70 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES** [15 avril! 790.] Le renvoi au comité de constitution est mis aux Voix et ordonné. La parole est donnée à un membre du comité des recherches. M. Palasme de Champeaux, rapporteur du comité des recherches , commence par annoncer que la capitale et les provinces sont infestées de libelles infâmes contre l’Assemblée nationale et même contre le roi; qu’il existe des ennemis acharnés contre la Révolution, qu’il n’en connaît ni les auteurs, ni les propagateurs. Un membre. C’est votre devoir de les découvrir, sans cela on vous appellera le comité sans recherches. M. Palasme de Champeaux. Eh bien ! nous avons découvert un coupable et c’est M. l’évêque de Blois. Ce prélat, mécontent de la révolution actuelle, ne cache pas ses sentiments. Sous prétexte d’éclairer un ecclésiastique qu’il suppose l’avoir consulté, il s’élève contre les décrets de l’Assemblée nationale, blâme le serment civique, et cherche à le rendre nul ; ailleurs, il annonce que les moines qui quitteront leurs maisons ne pourront plus dire la messe dans son diocèse ; qu’il défendra de les recevoir à confesse, excepté m articulo mortis. Voici ses expressions au sujet des moines : « De lâches déserteurs, car ils ne méritent plus le nom de religieux, en offrant leurs biens et en se mettant à prix, ont joint à l’inutilité des offrandes et des calculs mercenaires, la honte d’une apostasie publique et anticipée. « Si nous avons la douleur de voir les pierres de l’édifice dispersées dans les places publiques, des cadavres épars venir répandre dans le diocèse une odeur de péché et de mort et si la Providence ne nous raye pas du nombre des pasteurs, nous ordonnerons de ne point admettre les religieux à célébrer la sainte messe ou à exercer quelque sanction sans une permission spéciale signée de nous ; nous ordonnerons également à tous les confesseurs de ne pas les entendre, ainsi que les religieuses, sans un pouvoir particulier, excepté dans le cas de maladie, et de n’avoir alors pour eux ni réconciliation, ni miséricorde, que sous la promesse expresse de retourner dans le cloître pleurer leur scandaleuse désertion. » Le comité des recherches pense que les paroles de M. l’évêque de Blois sont coupables, et il vous propose de les déférer, par un décret, au procu-du roi au Châtelet. (On rit et on murmure ). M. Bouche. Je demande l’impression du rapport. M. l’abbé Manry. Et son renvoi à l’évêque de Blois. M. de Clermont-Tonnerre. La question préalable sur l’impression du rapport et sur le projet de décret. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a lieu à délibérer. La séance est levée à 10 heures du soir. PREMIÈRE [ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 15 avril 1790. Opinion de M. le marquis de Montes-quiou (1) sur les assignats-monnaie (2). Messieurs, une masse considérable de domaines nationaux est destinée à acquitter la dette la plus urgente. Anticipera-t-on sur la vente de ces domaines par une création d’assignats ? Donnera-t-on à ces assignats un cours de monnaie? Voilà les deux grandes questions qui occupent aujourd’hui cette Assemblée. Quant à la première, elle n’en est plus une, vos décrets l’ont décidé depuis longtemps. Quant à la seconde, les opinions différentes, les divers intérêts la jugent de manières absolument opposées : et c’est au milieu des assertions les plus contradictoires et les plus touchantes, toutes appuyées ou de raisons ou de sophismes qu’il faut aller chercher la vérité ! Les assignats auront-ils cours de monnaie? Voilà la vraie question. Auront-ils un cours libre ou forcé ? Voilà comme elle nous a été présentée. A ce mot de liberté, son apologiste paraît environné de la faveur publique. Celui qui entreprend de la restreindre ose à ipeine élever la voix dans cette tribune qui lui est consacrée ; mais, Messieurs, n’a-t-on jamais abusé des mots les plus saints ? La liberté que nous avons tous juré d’établir et de défendre, est-ce celle qui donnait le pouvoir et des armes à un petit nombre d’hommes pour opprimer le reste de la nation ? Il me semble au contraire que c’est contre cette prétendue liberté que nous sommes venus combattre pour établir la vraie liberté, la liberté publique. C’est pour garantir cette dernière