732 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] Les nouveaux élus, sont : MM. de Croix, Guillaume et Merlin. M. Durand de Maillane, député d'Arles, après avoir exposé à l’Assemblée que les poursuites faites par le sieur de Bournissac, prévôt général de la maréchaussée de Provence, contre les habitants de la ville et du territoire des Baux (poursuites qu’il avait déjà dénoncées à l’Assemblée dans la séance du 2 de ce mois, et qu’elle avait renvoyées à son comité des rapports pour lui en être rendu compte), avaient la plus grande affinité avec la procédure prévôtale de Marseille, et que même elles étaient encore plus propres que cette dernière procédure à faire connaître les principes d’après lesquels le sieur de Bournissac s’était conduit dans l’exercice rigoureux de ses fonctions, puisqu’au mépris des Ordonnances, il avait poussé la vexation jusqu’à retenir depuis un mois des prisonniers sans leur avoir fait subir interrogatoire, a demandé que l’affaire des Baux et celle de Marseille fussent rapportées conjointement. Cette motion, ainsi que le rapport de M. Durand de Maillane qui l’accompagne (voy. ce rapport annexé à la séance de ce jour ) sont renvoyés au comité des rapports et ce comité est invité à les prendre en considération. M. le Président. L’ordre du jour arrêté hier appelle la discussion sur la constitution militaire. M. le prince Victor de Broglie. La manière favorable, dont vous avez accueilli le travail de M. Charles de Lameth, m’engage à ne pas vous présenter celui que j’ai préparé. Je trouve du plaisir à me rallier à i’opinion d’un collègue dont les succès ne peuvent, m’être ni indifférents, ni étrangers. Je me bornerai à appliquer les principes qu’il a exposés. 1° La paye des soldats français doit être augmentée. Je' ne crois pas que l’augmentation de 20 deniers, proposée par le comité, soit suffisante; et je pense, avec M. de Lameth, qu’elle doit être portée à 32 deniers. Je pense aussi qu’il faut en faire jouir les soldats le plus promptement possible, et qu’avant d'avoir fixé le traitement des officiers, il soit accordé aux lieutenants et sous-lieutenants, qui sont parvenus en passant par tous les grades, un supplément d’appointements. 2° Le code des peines et des délits militaires doit être modifié par des changements analogues à ceux que vous avez adoptés pour le code criminel. 3° L’avancement, en général, doit être fait avec égalité et d’après l’ordre de l’ancienneté de service. Mais les Romains, et avant eux les Grecs, distinguaient les services éclatants et les talents supérieurs de l’ancienneté des travaux. La détermination de la proportion qui doit avoir lieu à cet égard appartient au Roi; elledoit être moindre dans la paix que dans la guerre. M. de La Tour-du-Pin a proposé, dans son mémoire, de destiner la moitié des emplois supérieurs à la vraie supériorité de talents : j’adopte cette opinion; mais je crois qu’il faut, jusqu’au moment où l’armée sera organisée et le mode d’avancement fixé, suspendre les nominations, afin que l’ancienneté obtienne l’avancement dont elle a En vous soumettant ces idées, je n’ai pu me défendre de la timidité que m’impose mon inexpérience. J’en aurais moins, si des circonstances malheureuses ne m’avaient séparé de ceiui qui, pendant soixante ans, a mérité l’estime générale par des vertus et par des succès : maintenant c’est avec tristesse que je prononce son nom : je le prononcerais avec plus de confiance si sa pureté soupçonnée ne me forçait à combattre l’opinion publique qui l’accuse, et qu’ autrefois je n’avais qu’à partager pour le respecter et l’admirer. On applaudit vivement. M. le prince de ttroglie ajoute : Voici Je projet de décret que je soumets à l’Assemblée nationale. « 1° Que le Roi des Français est le chef suprême de l’armée; « 2° Que les appointements des officiers seront augmentés, et que cette augmentation commencera dès le 1er avril prochain ; « 3° Que la paye du soldat de toutes les armes sera augmentée de 32 deniers, à commencer du 1er avril prochain ; « 4° Que les lois pénales militaires seront, dès ce moment, modifiées d’une manière analogue aux changements que l’Assemblée nationale a déjà apportés à la jurisprudence criminelle en faveur des accusés ; * 5° Qu’aucun militaire ne pourra être destitué de son emploi, qu’en vertu d’un jugement légal prononcé par un conseil de guerre ; « 6°. Que d’ici à l’époque où la nouvelle organisation de l’armée sera arrêtée, il sera sursis à la nomination de tous les emplois supérieurs vacants ou qui viendront à vaquer, afin que l’ancienneté obtienne, à la première promotion, les avantages auxquels elle a droit de prétendre. » M. le comte Mathieu «le Montmorency. Il y a longtemps que la France peut se glorifier d’avoir l’armée la plus brave; elle a le bonheur d’avoir aujourd’hui l’armée la plus patriote. L’Assemblée doit la rendre la plus heureuse, la plus économiquement utile, la plus propre à notre sûreté, et la moins propre à compromettre notre liberté... Il faut, dans cette matière, distinguer ce qui appartient au pouvoir constituant de ce qui appartient au pouvoir législatif. Le pouvoir législatif doit fixer la paie de l’armée, consentir lés sommes destinées à son entretien, et permettre ou défendre l’introduction des troupes étrangères. Le pouvoir constituant doit considérer l’armée non pas dans les détails de son organisation, ils regardent le pouvoir exécutif, mais dans ses rapports avec les citoyens, pris collectivement ou individuellement. Sous le rapport des citoyens considérés collectivement, le pouvoir constituant doit établir tout ce qui est nécessaire pour que la liberté publique ne soit pas menacée; il doit reconnaître l’existence des milices nationales, qui ont pris naissance avec la liberté, et qui ne finiront qu’avec elle; il doit examiner si les militaires sont