140 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] Vous avez donc aujourd’hui, Messieurs, à prononcer entre votre autorité et le devoir sacré, commandé par la foi jurée : ceux qui ne sont plus retenus que par la sainteté des serments attendent votre décision avec impatience ; et les lois demandent en ce moment, avec inquiétude, si vous les condamnerez à punir ceux qui les ont si courageusement respectées. Quel que soit votre jugement, Messieurs, ceux-là serent toujours dignes de votre estime, qui viennent, au milieu des orages, se présenter au tribunal puissant qui les fait comparaître, accusés seulement d’un respect religieux pour leurs promesses, et d’une inviolable fidélité à leur pays. Je me résume, Messieurs, et ayant démontré que, la constitution de Bretagne n’étant point anéantie du consentement de son peuple, elle est demeurée tout entière par rapport au Parlement (1) qui en est le dépositaire ; Que cette constitution défend tout changement ou innovation dans l’ordre public, et notamment dans l’ordre judiciaire, sans le consentement exprès de la province ; Que le serment des magistrats a pour objet la garde fidèle et le maintien de cette constitution ; Ayant, dis-je, démontré ces points de fait, j’en tire la conséquence nécessaire que les magistrats de la Bretagne n’ont pu ni dû enregistrer le décret des vacances du Parlement non consenties par la province, et que leur conduite est irréprochable. Je propose donc à l’Assemblée nationale de décréter que, sur le compte rendu par les magistrats de Bretagne, il n'y a pas lieu à délibérer ; Qu’ils sont libres de retourner dans leur pays ; Qu’ils sont mis sous la sauvegarde de la nation et de la loi. M. Barnave. Le député de Bretagne vous a fait connaître les faits; il me reste à caractériser le délit commis par les magistrats de Rennes, à indiquer la peine qui doit leur être infligée et le tribunal qui doit la prononcer. Le peuple breton, en envoyant tel député pour délibérer à l’Assemblée nationale, a reconnu l’union de cette province au royaume de France; il s’est soumis aux décrets de l’Assemblée; il y a concentré sa représentation; son intention a été manifestée de nouveau par ses adhésions. Les décrets de l’Assemblée doivent donc être exécutés en Bretagne, sans qu’il soit besoin du consentement des Etats que cette province désavoue, moins encore du Parlement qui n’a que des fonctions exécutives, et qui, dans tous les cas, ne peut qu’adopter aveuglément les décrets du pouvoir législatif. (1) Je ne me suis point occupé de répondre aux déclamations faites contre le Parlement de Rennes et contre les ci-devant deux premiers ordres. Il est reçu d’accuser sans preuves, de prouver sans témoins, de rappeler les fautes et d’oublier les services. Soit, je me suis borné à justifier ce principe de droit public qui justifiera à jamais les magistrats de Bretagne ; savoir, que les constitutions sont les propriétés des peuples qui les ont consenties ; que, pour leur enlever cette pro-{mété, il faut leur aveu, et que la leur enlever sans eur aveu, sous prétexte qu’elle ne leur convient pas. est une violation de leurs droits mutuels et politiques. Il ne manque aux députés de Bretagne, pour être d’accord avec moi, et pour justifier leurs poursuites contre leurs magistrats, que le consentement du peuple breton, et je pense que, s’il était consulté sur celui qu’il adonné (dit-on), il ne se reconnaîtrait pas lui-même. Cependant le décret qui proroge les vacances du Parlement a été inutilement présenté à la chambre des vacations de Rennes ; elle a désobéi à la nation et au roi, et elle a laissé le peuple breton privé de la justice qu’elle lui devait. Dans votre indulgente sagesse, vous avez voulu examiner encore avant de punir, et vous avez mandé la chambre des vacations pour rendre compte de ses motifs. L’ont-ils justifiée? Non. Ils ont préféré l’aveu de sa faute, et l’ont aggravée : insulter à la majesté nationale, insulter au peuple breton, qu’ils veulent retenir dans l’esclavage, et qu’ils accusent de s’abuser lorsqu’il s’éclaire enfin sur leur oppression ; jeter le gage de la discorde entre la France et la Bretagne ; invoquer des serments après les avoir tous méprisés; demander des lauriers à la nation pour prix de la servitude qu’ils lui imposent; voilà la justification qu’ils ont osé vous offrir. Inconcevable langage, s’il était quelque délire que l’habitude du despotisme et l’ivresse de l’orgueil ne puissent pas expliquer! Ainsi à la désobéissance, au mépris de tous ses devoirs, la chambre des vacations a ajouté une irrévérence séditieuse. Si