liberté, le but de nos travaux, qu’il est bien important de ne pas vous laisser abuser par des mots. Considérez, Messieurs, la position des affaires publiques et les motifs qui vous ont amenés à la grande entreprise qui vous occupe. Le numéraire en circulation est devenu insuffisant pour les besoins du commerce, et cependant vous ne pensez pas que le numéraire ait cessé d’exister dans le royaume. Le mal dont nous nous plaignons vient évidemment de son inégale distribution. Dans ce partage des richesses, le petit nombre possesseur des écus, fait la loi au grand nombre qui en désire. Tel a toujours été l’effet de toute concurrence. Un papier qui devrait être aussi bon que l’argent, qui le serait encore si le gouvernement n’en avait pas abusé de toutes les manières possibles, se trouve aujourd’hui répandu avec excès. Discrédité justement, parce que sans perdre sa forme d’acte de dépôt, il a cessé d’en être un, chacun cherche à s’en débarrasser, et le grand nombre d’acheteurs d’argent étant soumis, par la seule force des circonstances, au petit nombre de ceux qui le vendent, chaque jour le prix de la (1) L’opinion de M. de Montesquiou n’a pas été insérée au Moniteur. (2) La discussion ayant été fermée avant que mon tour de parole fût arrivé, j’ai pris le parti de faire imprimer mon opinion parce que ayant été interpellé sur celle que j’avais eue au mois de décembre, j’ai cru devoir faire connaître le motif que j’ai toujours eu. 71 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 avril 1790.1 denrée s’élève et le désavantage des acheteurs va toujours croissant. Dans cet état de choses, vous prenez un grand parti. Le numéraire manquait à tous les genres d’insdustrie, parce que le gouvernement a depuis longtemps cessé de payer ce qu’il doit à ses créanciers, et qu’à leur tour ils ont cessé de pouvoir suffire aux mêmes dépenses. Vous entreprenez d’y suppléer. Pour cela vous vendez des biens ; en attendant les ventes, vous en représentez la valeur par des assignats, vous les donnez en paiement à vos créanciers; mais est-ce de l’argent que vous leur donnez ou les moyens de s’en procurer? Voilà le point de la difficulté. Si c est de l’argent, ils peuvent l’accepter, s’en servir à leur tour, payer leurs créanciers, leurs ouvriers, vivre enfin et en faire vivre d’autres. Si c’est seulement un moyen de se procurer de l’argent, vous les livrez à la merci de ceux qui voudront leur en vendre. La position des acheteurs deviendra pire qu’elle n’était, parce qu’il seront plus nombreux. Celle des vendeurs d’argent sera, par cette même raison, encore plus avantageuse. Elle le sera bien plus par une autre raison particulière au cas présent, et qui mérite de votre part la plus sérieuse attention. Des billets de la Caisse d’escompte, achetés aujourd’hui à cinq ou six pour cent de perte, ne peuvent que difficilement remonter à leur vraie valeur dans les mains de ceux qui les achètent. Les assignats, au contraire, ayant à tout moment un débouché sûr dans les acquisitions toujours ouvertes des domaines nationaux, présenteront un tout autre appât à l’agiotage et à l'avidité. Si ces effets sont soumis à une négociation, il est donc clair que, vu leur nombre, le mérite de leur bonté primitive échouera contre la combinaison tyrannique des capitalistes puissants. Ils mettront le prix qu’ils voudront aux assignats : on ne peut calculer à quel taux ils parviendront peut-être aies faire tomber; maîtres ensuite de ce signe précieux, ils s’empareront de nos plus beaux domaines au vil prix des rentes viagères, et nous présenteront encore une fois le scandaleux tableau de ces excessives et honteuses fortunes, dont l’époque est toujours liée à celle de quelque grande calamité publique. Que vos assignats, Messieurs, aient une valeur déterminée par la loi, qu’ils soient eux-mêmes un signe de valeur propre à tous les échanges; qu’ils concourent pour tout avec l’argent, et la cupidité qui les attend sera déconcertée : vous rendez en un jour au corps politique le mouvement et la vie, et vous rendez aux entreprises utiles ces mêmes capitaux ou enfouis ou si dangereusement employés. Ce tableau de nos véritables dangers, ce tableau trop fidèle était bien nécessaire à mettre sous vos yeux; et je vous en