responsables, comme les autres agents du pouvoir exécutif, et si le pouvoir législatif peut statuer sur l’admission des troupes étrangères dans l’armée. Sous le rapport des citoyens pris individuellement, il faut que la liberté du citoyen ne soit gênée par aucune séduction ni violence : l’idée de l’une ou de l’autre porterait une juste défaveur sur l’Etat et sur ses défenseurs. Il est nécessaire d’assurer, par une loi de détail, la loi déjà prononcée sur le recrutement par enrôlement volontaire; mais comme cette forme peut être modifiée par le temps, on doit laisser aux légis- |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] 733 latures suivantes la faculté de la changer. Il faut que le citoyen devenu militaire ne cesse pas d’être citoyen et d en exercer les droits compatibles avec son état; il faut qu’il ne soit pas exposé au pouvoir arbitraire ministériel; la constitution doit porter qu’aucun militaire ne peut être destitué que par un jugement préalable; quand je dis militaire, j’entends les officiers et les soldats ; les barrières insurmontables qui les séparaient ont disparu. Il appartient au pouvoir législatif d’examiner la solde militaire dans tous les grades, les règles générales de l'avancement et les principes de la discipline et des peines militaires; il est surtout nécessaire de statuer promptement sur le premier objet. Lebouheur du soldat doit dater du premier moment où règne la liberté qu’il a su respecter et défendre : il faut récompenser son patriotisme courageux par l’espoir honorable d’être citoyen actif après quinze ou seize ans d’un service sans reproche. — Je conclus à cequel’ordre de travail proposé par M. de Lameth soit adopté, et les points constitutionnels précisément fixés, en renvoyant cependant aux comités militaire et de constitution ceux qui paraîtraient susceptibles de difficulté. J’ajouterai seulement, en amendement, que le Roi soit supplié de présenter incessamment ses vues sur l’organisation de l’armée, et qu’à dater du 1er mai la paye du soldat soit portée à 9 s. 6 d. par jour. M. Dubois de Crancé (1). Messieurs, le tableau que la section de votre comité des finances, chargé de la vérification des dépenses militaires, a mis sous vos yeux au mois de septembre dernier, établissait la dépense de ce département, pour 1789, à 110,339,565 livres, compris les frais particuliers des provinces. Le comité militaire ne vous demande que 84 millions pour toutes les dépenses de l’armée, et il y ajoute l’avantage d’une augmentation de solde, et de traitement pour presque tous les grades que M. de Bouthil-lier évalue à 16,500,000 livres (2). Pour nous mettre en règle vis-à-vis de nos commettants, il eût été à désirer que le rapporteur eût bien voulu présenter en détail, la nouvelle formation de l’armée française; quand vous jugeriez convenable, Messieurs, de laisser au ministre de la guerre l’entière organisation des troupes, il faudrait encore que cet état vous fût présenté pour en ordonner la dépense, et l’Assemblée nationale pensera vraisemblablement qu’elle ne doit rien statuer sans une parfaite connaissance de cause. M. de Bouthillier vous a dit, Messieurs, qu’il avait tout vérifié, tout calculé au plus bas prix, et qu’il était impossible que la solde et les masses de l’armée coûtassent moins de 67,500,000 livres (3), mais nos troupes étaient composées de cent soixante-deux mille six cent quatre-vingt-dix hommes, et de plus de onze mille officiers en activité. Par le plan qui vous a été lu au nom du comité militaire, nous n’aurons plus que cent quarante-deux à cent quarante-trois mille ( 1 j Le Moniteur ne donne qu’un sommaire des réflexions de M. Dubois de Crancé. (2) Lorsque j’ai lu ce mémoire, M. de Bouthillier a dit que c’était une cireur de l’imprimeur, et que l’augmentation réelle n’était que de six millions cinquante mille livres; cependant comme par le résultat de mes calculs cette augmentation m’a effectivement paru être de 16,500,000 livres, je n’ai pas cru devoir supprimer cette partie de mon mémoire (3) Voyez le rapport du comité militaire des finances fait à l’Assemblée par M. le duc de Liancourt. hommes, et neuf mille six cents à dix mille officiers. La perte sera donc de douze à quinze cents officiers, et de vingt mille hommes de-troupe. Il est naturel que l’armée active étant diminuée de plus d’un huitième, sa dépense suive cetle proportion; ainsi, avant de s’occuper des détails de l’ancien régime, il est de toute justice de tirer hors ligne sur la dépense de 1789, compulsée avec celle de 1790 . . . 8,500,000 liv. La maison du Roi n’est comptée pour rien dans le plan du comité, et elle était portée sur l’état de 1789 pour. ...... 5,463,811 Les compagnies d’invalides détachés, ne font pas partie des dépenses fixées pour la solde de troupes dans le plan du comité, et je les trouve sur l’état comparatif de 1789 pour une somme de 1,270,568 La compagnie franche de Cas-tellane, la compagnie de grenadiers du régiment de garnison du Roi, et le régiment provincial de l’île de Corse, doivent par les mêmes motifs être également tirés hors ligne pour ...... 298,339 Total à déduire de l’état de 1789, avant de le comparer à celui du comité .... ..... 