142 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le présent décret ne sera pas imprimé (63). d La Convention nationale après avoir entendu le rapport de [Pons, au nom de] son comité de Législation, sur la pétition du citoyen Pilard fils, par laquelle il réclame contre un jugement du tribunal criminel du département des Ardennes, qui a condamné le citoyen Pilard, son père, monteur de charbons de la commune de Sedan, à cinq années de fer, comme convaincu de s’être rendu coupable de négligence, d’infraction à la loi, et de prévarication dans l’exercice des fonctions de commissaire civil de la maison générale de suspicion du département des Ardennes; Considérant que les faits portés dans l’acte d’accusation ne sont ni énoncés ni précisés de manière à caractériser des délits auxquels puisse s’appliquer l’article VIII de la cinquième section de la loi du 15 frimaire; Que d’ailleurs les jurés qui doivent se borner à déclarer constans le fait et l’intention se sont permis de tirer la conséquence de leur déclaration, et de forcer en quelque sorte le tribunal à l’application de la loi, ce qui est contraire aux principes de leur institution : Déclare l’acte d’accusation dont il s’agit et ce qui l’a suivi, nul et de nul effet; et pour en être dressé un nouveau, s’il y a lieu, renvoie ledit Pilard pardevant l’accusateur public du département de la Meuse. Le présent décret ne sera pas imprimé; il en sera adressé une expédition manuscrite aux accusateurs publics près les tribunaux criminels des départemens de la Meuse et des Ardennes (64). 19 Un membre [Lozeau] présente des observations sur le projet proposé par Fayau, relativement à une nouvelle manière d’aliéner les domaines nationaux; il en demande le renvoi aux comités chargés d’examiner le projet de Fayau. La Convention décrète cette proposition, ainsi que l’impression du discours prononcé à ce sujet (65). (63) P.-V, XLV, 240. C 318, pl. 1286, p. 8. Décret n° 10 868 de la main de Pons (de Verdun), rapporteur. (64) P.-V., XLV, 240-241. C 318, pl. 1286, p. 9. Décret n° 10 869 de la main de Pons (de Verdun), rapporteur. M. U., XLIII, 456. (65) P.-V., XLV, 241. C 318, pl. 1286, p. 10. Minute de la main de Lozeau. Décret n° 10 865. Rapporteur : Cambon selon C* II 20, p. 295. Voir Arch. Pari., t. XCVI, 22 fructidor n° 48. LOZEAU : Citoyens, Il est pénible sans doute d’avoir à combattre à cette tribune des propositions qui, au premier coup d’œil, pa-roissent favoriser la classe du peuple français la plus indigente, et par conséquent la plus précieuse. Il est pénible d’avoir à vous présenter des vérités dures, qui paroissent heurter l’opinion publique, et qui semblent contraires au bien de la partie la plus nombreuse de la société. Cependant, tel est le devoir du législateur qui, fidèle au serment qu’il a fait de sauver la patrie et de maintenir la liberté, ne calcule ni les applaudissemens, ni la défaveur, ni sa réputation, ni sa vie même; il n’a en vue que le salut public; et que lui importe le reste, pourvu qu’il ait atteint ce but, seul digne de ses vœux, seul capable d’exciter sa sollicitude et de le payer de ses peines? Citoyens, on vous a proposé, il y a quelques jours, de changer le mode d’aliénation des domaines nationaux, de les distribuer d’après une estimation et d’empêcher qu’ils ne soient vendus à l’enchère. Beaucoup d’autres idées ont été présentées à ce sujet, et vous en avez ordonné le renvoi à vos comités de Salut public, des Domaines nationaux, et des Secours, pour vous en faire un rapport sous huitaine. Vos comités s’empresseront sans doute de remplir la tâche que vous leur avez imposée, mais je ne m’en crois pas moins obligé de présenter sur le nouveau plan qui vous est proposé des idées préliminaires qui ne seront pas inutiles à la discussion de cet important objet. Je n’examinerai point dans quelle circonstance et par quels motifs on vous a proposé de changer la manière d’aliéner