supplie, Messieurs, de ne pas le perdre de vue. Rien n’est plus aisé que d’embarrasser un semblable sujet de beaucoup de déclamations; mais heureusement qu’il est très facile aussi de ramener la question à des termes fort simples. Quelques points fondamentaux bien établis, auraient empêché de s’égarer dans des traités de morale politique très étrangère à ce qui nous occupe. Nous convenons tous que nous avons une dette fort pressante à acquitter vis-à-vis de la Caisse d’escompte, et, de suite, vis-à-vis de tous les porteurs de ses billets; que cette dette est sacrée et qu’il importe à la tranquillité publique qu’elle soit promptement payée, Nous convenons encore que nous avons une autre dette indispensable à acquitter, celle qui échoit tous les mois, et qui consiste dans la restitution des sommes qui nous ont été avancées mois par mois, l’année dernière , et que le paiement de cette dette est le seul moyen de dégager nos revenus de tout genre que nous avons tant d’intérêt de rendre libres pour l’année prochaine. La première de ces dettes monte à 170 millions, la seconde environ à 130. Ainsi, il nous faut absolument 300 millions d’extraordinaire pour passer l’année. Avec ce secours, nous pouvons payer toute la dépense ordinaire d’un an (1), l’intérêt de toute la dette publique pour un an, arriver au premier janvier 1791, en pleine jouissance des revenus qui vont être établis, et débuter sans embarras dans le nouvel ordre de choses. Si nous pouvions nous procurer en écus 300 millions, il serait facile de sortir d’embarras à l’instant même. Si, faute d’argent monnayé, nous pouvions vendre pour 300 millions d’immeubles, et les réaliser incessamment, la difficulté serait presque aussitôt levée, puisque nous avons ces immeubles en notre possession. Mais l’impossibilité de vendre, faute d’acheteurs, n’empêche pas que nous n’ayons dans nos mains la valeur effective dont nous avons besoin; et pour que nous puissions nous en servir il ne nous manque que la possibilité de transformer cette valeur en monnaie. C’est un lingot qu’il faudrait pouvoir convertir en écus. Il serait affligeant et fâcheux de faire banqueroute faute de moyens d’effectuer cet échange. Examinons donc, sous ce rapport, la question de l’échange. Si un immeuble, bien évidemment de 100,000 francs, pouvait être déposé en lieu sûr, et confié, sous une surveillance certaine et active, à des hommes publics chargés de le soigner, de le faire fructifier, intéressés à le faire, et obligés de réaliser enfin les 100,000 francs au moins de sa valeur; on pourrait tirer sur le dépôt et sur les dépositaires, avec toute confiance, cent délégations de 1,000 livres chacune, les donner et les recevoir en paiement (2). Les cent délégations étant plutôt inférieures que supérieures à la valeur entière de l’immeublo, chaque délégation en serait évidemment au moins la centième partie. Il n’y a en cela rien de fictif, si le fait de la valeur est constant, et s’il est impossible qu’il y ait une délégation de donnée au delà de la valeur reconnue. Une de ces délégations est aussi bien la centième partie de l’immeuble, qu’un écu est la huitième partie d’un louis. La puissance publique, en faisant cette opération, peut donc suivre les règles qui la dirigent dans les lois qui règlent les valeurs de la monnaie ordinaire. Elle n’a pas le droit de donner telle valeur à une pièce au-dessous de tel poids et de tel titre; mais elle atteste que telle pièce est de tel poids et de tel titre, et par conséquent de telle valeur, et cela suffit. Elle peut de même dire : tel immeuble vaut tant. Cent billets de telle valeur le représentent entièrement. Ainsi, les cent billets faits de telle et (1) On a pourvu d’ailleurs à la dépense extraordinaire. (2) Les délégations auraient cours du moins entre ceux qui posséderaient l’immeuble par indivis. Tel est en France le sort des délégations sur les biens du clergé 72 [Aaiemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (15 avril 1790.] telle manière valent chacun telle somme, je veillerai sur la réalisation des valeurs: ainsi, je vous en réponds. Alors chacun de ces billets vaut effectivement telle somme. Il la vaut aussi bien que s’il était converti en valeur métallique. Et si l’on a suivi toutes les conditions que