15,532,718 liv. La diminution proposée sur la masse générale, à raison de 2, 4 et 6 livres par homme, suivant l’espèce d’arme, fait un objet de plus d’un million; il est donc évident que, par le pian du comité militaire, le traitement de l’armée active doit être effectivement augmenté de 16,500,000 livres pour revenir au même but. M. de Bouthillier nous a bien dit, Messieurs, quel serait le supplément de traitement de chaque grade; mais pour ne pas contrarier les opérations du pouvoir exécutif, dans la nouvelle organisation de l’armée, il n’a pas cru devoir déterminer, d’une manière précise, le nombre et l’espèce des officiers de chaque arme : ce moyen cependant était le seul qui pût offrir des résultats satisfaisants. A défaut de bases certaines, il faut au moins par approximation calculer les motifs de cette augmentation de 16,500,000 livres. Je trouve porté sur le plan du comité, et non compris dans le tableau de dépense de 1789, 2 deniers par homme pour la masse des effets de campement, 4 deniers pour lits militaires, 6 deniers pour bois et lumière; total, 12 deniers par homme pour des objets qui ci-devant, partie à la charge du trésor royal et partie payés parles provinces, vont être assujettis à une règle plus uniforme d’administration. Ces douze deniers par homme en différentes masses font pour cent quarante-deux mille hommes une augmentation de . . . 2,556,000 liv. Vingt deniers de solde de plus pour toutes les troupes l’un dans l’autre seront encore une augmentation de ......... 4,260,000 Evaluant à 300 livres, l’un dans l’autre, le supplément d’appointements proposé pour environ neuf mille officiers, je trouve encore une somme de ..... . 2,700,000 Le complément de cinq jours A reporter..,. 9,516,000 liv. 734 [28 février 1790.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] Report... 9,516,000 liv. de paye par an. pour toutes les troupes, les six deniers d’augmentation de paye des chasseurs, rétablissement des fraters (en faisant entrer en compensation la supppression des majors en second, et celle des aumôniers) ne peuvent être un supplément de dépense de plus de ....... 484,000 Total d’augmentation présuée .... . ..... ... 10,000,000 liv. Reste 6,500,000 livres dont je n’ai pu me justifier l’emploi, et dans lequel se doivent trouver compris les appointements des officiers-généraux et de l’état-major de l’armée, dont il n’a point été question. Je vous supplie, Messieurs, d’observer que, quelle que soit mon erreur, vous êtes loin d’atteindre à l’économie que vous vous êtes proposée; car, d’un côté, votre comité vous demande quatre-vingt-quatre millions pour toutes les dépenses du département de la guerre; et de l’autre, vous avez à pourvoir aux fonds nécessaires pour la maison du Roi, qui coûtait, dans son état de délabrement ........... 5,463,811 liv. Il faut ou pensionner ou fixer le sort des officiers des troupes provinciales qui coûtaient . . . 600,000 Vous avez à reporter sur les dépenses d’un département quelconque les pensions ou appointements conservés des réformes de la gendarmerie, montant à . . . 500,000 Total ...... 6,563,811 liv. Vous avez à déterminer le sort d’une foule d’officiers-généraux, gouverneurs, lieutenants du Roi, et états-majors de place supprimés; vous avez sur les bras tous les aumôniers de l’armée, les majors en second, douze à quinze cents officiers, et vingt mille hommes de troupes parmi lesquelles se trouveront, quantité d’anciens soldats ou bas-officiers auxquels il serait injuste de ne pas assurer les moyens de subsistance. Combinez tous ces détails, Messieurs, cherchez-en le rapprochement avec les bases d’économie proposées par M. Necker pour cet objet, et vous vous trouverez en arrière de près de vingt millions, avec un huitième d’armée de moins. Votre comité militaire, Messieurs, placé entre l’obligation de vous présenter des bases constitutionnelles pour l’armée et son respect pour les droits du pouvoir exécutif, a craint de trop entreprendre ou de pas remplir toutes vos intentions ; il est donc indispensable que, fixant son travail par un décret, vous le mettiez à portée de satisfaire à ces deux devoirs qui lui sont également précieux. Votre comité a agité la grande question de savoir si l’organisation de l'armée doit faire partie de la constitution française, et il apenséquela direction ainsi que le commandement de toute la force publique devaient rester entièrement dans la main du pouvoir exécutif. En convenant de ce principe, je crois qu’il demande quelques développements. Nous sommes tous d’accord qu’il appartient au Roi le droit exclusif d’employer les troupes pour le maintien du bon ordre et la sûreté de l’empire. Mais si le sort de toutes les classes de citoyens touché au moment de reposer sous la protection immuable des lois constitutionnelles, quelle classe mérite plus cette protection que celle qui, consacrant sa vie et souvent sa fortune à la défense de la patrie, n’a pas de bien plus précieux que l’honneur, et dont ce sentiment double les droits à la reconnaissance publique. Parmi les déprédations de tout genre qui ont désorganisé ce beau royaume, l’état militaire n’a-t-il pas essuyé les injustices ? les agents du pouvoir n’ont-il jamais accordé à l’intrigue des préférences sur le mérite, et le soldat a-t-il toujours été traité avec la décence convenable à ces principes, et, j’ose dire, avec l’humanité qu’on doit à ses semblables? Sans parler de ces coups de plat de sabre, de ces punitions souvent infligées, sous prétexte de discipline, pour satisfaire à des vengeances particulières, et qui ont fait déserter tant de braves gens; du mauvais pain et 4 sols par jour, voilà, messieurs, quel a été jusqu’à présent, dans une dépense qui excédait souvent 110 millions, le dédommagement que la patrie accordait au plus grand nombre de ses défenseurs ! Il est vrai que votre comité vous propose une augmentation de paye ; il vous offre à décréter des bases d’avancement ; il vous promet un code plus modéré des peines et des délits militaires, et il conclut que le reste de l’organisation de l’armée appartient exclusivement au pouvoir exécutif. Mais, Messieurs, n’êtes-vous pas assaillis de réclamations de toute espèce de la part des régiments; nos cahiers ne sont-ils pas remplis de plaintes sur les détails de la composition et de l’entretien des troupes. Voterez-vous de confiance la conservation de soixante-dix à quatre-vingts états-majors de régiments, dont la dépense n’est peut-être pas