les domaines nationaux; je suis bien éloigné de suspecter dans aucun de mes collègues une seule intention qui ne tende pas au bien public; je suis persuadé au contraire que nous pouvons tous commettre des erreurs, mais que ces erreurs elles-mêmes sont excusables par leur motif : je ne m’attache donc qu’aux conséquences, et je dis qu’en examinant celles qui résultent du projet de notre collègue Fayau, on y trouve : 1°. Le renchérissement excessif de toutes les denrées, qu’il est impossible de soumettre à la loi du maximum ; 2°. La perte du crédit public et la banqueroute nationale; 3°. L’impossibilité de continuer la guerre, non-seulement jusqu’à ce que les despotes soient abattus ou qu’ils aient reconnu la République françoise, mais même d’entreprendre la prochaine campagne, enfin l’anéantissement de la liberté et par conséquent le retour du despotisme. Citoyens, la politique des tyrans consiste à cacher la vérité, celle d’un peuple libre est de la connoître et de la répandre. Les ministres des rois se font une étude de déguiser à leurs maîtres la véritable situation de ce qu’ils appellent leurs royaumes. Uniquement occupés à flatter leurs passions, à caresser leurs vices, ils s’étudient à les entretenir dans une ignorance crasse de la position de leurs finances, tandis qu’ils pressurent les peuples pour four- SÉANCE DU 27 FRUCTIDOR AN II (13 SEPTEMBRE 1794) - N° 19 143 nir, je ne dis pas aux besoins de l’Etat, mais à leur orgueil et à leur prodigalité : les représentai d’une grande nation au contraire doivent lui dire clairement et sans détour, Voilà tes besoins, voilà tes ressources. Citoyens nous savons tous et personne n’en disconviendra, sans doute, que s’il n’eût existé un signe représentatif des espèces d’or et d’argent, que sans les assignats enfin, il eût été impossible d’amener la révolution au terme où elle est rendue. A peine le peuple commençoit-il à secouer ses fers en 1789, que toutes les espèces disparurent; les aristocrates, les royalistes, les égoïstes, s’empressèrent d’enlever l’or et l’argent du commerce, et les relations sociales au-roient dès-lors été entièrement rompues, si l’Assemblée constituante ne se fût empressée de créer les assignats, en les hypothéquant sur les domaines nationaux. Nous n’avons pas oublié combien nos ennemis intérieurs et extérieurs firent d’efforts pour empêcher que les assignats n’acquissent le crédit auquel ils avoient droit par l’hypothèque respectable qui en assuroit le paiement. S’ils n’ont pu réussir à détruire notre papier-monnoie dans le principe, au moins n’ont ils rien épargné depuis pour en exténuer peu-à-peu la valeur. Falsification des assignats, soupçons sur la validité de l’hypothèque, ils ont épuisé tous les moyens, et ce n’est qu’à leurs efforts constans et multipliés, que nous devons en grande partie l’énorme différence qui se trouve aujourd’hui entre les espèces et leur signe représentatif, entre le prix actuel des denrées, des marchandises et des domaines territoriaux, et celui qu’ils avoient lors de la création des assignats, enfin entre notre change et le change de l’étranger; de là un raisonnement bien simple : nos ennemis sont parvenus à affoiblir la valeur des assignats, de manière qu’ils ne produisent plus que le tiers ou la moitié de la valeur réelle qu’ils représentent, dans un temps où il existe une hypothèque qui excède de beaucoup le montant de leur émission; que seroit-ce, si, comme on vous le demande, non seulement vous diminuiez cette hypothèque au point de la rendre douteuse, mais si vous l’anéantissiez même en grande partie, comme il est facile de démontrer qu’on vous le propose? Car il est évident que l’hypothèque seroit détruite du moment où l’émission des assignats excéderoit la valeur des biens sur lesquels ils sont hypothéqués. Le moindre inconvénient qui résulterait alors, seroit de rendre le commerce des denrées et des choses nécessaires à la vie absolument