je viens de déduire, on peut se servir de cette monnaie, aussi sûrement que de celle dont on est dans l’usage de se servir. Elle ne peut jamais dépérir ; sa valeur est intrinsèque; ce n’est pas l’autorité qui la lui donne. L’autorité n’est là que déclarative de l’abandon d’un tel immeuble et de l’opération qui en rend la valeur disponible. Ainsi, la monnaie est de papier, mais ce n’est pas du papier-monnaie, et aucun des arguments contre le papier-monnaie n’est applicable à celui dont nous parlons. Si la valeur est effective, si la valeur est indubitable, si l’attestation de la puissance publique lui donne une garantie suffisante ; comment la transmission en pourrait-elle être arrêtée? La monnaie de l’Etat peut-elle être refusée dans les paiements? Un écu non accusé d’être faux, n’est-il pas un écu d’un bout du royaume à l’autre? Gomment une autre valeur aussi effective serait-elle soumise à une autre loi? Si la monnaie de l’Etat ne peut pas être refusée, il en résulte l’obligation de recevoir comme espèces les assignats mis en circulation, et c’est là ce qu’on appelle improprement un cours forcé. On abuse étrangement de ce mot de papier forcé, et on n’en abuse que parce qu’on ne l’a analysé dans aucun sens. On en parle comme si ce papier n’avait aucune valeur réelle, et comme si, repoussé par l’intérêt particulier, il ne pouvait paraître qu’armé de toute la force publique. Si l’on s’était rendu compte de la nécessité qui nous commande un numéraire, et des moyens par lesquels on peut parvenir à en créer un aussi bon, aussi réel que l’argent monnayé, on ne demanderait pas s’il faut ou s’il ne faut pas s’en servir comme de numéraire. Il est évident que si on ne s’en sert pas comme numéraire, on n’aura pas suppléé au numéraire qui nous manque. Il est également évident que si on s’en sert comme numéraire, il faut qu’il en ait tous les droits et toutes les propriétés. Personne ne s’est plaint encore qu’un louis, un écu fussent forcés. Ils le sont cependant et s’ils ne l’étaient pas il n’y aurait pas de commerce; mais puisque les mots ont tant d’empire sur les hommes, contentons-nous d’assimiler les assignats à la monnaie qu’ils vont remplacer, ou plutôt dont ils vont devenir les auxiliaires, et donnons-leur seulement le cours de monnaie : ce ne sera pas abuser des mots, ce sera les employer dans un sens clair et propre à redresser les idées. La question, vue sous ce rapport, n’est donc plus une question abstraite : elle est une simple question de fait. Si vos billets de 1,000 livres, de 300 livres, de 200 livres, etc. valent effectivement 1,000 livres, 300 livres et 200 livres, etc. Si la puissance publique étant ce qu’elle doit toujours être, juste et loyale, peut attester ce fait, comment laisserait-elle la liberté de prendre au-dessous de sa véritable évaluation un signe nécessaire des valeurs et des échanges? Le sceau de l’Etat est une attestation à laquelle la confiance publique est due, ou il n’y a plus de corps politique. Si l’Etat trompait en donnant son attestation, il se perdrait lui-même; ce qui ne peut pas être mis en supposition. Il ne s’agit donc ici que d’examiner si les assignats ont une valeur telle que la nation puisse la garantir, l’attester, l’ordonner, car en pareille matière ces trois mots sont synonymes. Or, Messieurs, la valeur représentative du lingot, personne ne le conteste, vous l’avez, vous la mettez en évidence, vous ladéposez en mains sûres. Les délégations représentatives de la valeur, ne pouvant l’excéder, tels que seraient les écus produits du lingot, vous pouvez les avoir. Vos assignats ne sont pas autre chose. Les municipalités sont des dépositaires sûrs; leurs surveillants, ce sont vous-mêmes, ce sont tous les intéressés à la surveillance, ce sont vos représentants dans toutes les assemblées administratives. Les choses sont telles et pour le fond, et pour les accessoires, et pour toutes les circonstances environnantes, que si les délégations ne valaient pas effectivement des écus, si elles n’étaient pas la même chose absolument, ce serait la faute de ceux qui les auraient fabriquées, car il ne tient qu’à eux de leur donner une valeur effective, de ne rien laisser à faire à l’imagination, de n’avoir pas même besoin de la confiance. Une fois