indispensable? Pensez-vous qu’il est de votre sagesse de consentir à une détermination vague d’officiers-généraux à 16, 24 et 40,000 livres d’ap-oointements, traitement exorbitant en temps de Daix, et dont le décret qui vous est proposé ladite tous les moyens d’augmentation aux dépens de la chose nécessaire? Avez-vous calculé les avantages de donner une somme en bloc pour les entreprises de vivres, de fourrages, de casernements, d’hôpitaux, et de cette foule de détails dont les provinces ou les régiments réclament l’administration ? Voterez-vous une somme pour l’entretien, en temps de paix, d’un état-major d’armée, tandis que vous avez, dans le corps très-nombreux du génie, des hommes distingués par leurs talents, et les plus vastes connaissances qui peuvent composer cet état-major sans frais? Enfin peut-il être indifférent aux représentants de la nation qu’un ministre, qui serait moins bien intentionné que ne l’est M. de la Tour-du-Pin, ait constitutionnellement le droit, ou de rompre, sans consulter le pouvoir législatif, nos engagements avec nos amis les Suisses et Grisons, ou de maintenir et de multiplier en France d’autres régiments étrangers, aux dépens de l’intérêt et du goût de la nation ? Il s’agit de réformer en cet instant vingt-deux mille hommes, et je ne pense pas, Messieurs, que cette opération ne soit pas digne de toute notre attention. Vous avez parcouru tous les détails du pouvoir administratif, votre sagesse n’épargnera aucun [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] 735 des moyens de rendre plus utiles et plus respectables nos magistrats civils et religieux ; par quelle raison l’organisation de la force militaire, qui doit avoir tant d’influence sur notre constitution, lui serait-elle seule étrangère, et les droits de la nation, les devoirs de ses représentants ne sont-ils pas les mêmes envers tous les genres de pouvoirs, dont la suprême administration appartient à son chef? Est-ce pour satisfaire l’armée, Messieurs? elle vous le demande. Eû-ce pour obéir à nos commettants? ils nous l’ont ordonné. Est-ce par respect pour le Roi? mais dans ses lettres de convocation, il nous a appelés pour réformer les abus de tous genres , ce sont ses expressions ; il me semble donc que vous ne rempliriez pas vos engagements envers le Roi, la nation et les troupes, si vous ne donniez pas à l’état militaire des lois sages, exemptes d’arbitraire, et immuables comme la constitution qui doit protéger tous les citoyens. La France attend de nous, Messieurs, que nous mettions sous les yeux de celui qui se destine à la défense de la patrie le tableau du cercle qu’il aura à parcourir; et que nous lui garantissons qu’il ne rencontrera, dans cette course périlleuse et rapide de la vie, aucun obstacle qui ne vienne de lui ou de la nature. C’est moins la modicité des différents traitements qui décourage un brave homme, que l’abus des grâces qu’il ne partage pas. Il conviendrait, sans doute, sous beaucoup de rapports, de laisser au pouvoir exécutif une sorte de latitude pour récompenser des services distingués: mais prenons garde aux prétextes ; car, si les récompenses méritées sont le nerf de l’émulation, les injustices en sont le tombeau. Je reviendrai surcette partie dontM. le vicomte de Noailles nous a développé les premiers éléments; et, pour suivre la marche du comité, je reprends les détails de finance. Votre intention bien connue, Messieurs, est d’améliorer le sort du soldat, et votre comité vous a proposé à ce sujet une augmentation de 20 deniers pour la majeure partie de l’armée : savoir, 1 sol de prêt, 2 deniers de niasse de linge et chaussure, et 6 deniers de pain. Il me semble que, pour rendre ce bienfait de la nation envers ses défenseurs plus sensible, il est inutile d’en dissiper une partie au profit des entrepreneurs des vivres. Le soldat n’a jamais éprouvé de difficulté pour se fournir de pain blanc pour la soupe; je préférerais donc de le laisser dans cet usage, en ajoutant les six deniers que votre comité y destine à sa paye. Elle est si modique, que le plus petit bénéfice devient important, et puisque vous donnez réellement au soldat 18 deniers de plus par jour pour sa nourriture, il me paraît de toute justice qu’il en dispose complètemént. La masse de linge et chaussure est beaucoup trop faible, et plusieurs officiers estiment que la masse générale ne pouvait supporter aucune réduction, avec d’autant plus de motif, que le besoin d'économie forçait les administrations des régiments à laisser en veste leurs soldats l’été, ce qui n’est ni décent ni agréable aux troupes. Je propose donc six deniers d’augmentation, pour faire disparaître de l’administration des corps ces moyens lésineux qui blessent lame du soldat. Mais il est un autre objet, Messieurs, sur lequel votre comité n’a pas fixé son attention : c’est le sort d’un soldat en semestre, et celui qu’il éprouve après qu’il a rempli ses devoirs envers la patrie et qu’il rentre pour la vie dans ses foyers. On ne peut raisonnablement exiger d’un soldat qu’il fasse des économies sur sa paye-, strictement resserré dans le cercle de ses besoins, uniquement employé au service et à protéger la tranquillité de ses concitoyens, il ne peut imiter la fourmi, et le congé de semestre, qui lui est accordé à titre de délassement et de récompense, peut devenir une source d’angoisse et de misère. D’un autre côté, Messieurs, l’homme qui a perdu pendant douze ans, et souvent plus, l’usage d’exercices manuels, qui l’aidaient à subsister avant qu’il ne prît le parti des armes, est abandonné sans ressource, au terme de son engagement, par l’Etat auquel il a sacrifié les plus belles années de sa vie. Je proposerai donc à l’Assemblée d’accorder 1 sol par jour de solde de plus à toute l’armée française. Ce sol, mis en réserve, accru du bénéfice des chances qui