impossible; car quel est celui qui voudra échanger sa denrée contre un signe qu’il saura n’être hypothéqué sur rien, et n’avoir par conséquent pas plus de valeur que les billets de la trop fameuse banque de Law? L’inconvénient dont je vous parle ici, seroit plus sensible encore dans les communes qu’on nommoit villes, et ce en raison de leur population, que dans les campagnes; car les habi-tans des premières ne pouvant retirer leur existence que du prix de leur travail, n’auraient aucun moyen de la conserver, puisque ce prix ne représentant aucune valeur réelle, deviendroit nul pour des échanges. Quel est d’ailleurs l’ouvrier qui voudra employer son temps et ses sueurs pour un papier-monnoie qui n’auroit aucun valeur intrinsèque, et qui ne seroit appuyé sur aucune hypothèque? De là toutes les relations sociales seraient détruites; de là un nouvel ordre de choses s'ensuivrait nécessairement; et que n’avons-nous pas à craindre de celui qui remplacerait le régime républicain que nous avons établi ! Citoyens, il est une grande vérité à laquelle on ne fait pas assez attention; c’est qu’il n’est pas fait une seule motion dans cette enceinte tendante à augmenter le nombre des assignats en circulation, que le prix des choses nécessaires à la vie n’éprouve aussi une augmentation sensible. Que seroit-ce donc si vous affoiblissiez l’hypothèque des assignats? En vain me diroit-on que la loi sur le maximum parera à cet inconvénient; nous sommes tous convaincus que cette loi révolutionnaire est insuffisante. Les abus qu’on en fait prouvent que si les circonstances l’ont rendue nécessaire, nous ne pouvons trop désirer le moment favorable auquel il nous sera possible de l’abohr; d’ailleurs, il est une multitude de choses dont les citoyens, même les plus pauvres ne peuvent se passer, et qui cependant ne sont pas et ne peuvent pas être soumises à cette loi. Il est un autre mal plus grand encore, qui résulteroit de la proposition qui vous a été faite; c’est la banqueroute nationale. Toute la France, toute l’Europe ont applaudi au décret de l’Assemblée constituante, qui, renonçant à l’idée infamante d’une banqueroute que la politique scélérate des rois peut seule excuser, mit les dettes de l’Etat sous la sauve-garde de la loyauté française. Quel est aujourd’hui le gage que vous remplirez cet engagement sacré ? Ce sont certainement les domaines nationaux. Si vous en faisiez faire la distribution qui vous a été demandée, ils ne suffiraient plus pour retirer les assignats en circulation, à plus forte raison pour payer nos anciennes dettes. Qu’on ne dise pas qu’on lèvera des contributions, soit pour pour satisfaire aux besoins annuels de la République, soit pour anéantir la dette ancienne. Votre intention sera, sans doute, d’en diminuer la quantité plutôt que de l’augmenter, et ce sera dans cette partie que vous pourrez concourir, sans ébranlement et sans secousse, à soulager la portion du peuple la plus indigente et la plus malheureuse. Le plus grand mal qui puisse résulter de la proposition que je combats, c’est l’impossibilité de continuer la guerre avec les ennemis de la République. N’avons-nous pas juré de la maintenir une et indivisible, cette République? N’avons nous pas l’intention ferme et irrévocable de combattre jusqu’au dernier soupir les tyrans cohalisés qui nous font une guerre implacable pour ramener parmi nous le despotisme et l’aristocratie? N’avons nous pas voué une haine sans fin à ce gouvernement perfide qui nous suscite des ennemis de toutes 144 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE parts, et qui non content de tyranniser la terre, exerce le despotime le plus absolu sur toutes les mers? Citoyens, est-il quelqu’un parmi nous assez lâche, assez pusillanime, car je ne pourrois croire qu’il y en eût d’assez perfide, pour transiger avec les tyrans ! Non, sans doute; nous vaincrons ou nous périrons. La République française triomphante