arrivé à ce degré de certitude, sans lequel je conviens de tout ce qu’on oppose au projet des assignats, comment pourrait-on dire qu’il y aurait quelque danger à additionner un numéraire aussi réel au numéraire circulant reconnu trop rare? Il est évident, il est avoué que nous avons besoin de numéraire : certes, ce n’est pas une raison pour en faire circuler un qui serait mauvais, qui n’aurait pas la valeur qu’on lui attribuerait; mais c’est bien le cas d’ajouter à la circulation épuisée un numéraire effectif, sur la valeur duquel il ne puisse s’élever aucun doute légitime. S’il est nécessaire d’accroître le numéraire, parce que nous n’avous pas la quantité nécessaire de celui qui en a toujours fait les fonctions; si celui que nous y substituons est effectivement aussi bon, pourquoi ne serait-il pas assujetti aux mêmes lois? Pourquoi le citoyen, qui ne peut pas refuser le louis, l'écu empreint de la marque publique, pourrait-il refuser le nouveau signe des valeurs revêtues de la même attestation ? Cette liberté ne serait bonne qu’à interrompre la circulation que nous cherchons à faciliter, à mettre des discussions à la place des conventions, et à substituer la liberté individuelle ou absolue à la liberté publique. Je pense donc, Messieurs, qu’il faut réduire cette question au seul fait. Vos assignats, délégations, ou mandats, peu importe leur nom, ont-ils une valeur réelle ou ne l’ont-ils pas ? Toutes les autres décisions me semblent évidemment dériver de celle-là ; je pense qu’aucun des papiers-monnaie qui ont existé jusqu’ici n’aurait pu soutenir cette épreuve : il ne faut donc pas nous en opposer l’exemple. Je ne répondrai pas au reproche qui m’a été adressé par un des préopinants, d’avoir proposé, au mois de décembre dernier, dans cette même tribune, les moyens qui vous sont présentés aujourd’hui. S’il était vrai cependant que vous regardassiez ce parti comme le seul qui puisse désormais convenir aux circonstances où nous sommes, ne me serait-il pas permis de penser qu’il eût été heureux de ne pas attendre la loi que vous impose l’absolue nécessité? Aurais-je à rougir de vous avoir proposé le remède à nos maux avant qu’ils fussent devenus extrêmes ? Loin de moi cependant tout sentiment d’amour-propre sur la justesse de mes 73 {Assemblée-national#.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 avril 1790.} premiers aperçus : j’aimerais bien mieux m’être trompé et voir mes raisonnements confondus par les preuves de la prospérité publique. 28 Annexe à la séance de V Assemblée nationale du 15 avril 1790. Opinion de M. le baron d’Allarde (1) sur la première émission de quatre cents millions d’assignats. Messieurs, le projet de décret qui vous est présenté par votre comité des finances a trois objets essentiels : 1° Dégager les revenus futurs des anticipations qui les absorbent, et nuisent au rétablissement de l’ordre dans les finances; 2Û Assurer le service de cette année par des ressources extraordinaires, afin d’arriver sans troubles au premier janvier, époque pour laquelle vous décréterez un plan général d’impôts consti-tionnels et suffisants pour acquitter toutes les dépenses de l’Etat, et pour parvenir à l’extinction de la dette ; 3° Rappeler le crédit en inspirant la confiance, et déterminer les capitalistes, par cette même confiance, à remettre les espèces dans la circulation, et mettre la Caisse d’escompte à même de payer ses billets à bureau ouvert. Tels sont les objets sur lesquels vous avez à délibérer; ils sont d’une telle importance que vous devez examiner, avec la plus scrupuleuse attention, si les moyens qu’on vous propose sont propres à produire les effets qu’on vous fait espérer, car tel est l’état des choses, que si vous adoptiez une fausse mesure, vous ne pouvez pas vous dissimuler que vous compromettriez le salut de l’Etat et la Constitution que vous venez de lui donner. Ce n’est plus par des moyens partiels, par des combinaisons de l’agiotage, qu’on peut se procurer des ressources, et que l’ordre peut être rétabli. Le temps des illusions est passé ; et ceux qui ont déclaré ces vérités préexistantes à tout ordre social, ceux qui ont rappelé l’homme à ses droits imprescriptibles, ceux enfin qui ont régénéré cet empire ne peuvent employer, pour