résultent d’une mise en communauté, servirait à faire un sort à tout soldat ou bas -officier qui prendrait son congé après douze ans de service, ayant l’attention de graduer cette récompense à raison du nombre d’années employées à la défense de la patrie; ce sort serait assez avantageux pour remplacer utilement les demi-soldes qui surchargent l’Etat, sans que le titulaire soit exempt de la misère qui surcharge sa vieillesse. Mais comme tout soldat a des droits à cette sorte de masse nouvelle, il en sera prélevé les fonds nécessaires à tout semestrier pour rejoindre ses foyers, à raison de 3 sols par lieue. Cette masse ne sera particulière à aucun régiment; toute l’armée y aura les mêmes droits; le travail s’en fera dans les bureaux du ministre de la guerre, sans frais, et sera rendu public tous les ans par la voie de l’impression, afin que tous les bas-officiers et soldats connaissent' le sort qu’ont eu leurs camarades et celui qui les attend. Je suis certain, Messieurs, que ce nouvel arrangement, dont la dépense sera fixe et déterminée, sera plus avantageux aux troupes et plus convenable à vos principes de bienfaisance et d’économie; et si vous prenez la peine de combiner l’éloignement des distances, l’embarras qn’éprouve un soldat avant de se procurer des moyens de subsistance, les besoins de sa famille, vous sentirez que cette dépense, fût-elle même plus considérable que celle qu’elle remplace, est un bienfait qui, pour les pères de la patrie, aura son plaisir et trouvera sa récompense. Dans un moment où les besoins de l’Etat se font sentir de toutes parts, je ne suis point de l’avis de l’augmentation du traitement des officiers, au moins jusqu’à ce que le mode d’avancement ait été bien déterminé; il y a si peu de places à donner pour tous ceux qui se présentent au concours! Les Français ont toujours fait un si grand cas de l’honneur*et des distinctions militaires, que les appointements ne doivent être ici considérés, pour ainsi dire, que comme accessoires, et l’amour de la gloire est telle, chez cette nation généreuse, que s’il en coûtait de l’argent pour servir sa patrie, on trouverait encore cent officiers pour uni Je pense donc que rassemblée nationale peut mettre ordre à des affaires plus pressantes, et suspendre sa délibération sur l'augmentation proposée du traitement des officiers, jusqu’à ce qu’elle ait déterminé le mode d’avancement; du moins je me contenterais en ce moment d’augmenter le sort des sous -lieutenants et lieutenants, parce qu’il s’y trouve beaucoup d’officiers de mérite que1 l’on appelle de fortune, et qu’il est juste de ne pas leur faire attendre plus longtemps le bienfait de la nouvelle constitution. A l’égard des appointements des colonels, j’ai 736 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’honneur de proposer à l’Assemblée de porter à 6,000 livres le traitement de tous ceux qui arrivent à ce poste honorable, par ancienneté ou par le choix libre de leurs camarades , en cas que l’Assemblée adopte cette méthode d’avancement que j’ose proposer encore, malgré les clameurs que cette opinion a élevées contre moi, parce qu’après y avoir mûrement réfléchi, je suis resté persuadé que les prétendues cabales que cette méthode ferait naître dans les régiments seraient moins dangereuses pour la chose publique que les intrigues de cour. L’augmentation que je propose pour le traitement des colonels est peu conséquente pour la nation et me paraît avoir un but très moral. En effet, Messieurs, n’est-il pas juste qu’un officier, qui a blanchi dans la carrière de l’honneur, soit assez bien payé par la patrie pour soutenir son état avec décence et sans gêne? Quelque favo ¬ rable au mérite que puisse être une nouvelle ordonnance, si les appointements d’un colonel restent fixés à 4,000 livres, les hommes opulents seuls pourront y aborder, et le brave militaire, qui ne sera riche qu’en vertus, sera forcé de quitter la place pour ne pas ruiner ses enfants; et s’il aime encore son état, s’il peut y être utile, la nation et lui ne verront venir qu’avec douleur l’époque qui aurait dû combler ses vœux. En vain m’objectera-t-on que les 200 livres par mois de traitement extraordinaire, accordées au commandant présent au corps. pourvoiront à l’inconvénient que je dénonce, il m’est facile de démontrer que non seulement l’obstacle n’est pas levé, mais que l’ordonnance proposée par votre comité qui offre deux lignes d’avancement est illusoire et qu’elle sera toute en faveur de la riche et haute noblesse. Si un lieutenant-colonel a 3,800 livres et un colonel 4,000 livres d’appointements, quel intérêt un ancien militaire aura-t-il de parvenir à un poste nécessairement onéreux, et qui ne peut améliorer son sort ni présent ni àvenir?Trop vieux pour espérer d’être employé comme maréchal-de-camp, il ne fera que toucher barre à la place de commandant en chef d’un régiment, surtout si les prétentions de quelque homme en crédit sont étayées d’une composition qui lui serait avantageuse. On ne manquera jamais de personnages riches et puissants qui feront, si j’ose m’exprimer aitisi, des ponts d'or, et la vertu découragée sera forcée de les accepter. Ne comptez donc pas, Messieurs, sur deux lignes d’avancement pour le grade d’officier-général, si vous laissez à 4,000 livres le traitement des colonels arrivés par ancienneté. Quant au traitement des officiers généraux, j’avoue que mon inexpérience ne m’a pas permis de voir autre chose dans l’énorme différence qui se trouve entre le sort d’un colonel, fixé à 4,000 livres, et celui d’un maréchal-de -camp à 16,000 livres , qu’une ligne de démarcation bien établie entre les nommes riches et protégés et ceux qui ne le sont pas. L’Assemblée nationale économe sans mesquinerie, généreuse comme doit l’être une grande nation, n’est pas moins comptable à ses commettants de tous