elle était rigoureusement traitée, aucune peine ne serait trop sévère; mais la plus douce sans doute est d’éloigner de toute fonction publique des hommes réfractaires à la loi et opposés à la constitution de leur pays : c’est aussi celle que je propose. Qui la prononcera? Vous. Nous le pouvons, et il est indispensable de le faire. Je n’ai pas besoin de m’appuyer sur l’universalité du pouvoir constituant que la nation vous a commis, et que vous exercez. Quiconque exerce un pouvoir public a reçu avec les fonctions les moyens de repousser ceux qui les usurpent. Chargés pardessus tout de donner à la France une constitution, vous êtes autorisés à faire tout ce que son établissement exige; à repousser, à punir ceux qui la contrarient ; à plus forte raison, à prononcer contre eux une censure, sévère sans doute, mais bien douce encore en la comparant à leur faute. En les punissant, vous les sauverez; car si vous saisissiez le Châtelet de leur cause, il n’est pas de rigueur à laquelle ce tribunal, étroitement soumis à la loi, ne fût obligé envers eux. Enfin vous remplissez ce que notre situation exige pardessus tout, la promptitude d’un grand exemple. Il est temps de contenir les ennemis de la constitution, et de rendre le courage à ceux qui la défendent. Les Parlements, les défenseurs de l’ancienne aristocratie sont plus que jamais coalisés. De toutes parts on sème les calomnies, on répand des libelles séditieux : une partie du peuple peut se laisser tromper, et nous préparer d’affreuses catastrophes. Ces hommes aveugles et lâches, qui ne savent pas encore préférer le titre de citoyen libre au droit d’humilier leurs semblables, n’ont pas perdu l’espoir de renverser votre ouvrage. Assez insensés pour ne pas voir que le premier signal des combats serait celui de leur destruction, ils méditent des scènes sanglantes, et ils osent envisager les désastres de leur patrie comme une consolation pour eux. C’est donc en leur faveur que j’invoque votre pitié, quand je vous invite à prévenir les effets de leur aveugle rage; vous leur devez votre pitié. Une sévérité modérée peut aujourd’hui prévenir des maux incalculables. Je propose le décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que les lois ne sauraient être exécutées par ceux qui af- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 janvier 1790.] fectent de les méconnaître, et que la constitution ne doit pas être confiée à ceux qui se sont montrés opposés à son établissement ; voulant, au surplus, user d’indulgence envers les membres de la chambre des vacations du Parlement de Rennes, à raison des préjugés et des erreurs invétérées qui peuvent avoir contribué à les égarer, déclare que les membres de ladite chambre des vacations sont incapables de remplir aucunes fonctions attribuées à ses officiers, non plus qu’aucun emploi public dans la constitution qu’elle est occupée à établir. » M. Dnval d’Eprémesnil (1). Messieurs, le magistrat qui portait hier la parole (M. de La Houssaye ) au nom des personnes composant la chambre des vacations de Rennes (2), vous disait qu’un vrai magistrat n’était accessible qu’à une crainte, celle de trahir ses devoirs. Ce peu de mots m’a rappelé tous les miens, et m’a dicté mon opinion. Je vais, Messieurs, vous l’exposer avec le respect que je dois à l’Assemblée nationale, mais avec la franchise qui distingue un homme libre. 11 faut aussi que je l’avoue, je ne me sens pas le courage d’abandonner des confrères dans le malheur. Je partage leurs sentiments, j’adhère à leurs principes : mais fussions-nous contraires, ces magistrats et moi, en opinions, je me rappellerais encore cette belle maxime d’un ancien, qui trouvait toujours possible d’accorder la défense de ses principes avec celle des infortunés. Daignez, Messieurs, m’entendre. Je vous dois la vérité. Nous la devons au peuple ; et ce peuple des intérêts duquel on nous parle sans cesse, ce peuple que je prendrai volontiers, en toute occasion, pour juge de mes principes, de mes actions, de mes discours, j’espère qu’il va reconnaître en moi celui qui fût toujours le défenseur et quelquefois le martyr de sa liberté. Commençons par fixer le principal objet de la discussion; exposons les faits avant de raisonner. La justice nous demande moins d’éloquence que de clarté! Elle peut se passer de talents mais non pas de principes. Une méthode exacte, une parfaite sincérité, voilà, Messieurs, ce que j’ose vous promettre. Deux des préopinants, au milieu de leurs mouvements oratoires, n’ont épargné aucun reproche aux magistrats de Rennes. Ils se sont attachés à blâmer