assurera la liberté du monde, ou les tyrans qui veulent la détruire fouleront aux pieds les cadavres de ses défenseurs. Que devons nous donc faire dans cette circonstance ? Citoyens, nous devons préparer les moyens de continuer la guerre à outrance; nous devons être certains je l’avoue, que nous pourrons entreprendre non seulement la campagne prochaine, mais plusieurs autres ensuite, si elles sont nécessaires. Loin donc d’affoiblir l’hypothèque des assignats, nous devons l’augmenter, s’il est possible. N’oublions pas que nous avons douze cent mille défenseurs que nous devons armer, habiller et nourrir; n’oublions pas que nous avons une marine à créer et à augmenter par tous les moyens, afin de terrasser nos ennemis naturels, les perfides Anglais; n’oublions pas qu’il nous faut fabriquer des armes, amasser du salpêtre, préparer la foudre républicaine; n’oublions pas que nous avons engagé des domaines nationaux jusqu’à concurrence de huit cents millions pour récompenser nos braves défenseurs, et que cette dette est sacrée et irrévocable; n’oublions pas enfin que nous avons en circulation ou à émettre incessamment pour six milliards trois cents millions d’assignats. Vos comités vous diront sans doute qu’en conservant aux domaines nationaux la valeur qu’ils obtiennent par les enchères, vous pouvez suffire à tout et triompher de tous les tyrans coalisés; mais ils vous diront en même temps que si vous adoptez l’opinion qui a été émise, c’est-à-dire, que si vous donniez les domaines nationaux sur le prix de l’estimation payable en vingt ans, vous seriez dans l’impuissance d’entreprendre la campagne prochaine. On vous a parlé d’une valeur en domaines de treize milliards : vous atteindrez cette valeur sans doute, et peut-être au delà, si vous continuez à vendre à l’enchère, parce qu’elle a été appréciée d’après les ventes déjà faites, et que les ventes ont, en plusieurs circonstances, triplé et doublé le prix de l’estimation. Au surplus, nous ne pouvons pas nous dissimuler que plusieurs des ventes, faites à un prix excessif, entraîneront des reventes à folle enchère, et qu’ainsi cette base de l’évaluation qui a été faite, peut être fausse à cet égard. Citoyens, les observations que je vous ai présentées sur les inconvéniens du projet proposé par notre collègue Fayau, vous paroîtront sans doute dignes d’être prises dans la plus sérieuse considération, puisqu’elles ont pour objet le maintien de la République et l’anéantissement de la tyrannie. Il en est une foule d’autres non moins fortes, non moins puissantes, que plusieurs de mes collègues s’empresseront de vous développer; ils vous diront sans doute que dans une république composée de vingt-quatre millions d’hommes, il est impossible que tous soient agriculteurs, qu’une grande société ne forme un tout respectable que parce que tous ses membres sont liés entr’eux par les services mutuels qu’ils se rendent; que l’homme de lettres, le négociant, le marchand en détail, l’artiste, le maçon, le cordonnier, le simple manouvrier, sont aussi utiles à la République que l’agriculteur; que les relations sociales ne doivent pas se borner à notre territoire, puisque l’expérience nous prouve que nous sommes obligés de tirer chaque année de l’étranger les choses nécessaires à la vie, que notre sol ne nous fournit point, tandis qu’il produit, plus qu’il n’en faut pour notre consommation, des denrées qui servent aux étrangers; que, d’après ces vérités inattaquables, il est impossible que la majorité de la nation soit propriétaire, puisque dans cette hypothèse, chacun étant obligé de cultiver son champ ou sa vigne pour vivre, le commerce, les arts et l’industrie seroient bientôt anéantis. Ils vous prouveront mathématiquement que la prétention de rendre la majorité de la nation propriétaire, est non seulement de toute impossibilité, mais qu’elle est extravagante; puisque sur vingt-quatre millions d’arpens qui composent