les retranchements de dépenses ou superflues ou nuisibles. C’est donc sur les entreprises, sur les grandes places, qu’elle doit porter ses regards. Penserez-vous, Messieurs, qu’il est de notre sagesse de laisser à un seul homme le soin de déplacer ces masses, qu’il est de l’intérêt même du ministre de la guerre que vous le laissiez seul exposé aux orages, et que ce que vous n’osez tenter il aura le courage de [28 février 1790.] l’exécuter ? Par exemple, Messieurs, vous êtes en-tourés de douze cents officiers généraux ; il y en aura au plus quatre vingts d’employés; beaucoup d’autres ont des droits réels et des titres respectables à succéder aux commandements qui viendront à vaquer. Si vous reconnaissez la légitimité de ces titres, vous arrêtez, pour vingt ans, l’avancement de toute l’armée, et vous mécontentez jusqu’au dernier sous-lieutenant; si vous mettez' tant de personnages distingués hors de service, le patriotisme seul peut les consoler, mais leurs talents, leurs droits, leur crédit seront toujours pour un ministre lin rempart inexpugnable. Je prie ceux qui voudront combattre mes principes, déconsidérer que je ne propose pas à l’Assemblée de faire des ordonnances de tactique, des plans de campagne, d’ôterau Roi la distribution des grâces, des brevels, ni de priver le pouvoir exécutif du gouvernement absolu qui lui appartient sous l’autorité des lois. Mais je crois tous les détails de composition, ti’avancement, de recrutement, de police, d’administration générale des corps, le code des peines et des récompenses, enfin tout ce qui concerne dans l’organisation de l’armée, les droits des citoyens, toute loi qui peut garantir d’une oppression quelconque, entièrement du ressort dés législateurs de l’empire. Pour poser ces bases fondamentales, il n’est pas même nécessaire d’avoir été militaire ; il n’est rien d’exclusif pour un homme de bien, et je supplie qu’il me soit permis de rappeler que le meilleur ministre de la guerre que nous ayons eu depuis cinquante ans, fut un homme de loi (M. d’Argenson). Depuis que j’ai rendu publiques mes observations sur la constitution militaire, les événements qui se sont passés, les réponses particulières ou imprimées qui m’ont été adressées, les oppositions mêmes de quelques parties intéressées n’ont fait que me confirmer dans mon opinion, et je n’en tiens que plus fortement aux bases d’organisation que j’ai établies pour l’armée. J’ai établi pour principe, et j’y tiendrai tant que je le pourrai, que le pouvoir exécutif doit être absolu sur toutes les branches d’administration quelconque du royaume pour l’entière exécution des lois seules souveraines, et auxquelles le Roi lui-même est subordonné; que, d’après ce principe l’action du pouvoir exécutif doit être uniforme sur toutes les divisions du gouvernement et que toute nuance contraire serait la pierre d’attente du despotisme. C’est avec cette seule arme que je combattrai toutes les observations de détail, tous les inconvénients locaux dont on a prétendu envelopper mon système, trop simple, sans doute, pour m’en faire un mérite; mais trop essentiel au maintien de la constitution française, pour le rejeter sans un plus grand examen. J’ai pu commettre quelques erreurs : aussi n’ai-je pas présenté mon opinion comme un plan formé, mais comme un canevas dont les bases fixées devaient produire d’heureux résultats. Je déclare donc à tous les faiseurs de libelles que je suis intimement convaincu que la constitution ne sera perfectionnée et à l’abri de tous mouvements convulsifs, que lorsque la force publique sera soumise au même régime que tous les autres pouvoirs. 11 ne doit plus y avoir en France qu’un poids, qu’une mesure, qu’une coutume, et, pour ainsi dire une seule loi, d’où dérivent toutesles autres. Enfin, pour m’expliquer plus nettement, la na-tiun doit faire la loi, le Roi doit la faire exécuter; mais notre constitution ne seraitqu’un corps sans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] 737 âme , si les ministres pouvaient conférer les em-plois. Je suis cultivateur, et, en cette qualité, il doit m’être permis de tirer mes comparaisons des objets qui me sont plus familiers. Je suppose un propriétaire qui veut détruire un quinconce d’armes, parce qu’il intercepte l’air de son potager : si le jardinier se contente de couper les arbres à fleur de terre, l’année suivante il repoussera sur racines une foule de rejetons, qui formeront bientôt un bois plus touffu et plus nuisible qu’auparavant. Il en sera de même de la nouvelle administration : nous avons abattu les grands arbres ; mais si nous ne défrichons pas le terrain avec soin, il n’y repoussera que des sauvageons et des ronces. * L’Assemblée nationale a senti la nécessité de ce travail ; elle a fait éclater sa sagesse dans la nouvelle organisation du pouvoir administratif, et elle a recueilli le plus doux fruit de ses soins, l’approbation du roi et de toute la France. La véritable route du bien public est donc tracée, consolidée même; et tous les follets ne peuvent plus nous égarer. Quelque défiance qu’un esprit juste et réfléchi doive avoir de tout système nouveau, je ne pense pas que, dans la circonstance où nous nous trouvons, il soit possible de conserver aucune des anciennes bases d’administration, sans flétrir ce bel ouvrage qui, prenant la nature pour modèle, ne doit avoir comme elle qu’un pivot, un moyen unique de reproduction, quoique ses résultats soient variés à l’infini, et je ne vois aucune bonne raison pour que tout agent du pouvoir administratif, civil, religieux et militaire ne soit pas assujetti aux mêmes bases d’organisation, quoique leurs travaux soient différents ; je crois, au contraire, que, si l’un de ces pouvoirs avait des formes particulières, dépendantes du caprice de quelques hommes, ce serait attacher la gangrène à une des