[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 avril 1791. Celui, au contraire, qui n’a aucun parent, a le droit de tester dans l’étendue la plus illimitée. Celui qui a des frères rapproche le plus de premier cas. Celui qui n’a que des cousins au degré le plus éloigné approche le plus de l’autre. Et comme il importe de resserrer tous les nœuds qui contribuent au bonheur des individus et aux succès des travaux utiles, le droit de lester, qui conduit à suppléer l’amitié au défaut de la famille, doit prendre plus d’étendue à mesure que le degré de parenté des héritiers s’éloigne. C’est aux jurisconsultes à fixer, pour chaque cas particulier, les bornes qu’une loi sage doit prescrire. 11 nous suffit d’avoir indiqué les principes, les règles fondamentales dont la raison ne peut sur cette matière se dissimuler la convenance et l’équité, et d’avoir fait sentir que le droit de déshériter les enfants n’existe pas; que le droit de les partager très inégalement n’existe pas ; que les lois qui ont tenté d’établir de tels droits sont injustes et qu’on peut arriver par la raison à reconnaître que chez un peuple suffisamment éclairé, il n’y aurait rien d’arbitraire, rien d’abandonné à la sagesse privée du pouvoir législatif dans les lois sur les successions ; enfin qu’en cette occasion, comme en toute autre, il ne doit prononcer que ce que la nature ordonne et qu’elle présente aux lois de l’hérédité et à celles des testaments, comme à toutes les autres lois positives, une base solide dont l’origine est aussi céleste que celle de la justice même, sur laquelle toutes les lois doivent être assises. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TRONCHET. Séance du lundi 4 avril 1791, au soir ( 1). L’Assemblée, convoquée par M. le Président pour assister en corps au convoi funèbre d’Ho-noré Riquetti-Mirabeau, s’est réunie à 4 heures de l’après-midi, dans la salle ordinaire de ses séances. Elle en est sortie à 4 heures et demie, précédée de ses huissiers, des gardes de la prévôté et d’un détachement de la garde nationale parisienne, son Président étant à sa tête. Elle s’est rendue dans une maison voisine de celle du défunt, rue de la Chaussée-d’Antin, maintenant rue de Mirabeau, où les exécuteurs testamentaires avaient annoncé qu’ils la recevraient. Elle y est arrivée à 5 heures, et elle y a été effectivement reçue par MM. de La Marck et Frochot, chargés des dernières dispositions du défunt. Quelque temps après, M. le curé de Saint-Eus-tache est venu présenter ses respects à M. le Président et prendre ses ordres pour la cérémonie. Une difficulté s’est élevée relativement à l’honneur que réclamaient 4 commandants de bataillon de la garde nationale parisienne, de porter le poêle mortuaire. M. le Président a décidé que c’était à l’Assemblée nationale à faire remplir (1) Celle séance est incomplète au Moniteur. 557 cette fonction et il a nommé 4 de ses membres, qui ont porté le drap mortuaire. A 6 heures le convoi funèbre est parti pour se rendre à l’église paroissiale de Saint-Eustache. L’Assemblée nationale suivait immédiatement le corps du défunt, lequel était porté par 12 grenadiers de la garde parisienne. Les administrateurs du département de Paris, fa municipalité, une grande partie de la garde nationale, les ministres du roi, un détachement des invalides, les cent Suisses, un grand nombre de citoyens de tout âge et de tout sexe, formaient le convoi, que précédait et qu’environnait une musique lugubre. Il s’est rendu, au travers d’un grand concours de peuple, à l’église Saint-Eustache, où il est arrivé à 8 heures. Le corps a été placé, suivant l’usage, sous un dais, dans le chœur. Le Président a pris place dans le sanctuaire, au bas de l’autel, ayant à ses côtés les secrétaires de l’Assemblée; MM. les députés étaient dans le chœur et les autres assistants dans la nef. L’acte mortuaire du défunt, inscrit sur le registre de la paroisse, a été signé par M. le Président et par les secrétaires. Les prières ordinaires ayant été faites au bruit de la musique et des nombreuses décharges de la mousqueterie, un citoyen de la section de la Grange-Batelière, après en avoir obtenu la permission de M. le Président, a prononcé l’éloge funèbre d’Honoré Riquetti-Mirabeau. L’Assemblée l’ayant vivement applaudi, il en a été demandé l’impression et l’insertion dans son procès-verbal (1). Le convoi est sorti de l’église paroissiale de Saint-Eustache à 9 heures un quart et s’est rendu, dans le même ordre, à celle de Sainte-Geneviève, où il est arrivé à 11 heures et demie. M. le Président a pris place dans le chœur, ainsi que les secrétaires, et s’est mis en marche un instant après, suivi de tous les membres de l’Assemblée, pour aller jeter de l’eau bénite sur le cercueil du défunt. L’acte de dépôt, inscrit sur les registres de l’église, a été signé par M. le Président et par MM. les secrétaires. Le corps a été déposé dans le caveau, conformément au décret du même jour, et le convoi s’est séparé à minuit. ANNEX.E A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 4 AVRIL 1791, AU SOIR. Éloge funèbre de M. Riquetti de Mirabeau l’aîné, prononcé le 4 avril 1791, jour de ses funérailles , dans l’église de Saint-Eustache , par M. Cérutti, au nom de la section de la Grange-Batelière , devant l’Assemblée nationale. In ipsam gloriam præceps agebalur. (Tacite, Agric) Choisi par les citoyens qui représentent ma section, pour être, au milieu de ce temple et à la face du peuple, l’organe solennel de la douleur publique, je viens, malgré la faiblesse de ma voix, jeter un cri de désolation sur le cercueil de l’homme célèbre que l’inexorable destinée a (1) Voyez ci-dessous ce document, annexé à la présente séance.