le territoire de la République, il pa-roit constant, d’après les calculs les mieux faits, qu’il n’y en pas huit millions qui soient susceptibles d’être cultivés. Ainsi en supposant que non seulement les domaines nationaux, mais même toutes les propriétés particulières seroient divisées par arpent, il s’ensuivroit que sur vingt-cinq millions d’habitans, il n’y en au-roit que huit millions dont chacun auroit un arpent. Ils vous diront que la division des domaines est bien désirable, qu’il n’est pas un seul ami de la liberté qui ne reconnoisse le danger des fortunes colossales dans une république; mais ils vous diront en même temps que cette division doit être subordonnée au bien public, et qu’elle doit être considérée dans ses rapports avec l’agriculture et avec la valeur des domaines. Si vous ordonniez, par exemple, la division des biens nationaux non vendus par arpent, il s’ensuivroit : 1°. Que vous ne pourriez vendre tous les corps de bâtimens qui ont été construits pour de grandes exploitations, parce qu’on sait très bien que les édifices distribués à la manière des grandes fermes seroient infiniment à charge aux acquéreurs, s’ils n’étoient pas dédommagés des frais de réparations et d’entretien par le produit des terres qui en dépendent. 2°. Que vous trouveriez facilement à aliéner les bonnes terres qui produisent tous les ans, mais que les mauvaises, qui forment la plus grande partie, seroient inaliénables parce qu’il n’est personne qui veuille se charger d’un arpent de mauvais terrein qui ne produira qu’à force d’engrais, et dont on ne pourra retirer qu’une seule récolte tous les deux ou trois ans. 3°. Que vous détruiriez en peu de temps tout le bétail et par conséquent non seulement un des premiers besoins de la vie, mais encore la principale ou plutôt la seule source de la SÉANCE DU 27 FRUCTIDOR AN II (13 SEPTEMBRE 1794) - N° 19 145 fécondité de la terre, qui sont les engrais; il n’est personne qui ne sache que pour élever de nombreux troupeaux, surtout de gros bétail, il faut des terrains assez vastes, et qui, propres au pâturage, seroient le plus souvent inutiles à la culture. 4°. Que vous forceriez tout le monde à labourer la terre pour vivre; et cependant nous devons convenir qu’il faut pour cet état y avoir été accoutumé dès l’enfance. Dans ce moment, la très grande partie des terres cultivées sont labourées à la charrue, et quatre bœufs font le travail de trente hommes. Divisez les propriétés par arpent, vous n’aurez plus le moyen d’élever des bœufs. Vous condamnerez donc ceux qui fécondent la terre avec la charrue à la cultiver avec leurs bras : et pourriez-vous croire avoir décrété le bonheur d’un nombre infini de familles que vous auriez condamnées à un travail auquel elles ne seroient point accoutumées ? Disons mieux, à périr de faim; car la famine et la disette absolue seroient le fruit de ce système désastreux. Citoyens. Voulez-vous que le peuple français soit heureux? Eh bien affermissez la République sur des bases inébranlables; abattez les factions qui s’entre-choquent sans cesse : maintenez la vertu et la justice à l’ordre du jour; détruisez les fripons, les ambitieux et les dominateurs; anéantissez tous les tyrans, de quelque masque qu’ils se couvrent, afin de le mettre à même de jouir de la constitution ré-pubhcaine que vous lui avez offerte et qu’il a acceptée. Vous voulez que les domaines nationaux soient vendus par petits lots; eh bien! la loi existe; maintenez-en l’exécution, et punissez sévèrement les corps administratifs né-gligens ou infidèles. Vous voulez diviser les propriétés et multiplier le plus possible le nombre des propriétaires; citoyens, ce n’est pas en ébranlant le corps politique jusques dans ses fondemens que vous parviendrez à ce but. Vous avez déjà fait des lois infiniment sages à cet égard; c’est en maintenant l’égalité des partages, en abolissant les substitutions, en appelant tous les