principales ramifications du corps politique, et mettre dans son sein le germe d’une mort plus ou moins lente, mais inévitable. Que ceux qui combattent mon système attaquent ce principe, qu’ils en démontrent l’absurdité, et j’avouerai de bonne foi mes erreurs. C’est après m’être fidèlement scruté moi-même sur mon opinion, que j’ai cru de mon devoir de présenter dans mes observations sur la constitution militaire des bases de travail analogues à celles que je prévoyais que l’Assemblée nationale décréterait pour l’organisation du pouvoir administratif ; car je pense que, quel que soit l’état qu’un citoyen veuille embrasser, il est juste qu’il puisse en mesurer l’espace, qu’il entre dans la carrière par la même porte que son émule ; et la vitesse avec laquelle on parcourt cette carrière doit dépendre uniquement des talents et du mérite appréciés par les compagnons et les témoins de nos travaux. Tout autre moyen est illusoire, décourageant et dangereux. Voilà ce que j’ai pensé, ce que je pense encore et ce que penseront tous ceux qui, aussi désintéressés que moi, sont seuls en droit de juger la question. Je sais que mon opinion choque tous les préjugés reçus, consacrés par des siècles d’abus, mais la nation doit respecter des droits, et non des convenances particulières ; et s’il est dû quelque reconnaissance à des services distingués, la nation saura bien récompenser, s’ils le méritent, ceux dont les pères se sont sacrifiés au bien de la patrie. S’il est permis de porter ses regards sur l’avenir, je prévois que le thermomètre de la considération sera totalement dans la main des citoyens; 4re Série, T. XI. que nul ne pourra parvenir à rien que par la confiance libre de ses commettants; que, pour être membre de l’Assemblée nationale, il faudra s’être distingué dans une administration quelconque de département ; que, pour être juge, il faudra avoir exercé avec patriotisme les fonctions d’avocat ; que, pour être évêque, il faudra avoir été curé quelques années, et choisi par ses pairs. C’est alors qu’on verra germer de toutes parts les semences des vertus dans le champ que l’Assemblée nationale de 1789 a péniblement défriché; et tandis que la nation se régénère, faut-il que l’état militaire reste esclave? faut-il que cette profession, anoblie par la nature seule de ses fonctions, la passion dominante de tous les Français, perde son éclat et son rang dans la société, et devienne par son asservissement même un instrument terrible dans la main d’un despote ? On nous parle des égards dus au pouvoir exécutif : Oh ! je suis bien loin d’y vouloir porter atteinte ; mais s’il est reconnu par le roi lui-même qui est venu si franchement au milieu de nous sanctionner nos principes, que la loi plane sur toutes les têtes et qu’il n’appartient au roi que la force d’exécution, quelle atteinte porté-je à son autorité en réclamant, en faveur du militaire, les mêmes lois constitutionnelles qui régiront la nation ? Depuis 1762, nous n’avons eu à essuyer que quelques mouvements accessoires d’agitation politique et une grande partie de nos officiers même généraux n’ont point été à portée de développer leur courage et leurs talents. Cependant l’armée a été bouleversée en tout sens : la tactique a fait dit-on, de grands progrès ; je veux le croire ; mais à côté de ce bien, je vois le soldat malheureux, l’officier mécontent, incertain de son sort, et toujours gémissant dans des emplois subalternes; plus de liaison d’intimité entre le soldat et l’officier, comme lorsque les compagnies appartenaient aux capitaines : le père alors soignait sa famille qui le chérissait; aujourd’hui ils n’ont aucun motif de s’intéresser l’un à l’autre; une discipline trop sévère, barbare même, a remplacé ces avertissements, ces corrections qui, lorsqu’elles étaient nécessaires, avaient encore quelque douceur. Les chefs inconnus aux troupes qu’ils commandent se montrent rarement, fatiguent de leur puissance, font leur métier quelques mois, leur cour le reste de l’année et envahissent tout. Eh ! comment ces hommes parmi lesquels il en est sûrement de très estimables, ne se croiraient-ils pas faits pour dicter arbitrairement des lois ? l’ordonnance en a fait des demi-dieux, et rien n’est plus facile à persuader que la vanité. Permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler ces paroles que le roi lui-même a fait entendre dans cette salle. Il nous a dit : Un jour , j'aime à le croire, tous les Français indistinctement reconnaîtront l'avantage de l'entière suppression des différences d’ordres et d'état , lorsqu’il est question de travailler en commun au bien public , à cette prospérité de la patrie qui intéresse également tous les citoyens , et chacun doit voir sans peine que, pour être appelé dorénavant à servir l'Etat de quelque manière , il suffira de s'être rendu remarquable par ses talents ou par ses vertus. Il ne doit donc plus y avoir de difficultés et, vous n’avez pas même le choix du bien que le roi et la nation attendent également de vous, je l’ai dit et je répéterai sans cesse, tout le secret d’une bonne organisation d’armée constitutionnelle consiste à : 47 738 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 4790.