soient favorisées tandis que les autres supporteront le poids du jour et de la chaleur. Dans un moment où vous avez fait tant de mécontents, il est inutile d’ajouter un mécontentement général aux mécontentements particuliers. — Je demande, en amendement, que le remplacement de la gabelle soit égal à la somme totale du produit de cet impôt pendant les dix derniers mois de cette année. M. le comte de Crillon. M. Gaultier de Biauzat vous a fait le tableau des charges que supporte l’Auvergne : je crois, ainsi que le préopinant, qu’il est allé trop loin en généralisant son idée. Les provinces de gabelle sont plus chargées que les autres; vous en seriez convaincus si le tableau comparatif des impositions de toutes les provinces était mis sous vos yeux ; mais il faut en tout ceci faire plutôt un calcul patriotique qu’un calcul arithmétique : je conclus à ce qu’on adopte purement et simplement l’article du comité. M. Populus. Avant de fixer le chiffre du remplacement de la gabelle, il serait bon de déterminer si vous laisserez subsister les divers impôts qui pèsent si lourdement sur les peuples, ou si vous adopterez un mode uniforme d’imposition, ainsi que le propose M. Yarenne de Pénille dans le remarquable travail qu’il vous a fait distribuer. (Voy. ce document annexé à la séance de ce jour). Plusieurs membres : Cette question n’est pas en discussion. M. de Cazalèg. J’ai établi en peu de paroles le danger qu’il y aurait à multiplier les impôts indirects ; mes principes n’ont point été combattus, je les renforcerai par une seule observation : la taille porte indirectement sur la terre et directement sur le blé 5 je demande si l’on peut consentir une augmentation d’impôt sur le blé ? C’est cependant ce que propose le comité. (On rappelle à l’opinant qu’il ne s’agit maintenant que de l’article 2, et qu’il discute l’article 5.) M. Pervinquière. Je demande que la quotité du remplacement soit de 54 millions au lieu de 40. La gabelle ne produisait que 54 millions au Trésor royal, moyennant les remises qui étaient faites aux fermiers généraux. U faut commencer l’article par ces mots ; « (Jne contribution égale à la somme que le Trésor national retirait de la venteexclusive du sel et du droit de quart-bouillon sera répartie, etc. » Sans cela les provinces dites rédimées et franches auront droit de se plaindre. (On demande A aller aux voix.) M. Fong. J’entends crier de toutes parts aux voix ; il faut absolument que tout le monde soit entendu. M. le marquis dé Foucault. 11 faut, pour s’éclairer, entendre et consulter toutes les parties intéressées, puisqu’il s’agit d’un combat de province à province entre les provinces de gabelle et celles qui sont franches ou rédimées : ou ne doit j pas nous faire supporter un impôt qui n’est pas Je nôtre ; les provinces de grande gabelle vous accorderaient un remplacement plus fort que celui dont il s’agit dans l’article ; elles l’offraient : pourquoi les favoriser quand elles ne demandent pas de faveur ? M. Dupont (de Nemours), rapporteur du comité des finances. Les observations des représentants des provinces rédimées et franches ne portent que sur un malentendu ; ils ont cru qu’il était question d’augmenter les impositions de ces provinces ; il s’agit au contraire de les soulager de plusieurs millions, en déchargeant, dès cette année, les provinces de gabelle d’une imposition qui, suivant les lois fiscales du royaume, devait cesser au 1er janvier prochain. Aux termes des édits, l’imposition des sous pour livre ne pouvait plus exister passé cette époque. On oppose la proportion des contributions des différentes provinces : cette proportion même, si elle était bien connue, viendrait encore à l’appui de la proposition du comité. Les opinants qui ont fait ces observations ont-ils plus approfondi la matière que le comité et que les administrateurs ? Si l’article 2 présente quelque difficulté, elle n’existe pas dans le soulagement que l’on accorde aux provinces gabelées, et qui leur est réellement dû, mais dans la délicatesse de l’opération nécessaire pour 40 millions sur ces provinces. On a cru qu’il s’agissait uniquement, pource remplacement, d’un impôt territorial; mais les trois cinquièmes seulement de la somme nécessaire se percevront de cette manière ; le reste se prendra sur les impositions personnelles et autres. Les provinces gabelées se trouveront encore plus imposées que les provinces franches et rédimées. Il est vraiment digne des représentants du peuple français d’oublier des intérêts de province pour se réunir à l’intérêt commun. Gomment qualifier cette jalousie, qui aurait pour objet d’empêcher de soulager quelques provinces d’une surcharge qui devait finir dans dix mois? Quand nous pouvons venir au secours de tout le monde, ne nous élevons pas les uns contre les autres. — Je conclus à ce que l’article 2 soit adopté* en y ajoutant seulement ces mots : « provisoirement et pour la présente année. » On demande à aller aux voix. Un très grand nombre de membres veut être entendu. Des députés de différentes provinces franches et rédimées se présentent à la tribune pour défendre les intérêts de ces provinces, qu’ils croient être compromis. La demande d’aller aux voix se renouvelle de toutes parts. M. le Président, après avoir lutté quelque temps contre ces agitations tumultueuses, parvient à se faire entendre, et la discussion est fermée, sauf les amendements. Ceux des divers opinants sont lus. — Ils sont écartés par la question préalable. M. Ctrefet de Denuregard. Par le soulagement que vous allez accorder aux provinces de gabelle, le Trésor public éprouvera un déficit de 18 millions ; il faudra asseoir un impôt sur tout le royaume pour couvrir ce déficit. Je demande qu’alors il soit accordé aux provinces rédimées une diminution sur leurs contributions directes, pour les dédommager de la partie qu’elles auront à payer dans celte nouvelle imposition. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [45 mars 1Î90.] j'îQ M. Faydel. Lorsque, à Versailles, vous avez décrété le prix du sel à 6 sous, on vous a soumis la demande que renouvelle aujourd’hui le préopinant : vous avez ajourné cette proposition ; il faut la décider ou l’ajourner encore. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer.) M. de Afontcalm-Gozon propose un amendement qui est adopté, Il consiste à ajouter à la fin de l’article ces mots : avant le décret du 23 septembre dernier. L’article ainsi amendé est décrété ainsi qu’il suit : « Art. 2. Une contribution réglée sur le pied de 40 millions par année, et formant les deux tiers seulementdu revenu net que le Trésor national retirait de la vente exclusive du sel et du droit de quart-bouillon, sera répartie provisoirement et pour la présente année seulement, sur les départements et districts qui ont formé les provinces et les pays de grande gabelle, de petite gabelle, de gabelle locale et de quart-bouillon, en raison de la quantité du sel qui se consommait dans les provinces, et du prix auquel il y était débité avant le décret du 23 septembre dernier. » M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 15 mars 1700. Réflexions sur une question importante d’économie politique (mode uniforme d’imposition directe), par M. Vareune de Féuille, receveur des impositions de la Bresse et de Bombes , lu le 22 février 1790, au corps municipal de la ville de Bourg, et en présence de la commission intermédiaire de la province de Bresse, qui en a ordonné l’impression (1). AVERTISSEMENT. Mon plan de finances est devenu public, contre ma première intention. J’étais persuadé que, quand même il renfermerait quelques vues utiles, il arriverait trop tard à la suite d’un grand nombre d’autres plans, composés par des personnes d’un talent fort supérieur. Mais la commission intermédiaire de la province de Bresse et la municipalité de la ville de Bourg ayant jugé que la simplicité de ee plan pourrait le faire distinguer de la foule, il fut délibéré, le 7 décembre, qu’il serait envoyé à MM. les députés de la Bresse. MM. les députés en ayant porté le même jugement, et m’ayant témoigné le désir que je la fisse imprimer, j’y consentis; mais la distance des lieux et les lenteurs typographiques n’ont pas permis qu’il fût distribué avant le 11 janvier, dans les bureaux de l’Assemblée na-nationale. L’exécution de ce plan suppose, comme on a pu le voir, une division préalable et fixe de la (i) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. totalité de l’impôt direct du royaume entre les départements en raison de leurs forces respecr tives. Ce travail m’ayant mis en correspondance immédiate avec quelques-uns des députés de la Bresse, je leur fis part de l’intention où j’étais de porter plus loin mes recherches, relativement à notre province qui n’est qu’agricole, et de trouver, s’il était possible, un moyen de répartir la portion de l’impôt direct qui serait à sa charge, de manière: 1° que chaque individu contribuable fût imposé avec le plus d’égalité proportionnelle qu’il se pourrait; 2° que cette répartition servît elle-même d’aiguillon à l’industrie agronome. Je me flattais presque de tenir le fil qui devait me conduire à mon but, et j’avais déjà jeté sur le papier quelques idées, auxquelles je ne comptais donner la forme régulière d’un mémoire qu’à l’époque où notre département eût commencé d’entrer en activité, lorsque j’ai reçu de MM. nos députés une invitation « à ne pas circonscrire mes idées dans les limites de notre province; mais d’essayer la recherche d’un mode d’imposition qui atteignît également toutes les propriétés du royaume.» Cette proposition m'a effrayé, je l’avoue, par son immensité. En effet, dans le peu que j’ai écrit jusqu’ici sur l’agriculture pratique, même politique, je m’étais fait, en quelque sorte, une loi de ne rien rapporter qui ne fût immédiatement applicable à notre province, et de ne m’appuyer que sur des bases qui y fussent parfaitement connues, ou sur l’expérience. En essayant, comme j’y suis iûVité, de généraliser mes idées, ne risqué-je point de tomber dans le même inconvénient qu’on a tant reproché aux agriculteurs et quelquefois aux politiques? Celui de discourir d’après des idées incomplètes, et d’écrire sur ce qu’ils ne connaissent pas, ou, ce qui est sujet à des conséquences encore plus fâcheuses, sur ce qu’ils connaissent mal, avec cette différence trop souvent éprouvée, que les méprises en politique sont bien autrement dangereuses, que les erreurs en agriculture pratique. Si je me permets donc de hasarder quelques réflexions sur la question proposée, ce n’est qu’avec la juste crainte que m’inspirent, et l’importance du sujet et l’extrême difficulté de me procurer de si loin tous les renseignements qui seraient nécessaires pour le traiter dignement. Mais quand même on ne trouverait dans cet essai qu’une sorte de préservatif contre la surprise et le premier effet de quelque système, brillant peut-être et bien ordonné en apparence, mais assis sur des bases incertaines ou caduques, je croirais n’avoir pas été tout à fait inutile à la patrie. QUESTION. Est-il possible de déterminer un mode uniforme d’imposition directe, qui atteigne avec une égalité proportionnelle toutes les propriétés du royaume, sans qu’il naisse de cette uniformité des inconvénients essentiellement nuisibles à l’ agriculture particulière des départements? Cette question est la plus importante de celles qui, au moment actuel, intéressent l’économie politique, puisque de la décision qui interviendra peut dépendre le salut du rovaume. G est à cet examen que nous allons nous livrer, en nous efforçant de ne l'appuyer que sur des axiomes simples, des définitions claires, des faits avérés et