leur conduite; mais ils ont oublié d’établir leur qualité. C’est pourtant là le premier point, le point fondamental de la discussion. La qualité des magistrats de Rennes doit être bien connue, si l’on veut que leur conduite soit bien jugée. Qu’est-ce, Messieurs, qu’une chambre de vaca-(1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. Duval d’Eprémesnil. (2) Je dédie ce discours à tous les gens de bien. Puis-je me flatter que MM. les magistrats de Rennes me sauront gré de la manière dont j’ai discuté leur cause? Mon cœur a besoin de cette consolation. Je les ai défendus comme Socrate voulait que ses amis le défendissent, en exposant leur conduite. Ce grand homme, ce vrai sage, obligé par la loi de prononcer sur lui-même, méprisa les détours de l’amour-propre, et conclut à ce qu’il fût nourri le reste de ses jours dans le Prytanée, aux dépens de la République. Persuadé que M. le président de La Houssaye et ses vertueux colîègues avaient droit à des remerciements publics, j’ai proposé pour eux, sans hésiter, ce qu’ils auraient pu eux-mêmes proposer, selon moi, si nos usages français avaient ressemblé à ceux d’Athènes. Je me suis trompé sans doute; les magistrats de Rennes ont été condamnés. La postérité a jugé Socrate. tions ? Comment se forme-t-elle? d’où viennent ses pouvoirs? en un mot, quel est son titre? Tout le monde le sait ou peut aisément le concevoir, et j’espérais, Messieurs, qu’un des préopinants, breton et jurisconsulte, nous l’apprendrait, ou nous le rappellerait. Je vais suppléer à son silence. Au moment même où les vacations du Parlement commencent, son pouvoir expire, ou du moins pour m’exprimer avec une précision rigoureuse, son pouvoir est suspendu par le seul effet de la loi, jusqu’au moment fixé par la même loi pour sa rentrée ; et pour que ce pouvoir soit continué, soit en tout, parla prorogatioùduPariement, soit enipartie, par l’établissement d’une chambre des vacations, il faut des lettres-patentes du roi enregistrées au Parlement avant le moment fixé par la loi pour sa séparation ; et ces lettres-patentes doivent contenir les noms des magistrats destinés à composer la chambre; en sorte que, si l’un d’eux vient à manquer, il faut de secondes lettres nominatives pour celui qui le remplace. Telle est la loi, tel est aussi l’usage constant. Et déjà, Messieurs, vous remarquerez une erreur capitale d’un des préopinants (1). Il vous a dit que le titre constitutif d’un tribunal ne s’adresse jamais qu’à ce tribunal lui-même. Oui, Messieurs, cela est vrai de ces commissions illégales qui firent, dans tous les temps, trembler l’innocence; mais il n’en est point ainsi des établissements réguliers ; il n’en est point ainsi en particulier d’une chambre des vacations. Le dire est une erreur, et cette erreur est échappée, sans doute, à la mémoire du préopinant que je combats. Car il est impossible que lui, jurisconsulte instruit, ignore ces vérités. Tenons donc pour certain, et rappelons-nous sans cesse, qu’une chambre des vacations tient ses pouvoirs d’une loi enregistrée au Parlement tout entier. Yoici son titre : suivons l’ordre des faits. Gomme le pouvoir du Parlement est suspendu au moment des vacances, le pouvoir de la chambre des vacations expire au terme prescrit pour sa durée. Alors il existe encore un Parlement qui se rassemblera au moment déterminé par la loi du royaume, mais il n’existe plus de chambre des vacations. Le Parlement n’est que suspendu, mais la chambre des vacations a cessé d’être. Maintenant quel était le terme légal de la chambre des vacations du Parlement de Rennes? Tout le monde en convient. Le 17 octobre : donc au 17 octobre cette chambre des vacations n’existait plus : donc tous les magistrats qui la composaient, rentrés, pour un temps, dans la classe des citoyens, n’étaient plus que des individus sans fonctions et sans pouvoirs ; je dis sans fonctions comme conseillers au Parlement;; je dis sans fonctions et sans pouvoirs comme conseillers de la chambre des vacations. Le roi est le maître, sans doute, de continuer les pouvoirs du Parlement avant qu’il se sépare; le roi est le maître de rendre au Parlement l’exercice de ces pouvoirs quand il est séparé ; mais la raison indique et la loi veut, dans ces deux cas, que la volonté du roi soit manifestée par des lettres-patentes adressées au corps du Parlement, et non pas à quelques membres. Le roi est le maître de créer une nouvelle chambre des vacations, quand la première est expirée; mais la raison et la loi veulent encore, que les lettres-patentes constitutives de cette nou-G) M. Le Chapelier.