} 1° Ne laisser subsister aucunes places inutiles qui, en rendant les grades supérieurs trop communs, avilissent les places subalternes ; 2°. Attacher nos régiments français plus spécialement à des départements désignes, dans lesquels les officiers et soldats, destinés à les composer, seront choisis à l’avenir ; et ce moyen est le seul pour parer aux qnciens inconvénients du recrutement, de la désertion et ne faire des soldats et des citoyens qu’nn corps et qu’une âme ; 3° N’accorder les places qu’au mérite, depuis l’état de caporal jusqu’à celui de maréchal de France, et déterminer ce mérite par le choix libre des subordonnés a chaque grade ; 4° Rendre les compagnies aux capitaines, non individuellement, mais en corps, avec tous les détails d’administration qui en dépendent, de manièreque les officiers supérieurs, cessant d’être juges et parties, puissent réellement faire exécuter les ordonnances; 5° N’éloigner jamais un régiment de plus de cinquante lieues du chef-lieu de département dont il portera le nom, et cette condition, suffisante pour meubler nos places de guerre, épargnerait des frais de route énormes ; 6° Accorder tous les deux ans en temps de paix, neuf mois de congé aux officiers et soldats, avec demi-paye, ce qui est avantageux, agréable pour eux et économique pour l’Etat; 7° Plus de plaque militaire, mais la croix de Saint-Louis à tout officier au bout de vingt-cinq ans de service, y compris celui de soldat. Voilà, Messieurs, les bases simples et immuables d’organisation que je crois devoir remettre sous vos yeux; en y ajoutant la solde de chaque grade, le nombre des troupes, une ordonnance de retraite pour les officiers et soldats, le code des peines et délits militaires, le service des places : vous aurez fait tout ce que le roi vous indique et tout ce que la nation et l’armée vous demandent. M. Dubois de Crancé termine en proposant le décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que l’état et le sort de tous les citoyens de l’empire français doivent reposer désormais sous la protection de lois constitutionnelles, qui ne puissent, sans aueun prétexte, être éludées ; et voulant concilier les droits de cette classe généreuse qui se dévoue à la défense de la patrie, avec l’autorité népessaire et légitime du pouvoir exécutif; « Déclare que le roi est le chef suprême de l’armée ; que tous les ordres nécessaires pour le maintien de la tranquillité publique et la sûreté du royaume, ne peuvent émaner que de lui, conformément aux lois constitutionnelles de l’empire français : mais qu’il appartient au Corps législatif de fixer, dans tous les temps, le nombre et l’espèce de troupes qui doivent être employées à la défense de la patrie ; de régler leur composition, leur solde et les divers traitements des officiers ; les bases d’introduction au service, celles d’avancement et de retraites pour tous les grades, depuis l’état de soldat, jusqu’à celui de maréchal de France inclusivement ; les lois de police, de discipline militaire, ainsi que les bases d’administration générale des corps ; enfin, les rapports de l’armée avec le pouvoir administratif et les milices nationales. « En conséquence, l’Assemblée nationale ordonne que son comité militaire se concertera avec le ministre de la guerre et avec le comité de constitution pour établir ces principes, ainsi que J tous les détails qui en dérivent d’une manière précise, à l’abri de toute fausse interprétation, et qui assure à la nation son repos, et aux militaires-citoyens des récompenses graduelles exemptes de tout arbitraire, prix assuré des vertus, sans distinction de naissance et de fortune. « Et par provision, l’Assemblée nationale décrète : « 1° Que tout militaire, après vingt ans de service révolus., jouira de tous les droits de citoyen actif, et sera éligible même à l’Assemblée nationale, considérant les services qu’il aura rendus à sa patrie comme équivalent au moins à la contribution du marc d’argent exigée de tout citoyen pour être éligihle ; « 2° A dater du premier avril prochain, la paye de tous les lieutenants, sous-lieutenants, bas-officiers, grenadiers, chasseurs, soldats, cavaliers, dragons et hussards, sera augmentée dans la proportion indiquée au plan du comité militaire ; mais les six deniers accordés pour supplément de pain, seront réunis au prêt. Ainsi, la masse de boulangerie restera fixée à 30 deniers par ration, et l’administration en sera confiée aux régiments; « 3° La masse de linge et de chaussure sera augmentée de 6 deniers, et la masse générale restera comme elle était ci-devant; « 4° La nation fera entre les mains du ministre de la guerre, un fonds d’extraordinaire de 18 livres par homme au complet, chaque année, uniquement destiné à donner 3 sols par lieue aux sémestriers lorsqu’ils partiront du régiment pour se rendre dans leurs foyers, et le surplus sera employé à donner des retraites graduelles à tous les soldats et bas-officiers ou cavaliers qui auront fait au moins deux engagements de suite. En conséquence, toute pension de demi-solde sera sup� primée pour l’avenir. « L’Assemblée nationale se réserve de statuer sur le sort des capitaines, officiers supérieurs des corps et officiers-généraux, lorsqu’elle décrétera les bases constitutionnelles de l’organisation de l’armée, pour lesquelles elle charge, par le présent décret, son comité militaire de se réunir à son comité de constitution, et de se concerter avec le ministre de la guerre; et lorsque ce travail lui aura été présenté, elle arrêtera définitivement l’état des fonds destinés au département de la guerre pour l’année 1790. » M. le baron de Menou, d’accord avec M. Alexandre de Lameth, M. de Noailles et quelques autres, présente un nouveau projet de décret qui est très applaudi et qui obtient la priorité sur tous les autres. La discussion est ouverte sur les articles de ce projet. « Art. 1er. Le roi des Français est le chef suprême de l’armée. » M. l’abbé Maury. Je vous prie d’observer deux choses sur cet article : 1° Tout peuple qui parle de son souverain ne l’appelle que le roi ; c’est ainsi que par le traité de Westphalie, il a été décidé que le roi de France serait appelé par toutes les puissances; 2° On ne doit pas se borner à dire que le roi est le chef suprême de l’armée ; vous ne feriez de votre souverain qu’un général d’armée. Je propose de rédiger ainsi l’article : « L’armée de France est entièrement et uniquement aux ordres du roi. » M. Alexandre de Lameth. J’adopte la pre-