la régénération des finances, que des moyens dont l’évidence soit démontrée, qui commandent la confiance, raniment le commerce et donnent de l’énergie et de la vigueur à toutes les parties du corps politique. Pour parvenir sûrement à ce but, qu’il est si essentiel d’atteindre, et marcher avec méthode dans cette discussion, il convient d’abord de fixer son esprit sur la somme des engagements, dont le payement est indispensable, sur la nature des ressources et sur les causes de la rareté du numéraire. Quelle est donc la somme que vous avez à payer pour arriver au moment où votre dépense* se trouvera au niveau de la recette, et où vous aurez détruit jusqu’aux traces de ces opérations financières et fiscales, qui s’opposent sans cesse au retour du crédit? (1) L’opinion de M. d’Allarde n’a pas été insérée au Moniteur. Je vois d’abord la nécessité d’anéantir le pernicieux usage des anticipations ; il y en a pour 129 millions. J’estime que la réduction des dépenses que vous avez ordonnées sur le rapport de votre comité des finances, ne pouvant s’effectuer entièrement pour l’année 1791, soit parce que vous n’avez pas pu prononcer encore sur la diminution de chaque objet de dépense, soit parce que l’humanité et la justice ne permettent pas de renvoyer sans quelques traitements, des personnes dontïe travail ou l’ancienneté du service mérite quelques récompenses. Ainsi, ces réductions qui seules opéreront dans l’avenir le rétablissement de la balance, laissent encore subsister, pour cette année, un déficit que j’estimerai de 15 à 20 millions. L’Assemblée nationale, après avoir mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté française, ne peut pas être indifférente sur le sort des rentiers, qui, en déposant leur fortune au Trésor public, lui ont confié tous leurs moyens d’existence; elle mettra donc au nombre de ses besoins les plus pressants l’obligation de rapprocher le payement des rentes, de manière âne laisser qu’un semestre en arrière; et c’est encore environ 110 millions qu’il est nécessaire de se procurer. Enfin, les non-valeurs dans les produits de quelques impôts indirects, les retards dans le recouvrement des autres, quelques dettes exigibles et sacrées qu’il est indispensable d’acquitter, vous mettent dans la nécessité d’avoir, à votre disposition, une somme de 60 millions. La position de la Caisse d’escompte doit être aussi un des objets de votre sollicitude; vous devez à cette compagnie 240 millions. De ces 240 millions, 170 vous ont été prêtés depuis le mois d’août dernier; etquoique ses engagements avec le public soient plus de 160 millions; quoiqu’ils soient garantis par un capital de plus de 290 millions appartenant à cette compagnie ; quoique ce capital soit secondairement hypothéqué sur les biens nationaux, puisqu’il doit être composé de 170 millions d’assignats, cependant les billets de cette caisse éprouvent aujourd’hui une très grande perte sur la place, et les ennemis de la liberté et de la constitution ne cessent de décrier cet établissement, et de reprocher aux administrateurs et aux actionnaires d’avoir oublié un moment les principes rigoureux de la banque, pour se livrer au patriotisme le plus pur et qui a été si utile à la Révolution. Vous n’abandonnerez pas, Messieurs, la Caisse d’escompte au milieu de ses ennemis, c’est-à-dire des ennemis de la liberté; mais vous la mettrez à même de rentrer promptement dans les bornes de son institution; vous considérerez qu’il n’est pas juste que la ville de Paris, qui a donné tant de marques de courage et de dévouement, supporte seule une émission de billets de banque d’escompte, que les circonstances et le salut de la chose publique vous ont forcés d’emprunter; enfin vous aviserez aux moyens de vous procurer 160 millions pour retirer promptement ce 3igne de mauvaise foi, c’est-à-dire des billets à vue qu’on ne paie pas. En réunissant ces différents articles, vous verrez, Messieurs, que la somme de nos besoins serait de 480 millions; il faut donc y pourvoir, il le faut nécessairement, il le faut par des moyens qui assurent à jamais le retour de l’ordre; enfin c’est un compte qu’il faut solder pour rétablir la balance. Après avoir fixé l’étendue de nos besoins, je passe à l’examen de nos ressources; elles sont