[18 juin 1791. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. mais par l’effet de l’imprudence ou de la négligence de celui qui l’a commis, il n’existe point de crime et l’accusé sera acquitté : mais, en ce cas, il sera statué par les juges sur les dommages et intérêts, et même sur les peines correctionnelles, suivant L s circonstances. » (Cet article est mis aux voix et adopté.) M. Le Pelletier-Salnt-Fargeaw, rapporteur, donne lecture des 3 articles suivants : « Art. 3. En cas d’homicide légal ou d’homicide légitime, il n’existe point de crime : il n’y a lieu à prononcer aucune peine ni admettre aucune action civile. » « Art. 4. L’homicide est commis légalement lorsqu’il est commandé par la loi, ou par une autorité légitime, pour la défense de l’Etat ou pour le salut public. » « Art. 5. L’homicide est commis légitimement lorsqu’il est nécessité par la défense naturelle de soi-même ou d’autrui. » M. Prieur. Il y a une distinction essentielle à faire enhe l’homicide légal ou l’homicide légitime. M. le rapporteur les a confondus, et il a eu tort, selon moi, dans l’homicide légitime, c’est-à-dire dans celui qui est commis par la légitime défense, personne, je crois, ne disconviendra qu’il y a dans ce cas-là même lieu à instruction contre la personne qui a été obligée d’en tuer une autre pour la défense. Dans l’homicide légal, au contraire, il ne peut y avoir jamais heu à transaction contre celui qui n’a fait' que s’acquitter de son devoir. Ainsi il faudrait dire : quant à l'homicide légal, il n’y aura lieu à aucune accusation; et quant à l’homicide légitime, il serait dit : ii n’y aura lieu à aucune peine. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L’homicide est commis légalement lorsqu’il est commandé par la loi, et ordonné pour la défense de l’Etat ou le salut public. M. Duport Je demande qu’on raye les deux derniers mots de l’article. Il ne faut pas le donner à la discussion de ceux qui exécutent : il ne faut pas que les soldats, par exemple, lorsqu’ils sont commandés par une autorité légitime, examinent si c’est pour le salut public ou non. Je demande d’abord que l’on raye a s mots : « La défense de l'Etat et le salut public », et que l’on mette : « ordonné par une. autorité légitime ». Ensuite j’observe, relativement à l’observation de M. Prieur, qu’il peut y avoir de l'ambiguïté, et j’en vais donner la preuve. M. Prieur prétend qu’un homicide légal ne peu! jamais donner lieu à une accusation; mais entendons-nous, car il y a ici une équivoque, S’il veut dire qu’il n’y a pas lieu à condamnation criminelle ou civile pour l’homicide légal, je suis de son avis; mais s’il veut dire qu’on ne peut pas même commencer la procédure, dans ce cas-là, je ne suis plus de son avis. Je le prouve : en Angleterre tout le monde sait avec quelle rigueur juridique les lois s’exécutent. Il y a là un acte qui correspond à notre loi martiale, et d’après lequel, aussitôt que la loi est lue, le soldat peut faire feu : et dès ce moment, le meurtre qu’il commet, ou plutôt l’hombide est justifié : mais si l’on parvenait à prouver que les soldats ont tiré avant que la loi ait été lue, avant que la réquisition légitime ait été faite, alors ils seraient condamnés comme coupables de meurtre, et c’est ce qu’il faut faire ici ; il faut que l’on 307 puisse réprimer par la force les attroupements et autres moyens qui, dans ce cas, peuvent avoir lie i contre la sûreté publique; mais il faut que cela soit déterminé par une autorité légitime. f Si, auparavant la réquisition de cette autorité légitime, les soldats ou of liciers avaient fait feu, très certainement ils seraient dans le cas u’être punis comme homicides; dès lors s’élève la question de savoir si la _ réquisition a été ou n’a pas été faite, et si l’homicide est légal ou ne l’est pas. Lorsque l’homicide sera déclaré légal, il n’y a aucun doute qu’ii n’y a aucune action criminelle ou civile; mais si l’homicide n’est pas déclaré légal, alors il y aura évidemment lieu à accusation. Je crois qu’on ne peut pas admettre l’opinion de M. Prieur, qui tend à séparer l’homicide légal de l’homicide légitime. Si vous voulez faire deux articles, j’en suis d’avis; mais qu’il soit dit également, pour l’un et l’autre cas, que ce n’est que par l’examen du procès qu’on verra que l’homicide a été légal, comme l’on verra si l’homicide a été légitime. Alors c’est une rédacton à faire. M. Prieur. Lorsque l’homicide légal est autorisé par la loi, il est impossible que vous disiez jamais qu’il peut y avoir lieu à une accusation criminelle contre ceux qui l’ont commis ; et vous voyez qu’il n’y a aucun danger dans ma rédaction qui vient même d’être adoptée par M. le rapporteur. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau , rapporteur. La réponse de M. Prieur ne détruit nas la solidité des objections faites par M. Duport. Certainement l’homicide est legal lorsqu’il est ordonné par la loi, et lorsqu’il a été commandé par nne autorité légitime. Mais, comme il faut parvenir au point ue savoir si les loi mes prescrites par la loi ont été remplies, et si l’aut >rité qui l’a ordonnée a agi légitimement ; comme c’est un point de fait qui ne peut s’éclaircir que par l’instrm tion, il me paraît qu’il serait très danger, ux de dire qu’il n’y aurait rien à intenter, aucune action à commencer une instruction. Il en e�t de même pour le cas d’homicide involontaire; et. certainement, pour savoir si l’homicide est involontaire ou non, il faut une instruction. Je suis donc de l’avis de M. Duport, et de maintenir dans les deux cas que l’instruction pourra être commencée, et que ce ne sera que d’après l’instruction qu’on prononcera qu’il n’y a lieu à prononcer aucune peine, ni à admettre aucune condamnation civile. Voici, Messieurs, la rédaction que je propose : Art. 3. < Dans le cas d’homicide légal, il n’existe point de crime, et il n’y a lieu à prononcer aucune peine, ni même aucune condamnation civile. Art. 4. L’homicide est commis légalement lorsqu’il est ordonné par la loi, et commandé par une autorité légitime. » (Ges deux articles sont successivement mis aux voix et a .optés.) M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur, donne lectu e des articles suivants : « Art. 5. En cas d’homicide légitime, il n’existe point de crime ; il n’y a lieu à prononcer aucune peine, ni même à admettre aucune condamnation civiie. 308 ]Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1791.] « Art. 6. L’homicide est commis légitimement, lorsqu’il est nécessité par la défense naturelle de soi-méme ou d’autrui. » M. Malouet. Vous remarquez, Messieurs, que ces expressions : « pour la défense d'autrui » présentent trop de latitude. Je demande qu'on précise la légitimité du cas. Je voudrais donc dire que l’homicide sera légitime, lorsqu’il sera nécessité pur sa propie défense, ou par la défense d’un tiers dont la vie serait en danger. M. Prieur. Je crois l’observation de M. Malouet absolument inutile. M. d’Aubergeon-Murinais. Si l’on décrétait l’article tel qu’il est pr. posé, vous multiplieriez les meurtres par tous les citoyens, car tous les citoyens ne pourront pas avoir justice. On verrait se renouveler en France les scènes qui ont lieu dans plusieurs villes dltalie où l’on égorge à coups de couteau sous prétexte de légitime défense. Je pui3 vous proposer une circonstance dans laquelle je pourrais tuer un individu, sans que la loi puisse me punir. Je vais trouver dans la rue deux hommes qui se battent ; je vois sur la tête de l’un le bâton levé ; il pourrait être tué par ce coup de bâton : moi, je lui brûlerai la cervelle, et je ne serai pas condamné par le juré ; j’aurai cependant commis un meurtre, parce que je l’aurais commis de propos délibéré, j’aurai moi-même fomenté cette dispute. La loi doit donc prévoir ce cas; la loi doit être claire. Je me range à l’avis de M. Malouet. M. Prieur. Il existait une loi à Athènes par laquelle un citoyen, qui n’en défendait pas un autre attaqué, était puni de mort; ce qui est bien contraire aux principes de M. de Murinais. Pouvez-vous voir un de vos concitoyens en danger, sans voler à son secours? Vous vous exposez vous-même à la mort. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L’observation de MM. Malouet et de Murinais consiste à dire qu’il y a trop de vague dans l’article qui vous occupe, et que, pour le préciser davantage, il faudrait déclarer et déterminer que le meurtre pour légitime défense n’a lit u que lorsque la vie de celui qui est attaqué est évidemment en danger, ou bien que la vie d’autrui est attaquée. Je réponds au préopinant : 11 a paru au comité qu’il fallait laisser une sorte de latitude dans cet article, car je demanderai si Lucrèce a été ou non coupable d’un meurtre; il y a d’autres cas que la défense de sa propre vie où le meurtre est légitime. Or, si Lucrèce n’avait pas tourné le poignard contre elle-même, si elle ne l’avait tourné que vers celui qui attentait à son honneur, je vous demande si elle aurait été punie. Donc nous ne pouvons pas employer le mot de la défense de sa vie à l’égard de la simple provocation que M. de Murinais vient d’exposer, par l’exemple d’un homme qui verrait le bâton levé sur un autre et qu’il tuerait. C’est alors le cas de la provocation grave, qui est un des articles qui suivent, où l’accusé n’est pas condamné, mais où il est dit seulement que s’il y a une provocation grave, alors le délit est atténué et la peine est moins considérable. Mais celte provocation grave par voie de fait n’autorise point à tuer. Le mot de l’article dit ; « nécessité par la défense naturelle de soi-même ou d’autrui ». M. de Bnttafuoco. Je demande la suppression du mot : « d'autrui ». Si vous laissiez subsister ce mot, il produirait un grand mal dans la Corse. On est dans l’obligation dans ce pays-là de venger ses parents jusqu’au quatrième degré, et en décrétant l’article tel qu’il est proposé, vous mettriez les familles en guerre les unes contre les autres. M. Duport. Il y a erreur dans ce que vous a observé le préopinant. Ou vous parle d’un usage qui avait lieu dans l’antiquité, et qui peut-être s’est corne? vé en Corse, qui est la vengeance graduelle et héréditaire pour ainsi dire; cela n’a rien de commun avec l’article ; nous sommes bien éloignés de croire que la vengeance soit un motif légitime d’homicide; mais nous avons pensé que la défense naturelle d’un homme que l’on attaque, doit porter à voler à son secours. Cela est nécessaire dans toutes les sociétés qui sont organisées sur des principes de liberté et d’égalité. Maintenant la question est de savoir si dans le recours qu’on lui donne, le meurtre de celui qui attaque peut être considéré comme une excuse, et cette question est rés L e par le mot nécessité. Il ne s’agit pas pour délivrer un homme qui est menacé d’un coup de bâton d’aller tuer celui qui le menace, parce que certainement il n’y a pas de juré qui ose prendre sur lui de déclarer que l’on aura été mù par la nécessité de tuer l’autre ; mais il s’agit d’un homme attaqué par un antre qui a sur lui Davantage de la force et des armes. Je ne puis parvenir à sauver l’un qu’en tuant l’autre. Je fais une chose qui est de droit naturel, que le droit social doit fortifier, puisqu’il tend à unir par des liens d’humanité et de bienfaisance tous les hommes bous contre les méchants. Aussi mettons-nous bien dans la question. Si il n’y a point eu nécessité, si, parce qu’on m’a dit une injure, je m’avise de tuer celui qui m’a donné ce coup, je ne fais point un meurtre légitime ; il faut que ma vie ait été en danger, il faut que ma défense l’ait nécessité. Eh bien ! dans le cas de défense des autres, c’est la même chose. S’il n’y a point eu nécessité, il doit être puni; mais s’il y a eu nécessité par le danger réel de la perte de la vie, cela devient naturel et excusable. M. de Menonville-Filliers. Il y a, je crois, ambiguité dans l’article. Tantôt vous avez employé les mots défense naturelle , tantôt défense légitime. M. Malouet. Je fais une réflexion qui vous fera sentir le danger de cet article. Si vous lui laissez toute sa latitude, deux assassins s’entendent; l’un attaque un homme et se bat avec lui; l’assassin paraît le plus faible; son camarade arrive sous prétexte de le secourir, parce qu’il va être tué par son ennemi, et l’assassin reuni à son camarade poignarde l’autre. Que direz-vous, d’après votre loi, aux deux assassins? Le second représentera au juré qu’il a vu un homme qui était au moment de succomber sous les efforts d’un homme plus fort que lui, qu’il est venu pour défendre. Je vous prie de vouloir bien faire attention qu’il ne suffit pas qu’une loi soit clairement entendue par le juge, par le juré; il faut encore qu’aucun des hommes soumis à cette loi, ne puisse y être trompé. Il ne faut pas laisser aux