enfans, qu’on nommoit ci-devant bâtards, aux successions de leurs pères et mères, que vous atteindrez cette heureuse division, assez grande pour ne pas alarmer les vrais amis de l’égalité. Il vous reste encore d’autres moyens que vous pourrez employer avec avantage : tel est le partage des biens communaux, qui sont un outrage à la constitution républicaine et contraires au progrès de l’agriculture; mais n’adoptez jamais, ne souffrez pas même qu’on vous propose des moyens qui tendent à saper le crédit pubbc, et qui vous reconduiraient évidemment au despotisme. On a comparé la manière dont s’aliènent les domaines nationaux, à l’étalage que fait un bijoutier pour tenter les gens riches. Cette idée peut paraître ingénieuse; mais les comparaisons ne gagnent pas les batailles, n’affermissent pas les républiques. Citoyens, nous tendons à un but fixe, et nous sommes sûrs de l’atteindre; ce but, c’est l’anéantissement des despotes, l’affermissement de la liberté; n’abandonnons pas ce terme heureux pour un fantôme mensonger. Nous aurons le temps d’être généreux, lorsque la République triomphante aura terrassé ses ennemis. Si nous n’étions actuellement économes de la fortune nationale, le peuple nous demanderoit peut-être un jour un compte d’autant plus rigoureux, que nous aurions compromis les seuls biens sans lesquels il ne peut exister de bonheur, la liberté, l’égalité et les autres droits que nous avons solennellement reconnus. Je termine ici les observations que j’avois à vous présenter sur le projet que vous a soumis notre collègue Fayau. J’en demande le renvoi aux mêmes comités que vous avez chargés de l’examiner. Ce discours est fréquemment interrompu par les plus vifs applaudissemens. [Un membre : Je demande l’impression de ce discours profondément pensé, et dont le style très clair met à la portée de tous les esprits les vérités qu’il exprime] (66). La Convention ordonne l’impression du discours et le renvoi aux comités chargés de l’examen de celui de Fayau (67). GASTON obtient la parole et dit : Vous ne pouvez vous dissimuler, citoyens collègues, que les observations qui viennent de vous être présentées entraîneraient les conséquences les plus désastreuses, si elles étoient accueillies; je ne prête à personne de mauvaises intentions, mais ceux qui veulent l’affermissement de la hberté, ne feroient certainement point une motion qui tend à faire rétrograder la révolution. {Bruit.) On vous a dit qu’il ne falloit point aliéner les domaines nationaux par petits lots {On n’a pas dit cela.)... Il y a un coup monté pour m’empècher de par 1er... (On demande que Gaston soit rappelé à l’ordre.) GASTON : J’en appelle au peuple français. {Bruits.) THURIOT demande la parole pour une motion d’ordre, et dit : Le président doit rappeler à l’ordre ceux qui violent les grands principes, et Gaston ne doit attribuer les murmures qui l’ont interrompu qu’à l’oubli total de ces principes. D’abord il n’est pas vrai qu’on ait dit qu’il ne falloit rien faire pour l’indigent, on a dit au contraire qu’il falloit tout faire pour lui; on a rappelé la loi qui ordonnoit aux administrations de vendre par petits lots toutes les propriétés qui en sont susceptibles. Pourquoi donc s’élever contre le membre qui a proclamé ces vérités utiles et des opinions aussi patriotiques ? pourquoi, puisqu’on s’est apperçu qu’une motion indiscrète avoit compromis le crédit public, insiste-t-on pour la soutenir? Sans doute il faut que Gaston conserve la parole, il a le droit d’émettre son opinion; mais (66) Débats, n° 723, 446. (67) Mentionné dans Débats, n° 723, 446. Reproduit dans Débats, n° 727, 517-524. Moniteur, XXI, 748-751. Bull., 28 fruct; M.U., XLIII, 446-448; Ann. Patr., n° 621 et n° 623 Rép., n° 268; J. Univ., n° 1754; Mess. Soir, n° 756; F. de la Républ., n° 434; Ann. R. F., n° 286; C. Eg., n° 756; J. Mont., n° 137; J. Fr., n° 719; J. Perlet, n° 721; J. Paris, n° 622; Gazette Fr., n° 988.